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30/01/2014 | FRANCE | N°13NC00593

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 30 janvier 2014, 13NC00593


Vu le recours, enregistré le 3 avril 2013, présenté par le ministre de la défense ;

Le ministre de la défense demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1002293 du 5 février 2013 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser à Mlle A...B...la somme de 92 000 euros en réparation des préjudices subis à la suite d'un exercice militaire ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mlle A...B...devant le Tribunal administratif de Nancy ;

Le ministre de la défense soutient que :

- le jugement est insuffisamment motiv

é dès lors qu'il ne précise pas la part du préjudice qui est réparée par la pension militaire d'...

Vu le recours, enregistré le 3 avril 2013, présenté par le ministre de la défense ;

Le ministre de la défense demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1002293 du 5 février 2013 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser à Mlle A...B...la somme de 92 000 euros en réparation des préjudices subis à la suite d'un exercice militaire ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mlle A...B...devant le Tribunal administratif de Nancy ;

Le ministre de la défense soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé dès lors qu'il ne précise pas la part du préjudice qui est réparée par la pension militaire d'invalidité versée à l'agent ;

- l'agent ne saurait obtenir l'indemnisation de l'intégralité de son préjudice, incluant le préjudice économique, dès lors qu'aucune faute n'est imputable au service ;

- il est proposé de verser une indemnité de 12 000 euros au titre des souffrances endurées et de 3 500 euros pour le préjudice esthétique ;

- le préjudice d'agrément n'est pas établi ;

- à titre subsidiaire, et dans l'hypothèse où le préjudice serait indemnisé dans son intégralité, les arrérages échus de la pension militaire d'invalidité pour la période du 8 décembre 2004 au 28 février 2013 et le capital représentatif de cette pension doivent être imputés sur les indemnités visant à réparer le déficit fonctionnel temporaire et permanent et le préjudice professionnel ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2013, présenté pour Mlle A...B..., par MeD..., qui conclut :

1°) à titre principal, à la confirmation du jugement attaqué ;

2°) à titre subsidiaire et par la voie de l'appel incident, à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 377 525,71 euros en réparation de son préjudice professionnel et de son déficit fonctionnel permanent, et la somme de 143 000 euros en réparation de ses préjudices personnels non indemnisés par la pension militaire d'invalidité ;

3°) en tout état de cause, à la condamnation de l'Etat aux dépens et à lui verser la somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Mlle B...fait valoir que :

- le jugement attaqué est suffisamment motivé dès lors que le tribunal administratif a nécessairement tenu compte de la pension militaire d'invalidité dans l'indemnisation de ses préjudices ;

- elle a droit à l'indemnisation de ses préjudices, dans leur intégralité, dès lors que le tribunal correctionnel s'est déclaré incompétent sur l'action civile engagée à l'encontre de son collègue à l'origine desdits préjudices ;

- l'absence d'indemnisation intégrale devant l'un et l'autre des deux ordres de juridiction constituerait un déni de justice ;

- la faute personnelle de son collègue n'est pas détachable du service ;

- dans l'hypothèse où le jugement serait annulé pour défaut de motivation, elle demande la réparation intégrale de ses préjudices, soit 394 131,48 euros au titre de son préjudice professionnel, 30 000 euros au titre de son préjudice moral, 18 000 euros en raison de son déficit fonctionnel temporaire, 50 000 euros en réparation des souffrances endurées, 35 000 euros au titre de son préjudice esthétique, 10 000 euros au titre de son préjudice d'agrément, et 300 000 euros pour son déficit fonctionnel permanent ;

- eu égard au montant de la pension militaire d'invalidité, elle a droit à la somme de 377 525,71 euros en réparation de son préjudice professionnel et de son déficit fonctionnel permanent ;

Vu le mémoire, enregistré le 19 décembre 2013, présenté par le ministre de la défense qui conclut aux mêmes fins que dans son recours par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la défense ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 janvier 2014 :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, premier conseiller,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., substituant MeD..., pour MlleB... ;

