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21/03/2005 | FRANCE | N°00NC00449

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4eme chambre - formation a 3, 21 mars 2005, 00NC00449


Vu le recours du MINISTRE DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE L'ENVIRONNEMENT, enregistré au greffe de la Cour le 28 mars 2000, complété par des mémoires enregistrés les 15 juin 2000 et 2 mai 2003, présenté par la SCP d'avocats Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez ;

Le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement en date du 3 février 2000 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'Etat à verser à la société Straumann Frères une indemnité de 1 709 779 F ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 29 août 1995, les intérêts ét

ant eux-mêmes capitalisés à compter du 15 avril 1998, en réparation du préjudice que...

Vu le recours du MINISTRE DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE L'ENVIRONNEMENT, enregistré au greffe de la Cour le 28 mars 2000, complété par des mémoires enregistrés les 15 juin 2000 et 2 mai 2003, présenté par la SCP d'avocats Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez ;

Le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement en date du 3 février 2000 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'Etat à verser à la société Straumann Frères une indemnité de 1 709 779 F ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 29 août 1995, les intérêts étant eux-mêmes capitalisés à compter du 15 avril 1998, en réparation du préjudice que lui a causé l'entrée en vigueur du décret 92-798 du 18 août 1992 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société Straumann Frères devant le Tribunal administratif de Strasbourg ;

3°) de condamner la société Straumann Frères à lui verser une somme de 30 000 francs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- le tribunal a commis une erreur de droit en sanctionnant une méconnaissance du principe de confiance légitime qui ne peut être invoqué que pour la mise en oeuvre du droit communautaire, ce qui n'est pas le cas du décret 92-798 du 18 août 1992 ;

- l'exigence de prévisibilité de la loi posée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme est distincte du principe de confiance légitime appliqué par le tribunal ; elle implique la précision et la clarté de la loi et ne règle pas la stabilité des situations juridiques dans le temps ;

- le fondement tiré de la méconnaissance des droits garantis par l'article 1 protocole 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concerne la légalité du décret et non ses conditions d'intervention ; il procède d'une cause juridique distincte et constitue donc une demande nouvelle irrecevable en appel ;

- aucune mesure d'interdiction totale n'a été adoptée, l'importation pouvant rester autorisée si l'élimination des déchets a lieu ailleurs qu'en décharge ;

- l'adoption du décret n'était pas imprévisible pour un opérateur économique avisé ; la possibilité d'une telle interdiction découlait des dispositions mêmes de l'article 23-1 de la loi du 21 juillet 1975, ce risque de modification de législation étant même intégré dans la convention liant l'entreprise à son fournisseur ;

- des mesures transitoires de six mois étaient inenvisageables compte-tenu des risques pour la santé publique et de l'attente de l'opinion publique ;

- le préjudice n'est pas justifié en l'absence de preuve de relations contractuelles suivies entre la société Straumann Frères et l'entreprise Reko et alors que l'expert n'a pu disposer des pièces nécessaires ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les mémoires en défense enregistrés les 13 février 2003 et 26 octobre 2004, présentés pour la société Straumann Frères, ayant son siège ..., par Me X..., avocat ;

La société conclut au rejet de la requête susvisée ; à cette fin, elle soutient que :

- à supposer que le principe de confiance légitime soit inapplicable, les conditions de l'entrée en vigueur du décret du 18 août 1992 ont eu pour effet, en méconnaissant le principe de sécurité juridique selon lequel la loi doit être accessible et prévisible, de porter aux biens de la société Straumann Frères une atteinte contraire aux stipulations de l'article 1 protocole 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; or une interdiction complète des importations était imprévisible et ne peut être regardée comme légitime, étant disproportionnée et non progressive ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1 protocole 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne procède pas d'une cause juridique distincte de celle dont procédait la demande de première instance ;

- l'expert a réfuté les arguments opposés relatifs à l'appréciation du préjudice ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l'ordonnance en date du 13 octobre 2004 par laquelle la clôture de l'instruction a été fixée à la date du 10 novembre 2004 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 modifiée ;

Vu le décret n° 90-267 du 23 mars 1990 modifié par le décret n° 92-798 du 18 août 1992 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 janvier 2005 :

- le rapport de M. Devillers, premier conseiller,

- les observations de Me Y... de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du MINISTRE DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE L'ENVIRONNEMENT,

- et les conclusions de M. Wallerich, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à la demande de la société Straumann Frères, dont l'activité consistait dans l'importation à partir de l'Allemagne de déchets ménagers destinés à être mis en décharge ou incinérés, tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice qu'elle estime avoir subi en raison d'une méconnaissance du principe de confiance légitime résultant de l'intervention du décret n° 92-798 du 18 août 1992 interdisant l'importation de tels déchets ;

Considérant que le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit communautaire ; que tel n'est pas le cas en l'espèce dès lors, d'une part, que le décret du 18 août 1992 n'a pas été pris pour la mise en oeuvre du droit communautaire et, d'autre part, qu'il a été pris antérieurement à l'intervention du règlement n° 259/93 (CE) du Conseil du 1er février 1993 ; que, par suite, en faisant droit à la demande indemnitaire dont il était saisi en estimant que les conditions d'application du principe de confiance légitime étaient réunies, alors qu'il était en réalité inapplicable, le Tribunal administratif a entaché son arrêt d'une erreur de droit ;

Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Straumann Frères tant devant le tribunal administratif que devant la Cour ;

Considérant, d'une part, que devant les premiers juges, la société invoquait le préjudice anormal et spécial provoqué par la mise en oeuvre soudaine du décret du 18 août 1992 précité ; que, eu égard à l'objet d'intérêt général en vue duquel la loi du 17 juillet 1975 et ses décrets d'application ont été édictés, et de l'absence de toute prévision expresse d'indemnisation, la mesure d'interdiction contestée ne peut ouvrir droit à réparation aux transporteurs auxquels elle a pu porter préjudice ;

Considérant, d'autre part, que la société Straumann Frères soutient devant la Cour que l'adoption rapide et l'entrée en vigueur immédiate du décret du 18 août 1992 ont méconnu un principe de sécurité juridique selon lequel la loi doit être prévisible et ont eu pour effet, par suite, de porter une atteinte à ses biens contraire aux dispositions de l'article 1er du premier protocole de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'aux termes des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention précitée : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur des lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ; que la société Straumann Frères, si elle a dû supporter les conséquences d'une modification de la réglementation de son activité de transport, n'a cependant subi aucune atteinte à son droit de propriété, à ses biens ou à l'usage de ceux-ci au sens des dispositions de l'article 1er du premier protocole de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le jugement susvisé du Tribunal administratif de Strasbourg doit être annulé et la demande de la société Straumann Frères, présentée devant le tribunal, rejetée ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner la société Straumann Frères à payer à l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, soit condamné à verser à la société Straumann Frères la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 3 février 2000 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Straumann Frères devant le Tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.

Article 3 : La société Straumann Frères est condamnée à verser à l'Etat la somme de 1 500 euros.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. Karl-Gustav Z..., liquidateur de la société Straumann Frères et au MINISTRE DE L'ÉCOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE.

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00NC00449


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 00NC00449
Date de la décision : 21/03/2005
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme FELMY
Rapporteur ?: M. Pascal DEVILLERS
Rapporteur public ?: M. WALLERICH
Avocat(s) : LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2005-03-21;00nc00449 ?
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