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10/03/2016 | FRANCE | N°15NC00697

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 10 mars 2016, 15NC00697


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société nouvelle Boyon a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 17 février 2014 par lequel le préfet de la Moselle l'a mise en demeure de gérer 144,20 tonnes de déchets non inertes déposés sur le site de la société KLV Terrassement à Bourgaltroff.

Par un jugement n° 1402083 du 25 mars 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 avril 2015, la Société nouvell

e Boyon, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1402083 du 25 mars...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société nouvelle Boyon a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 17 février 2014 par lequel le préfet de la Moselle l'a mise en demeure de gérer 144,20 tonnes de déchets non inertes déposés sur le site de la société KLV Terrassement à Bourgaltroff.

Par un jugement n° 1402083 du 25 mars 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 avril 2015, la Société nouvelle Boyon, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1402083 du 25 mars 2015 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral contesté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'acte contesté est entaché d'incompétence ;

- il est fondé sur des visites non contradictoires de l'inspection des installations classées ;

- c'est à tort que, pour les déchets confiés à la société KLV Terrassement en 2009 et 2010, l'arrêté contesté se fonde sur l'article L. 541-2 du code de l'environnement issu de la l'ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 imposant une obligation nouvelle d'élimination des déchets ;

- le préfet a commis une erreur de droit sur le destinataire de la mise en demeure qui ne pouvait être la Société nouvelle Boyon, dès lors que seuls ses clients ou la société KLV Terrassement, qui s'était présentée comme étant une société spécialisée dans le traitement des déchets ayant fait preuve de négligences, qu'il lui appartient de réparer, avaient la qualité de producteurs de déchets ;

- l'arrêté est entaché d'erreur de droit en ce qu'il n'est pas établi que, par leur nature et leurs quantités, les déchets pouvaient faire l'objet d'une mise en demeure.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 décembre 2015, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le préfet était compétent ;

- l'arrêté contesté n'est pas entaché d'erreur de droit ;

- il n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Stefanski, président,

- et les conclusions de M. Favret, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La Société nouvelle Boyon exerce une activité de démolition, travaux de terrassement et travaux préparatoires. A l'occasion de son activité, elle a remis, de 2009 à 2011, des déchets à la société KLV Terrassement qui exploite une installation de stockage de déchets inertes à Bourgaltroff. Au cours de visites sur place, l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement a constaté la présence illégale de déchets non inertes sur le site de Bourgaltroff et a imputé à la Société nouvelle Boyon la responsabilité du dépôt de 144,20 tonnes de tels déchets. Par arrêté du 17 février 2014, le préfet de la Moselle a mis en demeure la Société nouvelle Boyon, sur le fondement de l'article L. 541-2 du code de l'environnement qui relève de la législation sur les déchets, de gérer ces 144,20 tonnes de déchets non inertes en présentant, dans un délai de trois mois, un dossier comportant les mesures qu'elle comptait mettre en oeuvre pour respecter les dispositions du code de l'environnement, puis en procédant aux opérations nécessaires dans un délai maximum de deux ans.

2. En premier lieu, la Société nouvelle Boyon fait valoir que le préfet de la Moselle n'était pas habilité à prendre la décision du 17 février 2014.

3. Aux termes de l'article L. 541-3 du code de l'environnement figurant dans un titre relatif à la législation des déchets : " I.-Lorsque des déchets sont abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application, l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente avise le producteur ou détenteur de déchets des faits qui lui sont reprochés ainsi que des sanctions qu'il encourt et, après l'avoir informé de la possibilité de présenter ses observations, écrites ou orales, dans un délai d'un mois, le cas échéant assisté par un conseil ou représenté par un mandataire de son choix, peut le mettre en demeure d'effectuer les opérations nécessaires au respect de cette réglementation dans un délai déterminé. (...) ". L'article L. 541-4 précise notamment que : " Les dispositions du présent chapitre s'appliquent sans préjudice des dispositions spéciales concernant notamment les installations classées pour la protection de l'environnement (...) ".

4. Il résulte des articles L. 541-1 et suivants du code de l'environnement, que ces dispositions ont créé un régime juridique destiné à prévenir ou à remédier à toute atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement causée par des déchets. Ce régime est distinct de celui des installations classées pour la protection de l'environnement qui figure aux articles L. 511-1 et suivants du même code. A ce titre, l'article L. 541-3 confère à l'autorité investie des pouvoirs de police municipale la compétence pour prendre les mesures nécessaires pour assurer l'élimination des déchets dont l'abandon, le dépôt ou le traitement présentent de tels dangers. Ces dispositions ne font toutefois pas obstacle à ce que le préfet, en cas de carence de l'autorité municipale dans l'exercice des pouvoirs de police qui lui sont conférés au titre de la police des déchets, prenne sur le fondement de celle-ci, à l'égard du producteur ou du détenteur des déchets, les mesures propres à prévenir toute atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement. En outre, lorsque les déchets sont issus de l'activité d'une installation classée pour la protection de l'environnement, le préfet peut également, pour assurer le respect de l'obligation de remise en état prévue par l'article 34-1 précité du décret du 21 septembre 1977, faire usage des compétences qu'il tire de l'article L. 514-1 du code de l'environnement, à l'encontre de l'exploitant ou du détenteur de l'installation.

