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21/10/2010 | FRANCE | N°09NC00716

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre - formation à 3, 21 octobre 2010, 09NC00716


Vu, I) sous le n° 09NC00716, la requête, enregistrée le 18 mai 2009, complétée par mémoires enregistrés les 27 octobre 2009, 15 février 2010 et 12 mai 2010, présentée pour la SOCIETE MOËT ET CHANDON, venant aux droits de la société Champagne Mercier, dont le siège est 20, avenue de Champagne à Epernay (51333), par Me Beetschen ; la SOCIETE MOËT ET CHANDON demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0300650 du 19 mars 2009 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation de l

'Etat à lui verser la somme de 97 871,05 euros majorée du montant des intérê...

Vu, I) sous le n° 09NC00716, la requête, enregistrée le 18 mai 2009, complétée par mémoires enregistrés les 27 octobre 2009, 15 février 2010 et 12 mai 2010, présentée pour la SOCIETE MOËT ET CHANDON, venant aux droits de la société Champagne Mercier, dont le siège est 20, avenue de Champagne à Epernay (51333), par Me Beetschen ; la SOCIETE MOËT ET CHANDON demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0300650 du 19 mars 2009 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 97 871,05 euros majorée du montant des intérêts au taux légal courant à compter du 1er janvier 2003, eux-mêmes portant intérêts à partir de cette même date ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 97 871,05 euros majorée des intérêts légaux décomptés à partir du 1er janvier 2003, eux-mêmes portant intérêts à compter de cette même date ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient :

- que le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui a omis d'examiner le moyen tiré de l'absence de liquidité et d'exigibilité de la créance, est, pour ce motif, entaché d'irrégularité ;

- pour ce qui est de la responsabilité de l'Etat, que les arrêtés ministériels des 17 août 1995 et 15 mars 1996 fixant, respectivement à 1 % en 1994 et 0,1 % à compter de 1995, la rémunération de la créance sur l'Etat issue de la suppression de la règle du décalage d'un mois sont entachés d'une illégalité fautive, en premier lieu, en ce qu'ils procèdent d'une erreur manifeste commise par le ministre dans l'exercice du pouvoir d'appréciation qui lui a été délégué par le législateur, en second lieu, en ce qu'ils méconnaissent les stipulations des

articles 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 14 de la même convention, dès lors qu'ils n'assurent pas un juste équilibre entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général et instituent une différence de traitement entre les contribuables ainsi qu'entre les divers créanciers de l'Etat et, en troisième lieu, en ce qu'ils enfreignent les obligations imposées par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt du 18 décembre 2007 dès lors que le dispositif transitoire issu de la loi de finances rectificative pour 1993, qui a conduit à augmenter la créance de l'assujetti sur le Trésor, n'a pas eu pour conséquence de réduire les effets de l'ancienne règle du décalage d'un mois ;

- pour ce qui est de la détermination du préjudice relatif à période comprise entre le 1er janvier 1994 et le 11 mars 2002, qu'il y a lieu de faire application du taux de 4,5 % résultant de l'arrêté du 15 avril 1994, seul demeuré légalement applicable jusqu'au remboursement total de la créance en 2002 ; qu'un taux d'un montant au moins égal à celui applicable aux obligations assimilables du Trésor est seul de nature à réparer le préjudice subi, alors que la portée de l'intérêt général s'est réduite avec le temps ; que, dans l'hypothèse où l'exception de prescription quadriennale serait retenue, elle est en droit d'obtenir la réparation du préjudice subi en 1997, qui ne pouvait être déterminé qu'en 1998, dès lors que seul est connu au terme d'une année donnée l'intérêt servi au titre de l'année précédente ;

- pour ce qui est de l'exception quadriennale résultant de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, qu'il y a lieu de faire application des trois cas d'interruption de prescription prévus par ses dispositions, alors que la créance n'était ni liquide, ni exigible avant l'intervention du décret du 13 février 2002 prévoyant son remboursement par anticipation, date à laquelle le délai de prescription a seulement commencé à courir ; qu'un droit de créance né de la méconnaissance d'une norme internationale ne disparaît pas avec l'expiration du délai de recours prévu par le droit national ; qu'un délai de prescription trop restrictif prive le contribuable de son droit au recours effectif garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'une loi nationale de prescription ne peut faire obstacle à la reconnaissance d'un droit né de la méconnaissance du droit communautaire ; que la prescription a été interrompue par le recours pour excès de pouvoir présenté à l'encontre du dispositif litigieux le 22 avril 2002 ; qu'en vertu des articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le droit de propriété est imprescriptible et ne peut se voir limiter qu'en cas de nécessité publique légalement constatée et que, par suite, faute de pouvoir contester la conformité de la prescription quadriennale aux dispositions de la constitution, elle ne bénéficie pas d'un droit à un recours effectif au sens de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- pour ce qui est de la capitalisation des intérêts, qu'il y a lieu d'ajouter les intérêts accordés au titre de chaque année aux intérêts de l'année suivante afin de corriger les effets de l'érosion monétaire ;

