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28/04/2016 | FRANCE | N°15NC00389

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 28 avril 2016, 15NC00389


VU LA PROCEDURE SUIVANTE :

Procédure contentieuse antérieure :

La société France Télécom a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler le contrat conclu le 20 octobre 2009 entre le syndicat intercommunal mixte Cablimages et la société NC Numéricable en vue de la réalisation et de l'exploitation d'un réseau de communications électroniques.

Par un jugement n° 1000043 du 21 février 2012, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande.

Par un arrêt n° 12NC00735 du 30 septembre 2013 la cour administrative d'appel de Nancy a annulé le j

ugement attaqué du tribunal administratif de Nancy ainsi que le contrat conclu le 20 octob...

VU LA PROCEDURE SUIVANTE :

Procédure contentieuse antérieure :

La société France Télécom a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler le contrat conclu le 20 octobre 2009 entre le syndicat intercommunal mixte Cablimages et la société NC Numéricable en vue de la réalisation et de l'exploitation d'un réseau de communications électroniques.

Par un jugement n° 1000043 du 21 février 2012, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande.

Par un arrêt n° 12NC00735 du 30 septembre 2013 la cour administrative d'appel de Nancy a annulé le jugement attaqué du tribunal administratif de Nancy ainsi que le contrat conclu le 20 octobre 2009.

Par une décision n° 373645 et 373648 du 13 février 2015, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Nancy.

Procédure devant la cour :

Eu égard à la décision précitée du 13 février 2015, la cour se trouve à nouveau saisie de la requête enregistrée le 20 avril 2012.

Par une requête et des mémoires enregistrés le 20 avril 2012, le 6 septembre 2012, le 25 janvier 2013, les 4 et 30 juillet 2013, le 27 avril 2015 et le 9 septembre 2015 France Télécom aux droits duquel succède la société Orange, représentée en dernier lieu par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1000043 du 21 février 2012 du tribunal administratif de Nancy ;

2°) d'annuler ou de résilier le contrat de concession d'ouvrages et de travaux conclu entre le syndicat intercommunal mixte Cablimages et la société Numéricâble ;

3°) d'enjoindre à la société NC Numéricable de rembourser, au taux d'intérêt du marché, les sommes versées par le syndicat intercommunal mixte Cablimages en application de l'article 16 du contrat du 20 octobre 2009 ;

4°) de mettre à la charge du syndicat intercommunal mixte Cablimages une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient s'agissant de la question qui a fait l'objet de la décision précitée du Conseil d'Etat que :

- à supposer même que la somme de 2 511 000 millions d'euros corresponde à la valeur nette comptable des biens non amortis à la fin du contrat en 2024 en tenant compte également de la réalisation d'une marge raisonnable, le versement de cette somme en début d'exploitation, sans que soit prévu un taux d'actualisation, ne tient pas compte de l'avantage conféré à NC Numéricable par le versement anticipé de cette somme ;

- la somme ainsi versée aurait dû, en appliquant un taux de rendement interne de 13,22 %, être fixée à un montant de 465 000 euros aux dates de versement et correspond à un montant de 12 000 000 euros en 2024 ;

- il n'est pas démontré que les durées d'amortissement prévues par le contrat sont erronées ;

- de même, la somme fixée par le contrat qui est calculée en fonction des coûts et recettes prévues ne comporte pas de mécanisme de reversement permettant de tenir compte de l'éventualité d'une rentabilité de l'exploitation supérieure à celle qui était prévue en début de contrat ;

- ainsi et compte tenu également des écritures présentées devant la cour avant la décision de renvoi du Conseil d'Etat, il est établi que la somme versée a procuré à NC Numéricable un avantage injustifié qui excède ce qui résulterait du comportement normal d'un opérateur rationnel en économie de marché et qu'elle constitue ainsi une aide d'Etat illégale au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'union européenne justifiant l'annulation du contrat ;

- le principe du versement anticipé de cette somme n'était pas prévu par les documents de la consultation, l'article 1.4 du dossier technique et fonctionnel prévoyant seulement une participation financière du syndicat intercommunal mixte Cablimages au déploiement des infrastructures ;

