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16/04/2007 | FRANCE | N°05NC00431

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 16 avril 2007, 05NC00431


Vu le recours du MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE, enregistré au greffe de la Cour le 6 avril 2005 ;

Le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0400097 en date du 30 décembre 2004 par lequel le Tribunal administratif de Besançon a annulé, à la demande de la Commission de protection des eaux , l'arrêté du préfet du Territoire de Belfort du 28 novembre 2003 fixant pour l'année 2004 la liste des animaux classés nuisibles sur l'ensemble du département, en tant qu'il désigne la martre ;

2°) de rejeter la demande présentée pa

r la Commission de protection des eaux devant le Tribunal administratif de Besançon...

Vu le recours du MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE, enregistré au greffe de la Cour le 6 avril 2005 ;

Le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0400097 en date du 30 décembre 2004 par lequel le Tribunal administratif de Besançon a annulé, à la demande de la Commission de protection des eaux , l'arrêté du préfet du Territoire de Belfort du 28 novembre 2003 fixant pour l'année 2004 la liste des animaux classés nuisibles sur l'ensemble du département, en tant qu'il désigne la martre ;

2°) de rejeter la demande présentée par la Commission de protection des eaux devant le Tribunal administratif de Besançon ;

Il soutient que :

- à titre principal, la demande de l'association requérante était irrecevable ; si ses statuts lui donnent notamment pour objet de « protéger toute forme de vie, tant animale que végétale, contre toute cruauté et tout traitement ou action pouvant porter atteinte à l'intégrité physique ou au patrimoine génétique », la décision attaquée n'a pas un rapport direct avec son objet et ses activités statutaires et ne produit pas d'effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elle bénéficie de l'agrément ; le mode de gestion des espèces nuisibles par piégeage ou par tir ne met pas en cause l'intégrité physique des espèces concernées et en tout état de cause, l'arrêté ne fait que dresser la liste des espèces nuisibles, les modalités de destruction faisant l'objet d'un arrêté distinct qui n'a pas été attaqué ;

- les stipulations de la convention de Berne ne créent pas d'effet direct dans l'ordre juridique interne des Etats parties ;

- c'est au demandeur qui entend se prévaloir de la directive « habitats » du 21 mai 1992 de justifier de l'existence d'une solution alternative susceptible d'assurer de manière satisfaisante la protection des intérêts visés à l'article R.227-6 du code de l'environnement ;

- la martre est présente de façon significative dans le Territoire de Belfort ; le tableau statistique des piégeages montre que la martre ne connaît pas de régression ;

- le rapport établi en 2002 par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage comme les conclusions du colloque de 1981 sur le grand tétras indiquent que la martre est susceptible de porter atteinte notamment aux populations de tétraonidés ; elle est un prédateur des volailles élevées en plein air ;

Vu le jugement et la décision attaqués ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2006, présenté pour l'association Commission de Protection de l'Environnement, du Patrimoine, des Eaux, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche-Comté dite « Commission de protection des eaux », représentée par son président, ayant son siège 3 rue Beauregard 25000 Besançon ; la Commission de protection des eaux conclut au rejet de la requête et à ce que le l'Etat soit condamné à lui verser une somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Elle soutient que :

- sa demande est recevable, l'action étant conforme à ses statuts lui donnant notamment pour objet de « protéger toute forme de vie, tant animale que végétale, contre toute cruauté et tout traitement ou action pouvant porter atteinte à l'intégrité physique » et il n'est pas contesté que le piégeage constitue une telle atteinte ; son champ d'action étant la Franche-Comté elle a intérêt à demander l'annulation d'un arrêté s'appliquant sur tout le territoire du Territoire de Belfort ;

- les stipulations des articles 8 et 9 de la convention de Berne sont d'effet direct ;

- les dispositions des articles R.227-5 et R.227-6 du code rural devenues R. 427-6 et R.427-5 du code de l'environnement ne sont pas compatibles avec les exigences posées au niveau international ; elles ne reprennent pas les limitations posées par les articles 8 et 9 de la convention de Berne ;

- l'usage de pièges non sélectifs est de nature à entraîner la destruction d'espèces non visées comme le chat sauvage ou le blaireau ; une étude effectuée dans le Jura suisse en 1995 montre une forte sensibilité des populations de martre, peu denses, à l'activité forestière et au piégeage intensif, lequel a pu amener leur disparition totale dans certaines régions et par exemple en Angleterre ; la méconnaissance de l'article 8 de la convention de Berne est donc avérée ;

- l' article 9 de la convention de Berne est également méconnu dès lors que ne figure nulle part d'élément relatif à la mise en oeuvre de solutions alternatives à la destruction ; or l'installation de dispositifs de protection ou d'effarouchement est dans la plupart des cas suffisante ; les Etats ont aussi l'obligation de mettre en place des mécanismes d'assurance ;

