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25/09/2014 | FRANCE | N°13NC01412

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 25 septembre 2014, 13NC01412


Vu la requête, enregistrée le 2 août 2013, présentée pour Mme C...E..., demeurant à..., par MeB... ;

Mme E...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1302147-1302149 du 12 juillet 2013 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 mars 2013 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lu

i délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arr...

Vu la requête, enregistrée le 2 août 2013, présentée pour Mme C...E..., demeurant à..., par MeB... ;

Mme E...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1302147-1302149 du 12 juillet 2013 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 mars 2013 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

Elle soutient que :

- l'avis du médecin de l'agence régionale de santé ne comporte pas l'ensemble des indications requises par les dispositions réglementaires et, en particulier, n'indique pas la durée prévisible de son traitement, et a été pris en considération d'un retour en Bosnie et non au Monténégro, pays fixé comme destination de son conjoint ;

- l'arrêté contesté a été pris plus de six mois après cet avis ;

- le préfet aurait dû lui délivrer un titre de séjour à raison de son état de santé ;

- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues puisqu'elle ne pourra pas être admise au Monténégro, pays dont elle n'a pas la nationalité et où elle a vécu en situation irrégulière, l'éloignement vers des pays distincts conduisant à séparer le couple, son enfant et son enfant à naître ;

Vu le jugement et l'arrêté attaqués ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 1er septembre 2014, présenté par le préfet de Moselle, qui conclut au rejet de la requête ;

Il fait valoir que :

- la requérante a déjà vécu au Monténégro ;

- le défaut de prise en charge médicale de la requérante ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité, son traitement étant en tout état de cause également disponible au Monténégro ;

- aucun élément probant n'est produit permettant de remettre en cause l'avis du médecin de l'agence régionale de santé ;

- elle ne fait valoir aucune circonstance humanitaire ou exceptionnelle ;

- la requérante n'apporte aucun élément probant de nature à démontrer qu'elle ne serait pas légalement admissible au Monténégro, pays de destination fixé dans l'arrêté similaire pris à l'encontre de son époux, et rien ne s'oppose à ce qu'ils y reconstituent leur cellule familiale ;

- les époux peuvent en outre se rendre dans tout pays dans lequel ils seraient tous deux légalement admissibles ;

- il reprend en appel les moyens soulevés en première instance ;

Vu la décision du président du bureau d'aide juridictionnelle en date du 27 septembre 2013 admettant Mme E...au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu l'arrêté interministériel du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 septembre 2014, le rapport de M. Fuchs, premier conseiller ;

1. Considérant que MmeE..., ressortissante bosniaque, entrée irrégulièrement en France le 15 juin 2011 selon ses déclarations, relève appel du jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 12 juillet 2013 rejetant sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Moselle du 8 mars 2013 lui refusant un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour temporaire au vu d'un avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé compétente au regard du lieu de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général (...) / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin agréé ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur l'existence d'un traitement dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) " ; qu'aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 9 novembre 2011 : " Au vu de ce rapport médical et des informations dont il dispose, le médecin de l'agence régionale de santé émet un avis précisant : si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / s'il existe dans le pays dont il est originaire, un traitement approprié pour sa prise en charge médicale ; / la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où un traitement approprié existe dans le pays d'origine, il peut, au vu des éléments du dossier du demandeur, indiquer si l'état de santé de l'étranger lui permet de voyager sans risque vers ce pays. (...) " ;

3. Considérant que l'avis rendu par le médecin de l'agence régionale de santé de Lorraine le 27 août 2012 mentionne que le défaut de prise en charge médicale de Mme E...ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité et, qu'en outre, un traitement approprié existe dans son pays d'origine ; que, par suite, la circonstance selon laquelle le médecin de l'agence régionale de santé n'aurait pas indiqué dans son avis la durée prévisible du traitement est sans incidence sur la régularité de cet avis ;

4. Considérant, par ailleurs, que ni les dispositions précitées du 11° de l'article

L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni aucune disposition de nature réglementaire, n'imposent de délai dans lequel la décision du préfet devrait intervenir à la suite de l'avis du médecin de l'agence régionale de santé ; qu'ainsi, la circonstance que plus de six mois se sont écoulés entre cet avis et l'arrêté refusant un titre de séjour à Mme E...est, par elle-même, et alors que l'intéressée ne fait valoir aucun élément de nature à établir que son état de santé se serait détérioré au cours de cette période, sans incidence sur la légalité de cet arrêté ;

