La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/01/2007 | FRANCE | N°05NC01320

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 25 janvier 2007, 05NC01320


Vu la requête, enregistrée le 11 octobre 2005, complétée par mémoire du 22 mars 2006, présentée pour M. Michel X, élisant domicile ..., par Me Delot, avocat ;

M. X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0301861 en date du 12 août 2005 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 941 193,22 € en réparation des préjudices subis du fait du refus illégal de retenir sa candidature en qualité de maître contractuel pour un service vacant au c

ollège de la Providence à Forbach à compter de la rentrée scolaire 1991 ;1992 ;

...

Vu la requête, enregistrée le 11 octobre 2005, complétée par mémoire du 22 mars 2006, présentée pour M. Michel X, élisant domicile ..., par Me Delot, avocat ;

M. X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0301861 en date du 12 août 2005 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 941 193,22 € en réparation des préjudices subis du fait du refus illégal de retenir sa candidature en qualité de maître contractuel pour un service vacant au collège de la Providence à Forbach à compter de la rentrée scolaire 1991 ;1992 ;

2°) de condamner l'Etat à lui payer une somme totale de 1 096 856,60 € qui se décompose de la façon suivante :

- 117 501,79 € au titre des pertes de salaires pendant cinq ans,

- 106 280,94 € au titre des pertes de rémunération en matière de retraite,

- 100 000 € au titre de la perte de chance de promotion de professeur agrégé,

- 80 000 € au titre de la perte de cinq ans sur sa thèse de doctorat,

- 200 000 € au titre de ses préjudices de santé,

- 400 000 € au titre des préjudices moraux et privation de jouissance,

- 93 073,91 € au titre des pertes sur les pensions de réversion de sa future épouse,

3°) d'enjoindre à l'administration d'exécuter l'arrêt de la Cour dans les trente jours à compter de sa notification sous peine d'une astreinte de 10 000 € par jour ;

4°) d'ordonner l'exécution de l'arrêt à venir dans un délai de trente jours sous peine d'une astreinte de 10 000 € par jour de retard ;

5°) de condamner l'Etat à lui payer une somme de 2 000 € au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a refusé d'admettre la perte d'une chance sérieuse d'être nommé sur l'emploi litigieux en qualité de maître contractuel ; l'administration n'a jamais contesté ce point et a, d'ailleurs, rétabli le contrat définitif du requérant par effet rétroactif au 1er septembre 1991 et même reconnu officiellement les promotions de carrière qu'il aurait dû normalement obtenir ; le tribunal n'a pas tenu compte des éléments de fait attestés par l'arrêt du Conseil d'Etat ayant annulé le refus opposé à sa candidature ;

- si le requérant avait été titulaire du contrat définitif à compter du 1er septembre 1991, son service n'aurait jamais été réduit du fait de son ancienneté dans l'enseignement catholique ,

- le requérant a droit à une indemnité au titre des pertes de salaires subies pendant cinq années auxquelles s'ajoutent les intérêts de retard à partir du jour où les traitement étaient exigibles ;

- il a été contraint de prendre sa retraite plus tôt alors qu'il aurait pu continuer à travailler jusqu'à soixante-cinq ans et bénéficier d'une retraite plus élevée ; n'ayant pu verser les cotisations nécessaires du fait de l'absence de traitements pendant cinq ans, il a également subi des pertes de droits à la retraite tant en ce qui concerne la retraite de base que les retraites complémentaires ; ces pertes se répercuteront jusqu'à sa mort ;

- le requérant a perdu des chances sérieuses d'être promu en qualité de professeur agrégé, dès lors que, pendant cinq ans, les services du rectorat ont refusé illégalement sa candidature au motif qu'il n'était pas professeur contractuel ;

- par la faute du rectorat, le requérant n'a pu achever sa thèse ni être nommé dans un emploi d'assistant à l'université ;

- le requérant a subi de graves troubles dans les conditions d'existence du fait notamment de la privation de revenus, qui a eu un retentissement sur sa santé, et du stress généré par la perte de son emploi et la lenteur de la procédure judiciaire ;

- le préjudice moral est considérable car la faute de l'administration a porté atteinte à sa dignité ;

- la future épouse du requérant subira également un préjudice financier en cas de décès de son époux sur l'ensemble des pensions de réversion ;

- le préjudice moral subi par le requérant est fixé à 4 000 € ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 mai 2006, présenté par le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

