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26/10/2017 | FRANCE | N°17NC00853

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 26 octobre 2017, 17NC00853


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...A...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 7 juin 2011 par lequel la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière lui a infligé la sanction disciplinaire de révocation du corps des praticiens hospitaliers.

Par un jugement n° 1103955 du 3 juin 2013, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Avant cassation et ren

voi :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 août 2013, 26 mars, 24 avril, 27 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...A...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 7 juin 2011 par lequel la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière lui a infligé la sanction disciplinaire de révocation du corps des praticiens hospitaliers.

Par un jugement n° 1103955 du 3 juin 2013, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Avant cassation et renvoi :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 août 2013, 26 mars, 24 avril, 27 juin et 3 décembre 2014, M. F... A..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1103955 du 3 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 juin 2011 par lequel la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) l'a révoqué du corps des praticiens hospitaliers ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;

3°) subsidiairement, de réformer la sanction en litige pour lui en substituer une moins sévère ;

4°) de mettre à la charge du CNG le versement d'une somme de 10 000 euros hors taxes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. A...soutient que :

En ce qui concerne la légalité externe :

- l'arrêté attaqué et l'avis du conseil de discipline sont intervenus au-delà des délais réglementaires, de 4 ou 6 mois à compter de l'ouverture de la procédure disciplinaire, prévus par les articles R. 6152-76 et 77 du code de la santé publique ;

- en se fondant sur les rapports d'inspection des 11 et 28 octobre 2010 et sur celui du 20 avril 2011, qui en reprend les conclusions, l'administration a entaché d'illégalité la décision litigieuse dès lors que ces rapports ont été irrégulièrement établis : a) les auteurs des deux premiers rapports ne disposaient pas de l'ensemble des compétences requises pour porter une appréciation sur les gestes chirurgicaux pratiqués dans son service ; b) leur désignation est entachée de partialité car le directeur général de l'agence régionale de santé de Lorraine les a missionnés dans le but non pas de contrôler l'activité de son service, mais de relever des éléments à son encontre ; c) ils ont fait preuve de partialité dans l'exercice de leurs missions en ne retenant que des éléments à charge ne correspondant pas à la réalité, sans avoir procédé à une étude complète et sérieuse de chacun des dossiers des patients opérés ; d) les missions ont été conduites en méconnaissance des principes du contradictoire et de respect des droits de la défense ; e) le rapport du 20 avril 2011 est entaché d'erreurs de fait, d'erreurs de qualification juridique des faits et d'erreurs manifestes d'appréciation en tant qu'il reprend les critiques des rapports des 11 et 28 octobre 2010 ;

- à la date de la sanction litigieuse, le rapport d'inspection en date du 28 octobre 2010 n'était pas signé par l'ensemble de ses auteurs ;

- les termes de la lettre du 2 novembre 2010, relative à l'engagement des poursuites disciplinaires, qui mettent en cause sa responsabilité au mépris de la présomption d'innocence, révèlent un défaut d'impartialité de son auteur ; celui-ci a également manqué à son obligation d'impartialité en tenant pour établis les faits exposés dans les rapports des 11 et 28 octobre 2010 en méconnaissance du paragraphe 1er de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le rapport du 20 avril 2011, présenté lors de la séance du conseil de discipline, ne lui a pas été communiqué en temps utile, le privant de la possibilité de faire valoir correctement ses droits ;

- la directrice générale du CNG n'a convoqué à la séance du conseil de discipline que certains des membres titulaires des deux collèges mentionnés à l'article R. 6152-311 du code de la santé publique ; en outre, elle n'a pas informé les suppléants de la tenue de la séance ;

- eu égard aux liens les unissant au directeur général de l'agence régionale de santé, appelé à devenir directeur général de la santé, deux des membres du conseil de discipline, hauts fonctionnaires de l'administration de la santé, ne présentaient pas de garantie suffisante d'impartialité ;

- le conseil de discipline, qui n'a pas été informé de l'action pénale engagée à son encontre, a été irrégulièrement privé de la possibilité de surseoir à statuer dans l'attente du résultat de cette action, en méconnaissance de l'article R. 6152-76 du code de la santé publique ;

- le rapporteur chargé d'instruire l'affaire devant le conseil de discipline a manqué à son obligation d'impartialité et a méconnu l'article R. 6152-314 du code de la santé publique en prenant position contre lui et en proposant de lui infliger la sanction de révocation ;