- pour le reste, la société Orange maintient expressément l'ensemble des moyens soulevés devant la cour avant la décision de renvoi du Conseil d'Etat et en particulier, les moyens tirés de :

- la méconnaissance des règles de fond des articles L. 1411-1 et suivants du code général des collectivités locales, à supposer même que comme l'a jugé le tribunal administratif la fourniture de services de communications électroniques à des clients finaux ait constitué un objet secondaire du contrat, ce qui est contesté ;

- de la méconnaissance de l'article L. 1425-1 du même code dès lors que le contrat constitue une délégation de service public ;

- de la rupture de l'égalité des candidats compte tenu de la participation de la société NC Numéricable à l'avant-projet d'appel d'offres lui a permis de bénéficier d'informations privilégiées ;

- de la méconnaissance du principe d'impartialité dans les conditions de passation du contrat.

Par des mémoires en défense enregistrés le 28 décembre 2012, 25 janvier 2013, le 15 mai 2013, le 26 juillet 2013 et le 1er juillet 2015, le syndicat intercommunal mixte Cablimages auquel a succédé la communauté d'agglomération d'Epinal, représentée par Me B..., conclut dans le dernier état de ses écritures au rejet de la requête et à ce qu'une somme fixée à 7 000 euros soit mise à la charge de la société Orange au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- s'agissant d'une concession de travaux publics et non d'une concession de délégation de service public, les moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 1411-2 et suivants du code général des collectivités locales, sont inopérants sans que la société Orange puisse se prévaloir de ce que la décision de pourvoi du Conseil d'Etat entendrait appliquer les mêmes règles aux deux types de contrats ;

- en conséquence, la notion d'amortissement énoncée par l'article L. 1411-2 est sans lien avec celle de valeur nette comptable et ne s'applique pas à la détermination du prix du contrat en litige ;

- compte tenu de la durée du contrat, inférieure à une durée habituelle qui est de 25 à 50 ans, la valeur nette comptable évaluée à la fin du contrat et inscrite au bilan n'excédant pas le prix versé à la société NC Numéricable, la somme de 2 511 000 euros versée à la société NC Numéricable n'excède pas la valeur nette comptable évaluée en fin de contrat ;

- la société Orange ne peut obtenir satisfaction en ce qui concerne les moyens qu'elle reprend alors que le Conseil d'Etat a confirmé l'arrêt précédent de la cour sur ces points, notamment le moyen tiré d'une méconnaissance des règles du code général des collectivités locales relatives aux délégations de service public ;

- la circonstance que les documents de consultation ne comportaient pas d'éléments sur la participation financière du concédant, est sans incidence dès lors que la société Orange n'a présenté aucune offre et n'a pas été lésée ;

- l'absence de clause de retour à meilleure fortune n'est pas un élément pertinent pour résoudre le litige dès lors que la somme versée est inférieure à la valeur nette comptable.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 et 24 janvier 2013, le 5 juillet 2013 et le 26 octobre 2015, la société NC Numéricable représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Orange le versement d'une somme fixée dans le dernier état de ses écritures à 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle démontre par les pièces jointes que la somme versée est inférieure à la valeur nette comptable des investissements non amortis à la fin du contrat et qui est de 3 847 537 euros et qu'ainsi, elle n'a pas bénéficié d'une aide d'Etat.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Stefanski, président,

- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,

- et les observations de Me C...pour la société Numéricable.

Une note en délibéré, présentée par MeB..., pour la communauté d'agglomération d'Epinal, a été enregistrée le 11 avril 2016.

Une note en délibéré, présentée par MeC..., pour la société NC Numéricable, a été enregistrée le 12 avril 2016.