- les dispositions des articles R.227-5 et R.227-6 du code rural devenues R. 427-6 et R.427-5 du code de l'environnement ne sont pas compatibles avec les exigences posées par la directive « habitats » du 21 mai 1992 ; ni l'article R.227-6 ni l'arrêté préfectoral ne comportent de tempérament ou d'adaptation pour les sites Natura 200 ; la martre figure à l'annexe V-a de la directive et toute dérogation au principe de protection de cette espèce doit donc être justifiée ;

- l'arrêté du préfet méconnaît les dispositions mêmes de l'article R.227-6 du code rural , n'ayant pas pris en compte la situation locale ; une étude de l'ONCFS-CNERA de 2003 montre que la martre est uniquement signalée sur la moitié-nord du département ; le tableau des piégeages ne renseigne pas sur l'état de la population des martres dans le département ; au demeurant les analyses sur 10 années montrent un accroissement de la pression du piégeage et une baisse de population des animaux ;

- l'étude de l'ONFCS-CNERA montre que la martre n'est présente de façon limitée que sur la façade est du département et sa population y régresse nettement depuis 2001 ;

- aucun dommage significatif aux activités agricoles n'est démontré et les études sur l'alimentation de la martre montrent qu'elle est essentiellement un consommateur de rongeurs et de fruits ; une étude sur les élevages de Bresse montre que les mustélidés ne sont responsables que de 1 à 2% des pertes dues à des carnivores ;

- la prédation de la martre sur les populations de tétraonidés est purement occasionnelle et sans incidence sur le déclin du Grand Tétras et de la Gélinotte ; des études de l'ONC de 1997 montrent que le piégeage de la martre n'est d'aucun impact sur ces populations, le piégeage lui même étant plus perturbateur pour ces espèces que la présence de la martre ; les populations de tétraonidés régressent pour d'autres raisons, principalement la transformation et les atteintes à leur habitat ; une étude de la DDAF montre que les prélèvements de la martre sur les espèces forestières sont ceux inhérents à l'écosystème ;

Vu l'intervention, enregistrée le 6 septembre 2006, présentée pour la Fédération départementale des chasseurs du Territoire de Belfort, par Me Lagier avocat, qui demande que la Cour fasse droit aux conclusions de la requête susvisée ;

Elle soutient que :

- son intervention est recevable : la destruction à tir des nuisibles impose la détention du permis de chasser visé et validé ; l'arrêté préfectoral de classement des nuisibles est pris après le double avis du conseil départemental de la chasse et de la faune sauvage et de la fédération des chasseurs ; ses efforts de repeuplement du gibier sont susceptibles d'être ruinés par la présence excessive de nuisibles ;

- la demande de l'association requérante était irrecevable ; son objet statutaire est trop général ; les buts définis dans ses statuts sont sans lien les uns avec les autres ; l'acte querellé ne fait pas grief à son intérêt personnel ; ni la chasse ni la régulation des nuisibles ne constituent des actes de cruauté envers les animaux ; la destruction des animaux nuisibles est une activité légitime fondée notamment sur le décret du 30 septembre 1988 ; l'activité de piégeage est utile puisqu'elle permet de connaître l'état de la population animale dans le département ; le juge des référés du Tribunal administratif de Besançon a lui même rejeté le 15 mars 2006 des demandes identiques de la commission de protection des eaux en relevant que la protection de la faune sauvage n'est pas le centre de ses préoccupations telles qu'elles résultent de l'article II de ses statuts ;

- la martre figure à l'annexe V de la directive 92/93/CEE du 21 mai 1992 dite directive « habitats » dont le régime déterminé par l'article 14 laisse aux Etat membres une compétence discrétionnaire ; le Conseil d'Etat a considéré que le classement de la martre parmi les nuisibles par l'arrêté du 6 novembre 2002 n'était pas incompatible avec les objectifs fixés par la directive ;

- les mustélidés participent au développement de maladies dont l'échinococcose alvéolaire, font des ravages dans les poulaillers des particuliers et sont prédateurs de petits gibiers, particulièrement la perdrix grise ;

- l'association requérante ne verse pas au dossier d'éléments circonstanciés pour le département du Territoire de Belfort ;

- en limitant les prélèvements au territoire de quelques communes et à proximité des élevages, garennes et aires de lâcher de gibier, par les piégeurs agréés, le préfet a pris une décision proportionnée et adaptée à l'objectif recherché ;

- le coût total des dégâts provoqués par les nuisibles dans le département a été évalué à

17 002 euros ;

- la martre est présente significativement sur le département, où elle est susceptible de nuire au maintien du Grand Tétras ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l'ordonnance par laquelle la clôture de l'instruction a été fixée à la date du 4 octobre 2006 ;

Vu la convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu sauvage du 19 septembre 1979 ;

Vu la directive n° 92/43 CEE, du Conseil, du 21 mai 1992 ;

Vu le code rural ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu l'arrêté du 30 septembre 1988 modifié fixant la liste des espèces d'animaux susceptibles d'être classés nuisibles ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 mars 2007 :

- le rapport de M. Devillers, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Wallerich, commissaire du gouvernement ;

Sur l'intervention de la fédération départementale des chasseurs du Territoire de Belfort :