Vu les mémoires en défense, enregistrés les 16 mars 2010 et 30 juillet 2010, présentés par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient qu'aucun des moyens n'est de nature à justifier l'indemnisation demandée ;

Vu, II) sous le n° 09NC00740, le recours, enregistré le 19 mai 2009, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE, complété par un mémoire enregistré le 30 juillet 2010, qui demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 19 mars 2009 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné l'Etat à verser à la société Moët et Chandon, venant aux droits de la société Champagne Mercier une somme rémunérant, du 1er janvier 1998 au 11 mars 2002, le solde de la créance détenue sur le Trésor public en conséquence de la suppression de la règle du décalage d'un mois, par application d'un taux d'intérêt s'élevant respectivement à 1,68 % pour l'année 1998, 1,73 % pour l'année 1999, 1,37 % pour l'année 2000 et 2,13 % pour les années 2001 et 2002, sous déduction de la rémunération déjà allouée au taux de 0,1 % ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société Moët et Chandon ;

Il soutient que :

- le tribunal a entaché son jugement d'une insuffisance de motivation en ne répondant pas au moyen tiré de ce qu'à défaut de limite minimale prévue par le texte législatif, le pouvoir réglementaire était libre de fixer le taux de rémunération de la créance, sous réserve que celui-ci n'excède pas la plafond de 4,5 % ;

- le tribunal a entaché son jugement d'une insuffisance de motivation en ne justifiant pas du lien direct de causalité entre la faute qu'aurait commise l'administration et le préjudice invoqué ;

- le moyen invoqué en cours de première d'instance par la société Moët et Chandon et tiré de la prétendue illégalité des arrêtés pris en application de l'article 271 A du code général des impôts est irrecevable en ce qu'il procède d'une cause juridique différente de celle invoquée dans la demande adressée à l'administration qui ne concluait qu'à l'indemnisation du préjudice financier résultant de l'immobilisation de la créance, distinct de celui ultérieurement invoqué tenant à l'insuffisante rémunération de ladite créance ;

- l'arrêté du 15 mars 1996 retenant un taux de rémunération de 0,1% ne peut être tenu pour entaché d'une erreur manifeste, en l'absence de taux plancher fixé par le législateur qui a ainsi clairement conféré au pouvoir réglementaire un large pouvoir d'appréciation ;

- le nouveau dispositif issu de la loi du 22 juin 1993 a placé les redevables dans une situation plus favorable que l'ancien dispositif, quel que soit le taux de rémunération retenu, et il n'est pas justifié d'un quelconque préjudice qui résulterait de la suppression de la règle du décalage d'un mois ;

- il n'est pas justifié d'une faute commise par l'administration ;

- il est approximatif de considérer que le taux de 4,5 % correspond à peu près à la moitié du taux légal et d'en tirer la conclusion selon laquelle la rémunération de la créance aurait du être calculée sur une telle base ;

- la créance de la société, atteinte par la prescription au titre des années antérieures à 1998, était certaine, liquide et exigible dès 1993 et la société se trouvait, à cette date, en mesure de connaître l'importance de son préjudice, pour ensuite le chiffrer précisément devant le juge ;

- le recours formé par un tiers le 22 avril 2002 ne portait pas sur les modalités de rémunération de la créance sur le Trésor et n'a pu interrompre la prescription dans les conditions posées par la loi du 31 décembre 1968 ;

Vu les mémoires en défense, enregistrés les 27 octobre 2009, 15 février 2010 et 12 mai 2010, présentés pour la société Moët et Chandon par Me Beetchen, qui conclut au rejet du recours du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE ;

Elle soutient que :

- il y a lieu, à tout le moins, de lui accorder réparation du préjudice dans les limites d'un taux d'intérêt équivalent à la moitié du taux applicable aux obligations assimilables du Trésor ;

- un taux d'un montant au moins égal à celui applicable aux obligations assimilables du Trésor est seul de nature à réparer le préjudice subi, alors que la portée de l'intérêt général s'est réduite avec le temps ;

- dans l'hypothèse où l'exception de prescription quadriennale serait retenue, elle est en droit d'obtenir la réparation du préjudice subi en 1997, qui ne pouvait être déterminé qu'en 1998, dès lors que seul est connu au terme d'une année donnée l'intérêt servi au titre de l'année précédente ;

- l'exception quadriennale, qui ne commence à courir que lorsque les créances sont devenues certaines, liquides et exigibles ne saurait lui être opposée dès lors que seul le décret du 13 février 2002 a permis de constater le préjudice définitif ;