Le ministre conclut au rejet de la requête de M. X ;

Il soutient que :

- c'est à juste titre que le tribunal a considéré que la candidature du requérant n'avait pas été examinée par la commission consultative mixte académique ; la nomination du requérant sur le poste sollicité n'était pas acquise mais simplement éventuelle ; l'intéressé ayant décidé, de sa propre initiative, de quitter l'enseignement privé en 1987, l'administration n'était pas tenue de le rétablir dans un contrat de maître contractuel ;

- les préjudices financiers et de carrière allégués par le requérant n'ont pas de caractère direct et certain ; il en va a fortiori du préjudice relatif à la pension de réversion de sa future épouse ;

- en tout état de cause, le montant des pertes de rémunération est manifestement excessif et ne peut excéder la différence entre la rémunération perçue en qualité de délégué rectoral et celle qu'il aurait dû percevoir compte tenu de la reconstitution de carrière ;

- le requérant ne peut invoquer la perte de chance d'être promu professeur agrégé par voie de concours ou par la liste d'aptitude, ainsi que la perte d'une chance d'obtenir une thèse de doctorat de lettres car les préjudices sont dépourvus de caractère direct et certain ;

Vu l'ordonnance en date du 4 août 2006 reportant la clôture d'instruction, fixée initialement au 24 mai 2006, au 8 septembre 2006 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le décret n° 60-745 du 28 juillet 1960 ;

Vu le décret n° 60-746 du 28 juillet 1960 ;

Vu le décret n° 80-6 du 2 janvier 1980 ;

Vu le décret n° 95-946 du 23 août 1995 ;

Vu le code de l'éducation ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 janvier 2007 :

- le rapport de M. Martinez, premier conseiller,

- les observations de Me Delot, avocat de M. X,

- et les conclusions de M. Tréand, commissaire du gouvernement ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 janvier 2007, présentée pour M. X ;

Sur le principe de la responsabilité de l'Etat :

Considérant que pour annuler, par arrêt en date du 8 février 1999, la décision du 10 septembre 1991 du recteur de l'académie de Nancy-Metz refusant la candidature de M. X pour un service vacant au collège la Providence à Forbach et le désignant pour ce service en qualité de délégué rectoral, le Conseil d'Etat a considéré, d'une part, que la nomination d'un délégué rectoral n'est légalement possible qu'en l'absence de tout maître titulaire ou contractuel remplissant les conditions requises par l'article 2 bis du décret du 10 mars 1964 et, d'autre part, que le recteur a méconnu les dispositions de l'article 8 du décret du 22 avril 1960 et de l'article 2 bis précité en accordant à M. X pour le poste concerné une délégation rectorale au seul motif que l'intéressé n'avait pas pu soumettre sa candidature à la commission consultative mixte ; qu'en exécution de l'arrêt précité, le recteur de l'académie de Strasbourg a conclu le 19 février 2001 avec le requérant un contrat d'enseignement définitif en qualité de maître contractuel aux collèges et lycées privés La Providence à Forbach dans la discipline Lettres Modernes, prenant effet rétroactivement du 1er septembre 1991 au 31 août 1997, date à laquelle l'intéressé a fait valoir ses droits à la retraite ; que M. X a demandé au Tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser une somme de 941 193,22 € en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 10 septembre 1991 ;

Considérant que l'erreur de droit entachant la décision administrative susvisée est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'il est constant que M. X, qui a présenté sa candidature au titre de l'année scolaire 1991-1992, après que la commission consultative mixte académique avait confirmé, au cours de sa séance du 28 juin 1991, la vacance du service d'enseignement considéré, possédait les titres requis pour être affecté à ce service en qualité de maître contractuel et que sa candidature avait reçu l'agrément du chef d'établissement exigé par l'article 8-3 du décret du 22 avril 1960 ; qu'il n'est pas établi par l'administration ni même allégué que d'autres candidats auraient postulé à l'emploi considéré ; que, dans ces conditions, et eu égard notamment aux motifs de l'arrêt du Conseil d'Etat, M. X doit, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse d'être nommé sur ce poste en qualité de maître contractuel à compter de septembre 1991 et jusqu'à sa mise à la retraite ;

Sur l'évaluation du préjudice :