5. Il résulte de l'instruction que par lettre du 22 janvier 2013, le maire de Bourgaltroff a informé le préfet de la Moselle qu'il considérait ne pas disposer "des compétences et moyens nécessaires" et lui a demandé "de mettre en oeuvre l'ensemble des démarches administratives permettant de remédier à cette situation". Aucun texte n'imposait au préfet de mettre en demeure le maire d'exercer les pouvoirs qu'il tient de l'article L. 541-3 du code de l'environnement avant de constater, comme il l'a fait, la situation de carence du maire. La circonstance que l'inspection des installations classées avait procédé en 2012 à des visites sur le site de la société KLV Terrassement, comme elle en avait la compétence en application de la législation sur les installations classées dont le site relevait, ne suffit pas à démontrer que le préfet avait entendu, dès l'origine, prendre des mesures au titre de la législation sur les déchets et que la carence invoquée ultérieurement par le maire de Bourgaltroff serait un artifice de pure convenance. Dans ces conditions et face à la carence de l'autorité municipale, le préfet était compétent pour prendre l'arrêté contesté, sur le fondement de la législation applicable aux déchets.

6. En deuxième lieu, la Société nouvelle Boyon fait valoir que les visites sur place de l'inspection des installations classées n'ont pas présenté un caractère contradictoire à son égard. Il ne ressort cependant d'aucun texte législatif ou réglementaire applicable qu'une telle obligation soit imposée à l'administration.

7. En troisième lieu, la requérante soutient qu'en se référant aux dispositions de l'article L. 541-2 issues de l'ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010, le préfet de la Moselle s'est mépris sur la législation applicable aux déchets qu'elle avait déposés antérieurement, au cours des années 2009 et 2010 et qu'il lui a imposé une obligation de gestion des déchets jusqu'à leur élimination qui n'était pas formulée dans les textes alors applicables. Elle fait valoir que la nouvelle législation ne pouvait, tout au plus, que s'imposer au dépôt d'environ 41 tonnes de déchets qu'elle a effectué en 2011.

8. Toutefois, le préfet était tenu d'appliquer les règles de fond en vigueur à la date à laquelle il a pris son arrêté. Dans ces conditions, c'est à bon droit qu'il a fixé les obligations de la Société nouvelle Boyon en appliquant les dispositions de l'article L. 541-2 dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 17 décembre 2010 pour l'ensemble des déchets non inertes présents sur le site de Bourgaltroff à la date de son arrêté, sans tenir compte des textes applicables à la date des dépôts effectués par la société.

9. En quatrième lieu, la Société nouvelle Boyon soutient que c'est à tort que le préfet de la Moselle lui a imposé l'obligation de gérer les déchets non inertes en litige, d'une part, en la regardant comme producteur de ces déchets alors que seuls ses clients avaient cette qualité et, d'autre part, en ne s'adressant pas à la société KLV Terrassement qui détenait les déchets et avait commis des négligences en acceptant des produits qu'elle n'était pas autorisée à traiter.

10. Aux termes de l'article L. 541-2 du code de l'environnement : "Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d'en assurer ou d'en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre. / Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. / Tout producteur ou détenteur de déchets s'assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge. (...) ". L'article L. 541-3 du même code prévoit que l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente exerce ses pouvoirs à l'égard du producteur ou du détenteur de déchets.

11. D'une part, l'article L. 541-1-1 du même code, transposant la directive n° 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008, définit le producteur comme " toute personne dont l'activité produit des déchets (producteur initial de déchets) ou toute personne qui effectue des opérations de prétraitement, de mélange ou autres conduisant à un changement de nature ou de composition de ces déchets (producteur subséquent de déchets) " et le détenteur comme le " producteur de déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets ".

12. Il ne résulte pas de l'instruction que les clients qui confiaient à la Société nouvelle Boyon des travaux effectués sur des immeubles ou des terrains au cours desquels elle recueillait des déchets, avaient des activités consistant à produire ou à traiter des déchets en modifiant leur nature ou leur composition. Ainsi, ils n'avaient pas la qualité de producteurs de déchets au sens de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement. De même, la Société nouvelle Boyon, qui se bornait à recueillir des déchets au cours de ses chantiers et à les transporter jusqu'à un centre de traitement sans procéder à des opérations de nature à conduire à un changement de leur nature ou de leur composition, ne peut être regardée comme un producteur de déchets au sens des mêmes dispositions.

13. Cependant, dès lors qu'elle se trouvait en possession de ces déchets, la société avait la qualité de détenteur de déchets et était soumise aux obligations des articles L. 541-1 et suivants du code de l'environnement.