- le délai de prescription a été interrompu par l'action introduite en 2002 par un autre contribuable ;

- un droit de créance né de la méconnaissance d'une norme internationale ne disparaît pas avec l'expiration du délai de recours prévu par le droit national et délai de prescription trop restrictif prive le contribuable de son droit au recours effectif garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- une loi nationale de prescription ne peut faire obstacle à la reconnaissance d'un droit né de la méconnaissance du droit communautaire ;

- en vertu des articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le droit de propriété est imprescriptible et ne peut se voir limiter qu'en cas de nécessité publique légalement constatée et que, par suite, faute de pouvoir contester la conformité de la prescription quadriennale aux dispositions de la Constitution, elle ne bénéficie pas d'un droit à un recours effectif au sens de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le livre des procédures fiscales ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

Vu la loi n° 93-859 du 22 juin 1993 ;

Vu le décret n° 2002-179 du 13 février 2002 relatif au remboursement par anticipation des créances sur le Trésor nées de la suppression de la règle du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;

Vu l'arrêté du 15 avril 1994 fixant les modalités de paiement des intérêts des créances résultant de la suppression du décalage d'un mois ;

Vu les arrêtés des 17 août 1995 et 15 mars 1996 fixant le taux d'intérêt applicable à compter des 1er janvier 1994 et 1er janvier 1995 aux créances résultant de la suppression du décalage d'un mois ;

Vu l'arrêt du 18 décembre 2007 de la Cour de justice des communautés européennes rendu dans l'affaire C-368/06 SA Cedilac ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 septembre 2010 :

- le rapport de Mme Fischer-Hirtz, président,

- et les conclusions de Mme Steinmetz-Schies, rapporteur public ;

Sur la jonction :

Considérant que la requête n° 09NC00716 de la SOCIETE MOËT ET CHANDON et le recours n° 09NC00740 du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Considérant que par une demande préalable en date du 27 décembre 2002 adressée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la SOCIETE MOËT ET CHANDON, venant aux droits de la société Champagne Mercier, a contesté les modalités de remboursement de la créance sur le Trésor née de la suppression par l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 portant loi de finances rectificative pour 1993 de la règle dite du décalage d'un mois en matière d'imputation de la taxe sur la valeur ajoutée et sollicité le versement d'une somme de 97 871, 05 euros au titre de l'indemnisation du préjudice que les sociétés Champagne Mercier et Société Commerciale du Champagne Mercier, absorbées en 1995, estiment avoir subi du fait de l'insuffisante rémunération de cette créance de 1993 à 2002 ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant, en premier lieu, que si la SOCIETE MÖET ET CHANDON soutient que le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a entaché son jugement d'irrégularité en ne répondant pas au moyen tiré de ce que la créance sur l'Etat résultant de la suppression de la règle dite du décalage d'un mois n'est devenue certaine, liquide et exigible qu'à compter de la publication du décret du 13 février 2002 relatif au remboursement par anticipation des créances sur le Trésor, il ressort des motifs du jugement attaqué que le Tribunal a effectivement répondu à ce moyen en jugeant que les arrêtés ministériels qui ont déterminé les taux d'intérêt applicables aux remboursements échelonnés étaient antérieurs à la publication du décret susvisé et que la société était dès lors à même de chiffrer avec une précision suffisante le montant du préjudice ; que, par suite, le moyen doit être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, que le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a expressément écarté l'argumentation présentée en défense par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE tirée de ce que le législateur n'aurait pas fixé de limite minimale au taux de l'intérêt qui assortirait la créance sur le Trésor ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des motifs du jugement attaqué que le Tribunal a implicitement, mais nécessairement, statué sur le lien de causalité entre la faute commise par l'Etat, du fait de l'erreur manifeste commise par le ministre dans l'exercice du pouvoir d'appréciation qui lui avait été délégué par le législateur, et le préjudice subi par la société du fait de l'immobilisation de sa créance ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité ;

Sur les conclusions relatives aux années 1993 à 1997 et sur l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 susvisée : Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ; que l'article 2 de la même loi dispose que : La prescription est interrompue par : Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d' un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ; qu'aux termes de l'article 3 de cette loi : La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, (...) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ; qu'enfin, aux termes de l'article 7 de la même loi : L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond (...) ;

