La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/11/2018 | FRANCE | N°17NC00411

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 20 novembre 2018, 17NC00411


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner solidairement le centre hospitalier de Verdun et l'agence régionale de santé de Lorraine à lui verser la somme de 198 240 euros, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de leurs fautes.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Marne, mise en cause, a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le centre hospitalier de Verdun à lui verser les

sommes de 49 440,30 euros au titre de ses débours et de 1 047 euros au titre d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner solidairement le centre hospitalier de Verdun et l'agence régionale de santé de Lorraine à lui verser la somme de 198 240 euros, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de leurs fautes.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Marne, mise en cause, a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le centre hospitalier de Verdun à lui verser les sommes de 49 440,30 euros au titre de ses débours et de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par un jugement no 1501935 du 29 décembre 2016, le tribunal administratif de Nancy a condamné le centre hospitalier universitaire de Verdun à verser, d'une part, à M. D... une somme de 63 192 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2014 et de leur capitalisation à compter du 7 juillet 2015, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne une somme de 10 056,96 euros au titre de ses débours, de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ainsi que le remboursement, sur la base de justificatifs, d'une rente annuelle de 394,05 euros correspondant à 80 % des frais médicaux et pharmaceutiques de M.D..., enfin, il a mis à la charge du centre hospitalier les frais d'expertise d'un montant de 800 euros et a rejeté le surplus des conclusions des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 février 2017, M.D..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement no 1501935 du 29 décembre 2016 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Verdun à lui verser la somme de 198 240 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices, avec les intérêts au taux légal à compter du 7 novembre 2014 et la capitalisation à compter du 7 novembre 2015 ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Verdun la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de condamner le centre hospitalier de Verdun aux dépens.

Il soutient que :

- le jugement doit être confirmé en ce qui concerne la perte de chance de 80 % ;

- le taux de perte de chance ne devait pas être appliqué aux frais relatifs à l'assistance à l'expertise ;

- c'est à tort que les premiers juges ont fixé l'indemnisation de l'incidence professionnelle résultant de la perte fonctionnelle de son oeil à la somme de 24 000 euros ;

- le déficit fonctionnel temporaire, minoré par les premiers juges, doit être évalué à la somme de 6 187, 50 euros ;

- les souffrances endurées, estimées par l'expert à 3/7, doivent être évaluées à la somme de 8 000 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent doit être porté de 28 000 euros à 40 000 euros ;

- il justifie d'un préjudice d'agrément qui doit être fixé à la somme de 6 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 12 juillet 2017, le centre hospitalier de Verdun, représenté par MeB..., demande à la cour de rejeter la requête.

Il soutient que :

- le taux de perte de chance s'applique à tous les préjudices sans prise en considération de leur nature ;

- le requérant n'établit pas un lien direct et certain entre la faute retenue et la perte d'épanouissement professionnel et sa dévalorisation sur le marché du travail ;

- le requérant n'étant pas inapte à tout emploi, la réalité d'une perte de droits à la retraite n'est pas établie ;

- l'indemnisation des préjudices personnels est suffisante et conforme à la pratique.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Marne n'a pas produit de mémoire.

L'agence régionale de santé de Lorraine n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Barteaux,

- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,

- et les observations de Me A...pour M.D....

Considérant ce qui suit :

1. Au mois de juin 2007, durant son incarcération au centre de détention de Montmédy, M. D..., né en 1951, a présenté une rougeur à l'oeil gauche. Il a été pris en charge par un médecin de l'unité de consultation et de soins ambulatoires du centre de détention, dépendant du centre hospitalier de Verdun, qui lui a prescrit un collyre. Ce traitement a été poursuivi, en dépit de la dégradation oculaire dont se plaignait l'intéressé, jusqu'au 17 septembre 2017, date à laquelle il a été transféré au centre hospitalier de Verdun pour être examiné par un spécialiste en ophtalmologie. Ce dernier a diagnostiqué une kératite herpétique provoquée par une amibe. L'intéressé, qui a perdu l'usage fonctionnel de son oeil, a sollicité une expertise qui a révélé un retard de diagnostic. Il a vainement adressé une réclamation indemnitaire au centre hospitalier de Verdun. Par un jugement du 29 décembre 2016, dont M. D...relève appel, le tribunal administratif de Nancy a partiellement fait droit à ses demandes indemnitaires ainsi qu'à celles de la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a condamné le centre hospitalier à verser à M. D...une somme globale de 63 192 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation à compter du 7 juillet 2015. Il l'a également condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne une somme de 10 056,96 euros au titre de ses débours, de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ainsi que le remboursement, sur la base de justificatifs, d'une rente annuelle de 394,05 euros correspondant à 80 % des frais médicaux et pharmaceutiques de M. D.... Enfin, les frais d'expertise d'un montant de 800 euros ont été mis à la charge du centre hospitalier.