- la partialité du rapporteur faisait obstacle à ce qu'il participe au délibéré avec les autres membres du conseil de discipline ;

- les principes des droits de la défense et du contradictoire ont été méconnus dès lors que : a) l'administration lui a interdit d'accéder à ses locaux professionnels, le privant de la possibilité d'accéder aux documents nécessaires à sa défense ; b) son entretien avec les rédacteurs du rapport du 28 octobre 2010 a été limité à trente minutes alors que l'heure d'entretien initialement prévue n'était déjà pas suffisante pour aborder l'ensemble des questions ; c) il a également été empêché de se défendre utilement compte tenu de l'absence d'annexe explicative à la lettre du 2 novembre 2010 l'informant de l'engagement de poursuites disciplinaires à son encontre, des termes généraux dans lesquels ont été rédigés les rapports des 11 et 28 octobre 2010, de l'absence de communication intégrale de son dossier dans le délai requis par l'article R. 6152-75 du code de la santé publique, de l'absence de communication ou de la communication tardive du rapport présenté devant le conseil de discipline et de nombreuses pièces sur lesquelles son auteur s'est appuyé, de l'absence de prise en compte de ses observations en défense du 22 avril 2011, en méconnaissance de l'article R. 6152-314 du code de la santé publique ; d) les modalités de déroulement du conseil de discipline n'étaient pas appropriées dès lors que son conseil et lui-même n'ont pu s'exprimer qu'à partir de 14 heures 55, après 5 heures de séance, sans pause déjeuner, et ont été invités à le faire succinctement, toutes circonstances qui ne lui ont pas permis de détailler sa défense sur chacun des dossiers de patients, comme le requéraient les griefs formulés à son encontre ; e) seuls quatre représentants du personnel étaient présents lors de la séance du conseil de discipline et l'un d'entre eux, du fait de la longueur de la séance, a dû la quitter avant le vote de la proposition de sanction ; f) le temps consacré au délibéré, soit 10 minutes, a été trop bref ;

- la décision attaquée est insuffisamment motivée en ce qu'elle ne rappelle pas les obligations statutaires et devoirs déontologiques violés, ni précisément les faits reprochés, en particulier s'agissant des gestes et décisions non conformes aux règles de l'art, le privant de la possibilité de se défendre utilement ; elle énonce des erreurs de faits et d'appréciation ; en outre, elle fait référence à des données statistiques, aux conclusions d'enquêtes menées par l'inspection générale des affaires sociales et par la société Altao en 2007, aux constats des experts, au rapport introductif présenté devant le conseil de discipline, ainsi qu'aux " pièces du dossier ", sans qu'aucun de ces différents éléments n'ait été joint à l'arrêté ; il n'a ainsi pas été mis à même de comprendre correctement, à la seule lecture de l'arrêté, les motifs exacts ayant fondé la sanction en litige ;

En ce qui concerne la légalité interne :

- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis : a) le caractère anormalement élevé du taux de mortalité des patients en 2009 et 2010 à la suite d'une intervention chirurgicale dans son service n'est pas établi, dès lors que les données statistiques prises en compte par les auteurs des rapports d'inspection, sur lesquels sont fondés les griefs formulés à son encontre, ne constituent pas des indicateurs de qualité, sont erronées et ne présentent aucune pertinence pour interpréter le nombre des décès observés ; b) l'opération chirurgicale n'a pas été systématiquement proposée aux patients qui ont été opérés avec leur consentement, à l'issue d'une réflexion collégiale et pluridisciplinaire, après qu'une balance des bénéfices et des risques a été réalisée et se s'est révélée positive ; c) les gestes chirurgicaux qui lui sont reprochés, strictement nécessaires et adaptés à l'état de chaque patient, sont conformes aux règles de l'art, ne font l'objet d'aucune contre-indication ou recommandation contraire, ne traduisent en aucune manière une recherche de l'exploit chirurgical ni une prise de risque injustifiée vis-à-vis du patient, et ne sont pas à l'origine des décès des patients opérés ; d) il a toujours adapté sa pratique aux conditions de prise en charge offertes par la réanimation en postopératoire ; e) les décès sont imputables aux défaillances du service de réanimation postopératoire ; f) le grief tiré de l'absence de protocole d'évaluation à long terme de la qualité des résultats manque en fait ; g) le défaut de démarche d'évaluation des pratiques professionnelles ne peut lui être reproché dès lors que les décrets d'application relatifs à cette démarche n'ont jamais été publiés ;