Considérant que la fédération départementale des chasseurs du Territoire de Belfort a intérêt à l'annulation du jugement attaqué dans la mesure où les martres, en s'alimentant de gibier, contribuent à réduire le potentiel cynégétique ; qu'ainsi son intervention est recevable ;

Sur la recevabilité de la demande de la commission de protection des eaux :

Considérant que la commission de protection des eaux, association agrée pour la protection de l'environnement en Franche Comté au titre de l'article L. 141-1 du code de l'environnement, justifie d'un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec son objet et ses activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elle bénéficie de l'agrément ; qu'il résulte des statuts de cette association qu'elle a pour objet des susciter et développer l'étude et la protection de la nature, la protection des eaux, des milieux souterrains, des sites paléontologiques et archéologiques et du patrimoine en général, le respect de la réglementation en matière d'aménagement d'urbanisme et de publicité, la protection des chauve - souris, enfin, de protéger toute forme de vie, tant animale que végétale, contre toute cruauté et tout traitement ou action pouvant porter atteinte à l'intégrité physique ou au patrimoine génétique ; que l'objet de cette association est donc de contribuer à prévenir les diverses atteintes à l'environnement, au nombre desquelles figure la protection des espèces animales sauvages ; qu'elle est dès lors recevable à contester la légalité d'un arrêté préfectoral fixant la liste des espèces déclarées nuisibles sur le territoire d'un département franc-comtois et comme telles susceptibles de faire l'objet de destructions ;

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

Considérant qu'aux termes des dispositions alors applicables de l'article R.227-6 du code rural : « Dans chaque département, le préfet détermine les espèces d'animaux nuisibles parmi celles figurant sur la liste prévue à l'article R. 227-5, en fonction de la situation locale, et pour l'un des motifs ci-après : 1° Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ; 2° Pour prévenir les dommages importants aux activités agricoles, forestières et aquacoles ; 3° Pour la protection de la flore et de la faune. L'arrêté du préfet est pris après avis du conseil départemental de la chasse et de la faune sauvage et de la fédération des chasseurs. L'arrêté est pris chaque année. Il est publié avant le 1er décembre et entre en vigueur le 1er janvier suivant » ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'au titre d'une année considérée, il peut être légalement procédé au classement parmi les nuisibles d'une espèce animale figurant sur la liste établie par l'arrêté du 30 septembre 1988 susvisé, dès lors que cette espèce est répandue de façon significative dans le département et que, compte tenu des caractéristiques géographiques, économiques et humaines de celui-ci, sa présence est susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par les dispositions précitées ou lorsqu'il est établi qu'elle est à l'origine d'atteintes significatives à ces intérêts ;

Considérant que l'arrêté attaqué du 28 novembre 2004 du préfet du Territoire de Belfort a classé la martre parmi les espèces d'animaux nuisibles dans le département ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'un autre arrêté du même jour relatif aux modalités de destructions des animaux classés nuisibles dans le département limite sa destruction au territoire de sept communes et, sur le territoire des autres communes, à un rayon de 200 m des élevages, garennes et aires de lâcher de gibier, par les piégeurs agréés ; que la circonstance que l'animal serait présent de manière significative dans le département, à la supposer même démontrée par les statistiques des piégeages, au demeurant très fluctuantes, est à elle seule sans incidence sur la qualification d'espèce nuisible; que si une enquête, produite par la fédération des chasseurs , indique un montant de dégâts de 17 002 euros pour 2004, ce chiffre cumule en tout état de cause ceux causés par l'ensemble des espèces considérées comme nuisibles ; que les risques allégués de transmission de maladies, de dégâts dans les poulaillers des particuliers et de prédation de petits gibiers ne sont, en tout état de cause, démontrés ni dans leur réalité ni dans leur étendue ; qu'aucune pièce du dossier n'établissant, en fonction de la situation locale, une atteinte aux intérêts protégés susmentionnés susceptible de justifier cette qualification, au demeurant non précisés dans son arrêté, le préfet du Territoire de Belfort n'a pu légalement procéder au classement de la martre comme nuisible dans ce département pour l'année 2004 ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Besançon a annulé l'arrêté du 28 novembre 2004 du préfet du Territoire de Belfort ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à payer à la Commission de Protection de l'Environnement, du Patrimoine, des Eaux, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche-Comté une somme de 750 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : L'intervention de la Fédération départementale des chasseurs du Territoire de Belfort est admise.

Article 2 : Le recours du MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 750 euros à la Commission de Protection de l'Environnement, du Patrimoine, des Eaux, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche-Comté .

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE, à la Commission de Protection de l'Environnement, du Patrimoine, des Eaux, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche-Comté, au ministre de l'agriculture et de la pêche et à la Fédération départementale des chasseurs du Territoire de Belfort.

Copie préfet du Territoire de Belfort.

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05NC00431


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 05NC00431
Date de la décision : 16/04/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. ROTH
Rapporteur ?: M. Pascal DEVILLERS
Rapporteur public ?: M. WALLERICH
Avocat(s) : LE CORNEC

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2007-04-16;05nc00431 ?
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