5. Considérant, enfin, que pour refuser la délivrance du titre de séjour sollicité, le préfet de la Moselle s'est notamment appuyé sur l'avis du médecin de l'agence régionale de santé de Lorraine du 27 août 2012 selon lequel si l'état de santé de Mme E...a nécessité une prise en charge médicale, le défaut d'une telle prise en charge ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité, qu'il existe un traitement approprié dans son pays d'origine et que l'intéressée peut voyager sans risque ; que le certificat médical dont se prévaut l'intéressée, rédigé par un médecin-psychiâtre le 11 octobre 2011, qui se borne à décrire sa pathologie, ne remet pas en cause l'appréciation selon laquelle l'absence de prise en charge médicale ne devrait pas entraîner, pour elle, de conséquences d'une exceptionnelle gravité ; que si Mme E...fait valoir qu'à la date de la décision contestée, elle était enceinte, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que, du fait de cet état, l'intéressée nécessiterait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que ceci l'empêcherait de voyager ; que, par suite, le préfet de la Moselle n'a pas méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de délivrer à la requérante un titre de séjour en raison de son état de santé ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que si la requérante soutient que les premiers juges ont estimé qu'elle n'établissait pas qu'elle ne pourrait reconstituer sa cellule familiale au Monténégro, pays d'origine de son époux, alors que l'avis rendu par le médecin inspecteur indique qu'une prise en charge médicale de sa maladie est possible en Bosnie, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de l'arrêté contesté, dans la mesure où le médecin inspecteur a en tout état de cause considéré que l'absence de prise en charge médicale de la requérante ne peut entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité ;

7. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

8. Considérant, d'une part, que si Mme E...et son conjoint, M.D..., qui n'ont pas la même nationalité, ont fait l'objet, le même jour, d'une mesure d'éloignement à destination de deux pays différents, cette circonstance est sans incidence sur la légalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ;

9. Considérant, d'autre part, que l'arrêté préfectoral du 8 mars 2013 refusant un titre de séjour à Mme E... et lui faisant obligation de quitter le territoire dans un délai de 30 jours prévoit, en son article 3, qu'elle pourra être reconduite d'office à destination de son pays d'origine, la Bosnie, ou de tout autre pays pour lequel elle établirait être légalement admissible ; que l'arrêté similaire concernant M. D... prévoit quant à lui que l'intéressé pourra être reconduit d'office à destination de son pays d'origine, le Montenegro, dans lequel existe au demeurant un traitement approprié pour sa prise en charge médicale, dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ou de tout autre pays pour lequel il établirait être légalement admissible ; qu'à la date des décisions contestées, Mme E...et

M. D...étaient les parents d'un enfant âgé d'un an et en attendaient un second ; que le préfet ne conteste pas que la mise à exécution des mesures éloignant M. D...vers le Montenegro et son épouse vers la Bosnie aurait pour effet d'entraîner une séparation entre les conjoints, et de leurs enfants en bas âge avec un de leurs parents, et ce pour une durée indéterminée ; que si le préfet soutient que la requérante est sans doute légalement admissible au Monténégro, il ne l'établit pas ; que, dans ces conditions, la décision fixant le pays de destination de Mme E...doit être regardée comme méconnaissant les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme E...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en tant qu'elle portait sur l'annulation de la décision fixant le pays à destination duquel elle pourrait être éloigné ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ; que l'annulation de la décision en date du 8 mars 2013 en tant qu'elle prévoit la possibilité d'éloigner la requérante à destination d'un pays différent de celui de la destination de son compagnon n'implique aucune mesure d'exécution ; que par suite, ses conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du préfet de la Moselle en date du 8 mars 2013 est annulé en tant qu'il porte éloignement de Mme E...à destination d'un pays différent du pays de renvoi de M. A...D....

Article 2 : Le jugement du 12 juillet 2013 du Tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...E...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Moselle.

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N° 13NC01412


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13NC01412
Date de la décision : 25/09/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Olivier FUCHS
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : PIERRE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2014-09-25;13nc01412 ?
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