- la circonstance que l'administration, à qui incombe la charge de la preuve, n'établisse pas la réalité des faits qui lui sont reprochés, fait obstacle à ce que la cour ordonne une expertise ;

- les faits qui lui sont reprochés ne peuvent être qualifiés de fautes disciplinaires ;

- ses pratiques chirurgicales n'ont fait l'objet d'aucune alerte ou mise en demeure avant l'engagement de la procédure en litige ;

- la taille moyenne du centre hospitalier régional de Metz-Thionville est sans incidence dès lors que celui-ci disposait de l'ensemble des moyens et compétences permettant l'exercice d'une activité de chirurgie cardiaque ;

- la sanction infligée est disproportionnée ;

- la décision est entachée de détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 février 2014, le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG), représenté par sa directrice générale, conclut au rejet de la requête.

Le CNG soutient que :

En ce qui concerne la légalité externe :

- les droits de la défense n'ont pas été méconnus au cours de la procédure disciplinaire dès lors que M. A...a toujours eu connaissance en temps utile des documents sur lesquels le rapporteur s'est appuyé pour instruire l'affaire devant le conseil de discipline ;

- la partialité des auteurs des deux rapports d'inspection des 11 et 28 octobre 2010 n'est pas établie ;

- les dispositions de l'article R. 6152-314 du code de la santé publique n'ont pas été méconnues ; en tout état de cause, l'irrégularité alléguée est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée dès lors que le rapport constitue un simple document de présentation pour le conseil de discipline et ne lie pas l'autorité disciplinaire dans sa décision ;

- les deux missions d'inspection d'octobre 2010 ont été désignées et se sont déroulées de manière régulière ;

En ce qui concerne la légalité interne :

- la comparaison des taux de mortalité constatés dans le service de M. A...aux données statistiques nationales tient compte de la typologie de ses patients ;

- l'administration ne s'est pas fondée sur cette seule comparaison, mais a constaté, après étude des dossiers des patients décédés en 2009 et 2010, que M. A...prenait en charge un nombre important de patients à risque, que de nombreux patients opérés faisaient l'objet de gestes chirurgicaux multiples et extensifs non justifiés, qu'ils étaient soumis à une durée excessive de circulation externe corporelle et de clampage aortique, que plusieurs patients ne présentant pas de risque chirurgical important étaient décédés et que l'indication opératoire n'était quasiment jamais discutée collégialement, ni avec le patient ;

- en privilégiant une performance chirurgicale au détriment de la sécurité des patients, le requérant est à l'origine d'une surmortalité importante, dont il n'est pas établi qu'elle serait imputable à la réorganisation du service de réanimation ;

- le comportement du requérant est constitutif d'une faute grave justifiant la sanction de révocation ;

- il ne saurait se prévaloir ni de la décision rendue le 23 novembre 2011 par la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins de Lorraine, ni de la décision du 20 février 2013 de la section des assurances sociales de cette même chambre.

Le 19 février 2014, l'agence régionale de santé de Lorraine, représentée par son directeur général, a présenté des observations.

Par des mémoires, enregistrés les 13 juin et 1er octobre 2014, le centre hospitalier régional de Metz-Thionville, représenté par la société d'avocats Sur-Mauvenu et associés, intervient volontairement pour demander à la cour de rejeter la requête.

Le centre hospitalier régional de Metz-Thionville fait valoir que :

- la requête est irrecevable, faute de comporter des moyens d'appel ;

- les moyens tirés de l'irrégularité des rapports d'expertise des 11 et 28 octobre 2010, ainsi que de la méconnaissance du délai fixé par l'article R. 6152-77 du code de la santé publique, sont irrecevables faute d'avoir été soulevés en première instance ;

- pour le reste, aucun des moyens exposés par le requérant n'est fondé.

Par un arrêt n° 13NC01485 du 18 décembre 2014, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé le jugement et l'arrêté attaqués.

Par une décision n° 388099 du 31 mars 2017, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt comme entaché d'une erreur de droit et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Nancy.