CONSIDERANT CE QUI SUIT :

1. Le 20 octobre 2009, le syndicat intercommunal mixte Cablimages, aux droits duquel est venue la communauté d'agglomération d'Epinal, a conclu avec la société NC Numéricable, après mise en oeuvre d'une procédure de publicité et de mise en concurrence, une convention portant concession de travaux ayant pour objet le financement, la conception, la construction et l'exploitation pendant une durée de quinze ans d'un réseau de communications électroniques destiné à supporter des prestations de service Internet. En contrepartie de la réalisation, durant les dix-huit premiers mois, de ce réseau remis au syndicat au terme de la convention, la société dispose ainsi du droit de l'exploiter à son profit durant quinze ans.

2. Par jugement du 21 février 2012, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande d'annulation de ce contrat présentée par la société France Télécom qui estimait que cette clause rendait le contrat illégal. Par un arrêt du 30 septembre 2013, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé le jugement ainsi que le contrat. Par une décision du 13 février 2015, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour et lui a renvoyé l'affaire à juger.

I - Sur la régularité du jugement contesté :

3. Si la société Orange soutient en premier lieu que le jugement contesté est entaché d'une insuffisante motivation dès lors que le tribunal n'a pas exposé en quoi l'établissement et l'exploitation d'un réseau de communications électroniques en cause n'était pas constitutif d'une mission de service public, le moyen est inopérant dès lors que le tribunal a qualifié le contrat en cause de concession de travaux et d'ouvrages publics.

4. La société Orange soutient en second lieu que le jugement est entaché d'omission à statuer en ce qu'il ne répond pas au moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne imposant la notification des aides d'Etat à la Commission européenne. Toutefois, dès lors que le tribunal avait écarté le moyen tiré de ce que le versement de la somme de 2 511 000 euros prévue par les stipulations précitées constituait une aide publique contraire aux dispositions de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 108 était inopérant. En n'y répondant pas explicitement, le tribunal n'a pas entaché son jugement d'irrégularité.

II - Sur la recevabilité de la demande de première instance de la société France Télécom :

5. La circonstance qu'après réception du règlement de la consultation, la société France Télécom n'a pas présenté d'offre, ne lui retire pas la qualité de concurrent évincé auquel est ouverte la faculté d'introduire un recours en contestation de la validité du contrat. Ainsi, la demande de première instance de la société était, contrairement à ce que soutient la société NC Numéricable, recevable.

III - Sur l'objet du contrat :

6. La convention conclue le 20 octobre 2009 a pour objet de confier à la société attributaire " la charge de la conception, du financement, de la construction et du déploiement " d'un réseau de communications électroniques sur le territoire des communes de Chantraine, Dogneville, Epinal et Golbey.

7. Aux termes de l'article 6.1 de la convention : " les infrastructures constituées de câbles coaxiaux et de leurs accessoires, situées en aval de noeuds optiques et servant la desserte des clients finaux ne sont pas des ouvrages du réseau ". Selon, l'article 15 de la convention : " la société est autorisée à exploiter pour son propre compte le réseau dans le respect des dispositions légales et réglementaires en vigueur pour une offre de service à des clients finaux (service de télévision, accès internet, téléphonie...) ou non (opérateurs de communications électroniques) ". Le dernier alinéa de ce même article précise que " la société n'est tenue que de la réalisation d'un réseau permettant et supportant les services ci-dessus énumérés et demeure libre du choix des services proposés à ses clients au moyen du réseau ".

8. La convention met ainsi à la charge de la société NC Numéricable le financement, la construction et le déploiement d'un réseau de fibres optiques entre une tête de réseau et des noeuds de raccordement. Si le contrat autorise au surplus l'attributaire à délivrer directement des services aux utilisateurs finaux, il ne bénéficie d'aucune exclusivité à ce titre. Dans ces conditions, le tribunal a pu à bon droit estimer que le contrat avait à titre principal pour objet la construction et l'exploitation d'un réseau de communications électroniques -offre de gros- et non pas la fourniture de services de communications électroniques à des clients finaux -offre de détail-.

IV - Sur la qualification du contrat :

9. En premier lieu, aux termes du 1er alinéa de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales : " Une délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d'acquérir des biens nécessaires au service ".

