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18/12/2020 | FRANCE | N°19NC01797

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 18 décembre 2020, 19NC01797


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 9 novembre 2016 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle Sud du Bas-Rhin a accordé à la société Sineu Graff l'autorisation de le licencier.

Par un jugement no 1700061 du 3 avril 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 juin 2019, M. D... C..., représenté par Me H..., demande à la cour :r>
1°) d'annuler ce jugement du 3 avril 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 9 novembre 2016 par l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 9 novembre 2016 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle Sud du Bas-Rhin a accordé à la société Sineu Graff l'autorisation de le licencier.

Par un jugement no 1700061 du 3 avril 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 juin 2019, M. D... C..., représenté par Me H..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 avril 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 9 novembre 2016 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle Sud du Bas-Rhin a accordé à la société Sineu Graff l'autorisation de le licencier ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête d'appel est recevable ;

- la preuve de la compétence de la personne signataire de la décision n'est pas établie ; il n'est pas établi que la signature est celle de l'inspectrice du travail dont le nom est mentionné ;

- la qualité de l'agent qui a réalisé l'enquête contradictoire n'est pas précisée ; il n'est pas établi que l'inspectrice du travail compétente aurait été absente ou empêchée durant toute la durée de l'enquête ;

- le grief tiré de la réitération d'un harcèlement à l'égard des subordonnés n'est pas établi et en tout état de cause les faits reprochés, qui remontaient à plus de deux mois, étaient prescrits ;

- le grief tiré du dénigrement de la gestion de l'entreprise et de son dirigeant n'est pas établi ;

- le grief tiré du harcèlement moral n'est pas établi ;

- la demande d'autorisation de licenciement n'est pas dépourvue de lien avec son mandat ;

- le motif disciplinaire invoqué à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement n'est pas le motif réel de son licenciement qui repose sur un motif économique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2020, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F...,

- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,

- et les observations de Me B... pour M. C....

1. M. C... a été recruté par la société Sineu Graff, en 1989, par un contrat à durée indéterminée pour exercer des fonctions d'attaché commercial. Il y occupait, en dernier lieu, les fonctions de directeur commercial et marketing. En cette qualité, il a travaillé sous la direction du président de la société, M. A... G..., puis à la suite de son départ à la fin de l'année 2015, sous celle de son fils E... G.... L'intéressé détenait les mandats de délégué du personnel et de membre du comité d'entreprise au sein de la délégation unique du personnel. Reprochant à M. C... un comportement inapproprié à l'égard du personnel et le dénigrement de son président, la société Sineu Graff a sollicité, le 12 septembre 2016, l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire. Par une décision du 9 novembre 2016, l'inspectrice du travail de la 8ème section de l'unité de contrôle n° 3 Sud du Bas-Rhin a autorisé ce licenciement. Par un jugement du 3 avril 2019, dont M. C... relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, M. C... reprend en appel les moyens tirés de ce qu'il n'est pas démontré que la personne qui a signé la décision en litige avait la qualité d'inspecteur du travail d'une part, et de ce que la signature est celle de l'inspectrice du travail dont l'identité est mentionnée dans la décision d'autre part. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus, à bon droit par les premiers juges, et qui n'appellent aucune précision, d'écarter ces moyens.

3. En deuxième lieu, la circonstance que la convocation du 21 septembre 2016 adressée à M. C... en vue d'un entretien avec l'inspectrice du travail, dans le cadre de l'enquête contradictoire, n'a pas été signée par cette dernière mais par une autre inspectrice du travail, compétente, en vertu d'un arrêté du 21 juin 2016 portant affectation des agents de contrôle dans les sections d'entreprise, publié au recueil des actes administratifs n° 13 du 11 juillet 2016, pour se substituer à l'inspectrice du travail en charge du contrôle des entreprises de la 8ème section de l'unité de contrôle n° 3 Sud, est par elle-même sans incidence sur la régularité de la procédure.