Considérant, en premier lieu, que la SOCIETE MOËT ET CHANDON ne saurait soutenir qu'elle n'a eu connaissance de la possibilité d'agir contre l'Etat français à raison de la non-conformité alléguée au droit communautaire des dispositions de l'article 271 A du code général des impôts, issues de l'article 2 de la loi de finances rectificative du 22 juin 1993, qu'à compter de la publication du décret du 13 février 2002 qui lui a permis de chiffrer de manière définitive son préjudice, dès lors qu'elle avait eu la possibilité de contester les modalités de la rémunération de sa créance dès la publication des arrêtés du ministre chargé du budget des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996 fixant respectivement les taux de 4,5 %, 1 % et 0,1 % pour les intérêts échus en 1993, et à compter des 1er janvier 1994 et 1er janvier 1995 ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des termes mêmes des dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat que le délai de prescription quadriennale commence à courir à compter du premier jour de chacune des années suivant celles au cours desquelles les droits ont été acquis ; que, par suite, il y a lieu de prendre en compte, pour l'application de ces dispositions, l'année au cours de laquelle sont nés les droits au paiement de la créance correspondant à la différence entre les intérêts versés au taux fixé par les arrêtes des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996 et les intérêts auxquels la société requérante estimait avoir droit ; que, par suite, la SOCIETE MOËT ET CHANDON, dont le droit à rémunération de la créance née du décalage d'un mois est distinct de la créance née du décalage elle-même, n'est pas fondée à soutenir que la créance relative aux intérêts n'est devenue certaine, liquide et exigible qu'à la date à laquelle la créance non cessible et non négociable sur le Trésor née de la suppression du décalage d'un mois est elle-même devenue liquide et exigible en conséquence du décret du 13 février 2002 décidant son remboursement par anticipation ; qu'elle n'est pas davantage fondée, à soutenir que l'exception de prescription quadriennale devait être décomptée en retenant l'année au cours de laquelle est intervenu l'arrêté portant fixation des intérêts et non celle au cours de laquelle les intérêts courus devaient être regardés comme acquis ;

Considérant, en troisième lieu, que les délais de prescription n'ont pu, en application des dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 précitées, être interrompus par des recours formés par d'autres contribuables placés dans des situations comparables dès lors qu'ils se rapportaient nécessairement à des créances distinctes ;

Considérant, en dernier lieu, que le délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis, institué à peine de prescription par les dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968, ne présente pas un caractère exagérément court et ne saurait, dès lors, être regardé comme ayant eu pour effet de priver la SOCIETE MOËT ET CHANDON de la possibilité de saisir un tribunal du litige l'opposant à l'Etat en méconnaissance du droit à un recours effectif garanti par les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni comme limitant de façon très restrictive l'exercice d'un droit à réparation né de la non-conformité avec le droit communautaire ; que la circonstance que la SOCIETE MOËT ET CHANDON n'était pas alors en droit de contester par voie d'exception la constitutionnalité de la loi du 31 décembre 1968 au regard des articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne saurait par elle-même avoir pour effet d'écarter les règles de prescription qui en sont issues ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la demande de la SOCIETE MÖET ET CHANDON tendant à la réparation du préjudice financier subi au titre des années 1993 à 2002 en raison de l'insuffisante rémunération de sa créance, présentée à l'administration le 27 décembre 2002, était prescrite pour les années 1993 à 1997 ;

Sur les conclusions relatives aux années 1998 à 2002 :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre :

Considérant que le ministre fait valoir que la demande de la société MOËT ET CHANDON, qui sollicite le versement d'une indemnité de 97 871, 05 euros, tend, outre la réparation du préjudice subi par la société absorbée Champagne Mercier, à la réparation du préjudice subi par la Société Commerciale Champagne Mercier ; que le ministre relève, sans être contredit, que le solde de la créance détenu par la société Champagne Mercier a fait l'objet d'un règlement le 18 septembre 1997 ; qu'ainsi, la SOCIETE MOËT ET CHANDON n'apporte pas la justification du préjudice qu'elle invoque au titre des années 1998 à 2002 à raison de la créance détenue par la société Champagne Mercier ; que l'administration soutient également, sans être contredite, que la SOCIETE MOËT ET CHANDON ne justifie pas davantage de la réalité de la créance dont la Société Commerciale Champagne Mercier aurait été titulaire pour les années en cause non couvertes par la prescription ; que, par suite, le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné l'Etat à réparer le préjudice subi au titre des années 1998 à 2002 du fait de l'insuffisante rémunération des créances détenues par les sociétés Champagne Mercier et Société Commerciale Champagne Mercier ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme que la SOCIETE MÖET ET CHANDON demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 19 mars 2009 est annulé.

Article 2 : La requête de la SOCIETE MOËT ET CHANDON est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE MOËT ET CHANDON et au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT.

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N° 09NC00716-09NC00740


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09NC00716
Date de la décision : 21/10/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. COMMENVILLE
Rapporteur ?: Mme Catherine FISCHER-HIRTZ
Rapporteur public ?: Mme STEINMETZ-SCHIES
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE ; CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE ; CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE ; CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE ; CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2010-10-21;09nc00716 ?
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