10. Aux termes de l'article L. 1425-1 du même code : " I.- Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, deux mois au moins après la publication de leur projet dans un journal d'annonces légales et sa transmission à l'Autorité de régulation des communications électroniques, établir et exploiter sur leur territoire des infrastructures et des réseaux de communications électroniques au sens du 3° et du 15° de l'article L. 32 du code des postes et communications électroniques, acquérir des droits d'usage à cette fin ou acheter des infrastructures ou réseaux existants. Ils peuvent mettre de telles infrastructures ou réseaux à disposition d'opérateurs ou d'utilisateurs de réseaux indépendants. L'intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements se fait en cohérence avec les réseaux d'initiative publique, garantit l'utilisation partagée des infrastructures établies ou acquises en application du présent article et respecte le principe d'égalité et de libre concurrence sur les marchés des communications électroniques. Dans les mêmes conditions qu'à l'alinéa précédent, les collectivités territoriales et leurs groupements ne peuvent fournir des services de communications électroniques aux utilisateurs finals qu'après avoir constaté une insuffisance d'initiatives privées propres à satisfaire les besoins des utilisateurs finals et en avoir informé l'Autorité de régulation des communications électroniques. Les interventions des collectivités s'effectuent dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et proportionnées. L'insuffisance d'initiatives privées est constatée par un appel d'offres déclaré infructueux ayant visé à satisfaire les besoins concernés des utilisateurs finals en services de communications électroniques. / II.- Lorsqu'ils exercent une activité d'opérateur de communications électroniques, les collectivités territoriales et leurs groupements sont soumis à l'ensemble des droits et obligations régissant cette activité. Une même personne morale ne peut à la fois exercer une activité d'opérateur de communications électroniques et être chargée de l'octroi des droits de passage destinés à permettre l'établissement de réseaux de communications électroniques ouverts au public. Les dépenses et les recettes afférentes à l'établissement de réseaux de communications électroniques ouverts au public et à l'exercice d'une activité d'opérateur de communications électroniques par les collectivités territoriales et leurs groupements sont retracées au sein d'une comptabilité distincte. (...) ".

11. Il ne résulte, ni des termes de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, ni des travaux parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 dont ils sont issus, que le législateur a entendu ériger l'établissement et l'exploitation par les collectivités territoriales et leurs groupements d'un réseau de communications électroniques sur leur territoire en un service public local. La société Orange n'est, par suite, pas fondée à soutenir que les contrats d'établissement et d'exploitation d'infrastructures de réseaux de communications électroniques sur le territoire des collectivités territoriales constitueraient des conventions de délégation de service public par détermination de la loi.

12. En deuxième lieu, indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public. Même en l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission.

13. Si la société NC Numéricable s'engage " à garantir l'utilisation partagée des infrastructures de fibre optique disponible et à respecter le principe d'égalité et de libre concurrence sur les marchés de communications électroniques" et doit informer annuellement Cablimages " sur l'utilisation du réseau et l'activité commerciale ", celui-ci n'exerce cependant aucun contrôle effectif sur les modalités d'accès des autres opérateurs de communications électroniques au réseau et sur les tarifs susceptibles de leur être appliqués. De même, aucune stipulation de la convention ne détermine le prix ou les modalités de fixation du prix devant être pratiqués à l'égard des clients finals.

14. Le " comité de suivi " institué à l'article 21 de la convention précitée, qui est composé à parité de représentants des deux parties, a seulement pour objet de suivre l'exécution des travaux, d'échanger les informations nécessaires à la bonne exécution de la convention et d'évoquer le cas échéant toute question relative à la mise en cohérence des réseaux d'initiative publique ou à la mise en oeuvre des services mentionnés à l'article 15. Il ne saurait, dans ces conditions, révéler l'instauration d'une surveillance du Syndicat sur les activités de sa cocontractante.

15. Les obligations faites à la société concessionnaire de recueillir l'accord préalable du Syndicat avant la réalisation de certains travaux, notamment lorsqu'ils nécessitent des investissements dont le coût d'amortissement excèderait le terme de la convention ou qui impliqueraient des changements structurels du réseau et de déployer le réseau de manière homogène sur l'ensemble du territoire des communes concernées, y compris les zones potentiellement non rentables, correspondent à celles que la collectivité publique peut imposer dans l'intérêt d'une exécution de l'ouvrage conforme aux besoins qu'elle a entendu satisfaire.