4. En troisième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

5. Il ressort des pièces du dossier que la société Sineu Graff a été informée, au plus tôt fin juin 2016, de l'attitude déstabilisatrice et de dénigrement systématique de M. C..., tant à l'égard du président de la société en exercice depuis décembre 2015, que de ses collaborateurs, par des courriers et un courriel de trois salariées. Dans leurs correspondances, ces salariées ont précisé les propos dénigrants et désobligeants que M. C... a tenus en leur présence à l'égard du président en exercice, qu'il présentait comme étant arrivé à la tête de la société grâce à son père, sans légitimité pour cette fonction, se désintéressant des autres et qu'il qualifiait d'incompétent. Ces salariées ont également relaté, de manière précise et circonstanciée, les propos désobligeants et vexatoires que M. C... a eus à leur encontre et envers d'autres salariés de la société, ainsi que son refus de fournir à ses collaborateurs des informations nécessaires à l'accomplissement de leur travail, de son obstruction à la réalisation des projets qu'ils proposaient et dont il s'attribuait ensuite les mérites, et de la remise en cause de leur travail, sans motif. Les témoignages, concordants et précis, de commerciaux et cadres, recueillis par l'inspectrice du travail dans le cadre de l'enquête contradictoire, ont corroboré le dénigrement systématique, par M. C..., du nouveau président de la société, l'attitude méprisante et les propos discriminants qu'il a eus à l'égard de certains de ses collaborateurs, notamment envers une commerciale revenant d'un congé de maternité qui, selon lui, n'était plus opérationnelle avec deux enfants et dont il fallait se séparer dès que possible. Il est par ailleurs constant que deux salariées, s'estimant victimes d'une dégradation de leurs conditions de travail du fait du comportement de M. C..., ont été placées en arrêt maladie. Si le requérant se prévaut des attestations de salariés, que l'inspectrice du travail a auditionnés, faisant état de leurs bonnes relations avec lui, l'un de ces témoignages ne manque pas de souligner que l'intéressé a parfois des propos " bruts de décoffrage " tandis que l'un des autres témoins n'avait pas de contact direct avec lui. Ces témoignages ne remettent ainsi pas en cause la matérialité des faits reprochés à M. C... qui, au vu des autres pièces du dossier, doit être tenue pour établie.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ".

7. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été indiqué au point 5, que le comportement de M. C... n'a été dénoncé au président de la société Sineu Graff que par un courrier du 29 juin 2016 que le conseil de l'une des salariées de la société lui a adressé, puis porté à sa complète connaissance par les courriers et courriels que cette salariée et deux autres salariées lui ont transmis au mois de juillet 2016. Ainsi, à la date à laquelle le président de la société Sineu Graff a engagé la procédure de licenciement, soit le 12 août 2016, sa connaissance des faits reprochés au requérant datait de moins de deux mois. Il s'ensuit que l'exception de prescription des faits énoncés au point 5, distincts de ceux pour lesquels le requérant avait fait l'objet d'une mise en garde en 2011, doit être écartée.

8. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... a été accusé, en 2011, d'avoir commis des faits similaires à ceux qui lui ont été reprochés en 2016 à l'égard d'un autre salarié et pour lesquels son employeur lui a adressé, le 19 juillet 2011, une lettre de mise en garde. Au demeurant, par un arrêt du 12 juillet 2016, la cour d'appel de Colmar a reconnu que ce salarié avait été victime de faits constitutifs d'un harcèlement de la part de M. C..., et a condamné la société Sineu Graff à l'indemniser de son préjudice. L'inspectrice du travail a ainsi, contrairement à ce que soutient M. C..., pu prendre en considération la réitération de ce comportement pour apprécier la gravité des griefs qui lui étaient reprochés.

9. En sixième lieu, pour les motifs qui ont été indiqués au point 8, l'employeur ne peut être regardé comme ayant toléré durant des années le comportement de M. C.... Il s'ensuit que ce dernier n'est pas fondé à se prévaloir de cette circonstance pour atténuer la gravité de ses agissements.

10. En septième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 8 que la réalité du motif disciplinaire est établie. Par suite, alors même qu'un plan de sauvegarde de l'emploi avait été mis en place antérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement, M. C... n'est pas fondé à soutenir que le motif réel serait de nature économique.

11. En huitième lieu, les griefs reprochés à M. C..., eu égard à son niveau hiérarchique, à leur caractère systématique et à leur réitération, présentent une gravité suffisante, comme l'ont relevé les premiers juges, pour justifier son licenciement.

12. En dernier lieu, M. C... soutient que la demande d'autorisation de licenciement est en lien avec le mandat qu'il détenait dès lors que le président de la société aurait essayé, lors des élections professionnelles de septembre 2015, de dissuader des salariés de voter pour lui. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre de l'enquête contradictoire, l'inspectrice du travail a interrogé sur ces pressions deux membres de la délégation unique du personnel qui ont déclaré ne pas avoir été témoins de tels agissements. Si M. C... fait valoir que deux autres représentants du personnel n'ont, opportunément, pas pu être joints par l'inspectrice du travail, il lui était loisible de solliciter de leur part des témoignages pour établir la réalité de ses allégations. Par ailleurs, le secrétaire du comité d'entreprise a indiqué, lors de son audition, que M. C... n'avait jamais exposé de difficulté concernant sa participation aux séances du comité d'entreprise. Par suite, le moyen tiré de l'existence d'un lien entre le mandat de délégué du personnel et membre du comité d'entreprise au sein de la délégation unique du personnel qu'il détenait et la procédure de licenciement engagée à son encontre doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Me H... pour M. D... C... en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020, à la société Sineu Graff et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

N° 19NC01797 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC01797
Date de la décision : 18/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique.


Composition du Tribunal
Président : M. REES
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : DIEUDONNE

Origine de la décision
Date de l'import : 09/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-12-18;19nc01797 ?
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