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08/12/2020 | FRANCE | N°19NC01659

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 08 décembre 2020, 19NC01659


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 1er juin 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par son employeur, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 30 octobre 2017 et a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1801476 du 26 mars 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la demande de M. F....

Proc

édure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 mai 2019, M. C... F... repré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 1er juin 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par son employeur, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 30 octobre 2017 et a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1801476 du 26 mars 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la demande de M. F....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 mai 2019, M. C... F... représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1801476 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 26 mars 2019 ;

2°) d'annuler la décision de la ministre du travail du 1er juin 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision de la ministre du travail du 1er juin 2018 est entachée d'un vice de procédure, dès lors qu'elle n'a pas été précédée d'une enquête contradictoire ;

- la décision en litige est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, dès lors qu'elle procède au retrait la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par l'employeur, qui est créatrice de droits, sans avoir au préalable constaté son illégalité ;

- eu égard aux conditions dans lesquelles le travail litigieux lui a été demandé et les conditions dans lesquelles il a été amené à l'effectuer, les faits reprochés ne lui sont pas imputables et, en tout état de cause, ne revêtent pas une gravité suffisante pour justifier une mesure de licenciement pour motif disciplinaire ;

- la demande d'autorisation de procéder à son licenciement pour motif disciplinaire présente un lien avec l'exercice de son mandat représentatif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2019, la SAS Constantia Jeanne d'Arc, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête, à la condamnation de M. F... aux dépens d'instance et à la mise à sa charge d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 septembre 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Constantia Jeanne d'Arc est spécialisée dans la production d'emballages alimentaires souples imprimés. Elle est soumise à la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement. Engagé le 3 mars 2003, M. C... F... exerçait, en dernier lieu, au sein de cette société les fonctions de monteur de cylindres sur la base d'un contrat à durée indéterminée. Titulaire du mandat de délégué du personnel suppléant depuis le 19 mai 2014, il bénéficiait du statut de salarié protégé. Reprochant principalement au requérant d'avoir, le 12 septembre 2017 aux alentours de 23h30, provoqué un incendie dans les locaux de l'entreprise en nettoyant un bac de rétention en inox à l'aide d'une disqueuse électrique, sans être en possession, conformément aux règles de sécurité fixées par l'employeur, d'un permis feu signé par sa hiérarchie, la SAS Constantia Jeanne d'Arc, après avoir prononcé sa mise à pied à titre conservatoire le 13 septembre 2017, a sollicité, le 23 septembre 2017, l'autorisation de licencier l'intéressé pour motif disciplinaire. Par une décision du 30 octobre 2017, l'inspecteur du travail de la septième section d'inspection de l'unité départementale de la Haute-Marne a refusé de faire droit à cette demande au motif que les faits reprochés ne pouvaient être regardés comme étant imputables au salarié et, en tout état de cause, ne revêtaient pas une gravité suffisante pour justifier une mesure de licenciement. La société a formé contre cette décision un recours hiérarchique par un courrier du 13 novembre 2017, reçu le 16 novembre suivant. Et, par une nouvelle décision du 1er juin 2018, la ministre du travail a, d'une part, retiré la décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique née le 17 mars 2018 de son silence, d'autre part, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 30 octobre 2017, enfin, autorisé le licenciement de M. F... pour motif disciplinaire. Licencié le 14 juin 2018, le requérant a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 1er juin 2018. Il relève appel du jugement n°1801476 du 26 mars 2019, qui rejette sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2421-4 du code du travail, dans rédaction alors applicable : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. ". Aux termes de l'article R. 2422-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet. / Ce recours est introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur. / Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur ce recours vaut décision de rejet. ".

3. En vertu des dispositions de l'article R. 2421-4 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé doit procéder à une enquête contradictoire. Le caractère contradictoire de cette enquête impose à l'autorité administrative que le salarié protégé puisse notamment être mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande. Pour l'application de cette règle, le ministre chargé du travail, saisi d'un recours contre une décision relative au licenciement d'un salarié protégé sur le fondement de l'article R. 2422-1 du même code, doit communiquer le recours au tiers au profit duquel la décision contestée par ce recours a créé des droits, et recueillir ses observations. Si, en revanche, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire ni d'aucun principe que le ministre soit tenu de procéder à une enquête contradictoire au sens de l'article R. 2421-4, il en va autrement lorsque l'inspecteur du travail n'a pas lui-même respecté les obligations de l'enquête contradictoire et que, par suite, le ministre annule sa décision et statue lui-même sur la demande d'autorisation.

4. D'une part, il n'est pas établi, ni même allégué, que l'inspecteur du travail aurait méconnu les obligations de l'enquête contradictoire, laquelle s'est déroulée le 18 octobre 2017 dans les services de l'inspection du travail. D'autre part, il ressort des pièces du dossier et, plus particulièrement, du rapport de contre-enquête du 23 avril 2018 que M. F... a reçu communication du recours hiérarchique formé par la SAS Constantia Jeanne d'Arc par un courrier daté du 20 décembre 2017 et reçu le 22 décembre suivant. Il a également été entendu, le 24 janvier 2018, dans les locaux de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Grand Est et a bénéficié, à cette occasion, de l'assistance d'un délégué syndical. Enfin, il a été mis à même de présenter ses observations, par un courriel du 7 février 2018, sur les pièces produites par l'employeur lors de la contre-enquête, qui lui ont été préalablement transmises le 30 janvier 2018. Par suite, alors que la ministre du travail n'était nullement tenue en l'espèce de procéder à l'organisation d'une enquête contradictoire au sens des dispositions précitées de l'article R. 2421-4 du code du travail, le moyen tiré du vice de procédure, dont serait entachée la décision en litige, doit être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. ".