16. Aucune des stipulations des articles 28 et 29, régissant les modalités d'entrée en possession des biens par le Syndicat, ne sont incompatibles avec la qualification de concession d'ouvrage public.

17. Enfin, compte tenu de la nature de l'ouvrage concerné, l'obligation faite à la société NC Numéricable d'adapter le réseau aux besoins des clients et aux évolutions technologiques, à l'exception des modifications structurelles, ne suffit pas à caractériser la volonté du Syndicat intercommunal mixte Cablimages de confier à la société NC Numéricable, sous son contrôle, l'exploitation d'une activité de service public.

18. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1415-1 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 : " Les contrats de concession de travaux publics sont des contrats administratifs passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local dont l'objet est de faire réaliser tous travaux de bâtiment ou de génie civil par un concessionnaire dont la rémunération consiste soit dans le droit d'exploiter l'ouvrage, soit dans ce droit assorti d'un prix. ". L'article L. 1415-3 du même code dispose que : " Les dispositions du présent chapitre ne s'appliquent pas : [...] / 8° Aux contrats ayant pour principal objet la mise à disposition ou l'exploitation de réseaux publics de communications électroniques ou la fourniture au public d'un ou plusieurs services de communications électroniques. ".

19. L'article 27 de l'ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 prévoit que les dispositions de ses titres Ier et II, dont sont issus les articles L. 1415-1 et L. 1415-3 précités du code général des collectivités territoriales, s'appliquent aux projets de contrat de concession de travaux publics en vue desquels un avis d'appel public à la concurrence est envoyé ou une consultation engagée à compter de sa date d'entrée en vigueur.

20. Il résulte de l'instruction que le syndicat Cablimages a envoyé à la publication, le 30 janvier 2009, l'avis d'appel public à la concurrence afférent au contrat en cause. L'article L. 1415-3 du code général des collectivités territoriales n'étant pas applicable au contrat conclu entre Cablimages et la société NC Numéricable, la société Orange n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que le législateur avait exclu les conventions portant établissement et exploitation d'un réseau de communications électroniques du champ des concessions de travaux publics.

21. Ainsi qu'il a déjà été dit, la convention en litige confie à la société NC Numéricable la charge de concevoir, financer, construire et déployer le réseau en contrepartie de l'autorisation qui lui est donnée de l'exploiter librement et d'en percevoir les recettes. Par suite, cette convention constitue une concession de travaux et d'ouvrage publics et non, comme le soutient la société Orange, une délégation de service public au sens des dispositions précitées de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales.

V - Sur la procédure de passation du contrat :

22. Contrairement là encore aux affirmations de la société Orange, Cablimages n'a pas attribué un contrat dont l'objet était différent de celui fixé dans la procédure de consultation. La passation du contrat en cause n'a donc pas méconnu les principes fondamentaux de la commande publique et n'est pas entachée d'un vice de procédure tenant au défaut d'information des membres du comité syndical.

23. La société Orange soutient que la société NC Numéricable a disposé, au cours de la procédure d'appel public à la concurrence, d'informations susceptibles de l'avantager par rapport aux autres candidats. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la circonstance que la société NC Numéricable a été associée aux réflexions du syndicat intercommunal mixte Cablimages sur l'évolution de son réseau câblé, lui ait permis d'obtenir des informations privilégiées de nature à rompre l'égalité entre les candidats.

24. La société Orange fait également valoir que faute d'avoir mentionné la possibilité d'un paiement anticipé d'une somme correspondant à la valeur nette comptable des investissements à la fin du contrat, la publicité de l'appel à la concurrence est irrégulier.