3. M. D...demande à la cour de réformer le jugement uniquement en ce qui concerne le montant de l'indemnisation qui lui a été accordée en le portant à la somme globale de 198 240 euros. Le centre hospitalier de Verdun, intimé, demande la confirmation du jugement. Le principe de la responsabilité, le taux de perte de chance de 80 % et les sommes accordées à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne ne sont pas contestés par les parties.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux de M. D...:

4. En premier lieu, M. D...justifie avoir supporté des frais d'assistance à l'expertise d'un montant de 1 690 euros. Cette dépense, qui n'aurait pas été exposée en l'absence de faute du centre hospitalier de Verdun, a présenté un caractère utile pour lui permettre de faire valoir ses droits. Il y a lieu, par suite, de lui allouer l'intégralité de cette somme, sans qu'il faille lui appliquer, comme l'a fait le tribunal, le taux de perte de chance.

5. En deuxième lieu, il résulte notamment des conclusions de l'expert judiciaire que la perte fonctionnelle de l'oeil gauche a rendu M. D...inapte à l'emploi de maçon. Celui-ci est donc fondé à soutenir qu'il a perdu une chance de retrouver un emploi de maçon compte tenu de son expérience acquise antérieurement à son incarcération pendant dix ans au centre de détention de Montmédy. Toutefois, l'intéressé n'établit pas, par la seule production d'une réponse négative en janvier 2008 d'une société du bâtiment à sa demande d'emploi, qu'il avait une chance sérieuse d'obtenir l'emploi de maçon proposé par cette société s'il n'avait pas souffert de son handicap, eu égard notamment à son âge et à sa longue période d'inactivité. Par ailleurs, s'il se prévaut de sa dévalorisation sur le marché du travail et de la perte de retraite, il ne justifie pas avoir accompli des démarches en vue de retrouver un emploi dans un autre domaine d'activité, alors qu'il n'est pas inapte à tout emploi. Enfin, il résulte de l'instruction, notamment d'un courrier d'un conseiller d'insertion, que son absence de maîtrise du français rendait difficile toute perspective d'insertion. Ainsi, compte tenu de ces éléments et de l'âge de M. D...à la date de sa sortie de prison, soit 57 ans, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de l'incidence professionnelle résultant de la faute du centre hospitalier de Verdun en l'évaluant à la somme de 30 000 euros, et en lui allouant la somme de 24 000 euros, après application du taux de perte de chance.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux de M. D...:

6. En premier lieu, il résulte du rapport d'expertise que M. D...a subi un déficit fonctionnel temporaire total du 9 octobre 2007 au 10 décembre 2007 et un déficit fonctionnel temporaire partiel de 25 % du 11 décembre 2007 au 23 juillet 2009, soit pendant dix-neuf mois et douze jours. Les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante évaluation des préjudices subis par l'intéressé à ce titre en lui accordant, après application du taux de perte de chance, la somme de 2 240 euros.

7. En deuxième lieu, les souffrances endurées, pour la période antérieure à la consolidation, ont été évaluées par l'expert à 3 sur une échelle de 7, correspondant aux douleurs supportées au cours de l'été 2007 et du fait des deux interventions chirurgicales. Le tribunal a justement apprécié ce chef de préjudice en lui allouant à ce titre la somme de 2 800 euros, après application du taux de perte de chance.

8. En troisième lieu, il ressort des conclusions de l'expert judiciaire que M.D..., qui a perdu l'usage fonctionnel de son oeil gauche, reste atteint d'un déficit fonctionnel permanent évalué à 25 %. Eu égard à l'importance de ce dommage et à son âge à la date de consolidation, le tribunal n'a pas sous-estimé son préjudice en l'évaluant à la somme de 35 000 euros, et en lui allouant, après application du coefficient de perte de chance, la somme de 28 000 euros.

9. En quatrième lieu, l'expert a évalué à 2,5 sur une échelle de 7 le préjudice esthétique de M. D... résultant de la perte fonctionnelle de son oeil. Le tribunal administratif a fait une juste appréciation de ce préjudice en lui accordant la somme de 2 000 euros, après application du taux de perte de chance.

10. En dernier lieu, si M. D...fait valoir qu'il s'adonnait au vélo et à la pétanque avant la perte fonctionnelle de son oeil gauche, les premiers juges n'ont pas sous-évalué son préjudice d'agrément en lui accordant, après application du taux de perte de chance retenu, la somme de 2 800 euros.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. D...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a appliqué le taux de perte de chance au montant de ses frais d'assistance à l'expertise. Il y a lieu, en conséquence, de réformer le jugement, dans cette seule mesure, en portant la somme de 63 192 euros accordée à M. D...à celle de 63 530 euros.

Sur les dépens :

12. Le jugement attaqué, qui n'est pas contesté sur ce point par les parties, a mis à la charge du centre hospitalier de Verdun les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 800 euros. En dehors de ces frais, ni la première instance, ni l'instance d'appel n'ont généré d'autres dépens. Par suite, les conclusions présentées à ce titre par M. D...ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Verdun la somme dont M. D...demande le versement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 63 192 euros que le centre hospitalier de Verdun a été condamné à verser à M. D...par le jugement attaqué est portée à 63 530 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy no 1501935 du 29 décembre 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D...est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M.E..., au centre hospitalier de Verdun, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne et à la ministre de la solidarité et de la santé.

2

N° 17NC00411


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17NC00411
Date de la décision : 20/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité.

Travail et emploi - Conflits collectifs du travail.


Composition du Tribunal
Président : M. MARINO
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : CABINET REMY LE BONNOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2018-11-20;17nc00411 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award