14. D'autre part, aux termes de l'article 15 de la directive n° 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour veiller à ce que tout producteur de déchets initial ou autre détenteur de déchets procède lui-même à leur traitement ou qu'il le fasse faire par un négociant, un établissement ou une entreprise effectuant les opérations de traitement des déchets ou par un collecteur de déchets privé ou public, conformément aux articles 4 et 13... ".

15. Il ressort nécessairement de ces dispositions que l'entreprise à laquelle le producteur ou le détenteur de déchets confie le traitement de déchets, n'a pas la qualité de détenteur de ces produits, alors même qu'elle en dispose pour effectuer les opérations nécessaires à leur traitement. Ainsi, la Société nouvelle Boyon n'est pas fondée à soutenir que la société KLV Terrassement avait la qualité de détenteur, sans que les négligences éventuellement commises par la société KLV Terrassement aient d'incidence sur cette qualité.

16. Il ressort de ce qui précède que c'est à bon droit que le préfet de la Moselle a mis en demeure la Société nouvelle Boyon, qui avait la qualité de détenteur des déchets en litige, de prendre les mesures nécessaires pour faire procéder à leur élimination, sans qu'ait d'incidence, en l'espèce, la circonstance que le préfet ait par erreur, mentionné à la suite des rapports de l'inspection des installations classées, que la société était un producteur de déchets.

17. En cinquième lieu, la Société nouvelle Boyon fait valoir qu'il n'est pas démontré par les services de l'Etat que les 144,20 tonnes de déchets non inertes illégalement présents sur le site de Bourgaltroff dont elle doit assurer l'élimination, résultent en nature comme en quantité de son activité.

18. Aux termes de l'article R. 541-8 du code de l'environnement est un déchet inerte " tout déchet qui ne subit aucune modification physique, chimique ou biologique importante, qui ne se décompose pas, ne brûle pas, ne produit aucune réaction physique ou chimique, n'est pas biodégradable et ne détériore pas les matières avec lesquelles il entre en contact d'une manière susceptible d'entraîner des atteintes à l'environnement ou à la santé humaine ". Il résulte de l'instruction que la société KLV Terrassement à Bourgaltroff n'était autorisée à recevoir sur son site que des déchets inertes et des déchets d'amiante liés à des matériaux inertes c'est à dire, selon les arrêtés ministériels, notamment du 28 octobre 2010 et du 12 mars 2012, des matériaux éventuellement triés afin de ne comporter que des produits inertes.

19. Il résulte de la rubrique "destination des déchets" figurant dans chacun des bordereaux de suivi de déchets produits au dossier, et sur lesquels se sont appuyés tant l'inspection des installations classées que le préfet de la Moselle, que la Société nouvelle Boyon a, au cours des années 2009 à 2011, déposé à la suite de divers chantiers de travaux des produits mentionnés comme étant des "déchets industriels banals" (DIB) qui ne sont pas des déchets inertes au sens de l'article R. 541-8 du code de l'environnement. La société a également déposé du plâtre et du plastique, des DIB et gravats, soit des produits en mélange qui n'étaient pas davantage des déchets inertes ou n'avaient pas fait l'objet d'un tri afin d'isoler les produits inertes. Dans une lettre du 22 février 2003 adressée au préfet, le représentant de la Société nouvelle Boyon a également indiqué que sa société avait entreposé sur le site de Bourgaltroff des moquettes, dalles plastiques, plâtre, faux plafonds, des plaques de plâtre BA13. Ces produits ne constituent pas davantage des déchets que la société KLV Terrassement était autorisée à recueillir sur son site.

20. Il résulte des factures de la société KLV Terrassement comme des bordereaux de suivi de déchets que la Société nouvelle Boyon a procédé au total, au dépôt de 144,20 tonnes déchets non autorisés sur le site de Bourgaltroff. Si la requérante soutient que la totalité de ces dépôts ne comportait pas de déchets non inertes, elle n'apporte aucun élément précis à l'appui de ces allégations alors que les pièces produites par l'administration montrent que les dirigeants de la société n'avaient pas une connaissance exacte des déchets qu'ils pouvaient légalement apporter sur ce site et qu'ils ne procédaient pas à un tri permettant de n'y déposer que des déchets inertes. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le préfet a mis à la charge de la Société nouvelle Boyon l'élimination de ces 144,20 tonnes.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la Société nouvelle Boyon n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 février 2014.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

22. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme à verser à la Société nouvelle Boyon au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la Société nouvelle Boyon est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la Société nouvelle Boyon et au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

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N° 15NC00697


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15NC00697
Date de la décision : 10/03/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MONCHAMBERT
Rapporteur ?: Mme Colette STEFANSKI
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : SCP BECKER SZTUREMSKI VAUTHIER KLEIN-DESSERRE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2016-03-10;15nc00697 ?
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