25. Toutefois, la durée du contrat était connue des candidats et l'article 1.4 du dossier technique et fonctionnel mentionnait la possibilité d'une participation financière du syndicat intercommunal mixte Cablimages au déploiement des infrastructures. Ces mentions, combinées étaient suffisantes pour permettre aux candidats de présenter une offre comportant des modalités tenant compte des contraintes spécifiques au contrat et notamment à sa durée, ainsi que l'a fait la société NC Numéricable en proposant un paiement anticipé du montant des investissements non amortis à la fin du contrat. Dans ces conditions, il n'y a pas eu, dans les circonstances de l'espèce, de manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence.

VI - Sur la validité du contrat :

26. L'article 16.2 de la convention, relatif aux seuls amortissements et provisions ainsi que l'indique son titre, prévoit que d'un commun accord les parties ont constaté que la durée de la convention, de quinze ans est inférieure à celle nécessaire à l'amortissement des ouvrages remis à titre gratuit au syndicat Cablimages à la fin de la convention. La société NC Numéricable s'engageant à réaliser au minimum le montant d'investissement prévu par un tableau d'amortissement annexé à la convention, le syndicat intercommunal mixte Cablimages s'est ainsi engagé à compenser par anticipation la valeur des amortissements qui ne seront pas amortis à la fin de la convention et à verser de façon échelonnée durant l'exécution des travaux une somme totale de 2 511 000 euros.

27. La société Orange fait valoir que le versement anticipé d'une telle indemnité à la société NC Numéricable constitue une aide d'Etat au sens du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dès lors qu'elle excédait le montant qui aurait été versé à la société NC Numéricable à la fin des quinze années d'exploitation au titre de la valeur nette comptable et que s'agissant d'une aide d'Etat, elle aurait dû faire l'objet d'une notification à la commission européenne.

28. Il résulte de la décision du 13 février 2015 par laquelle le Conseil d'Etat a renvoyé l'affaire à la cour que lorsque, dans le cadre d'un contrat par lequel une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale confie la réalisation de travaux ou ouvrages, qui doivent lui être remis au terme du contrat, à un cocontractant dont la rémunération consiste en tout ou partie dans le droit d'exploiter l'ouvrage, les biens amortis par l'exploitation sont remis gratuitement à la personne publique à ce terme. Lorsque la durée du contrat est inférieure à la durée normale d'amortissement de l'ouvrage, le cocontractant a le droit d'être indemnisé de la valeur non amortie de cet ouvrage au terme du contrat, et donc à hauteur de sa valeur nette comptable, évaluée à la date de la remise des biens. Aucun texte ni aucun principe n'interdit aux cocontractants de prévoir que cette indemnité soit versée avant le terme du contrat, y compris au début de son exécution, dès lors qu'elle correspond à cette valeur nette comptable des biens remis.

29. Pour trancher la question de savoir si la somme de 2 511 000 euros constitue une aide d'Etat, il revient donc à la cour de rechercher si le montant ainsi versé est supérieur à la valeur nette comptable, à leur date de remise, de la partie des biens non amortie à cette date.

30. Si la convention énonce plusieurs catégories de biens susceptibles de revenir ou non à la communauté d'agglomération d'Epinal à son terme, il résulte du tableau d'amortissement, figurant à l'annexe 6 de la convention auquel se réfère l'article 16.2, que la somme de 2 511 000 euros contestée par la société Orange, versée de façon échelonnée à la société NC Numéricable au fil de la réalisation des travaux, compense la valeur nette comptable à la fin du contrat de l'investissement de 11 440 556 euros que la société NC Numéricable s'engageait à réaliser au minimum et qu'elle a réalisé. Seule est donc en litige la valeur nette comptable des biens constituant cet investissement de 11 440 556 euros.

31. Il résulte également de l'annexe 6 et de l'article 16.2 du contrat, qu'en acceptant le paiement au cours des travaux et avant le début de l'exploitation du réseau, de la somme de 2 511 000 euros, la société NC Numéricable a renoncé à percevoir la valeur nette comptable que le syndicat intercommunal mixte Cablimages aurait été conduit à lui verser à la fin du contrat à ce titre, si le versement anticipé n'avait pas été prévu. Le tableau d'amortissement figurant à l'annexe 6, ne comporte pas le calcul de la valeur nette comptable de l'investissement effectivement réalisé de 11 440 556 euros à la fin du contrat, mais seulement le calcul de l'incidence du versement anticipé de la somme de 2 511 000 euros par le syndicat intercommunal mixte Cablimages.