Après cassation et renvoi :

Par des mémoires, enregistrés les 23 mai et 20 juin 2017, M. A...conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que précédemment.

Il soutient, en outre, que :

- la décision rendue par le Conseil d'Etat ne fait pas obstacle à ce que soit retenu le défaut d'impartialité du rapporteur du conseil de discipline : en effet, il ne s'est pas borné à émettre une opinion sur la sanction à infliger, mais a ignoré son mémoire du 22 avril 2011 qui contenait pourtant des éléments indispensables remettant en cause les appréciations des experts, avant de porter contre lui, dans des termes péremptoires et excessifs, des accusations sans fondement, manifestant ainsi à son égard une animosité particulière révélant un défaut d'impartialité.

Par un mémoire, enregistré le 6 juin 2017, le CNG conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que précédemment.

Il soutient, en outre, que :

- le rapporteur du conseil de discipline n'a ni manqué à son obligation d'impartialité, ni méconnu les dispositions de l'article R. 6152-314 du code de la santé publique ;

- la matérialité des griefs reprochés à M.A..., ainsi que leur gravité, sont établis, ainsi que l'a déjà jugé la cour administrative d'appel de Nancy, confirmée par le Conseil d'Etat.

Le 7 août 2017 les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées à titre subsidiaire par M.A..., tendant à ce que la cour réforme la sanction disciplinaire en litige pour lui en substituer une moins sévère.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- le code de la santé publique,

- le code de procédure pénale,

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rees, premier conseiller,

- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., pour M.A..., ainsi que celles de M.A....

Considérant ce qui suit :

1. Le 30 août 2010, le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) de Lorraine a diligenté une mission d'expertise, qu'il a chargée d'analyser l'organisation, le fonctionnement et les pratiques professionnelles du service de chirurgie cardiaque, ainsi que l'organisation anesthésique et la réanimation postopératoire du centre hospitalier régional (CHR) de Metz-Thionville. Dans leur rapport établi le 11 octobre 2010, les professeurs Leguerrier, de Riberolles et Lehot ont relevé une mortalité élevée, avec une nette dégradation des chiffres en 2009 et 2010, imputable selon eux aux pratiques et au fonctionnement du service de chirurgie cardiaque de l'établissement, dont M. A...assurait alors la direction en qualité de chef de service.

2. Au vu des conclusions de ce rapport, le directeur général de l'ARS a décidé, le 12 octobre 2010, de suspendre l'autorisation de l'activité de chirurgie cardiaque dont bénéficiait le CHR. Le 13 octobre 2010, il a diligenté une nouvelle mission d'inspection afin d'analyser les dossiers des patients décédés en 2009 et 2010, d'examiner l'organisation et le fonctionnement du service de chirurgie cardiaque et vasculaire et d'analyser également de façon aléatoire des dossiers de patients. Le rapport établi le 28 octobre 2010, concluant à l'existence de dysfonctionnements graves au sein du service concerné, a été transmis à la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG).

3. Le 2 novembre 2010, celle-ci a fait part à M. A...de sa décision d'engager à son encontre une procédure disciplinaire. Après que le conseil de discipline, au vu du rapport définitif établi par la mission d'inspection le 7 février 2011, a rendu son avis le 29 avril 2011, la directrice générale du CNG a, par un arrêté du 7 juin 2011, prononcé la sanction de révocation de l'intéressé du corps des praticiens hospitaliers.

4. M. A...relève appel jugement du 3 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par le CHR tirée du défaut de motivation de la requête d'appel :

5. En vertu des dispositions de l'article R. 411-1 du même code, une requête doit, à peine d'irrecevabilité, contenir l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge.

6. En l'espèce, si M. A...reprend l'argumentation qu'il a développée devant le tribunal, non seulement il ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement ses écritures de première instance, mais encore il critique expressément les motifs du jugement contesté et les réponses que le tribunal a apportées aux moyens qu'il a soulevés.

7. La fin de non-recevoir soulevée par le CHR, qui manque ainsi en fait, doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement :

8. Il ressort des termes de l'arrêté en litige que la directrice générale du CNG, se fondant sur les conclusions des rapports d'inspection des 11 et 28 octobre 2010 ainsi que sur le rapport des inspecteurs du 7 février 2011 reprenant ces conclusions, a relevé l'existence d'un taux de mortalité péri-opératoire très élevé chez les patients opérés dans le service de M. A..., puis a imputé à ce dernier, du fait de plusieurs manquements à ses obligations, la responsabilité de ce phénomène.