1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mlle A...B..., militaire sous contrat, affectée au 8ème régiment d'artillerie à Commercy, a été grièvement blessée à la main droite et au visage au cours d'un exercice de lancer de grenade organisé le 12 juin 2004 à Canjuers dans le Var ; que l'intéressée, réformée le 1er décembre 2008 en raison du handicap dont elle est restée atteinte, a recherché la responsabilité de l'Etat devant le Tribunal administratif de Nancy ; que le ministre de la défense relève appel du jugement du 5 février 2013 par lequel le tribunal administratif a condamné l'Etat à verser la somme de 92 000 euros à MlleB..., en réparation de ses préjudices ; que cette dernière conclut à la confirmation du jugement attaqué et, dans l'hypothèse d'une annulation de ce jugement pour irrégularité, à une augmentation de ses dommages et intérêts ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant qu'il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué, qu'après avoir rappelé les conditions d'indemnisation du militaire victime d'un accident de service, le tribunal administratif a estimé que les dommages subis par Mlle B...résultaient d'un accident qui, imputable à l'un de ses collègues, n'était pas pour autant dépourvu de tout lien avec le service et lui ouvraient ainsi droit à la réparation intégrale de son préjudice ; que le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a ensuite procédé à l'évaluation des dommages subis par l'intéressée, en distinguant ses préjudices personnels et ses préjudices patrimoniaux, puis a fixé le montant de l'indemnisation à lui verser ; que, par suite, le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'une insuffisance de motivation ;

Sur l'indemnisation de Mlle B...:

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service (...) " ;

4. Considérant qu'eu égard à la finalité qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et aux éléments entrant dans la détermination de son montant, tels qu'ils résultent des dispositions des articles L. 8 bis à L. 40 du même code, la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d'une part, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, à l'exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, et du préjudice d'établissement lié à l'impossibilité de fonder une famille ; que lorsqu'elle est assortie de la majoration prévue à l'article L. 18 du code, la pension a également pour objet la prise en charge des frais afférents à l'assistance par une tierce personne ;

5. Considérant qu'en instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires peuvent prétendre, au titre des préjudices mentionnés ci-dessus, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission ; que, cependant, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices ; qu'en outre, dans l'hypothèse où le dommage engage la responsabilité de l'Etat à un autre titre que la garantie contre les risques courus dans l'exercice des fonctions, et notamment dans le cas où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager cette responsabilité, l'intéressé peut prétendre à une indemnité complémentaire au titre des préjudices que la pension a pour objet de réparer, si elle n'en assure pas une réparation intégrale ; que, lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, il incombe au juge administratif de déterminer le montant total des préjudices que la pension a pour objet de réparer, avant toute compensation par cette prestation, d'en déduire le capital représentatif de la pension et d'accorder à l'intéressé une indemnité égale au solde, s'il est positif ;

Sur le droit à une réparation intégrale du préjudice :

6. Considérant que la victime non fautive d'un préjudice causé par l'agent d'une administration peut, dès lors que le comportement de cet agent n'est pas dépourvu de tout lien avec le service, demander au juge administratif de condamner cette administration à réparer intégralement ce préjudice, quand bien même aucune faute ne pourrait-elle être imputée au service et le préjudice serait-il entièrement imputable à la faute personnelle commise par l'agent, laquelle, par sa gravité, devrait être regardée comme détachable du service ; que cette dernière circonstance permet seulement à l'administration, ainsi condamnée à assumer les conséquences de cette faute personnelle, d'engager une action récursoire à l'encontre de son agent ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le sous-officier chargé de distribuer les bouchons allumeurs aux militaires participant à l'exercice de lancer de grenades du 12 juin 2004 a intentionnellement remis un bouchon dégoupillé à Mlle A...B..., en méconnaissance des consignes de sécurité les plus élémentaires ; que le bouchon allumeur ayant explosé, Mlle B... a été grièvement blessée à la main droite et au visage ; que c'est avec l'autorité et les moyens que lui conféraient ses fonctions que le sous-officier chargé d'organiser cet exercice d'entrainement a provoqué l'accident dont l'intéressée a été victime ; que la faute ainsi commise, alors même que sa gravité lui confère le caractère d'une faute personnelle détachable du service pour laquelle son auteur a d'ailleurs été pénalement condamné, n'est pas dépourvue de tout lien avec celui-ci ; que par suite, et sans qu'il y ait lieu de rechercher si une faute a été commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service, Mlle B... est en droit d'obtenir non seulement une indemnité complémentaire au titre de la garantie contre les risques encourus dans l'exercice de ses fonctions, mais également la réparation intégrale des préjudices que la pension a en principe pour objet de réparer ;

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices que la pension militaire d'invalidité a en principe pour objet de réparer :

