La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/04/2018 | FRANCE | N°15NC02400

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 17 avril 2018, 15NC02400


Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par un arrêt avant dire droit du 4 mai 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé le jugement n° 1202904 du 6 octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. B...F...tendant à la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à l'indemniser des préjudices subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C et, avant de statuer sur la requête de l'intéressé,

a ordonné une expertise aux fins de se prononcer sur l'origine de sa conta...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par un arrêt avant dire droit du 4 mai 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé le jugement n° 1202904 du 6 octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. B...F...tendant à la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à l'indemniser des préjudices subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C et, avant de statuer sur la requête de l'intéressé, a ordonné une expertise aux fins de se prononcer sur l'origine de sa contamination et l'étendue de ses préjudices et lui a alloué une provision d'un montant de 10 000 euros.

L'expert a remis son rapport le 11 décembre 2017.

Par deux mémoires en défense enregistrés le 6 février 2018 et le 12 mars 2018, l'ONIAM, représenté par Me C..., conclut à ce que l'indemnisation allouée à M. F...n'excède pas la somme de 10 000 euros.

L'ONIAM soutient que :

- il ne conteste pas que la contamination du requérant est imputable aux transfusions qu'il a subies ;

- les préjudices résultant de cette contamination ne sauraient être évalués à une somme excédant 10 000 euros.

Par deux mémoires enregistrés le 7 février 2018 et le 27 février 2018, M. B... F..., représenté par Me D..., conclut, dans le dernier état de ses écritures, à la condamnation de l'ONIAM à lui verser une somme de 1 669 433 euros en réparation de ses préjudices, déduction faite de la provision accordée par l'arrêt avant dire droit du 4 mai 2017, et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de cet établissement en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la contamination dont il a été victime est imputable aux transfusions sanguines rendues nécessaires par son hémophilie ;

- cette contamination a eu une incidence professionnelle qui doit être réparée par l'allocation d'une somme de 50 000 euros ;

- elle est à l'origine de pertes de revenus évaluées à 1 441 037 euros ;

- il a subi un déficit fonctionnel temporaire évalué à 33 396 euros ;

- il a enduré des souffrances évaluées à 5 sur une échelle de 0 à 7, impliquant une indemnisation de 35 000 euros ;

- il a subi un préjudice d'agrément, un préjudice d'établissement et un préjudice sexuel évalués, respectivement, à 35 000 euros, 40 000 euros et 50 000 euros ;

- le caractère évolutif de sa pathologie est à l'origine d'un préjudice d'anxiété évalué à 30 000 euros.

Par une ordonnance du 20 décembre 2017, les frais d'expertise ont été liquidés et taxés à la somme totale de 950 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq,

- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public ;

1. Considérant que M.F..., né le 12 novembre 1967, est atteint d'une hémophilie sévère de type B diagnostiquée alors qu'il avait deux ans et demi ; que l'intéressé, qui a subi de nombreuses transfusions de produits sanguins, a été victime d'une contamination par le virus de l'hépatite C qui a été mise en évidence le 21 novembre 1990 et a nécessité plusieurs traitements jusqu'à sa guérison en 2002 ; que, par un jugement du 6 octobre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. F...tendant à la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à l'indemniser des préjudices subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, au motif que sa créance était prescrite ; que, par un arrêt avant-dire droit du 4 mai 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé ce jugement et, avant de statuer sur la requête de M. F..., a ordonné une expertise aux fins de se prononcer sur l'origine de sa contamination et l'étendue de ses préjudices et lui a alloué une provision d'un montant de 10 000 euros ; que l'expert a remis son rapport à la cour le 11 décembre 2017 ;

Sur le principe de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :

2. Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, issu de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009, les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'ONIAM ; qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : " En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur " ;