En ce qui concerne l'existence d'une mortalité péri-opératoire très élevée :

9. Pour constater l'existence d'une mortalité péri-opératoire très élevée, la directrice générale du CNG s'est fondée, notamment, sur le rapport d'expertise précité du 11 octobre 2010, dont il ressort que, sur la période du 2 janvier 2009 au 16 septembre 2010, le taux de mortalité global observé chez les patients opérés au sein du service de chirurgie cardiaque du CHR de Metz-Thionville s'établit à 10,87 %, contre une moyenne nationale de 3,9 %. En particulier, un taux de mortalité de 3,04 %, contre une moyenne nationale de 1,9 %, a été relevé pour les patients ayant fait l'objet d'une opération coronaire, et un taux de 15,45 %, contre une moyenne nationale de 4,23 %, pour les patients ayant fait l'objet d'une opération valvulaire.

10. M. A...conteste la validité des données statistiques prises en compte par les inspecteurs, ainsi que la pertinence des indicateurs retenus, dont la méthodologie serait insuffisante. Selon lui, les chiffres de son service ne peuvent pas être valablement comparés à ces données, qui ne prennent pas en compte, notamment, le risque péri-opératoire plus élevé des patients pris en charge par son service, eu égard à leur âge et leur état de santé.

11. Toutefois, les inspecteurs se sont fondés sur plusieurs bases de données distinctes, ainsi que sur les informations fournies par le CHR de Metz-Thionville lui-même, qui toutes mettent en évidence un taux de mortalité très sensiblement supérieur à la moyenne nationale. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que si le taux de mortalité moyen des patients pris en charge par le service de M. A...était de 7,44 % en 2006, 6,7 % en 2007 et 2008 et 7,14 % de janvier à avril 2009, il est ensuite passé à 13,57 % sur la période de mai à décembre 2009, puis à 14,29 % sur la période de janvier à juin 2010, de sorte que de mai 2009 à juin 2010, il s'élevait à près du double du taux moyen habituellement constaté auparavant dans son service.

12. La directrice générale du CNG ne s'est donc pas fondée sur des faits matériellement inexacts en estimant que le taux très élevé de mortalité péri-opératoire des patients opérés dans le service de chirurgie cardiaque du CHR de Metz-Thionville entre le 2 janvier 2009 et le 16 septembre 2010 révélait un phénomène de surmortalité.

13. Pour autant, ce constat ne démontre pas, en soi, que ce phénomène est imputable à M.A....

En ce qui concerne les fautes reprochées à M.A... :

14. Il incombe à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'apporter la preuve qui lui incombe de l'exactitude matérielle des griefs sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

15. En premier lieu, le CNG fait valoir que la cour administrative d'appel de Nancy a déjà admis la matérialité des faits reprochés à M.A..., ainsi que leur caractère fautif et leur gravité, dans son arrêt n° 13NC01483 du 18 décembre 2014, que le Conseil d'Etat a confirmé par une décision n° 388109 du 31 mars 2017. Toutefois, ces décisions juridictionnelles concernent la légalité de la décision de suspension à titre conservatoire pendant une durée de six mois, prise à l'encontre de M. A...le 2 novembre 2010. Le bien-fondé d'une décision de cette nature implique seulement que les faits reprochés présentent, à la date à laquelle l'administration se prononce, un caractère de vraisemblance suffisante.

16. Les décisions juridictionnelles précitées ne se sont prononcées que sur ce point et non sur la matérialité des faits reprochés, de sorte que le CNG ne peut pas utilement s'en prévaloir.

17. Le CNG se prévaut également d'une décision du 23 novembre 2011 de la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins de Lorraine. Saisie d'une plainte de l'agence régionale de santé de Lorraine à raison des mêmes faits que ceux sur lesquels est fondée la sanction en litige, la chambre disciplinaire a certes jugé que les documents produits par les parties devant elle n'étaient pas de nature à eux seuls à apporter la preuve de l'absence de fondement des griefs faits à M.A..., mais elle a simultanément estimé qu'ils n'étaient pas davantage de nature à établir ces manquements. Elle en a conclu que, " même en faisant appel à son intime conviction ", elle n'était pas en état de faire droit à l'une ou l'autre des thèses en présence. En conséquence, elle a rejeté la plainte de l'agence régionale de santé qui, après avoir, dans un premier temps, fait appel devant le conseil national, s'est finalement désistée de son action.