8. Considérant, en premier lieu, que Mlle B...a été engagée comme brigadier, pour une durée de six années, par un contrat prenant effet le 6 août 2006, puis a été nommée au grade de brigadier-chef, avant d'être réformée le 1er décembre 2008 ; qu'il n'est établi ni que le contrat de Mlle B...aurait été renouvelé à son terme, ni qu'elle aurait ensuite poursuivi sa carrière comme sous-officier puis officier ; qu'ainsi, l'intéressée ne pouvait espérer percevoir que sa solde mensuelle de brigadier-chef, estimée à 1 280 euros, du 1er décembre 2008 au 6 août 2012, date correspondant au terme de son contrat ; qu'il s'ensuit que les pertes de revenus subies par l'intéressée doivent être fixées à 56 320 euros ;

9. Considérant, en deuxième lieu, qu'eu égard au handicap dont Mlle B...est restée atteinte et à l'appréciation portée par ses supérieurs hiérarchiques sur ses mérites professionnels, l'accident dont elle a été victime lui a fait perdre des chances de progression professionnelle, dont il sera fait une juste appréciation en les fixant à 10 000 euros ;

10. Considérant, en troisième lieu, que MlleB..., âgée de 24 ans au moment de l'accident, a subi une période d'incapacité temporaire du 12 juin 2004 au 31 décembre 2005, et reste atteinte d'un déficit fonctionnel permanent de 85 %, depuis la consolidation de son état survenue le 1er décembre 2006 ; qu'il ressort du rapport d'expertise qu'elle continue de souffrir de vives souffrances morales, liées à sa situation de handicap ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces préjudices personnels liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par Mlle B...dans ses conditions d'existence en les évaluant à 320 000 euros ;

11. Considérant, en dernier lieu, que le ministre de la défense justifie du versement d'une pension militaire d'invalidité à MlleB..., du 8 décembre 2004 au 28 février 2013, pour un montant total de 58 852,47 euros ; que la pension restant à verser pour la période postérieure au 1er mars 2013 s'établit, selon le ministre, au montant total de 257 753,30 euros ; qu'ainsi, la pension militaire d'invalidité versée ou à verser à l'intéressée représente un capital de 316 605,77 euros ; qu'il résulte de ce qui a été dit, aux points 8, 9 et 10, que les préjudices subis par MlleB..., que la pension a vocation à réparer, s'établissent à 386 320 euros ; qu'il s'ensuit qu'elle a droit à une indemnisation complémentaire de 69 714,23 euros ;

En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices qui ne sont pas réparés par la pension militaire d'invalidité :

12. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise ordonnée par le juge des référés du Tribunal administratif de Nancy, que Mlle B...a enduré, avant la consolidation de son état survenue le 1er décembre 2006, d'importantes souffrances physiques, évaluées à 5 sur une échelle de 1 à 7 ; que, selon l'expert, elle subit également un préjudice esthétique évalué à 3,5 sur la même échelle ; qu'en revanche, il n'est pas établi que l'intéressée pratiquait, avant l'accident, une activité d'agrément qu'elle ne pourrait plus exercer depuis ; qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices indemnisables au titre de la garantie contre les risques encourus par l'agent dans l'exercice de ses fonctions en fixant à 23 000 euros le montant de l'indemnisation complémentaire due à MlleB... ;

13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le montant des préjudices indemnisables doit être fixé à la somme totale de 92 714,23 euros ; qu'ainsi, le ministre de la défense n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser la somme de 92 000 euros à MlleB... ; qu'eu égard aux termes du présent arrêt, qui donne satisfaction aux conclusions présentées à titre principal par MlleB..., il n'y a pas lieu de se prononcer sur son recours incident présenté à titre subsidiaire et tendant à une réévaluation de son préjudice ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant qu'il y a lieu, et dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros[BE1] au titre des frais exposés par Mlle B...et non compris dans les dépens ; que la présente instance n'ayant donné lieu à aucun dépens, les conclusions présentées par cette dernière tendant à la condamnation de l'Etat aux entiers dépens ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : Le recours du ministre de la défense est rejeté.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser la somme de 3 000 (trois mille) euros à Mlle B... en remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

Article 3 : Le surplus des conclusions de Mlle B...est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense, à Mlle A... B...et à la caisse nationale militaire de sécurité sociale.

[BE1]L'intéressée réclame 8 000 euros. La somme de 1 500 euros me parait très insuffisante. Je suggère de lui allouer au moins 3 000 euros, ce qui est d'ailleurs sans doute inférieur à ses frais d'avocat.

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N° 13NC00593


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13NC00593
Date de la décision : 30/01/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-03 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Évaluation du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Jean-Marc GUERIN-LEBACQ
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : VAUTIER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2014-01-30;13nc00593 ?
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