32. Sur ce point, la société NC Numéricable soutient, en produisant pour la première fois en appel un calcul de valeur nette comptable, que cette valeur, à la fin du contrat, de l'investissement de 11 440 556 euros qu'elle s'était engagée à réaliser au minimum dans le cadre de la convention, s'élèverait à 3 842 537 euros, compte tenu de la nature et de la valeur des biens réalisés, de leurs différentes durées d'amortissement, de leurs dates de réalisation.

33. Toutefois, le tableau produit par la société, ne comporte pas tous les éléments permettant de s'assurer de l'exactitude du calcul de la valeur nette comptable à la fin du contrat des biens effectivement réalisés pour le montant de 11 440 556 euros. De plus, aucune indication n'est donnée dans le dossier afin de permettre de déterminer, ainsi que le prévoit l'arrêt du Conseil d'Etat renvoyant l'affaire à la cour, si l'indemnité de 2 511 000 euros versée de façon échelonnée en début de contrat, correspond à cette valeur nette comptable des biens remis en fin de contrat, évalués à la date de leur remise, soit en fin de contrat.

34. Ainsi, l'état du dossier ne permet pas à la cour de comparer le montant de la somme versée en début de contrat au titre de la valeur nette comptable de l'investissement de 11 440 556 euros au montant qui aurait été versé au même titre en fin de contrat si la société NC Numéricable n'avait pas perçu en début de contrat le montant de 2 511 000 euros.

EN CONSEQUENCE :

35. Il y a lieu, avant de statuer sur l'appel de la société Orange, d'ordonner une expertise en vue :

- de rechercher et de se faire communiquer tous les documents permettant de déterminer la valeur nette comptable à la fin du contrat de l'investissement de 11 440 556 euros réalisé par la société NC Numéricable.

- de déterminer, compte tenu de la nature des biens, de leur durée d'amortissement, du type d'amortissement utilisé, compte tenu notamment des usages de la profession ou de leurs particularités, la valeur nette comptable à la fin de la période d'exploitation de quinze ans de l'investissement de 11 440 556 euros.

- de déterminer, compte tenu des usages de la profession, des éléments notamment économiques dont pouvaient disposer les parties lors de la signature du contrat, des taux d'actualisation habituellement utilisés dans de tels cas ou adaptés au contrat signé entre la société NC Numéricable et le syndicat Cablimages et de tous autres éléments pertinents, notamment du versement échelonné de la somme de 2 511 000 euros, si cette somme versée avant le début de l'exploitation à la société NC Numéricable correspond à un montant égal, supérieur ou inférieur à celui qui lui aurait été versé à la fin du contrat au titre de la valeur nette comptable à cette date des biens remis à la communauté d'agglomération d'Epinal, si le versement anticipé de 2 511 000 euros n'avait pas été effectué.

D E C I D E :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de la société Orange, procédé par un expert désigné par le président de la cour, à une expertise en vue de réaliser les missions mentionnées au point 31 ci-dessus.

Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la cour dans sa décision le désignant.

Article 3 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 4 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Orange, à la communauté d'agglomération d'Epinal et à la société NC Numéricable.

Copie en sera adressée au préfet des Vosges.

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N° 15NC00389


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15NC00389
Date de la décision : 28/04/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Commerce - industrie - intervention économique de la puissance publique - Défense de la concurrence - Aides d'Etat.

Marchés et contrats administratifs - Notion de contrat administratif - Diverses sortes de contrats.

Marchés et contrats administratifs - Formation des contrats et marchés.


Composition du Tribunal
Président : Mme MONCHAMBERT
Rapporteur ?: Mme Colette STEFANSKI
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : CABINET BENESTY

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2016-04-28;15nc00389 ?
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