18. Les instances disciplinaires de l'ordre auquel appartient M. A...n'ont ainsi relevé aucun manquement de ce dernier à ses obligations.

19. En deuxième lieu, la directrice générale du CNG, se fondant sur l'analyse des dossiers de patients opérés par le requérant et décédés en 2009 et 2010, qui est annexée au rapport d'inspection du 28 octobre 2010, reproche à M. A...d'avoir choisi des indications opératoires comprenant une proportion importante de procédures multiples, complexes et longues, nécessitant de longues durées de circulation extracorporelle et de clampage aortique, alors que ses patients étaient plus âgés que la moyenne nationale, pour beaucoup issus du bassin minier lorrain et présentant, dans la plupart des cas, des pathologies associées, notamment pulmonaires. M. A...a ainsi, selon la directrice générale du CNG, fait courir des risques injustifiés à ses patients.

20. M. A... produit deux études réalisées les 26 mars et 24 avril 2014, respectivement, par le professeur Dion, chef du service de chirurgie cardiaque de Zol-Genk, en Belgique, et par le professeur Neveux, professeur émérite de l'université de Paris-sud en chirurgie cardiovasculaire. Tous deux, après avoir procédé à une analyse critique de chacun des dossiers de patients examinés par les inspecteurs, concluent que les choix d'interventions complexes n'étaient pas injustifiés et que les gestes chirurgicaux pratiqués dans chaque cas étaient conformes aux règles de l'art.

21. Par ailleurs, les nombreux témoignages produits par M.A..., notamment ceux du DrC..., chirurgien de son service, du DrD..., cardiologue, et des Drs Bichel, Chirane, Mouren et Petrie, anesthésistes réanimateurs, font état de la tenue d'une réunion hebdomadaire pluridisciplinaire, dite de " staff ", entre cardiologues, anesthésistes, médecins réanimateurs et chirurgiens, où l'indication opératoire du patient était présentée et discutée et à l'issue de laquelle une décision collégiale était arrêtée pour confirmer cette indication, la modifier ou, le cas échéant, récuser le patient. Ces témoignages sont corroborés par les observations faites le 14 janvier 2011 par la directrice du CHR sur le rapport provisoire du 22 décembre 2010 de la mission d'inspection relative à la chirurgie cardiaque. Celle-ci précise en outre que l'indication opératoire initiale, qui pouvait être ultérieurement modifiée, était posée au vu d'un bilan résultant de consultations et, le cas échéant, d'examens complémentaires effectués pour chaque patient.

22. Alors que ces différents éléments sont de nature à remettre en cause les constats et les analyses des inspecteurs, sur les rapports desquels s'est fondée la directrice générale du CNG, ce dernier ne les contredit pas et n'apporte aucun élément complémentaire en réplique de nature à étayer ce grief.

23. Dans ces conditions, l'administration n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, que M. A...a pratiqué des gestes qui n'étaient pas strictement nécessaires, ni que les risques auxquels ses patients ont été exposés, bien qu'élevés compte tenu de leur état, étaient injustifiés.

24. En troisième lieu, il est reproché à M. A...de n'avoir pas tenu compte, dans sa pratique chirurgicale, de la capacité moyenne du centre hospitalier et des conditions de prise en charge offertes par la réanimation en postopératoire.

25. Tout d'abord, et comme le souligne M.A..., le CNG n'apporte aucune précision quant au sens qu'il a entendu donner à la notion de " capacité moyenne " de l'établissement, ce qui ne permet pas d'apprécier le bien-fondé du reproche. Au demeurant, alors que M. A...pratiquait déjà de la même manière depuis plusieurs années au sein du même établissement, le CNG n'indique pas pour quelle raison la capacité de ce dernier aurait nécessité une adaptation de cette pratique à partir de janvier 2009, début de la période en litige.