3. Considérant que la présomption prévue par les dispositions précitées est constituée dès lors qu'un faisceau d'éléments confère à l'hypothèse d'une origine transfusionnelle de la contamination, compte tenu de l'ensemble des éléments disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que tel est normalement le cas lorsqu'il résulte de l'instruction que le demandeur s'est vu administrer, à une date où il n'était pas procédé à une détection systématique du virus de l'hépatite C à l'occasion des dons du sang, des produits sanguins dont l'innocuité n'a pas pu être établie, à moins que la date d'apparition des premiers symptômes de l'hépatite C ou de révélation de la séropositivité démontre que la contamination n'a pas pu se produire à l'occasion de l'administration de ces produits ; qu'eu égard à la disposition selon laquelle le doute profite au demandeur, la circonstance que l'intéressé a été exposé par ailleurs à d'autres facteurs de contamination, résultant notamment d'actes médicaux invasifs ou d'un comportement personnel à risque, ne saurait faire obstacle à la présomption légale que dans le cas où il résulte de l'instruction que la probabilité d'une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d'une origine étrangère aux transfusions ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise déposé devant la cour, que M.F..., dont l'hémophilie sévère a été diagnostiquée au début des années 1970, a subi de très nombreuses transfusions sanguines avant 1992, année à partir de laquelle les dons du sang ont fait l'objet d'une détection systématique du virus de l'hépatite C ; que les examens sanguins pratiqués sur le requérant en 1988, à une époque où seules les hépatites A et B étaient connues, ont révélé une augmentation de ses transaminases attribuée par les médecins à une hépatite " non A et non B " ; que la sérologie effectuée le 23 février 1990 a permis de diagnostiquer une contamination de M. F...par le virus de l'hépatite C ; qu'il ressort des conclusions de l'expert et qu'il n'est pas contesté par l'ONIAM qu'une enquête transfusionnelle est impossible en l'absence de toute information sur l'origine des nombreux produits sanguins transfusés au requérant avant 1992 ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que le requérant aurait été exposé à d'autres facteurs de contamination à l'hépatite C ; qu'à cet égard, l'expert précise que la contamination de M. F... résulte très probablement de la transfusion de produits sanguins ; que, dans ces conditions, le requérant, auquel profite le doute, est fondé à soutenir que les préjudices qu'il a subis en conséquence de sa contamination par le virus de l'hépatite C doivent être indemnisés au titre de la solidarité nationale ;

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

5. Considérant, d'une part, que M. F...demande l'indemnisation de pertes de revenus qu'il estime avoir subies au cours de la période de 1997 à 2009 au motif que sa contamination a fait obstacle à son installation comme infirmier libéral ; que, toutefois, il résulte de l'instruction qu'il s'est établi en cette qualité en 2010 seulement, alors qu'il a été déclaré guéri le 5 août 2002 ; qu'il n'apporte à l'instance aucun élément de nature à expliquer les raisons pour lesquelles la pathologie hépatique dont il a été victime aurait empêché la réalisation de son projet professionnel pendant huit années, malgré sa guérison ; que, dans ces conditions, il n'établit pas que les pertes de revenus alléguées présenteraient un lien direct avec sa contamination ;

6. Considérant, d'autre part, que M. F...soutient avoir subi des troubles imputables aux traitements administrés de 1999 à 2002 pour l'éradication de son hépatite C, qui ont réduit ses capacités professionnelles et compromis les projets qui avaient pu être les siens au terme de ses études, qui se sont conclues par l'obtention du diplôme d'infirmier d'Etat en 1991 ; qu'il résulte toutefois de l'instruction, notamment des éléments médicaux versés au débat par l'ONIAM, que le requérant est atteint d'une forme sévère d'hémophilie B diagnostiquée en 1970, qu'il présente depuis 1997 une arthropathie aux deux chevilles, laquelle affecte également les genoux depuis 2005, qu'il a fait l'objet d'une intervention chirurgicale en 2005 pour traiter une récidive d'abcès anal et qu'il est atteint de la maladie de Crohn, diagnostiquée en 2007 ; que l'intéressé est victime d'hémarthroses touchant les articulations des membres inférieurs depuis 2004 au moins, qui sont à l'origine de douleurs et de handicaps à la marche et de nature à compromettre son activité professionnelle ; que, par suite, eu égard à l'ensemble des pathologies dont M. F... est atteint, il n'est pas établi non plus que sa contamination aurait eu une incidence professionnelle ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :

7. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que M. F...a été placé en arrêt de travail pendant plus de 500 jours au cours des années 1999 à 2002 et en mi-temps thérapeutique pendant près d'un an et demi en 2000 et 2001, afin de suivre les soins médicaux rendus nécessaires par le traitement de l'hépatite C ; que si le requérant soutient avoir également présenté, en dehors des périodes précitées, un déficit fonctionnel temporaire de 25 % du 23 février 1990, date à laquelle sa pathologie hépatique a été diagnostiquée, au 5 février 2002, date retenue pour sa guérison, il résulte des conclusions de l'expert désigné par la cour que son hépatite C était non active en 1997 et que les transaminases qui présentaient un niveau élevé en 1998 sont redescendues à un niveau normal en 1999 ; que dans ces conditions, si M. F... fait encore état, pour justifier d'une incapacité de 25 %, de son irritabilité, de sa fatigue et d'une diminution de ses capacités de concentration qui l'auraient empêché de pratiquer pleinement ses activités quotidiennes, il n'est pas établi qu'en dehors des périodes pendant lesquelles il a suivi les traitements nécessaires à l'éradication du virus de 1999 à 2002, il aurait subi, du fait de sa contamination, des troubles impliquant une telle incapacité de 25 % ; que, par suite, il sera fait une juste appréciation du déficit fonctionnel temporaire imputable aux traitements subis par l'intéressé et des divers autres troubles qu'il indique avoir supportés dans ses conditions d'existence depuis sa contamination jusqu'à sa guérison, en lui allouant la somme de 8 000 euros à ce titre ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que M. F...a subi des souffrances physiques et psychiques du fait de sa contamination et des traitements nécessaires à l'éradication du virus de l'hépatite C qui ont été évaluées par l'expert à 5 sur une échelle de 0 à 7 ; qu'il résulte de l'instruction que la contamination et les conséquences graves qui auraient pu en résulter sont à l'origine, pour le requérant, d'un sentiment d'anxiété depuis la date du diagnostic de la maladie jusqu'à la date du constat de sa guérison ; qu'il y a lieu de réparer les souffrances endurées par M. F... du fait de sa maladie, incluant son préjudice d'anxiété, en lui accordant une somme de 15 000 euros ;

9. Considérant, en troisième lieu, que le rapport d'expertise déposé devant la cour ne fait état d'aucun préjudice d'agrément ; que si le requérant demande l'indemnisation de ce chef de préjudice pour un montant de 35 000 euros, il ne précise pas dans ses écritures les activités qu'il ne serait plus en mesure de pratiquer en raison de sa contamination ;

10. Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que l'état de santé présenté par M. F...en raison de sa contamination par le virus de l'hépatite C a été à l'origine d'une séparation en 1997 d'avec sa compagne, avec laquelle il a eu un enfant né en 1993 ; que si le couple s'est reformé en 2003, après la guérison du requérant, la contamination dont il a été victime a compromis la réalisation de son projet de vie familiale ; qu'en l'absence de contestation sérieuse de l'ONIAM sur ce point, il sera fait une juste appréciation de son préjudice en l'évaluant à la somme de 3 000 euros ;

11. Considérant, en dernier lieu, qu'ayant pris connaissance de sa contamination par le virus de l'hépatite C, M. F...a présenté des défaillances sexuelles qui, traitées médicalement, n'ont disparu qu'après la consolidation de l'état de santé de l'intéressé en 2002 ; que le préjudice sexuel subi par le requérant doit être évalué à la somme de 3 000 euros ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les préjudices subis par M. F...du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C justifient l'allocation d'une somme de 29 000 euros dont il y a lieu de déduire la provision de 10 000 euros qui lui a été allouée par l'arrêt avant dire droit du 4 mai 2017 ; qu'il y a lieu, par suite, de condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 29 000 euros, sous déduction de la provision accordée par l'arrêt avant dire droit du 4 mai 2017 ;

Sur les frais d'expertise :

13. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de la partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) " ;

14. Considérant que les frais de l'expertise ordonnée en appel ont été liquidés à la somme de 950 euros par une ordonnance de la présidente de la cour administrative d'appel du 20 décembre 2017 ; qu'il y a lieu de mettre cette somme à la charge de l'ONIAM ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. F...et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L'ONIAM est condamné à verser à M. F...la somme de 29 000 (vingt neuf mille) euros, sous déduction de la provision de 10 000 euros qui lui a été précédemment accordée.

Article 2 : Les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 950 (neuf cent cinquante) euros, sont mis à la charge de l'ONIAM.

Article 3 : L'ONIAM versera à M. F...une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... F...et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à l'expert, M. E...A....

5

N° 15NC02400


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15NC02400
Date de la décision : 17/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. MARINO
Rapporteur ?: M. Jean-Marc GUERIN-LEBACQ
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : CABINET CHOULET AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2018-04-17;15nc02400 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award