Considérant, en premier lieu, que la faute de l'Etat a entraîné un préjudice financier et professionnel dont M. X est fondé à demander la réparation ; que, d'une part, si l'intéressé n'a pas, en l'absence de service fait, droit au rappel des traitements correspondants ni, par suite, aux intérêts de retard dus à chaque exigibilité mensuelle desdites sommes, le requérant est fondé à demander la réparation du préjudice réellement subi équivalent à la rémunération nette qu'il aurait perçue à compter du 1er septembre 1991 jusqu'au 31 août 1997, correspondant à la veille de la date de sa mise à la retraite, non comprises les indemnités afférentes à l'exercice effectif des fonctions et déduction faite des rémunérations qu'il a pu percevoir durant cette période, et notamment des allocations d'assurance chômage ; que, d'autre part, M. X n'établit pas qu'il aurait été contraint de prendre sa retraite à l'âge de soixante ans au lieu de soixante-cinq ans du fait de la faute commise par l'administration et ne saurait pas davantage demander réparation du préjudice futur mais seulement éventuel qu'il subira postérieurement à la date de la présente décision ; que, cependant, il est fondé à demander une indemnité au titre de la perte de droits à pension résultant du défaut de versement de cotisations en l'absence de traitements au cours de la période litigieuse ; qu'il suit de là que, compte tenu de l'évolution normale de sa carrière à l'exclusion des promotions exceptionnelles et eu égard aux justifications apportées par le requérant sur la perte des points de retraite au titre du régime de base et des régimes complémentaires, il sera fait une juste appréciation de l'ensemble du préjudice financier subi par l'intéressé en l'évaluant, dans les circonstances de l'espèce, à 70 000 €, tous intérêts compris ;

Considérant, en deuxième lieu, que, compte tenu notamment du caractère sélectif des épreuves du concours externe de professeur agrégé et eu égard aux conditions nécessaires à une inscription sur la liste d'aptitude, le requérant n'établit pas, en l'espèce, qu'il aurait eu des chances sérieuses de bénéficier d'une promotion en qualité de professeur agrégé ; que si le requérant fait valoir que les agissements de l'administration l'auraient empêché d'accomplir les voyages d'études indispensables à l'achèvement de sa thèse de doctorat de chercheur de lettre en linguistique du grec ancien, et l'auraient ainsi privé de la possibilité d'une nomination dans un emploi d'enseignant chercheur à l'université, le lien de causalité direct entre la faute de l'administration et l'inachèvement de sa thèse ne saurait, en tout état de cause, être regardé comme établi ;

Considérant, en troisième lieu, que le préjudice moral allégué par le requérant, qui argue notamment de ce que la faute de l'administration aurait porté atteinte à sa dignité, n'est pas établi ; qu'en allouant une indemnité de 3 000 € au titre des troubles dans les conditions d'existence, y compris le préjudice d'ordre psychologique, subis par l'intéressé, le tribunal a fait une exacte appréciation des circonstances de l'affaire ; que, dès lors, M. X n'est pas fondé à demander la majoration de ladite indemnité ;

Considérant, enfin, que si le requérant demande une indemnité à raison du préjudice qui serait lié à la perte des droits à pension de réversion de sa future épouse, ledit préjudice ne revêt qu'un caractère éventuel ; que, par suite, et en tout état de cause, ces prétentions ne peuvent qu'être écartées ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X est seulement fondé à demander que la somme de 3 000 € que l'Etat a été condamné à payer par le jugement attaqué soit portée à 73 000 €, tous intérêts compris ;

Sur les conclusions à fin d'exécution et d'astreinte :

Considérant que le présent arrêt, qui condamne l'Etat au payement de l'indemnité susmentionnée et vaut par lui-même titre exécutoire, n'appelle pas de mesure d'injonction ; que, par suite, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. X tendant à ce que la Cour ordonne l'exécution de l'arrêt à venir dans un délai de trente jours, sous peine d'une astreinte de 10 000 € par jour de retard ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 161-1 du code de justice administrative : «Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.» ;

Considérant qu'il a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à M. X une somme de 1 500 € sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 3000 € que l'Etat a été condamné à verser à M. X par le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 12 août 2005 est portée à 73 000 €, tous intérêts compris.

Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 12 août 2005 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat payera à M. X une somme de 1 500 € en application de l'article L. 161-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Michel X et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

2

N° 05NC01320


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 05NC01320
Date de la décision : 25/01/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. DESRAME
Rapporteur ?: M. José MARTINEZ
Rapporteur public ?: M. TREAND
Avocat(s) : DELOT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2007-01-25;05nc01320 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award