26. Ensuite, ainsi qu'il a été dit au point 21, chacune des interventions de M. A...a été préalablement discutée et décidée collégialement, en concertation, notamment, avec des membres du service de réanimation postopératoire, au sein du " staff ". La décision, qui pouvait remettre en cause l'intervention chirurgicale initialement projetée dans ses modalités, voire dans son principe, était donc prise à la lumière, notamment, de l'avis des membres du service de réanimation postopératoire quant aux possibilités de prise en charge du patient par leur service. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, fût-ce pour un seul des patients en cause, M. A...ait persisté dans le choix de l'intervention ou dans celui des gestes à pratiquer en dépit de réserves exprimées par les membres du service de réanimation postopératoire, eu égard aux risques de complications, sur les conditions de prise en charge postopératoire du patient.

27. Dans ces conditions, alors que M. A...était tenu à une obligation de moyens et non de résultats, et qu'il n'était pas responsable du service de réanimation postopératoire, l'autorité administrative n'établit pas qu'il n'ait pas adapté sa pratique aux conditions de prise en charge offertes par la réanimation en postopératoire.

28. En quatrième lieu, il est reproché à M. A...de n'avoir pas intégré la réalité des taux de mortalité très élevés des patients opérés.

29. Les différents témoignages produits par M.A..., tout comme les observations faites le 14 janvier 2011 par la directrice du CHR sur le rapport provisoire du 22 décembre 2010 de la mission d'inspection, font état de ce que, contrairement à ce qui est indiqué dans ce rapport et le rapport définitif, le service de chirurgie cardiaque procédait régulièrement à une analyse de son activité et de ses résultats, ainsi qu'à des analyses systématiques de morbi-mortalité après chaque décès. Il n'est pas établi que M. A...n'a pas tenu compte de ces informations.

30. En cinquième et dernier lieu, l'autorité administrative reproche à M. A...de n'avoir pas tenu compte des avantages, des inconvénients et des conséquences de ses indications opératoires compte tenu de la spécificité de ses patients plus âgés que la moyenne nationale et présentant des pathologies associées.

31. Il ressort des pièces du dossier que si M. A...n'optait pas systématiquement pour une indication opératoire, il privilégiait cette option y compris pour des patients à haut risque du fait de leur âge élevé et des co-morbidités qu'ils présentaient fréquemment. Il ressort également des pièces du dossier, en particulier du rapport d'inspection du 28 octobre 2010 qui n'est sur ce point pas sérieusement contesté par l'intéressé, qu'il ne se livrait pas, pour chaque patient, à un examen de toutes les alternatives thérapeutiques à l'indication opératoire envisagée.

32. Ainsi, en ne tenant pas compte, pour chacun de ses patients, des avantages, inconvénients et conséquences de ses indications opératoires, M. A...a manqué à ses obligations. Ce manquement est constitutif d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.

33. Il résulte de ce qui précède que si M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que la directrice générale du CNG a retenu cette dernière faute à son encontre, il est, en revanche, fondé à soutenir que le CNG n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de la réalité des autres faits qu'il lui reproche et qu'il a considérés comme constitutifs de fautes.

34. Si le manquement du requérant à ses obligations professionnelles constitue, ainsi qu'il a été dit au point 32, une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire, l'autorité disciplinaire a, en l'espèce, pris une sanction disproportionnée en décidant sa révocation.

35. En conclusion de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ni sur les fins de non-recevoir soulevées par le CHR, relatives à certains de ces autres moyens, M. A...est fondé à soutenir que l'arrêté du 7 juin 2011 par lequel la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière lui a infligé la sanction disciplinaire de révocation du corps des praticiens hospitaliers est illégal. Par conséquent, il est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à son annulation.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

36. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ".

37. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière une somme de 3 000 euros à verser à M. A...au titre de ces dispositions.

Par ces motifs,

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1103955 du 3 juin 2013 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 7 juin 2011 par lequel la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière a infligé à M. A...la sanction disciplinaire de révocation du corps des praticiens hospitaliers est annulé.

Article 3 : Le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière est condamné à verser à M. A...une somme de 3 000 (trois mille) euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A...est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F...A...et au centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière.

Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé.

2

N° 17NC00853


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17NC00853
Date de la décision : 26/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-01 Fonctionnaires et agents publics. Discipline. Suspension.


Composition du Tribunal
Président : M. MESLAY
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : LUCAS-BALOUP ; LUCAS-BALOUP ; SCP SUR et MAUVENU ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 05/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-10-26;17nc00853 ?
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