6. Il ressort des pièces du dossier que la ministre du travail a indiqué, au point 5 des motifs de la décision en litige du 1er juin 2018, que, " en concluant à l'absence d'imputabilité des faits fautifs reprochés, l'inspecteur du travail a commis une erreur d'appréciation et sa décision doit être annulée pour illégalité ". Elle a donc nécessairement considéré que la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par la SAS Constantia Jeanne d'Arc, qui confirme la décision de l'inspecteur du travail du 30 octobre 2017, était également illégale. Dans ces conditions, alors qu'il est constant que le retrait de cette décision est intervenu dans le délai de quatre mois suivant son édiction, la seule circonstance que son illégalité n'a pas été expressément relevée par la ministre ne suffit pas à démontrer que la décision en litige du 1er juin 2018 serait entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le moyen ne peut être accueilli.

7. En troisième lieu, en vertu des dispositions pertinentes du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

8. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, le 12 septembre 2017, alors qu'il prenait ses fonctions à 21 heures, M. F... a été chargé par son supérieur hiérarchique de nettoyer un bac de rétention en inox. Il n'est pas contesté que le requérant a, de sa seule initiative, délaissé les outils, mis à sa disposition pour procéder au décapage des résidus d'encre et de vernis amalgamés au fond de la cuve, pour aller chercher au service de la maintenance une disqueuse électrique puis utiliser cet outil sans être en possession d'un permis feu établi et signé par sa hiérarchie, alors même qu'une telle obligation est requise pour la réalisation de tous travaux par points chauds (soudure, meulage, découpe). Travaillant au sein d'une installation classée pour la protection de l'environnement, où les risques d'incendie sont importants, ayant suivi en 2006 une formation en matière de prévention incendie et ayant siégé, par le passé, au sein du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le requérant ne pouvait raisonnablement ignorer cette règle de sécurité instaurée dans l'entreprise et formalisée dans un document unique d'évaluation des risques et une fiche de prévention des incendies lors d'opération de maintenance interne, datée du 6 janvier 2016. Contrairement aux allégations de l'intéressé, la circonstance que le technicien de maintenance présent lui aurait remis la disqueuse électrique, sans s'assurer qu'il était en possession d'un permis feu, ne saurait équivaloir à une autorisation donnée par l'employeur, ni exonérer le salarié de sa propre responsabilité. Par suite, alors que le respect des règles de sécurité est rappelé, tant à l'article L. 4122-1 du code du travail, que dans le règlement intérieur de la SAS Constantia Jeanne d'Arc et le contrat de travail de M. F..., la ministre du travail n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant que les faits reprochés étaient établis, imputables à l'intéressé et fautifs.

9. D'autre part, outre que le requérant a déjà été sanctionné à plusieurs reprises par son employeur pour non-respect des consignes, il est constant que l'utilisation par l'intéressé d'une disqueuse électrique, en méconnaissance des règles de sécurité applicables dans l'entreprise, a provoqué un important incendie ayant entraîné, eu égard notamment à la présence à proximité d'un container de mille litres de solvants, une mise en danger de la vie d'autrui, une évacuation de l'ensemble du personnel et des dégâts matériels évalués à 15 000 euros. Contrairement aux allégations de M. F..., il ne ressort pas des pièces du dossier, nonobstant les stipulations de son contrat de travail et l'absence de fiche de poste en la matière, que la mission confiée par son supérieur hiérarchique n'entrait pas, eu égard aux dimensions du bac de rétention à nettoyer, dans ses tâches habituelles, mais relevait du service en charge de la maintenance, ni que les outils mis à sa disposition par sa hiérarchie n'étaient pas adaptés pour procéder au décapage des résidus d'encre et de vernis amalgamés au fond de la cuve. Si le requérant fait encore valoir qu'il souffre d'une rupture de la coiffe des rotateurs des épaules droite et gauche, prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels, qu'il s'est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé à compter du 1er novembre 2013 et qu'il bénéficie, depuis le 25 février 2015, d'une pension d'invalidité de première catégorie, il n'est pas établi que le nettoyage de ce bac était incompatible avec son état de santé et, plus particulièrement, avec les restrictions médicales énoncées par le médecin du travail dans ses avis des 13 octobre et 24 novembre 2016, lesquelles prohibaient les manutentions manuelles répétitives de charge et les gestes en surélévation des bras par rapport à l'horizontale. Par suite, à supposer même que M. F... n'aurait pas aspergé le fond de la cuve d'acétate d'éthyle, contrairement à ce que soutient son employeur, et qu'il aurait tenté immédiatement d'éteindre l'incendie, la ministre du travail n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant que les faits reprochés au salarié étaient suffisamment graves pour justifier son licenciement pour motif disciplinaire.

10. En quatrième et dernier lieu, en se bornant à faire valoir que son employeur lui aurait adressé, par le passé, un avertissement pour avoir, en sa qualité de délégué du personnel, présenté une réclamation auprès de sa hiérarchie concernant un salarié, M. F... ne démontre pas que la ministre du travail aurait commis une erreur d'appréciation en considérant que ce licenciement pour motif disciplinaire était sans lien avec le mandat représentatif détenu par l'intéressé.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision de la ministre du travail du 1er juin 2018. Par suite, il n'est pas davantage fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Sur les dépens :

12. La présente instance n'ayant pas généré de dépens, les conclusions présentées par la SAS Constantia Jeanne d'Arc en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

Sur les frais de justice :

13. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par M. F... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu non plus, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la SAS Constantia Jeanne d'Arc en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par M. F... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la SAS Constantia Jeanne d'Arc en application des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F..., à la SAS Constantia Jeanne d'Arc et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

N° 19NC01659 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC01659
Date de la décision : 08/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute. Existence d'une faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : SELARL WOIMBEE- VAN LINDEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-12-08;19nc01659 ?
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