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10/05/2021 | FRANCE | N°18NC03191

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 10 mai 2021, 18NC03191


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS les Carrières de Cogna a demandé au tribunal administratif de Besançon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2016 par lequel le préfet du Jura a refusé de faire droit à sa demande tendant à obtenir l'autorisation d'exploiter une carrière sur le territoire de la commune de Cogna, d'autre part, de lui accorder l'autorisation d'exploiter cette carrière ainsi que les installations annexes et connexes qu'elle implique.

Par un jugement n° 1601501 du 27 septembre 2018, le tribunal adminis

tratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une req...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS les Carrières de Cogna a demandé au tribunal administratif de Besançon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2016 par lequel le préfet du Jura a refusé de faire droit à sa demande tendant à obtenir l'autorisation d'exploiter une carrière sur le territoire de la commune de Cogna, d'autre part, de lui accorder l'autorisation d'exploiter cette carrière ainsi que les installations annexes et connexes qu'elle implique.

Par un jugement n° 1601501 du 27 septembre 2018, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistré le 23 novembre 2018, et un mémoire en réplique, enregistré le 20 octobre 2020, la SAS les Carrières de Cogna, représentée par la SCP d'avocats Boivin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 27 septembre 2018 du tribunal administratif de Besançon ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2016 par lequel le préfet du Jura a refusé de lui délivrer l'autorisation d'exploiter une carrière sur le territoire de la commune de Cogna ;

3°) de lui délivrer l'autorisation d'exploiter sollicitée ;

4°) d'enjoindre au préfet de fixer les prescriptions techniques nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, dans un délai de mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation ;

- le rapport entre le projet de carrière et le schéma départemental des carrières (SDC) du Jura est un simple rapport de compatibilité ; le refus d'autorisation qui lui a été opposé est illégal dès lors que son projet est compatible avec ce schéma ;

- le SDC n'interdit pas l'exportation d'une partie de la production d'une carrière vers des territoires voisins ; en outre, ces territoires ne disposent pas des gisements de matériaux nécessaires à la couverture de leurs besoins ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, le projet de carrière se situe à proximité des principaux lieux de destination de ses matériaux et dans une zone ayant une vocation particulière d'échange avec ces derniers ; en toute hypothèse, il ne pouvait pas lui être opposé le fait que l'acheminement des matériaux se ferait par transport routier dans la mesure où il n'existe pas d'alternative ;

- son projet de carrière respecte le principe de proximité, qui doit être interprété à la lumière des circonstances économiques locales ;

- ce projet respecte l'objectif visant à limiter la multiplication des sites d'extraction ;

- la capacité de production du projet de carrière est en adéquation avec les besoins locaux ; à cet égard, le tribunal a inversé la charge de la preuve en estimant que la SAS les Carrières de Cogna aurait dû rapporter la preuve que la production du projet de carrière était en adéquation avec les besoins locaux.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 octobre 2020, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteure publique,

- et les observations de Me A..., pour la SAS Les carrières de Cogna.

Considérant ce qui suit :

1. Le 29 mai 2013, la SAS les Carrières de Cogna a sollicité du préfet du Jura la délivrance d'une autorisation d'exploiter une carrière de granulats de roches calcaires ainsi qu'une installation de concassage-criblage sur le territoire de la commune de Cogna. Par un arrêté du 12 juillet 2016, le préfet du Jura a refusé de faire droit à cette demande. La SAS les carrières de Cogna relève appel du jugement du 27 septembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et à la délivrance de l'autorisation sollicitée.

Sur la régularité du jugement :

2. Les premiers juges ont fait ressortir dans leur jugement les motifs de fait et de droit pour lesquels ils ont estimé, au regard de l'article L. 515-3 du code de l'environnement, que le projet de carrière porté par la SAS les carrières de Cogna était incompatible avec le schéma départemental des carrières du Jura. Ainsi, et alors même que, selon la société requérante, ils se seraient très largement appropriés les arguments et les termes utilisés par le préfet du Jura dans ses écritures devant le tribunal, les premiers juges ont mis le juge de cassation à même d'exercer son contrôle. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est insuffisamment motivé.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. / Les dispositions du présent titre sont également applicables aux exploitations de carrières au sens des articles L. 100-2 et L. 311-1 du code minier ". Aux termes de l'article L. 512-1 du même code : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier ". Enfin, l'article L. 515-3 de ce code, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, dispose : " Le schéma départemental des carrières définit les conditions générales d'implantation des carrières dans le département. Il prend en compte l'intérêt économique national, les ressources et les besoins en matériaux du département et des départements voisins, la protection des paysages, des sites et des milieux naturels sensibles, la nécessité d'une gestion équilibrée de l'espace, tout en favorisant une utilisation économe des matières premières. Il fixe les objectifs à atteindre en matière de remise en état et de réaménagement des sites (...) ". Il appartient au juge de plein contentieux d'apprécier, à la date à laquelle il statue, la compatibilité d'un projet de carrière avec les règles de fond posées par le schéma départemental ou régional des carrières prévu par l'article L. 515-3 du code de l'environnement.

4. Aux termes du point 5 du schéma départemental des carrières du Jura, Orientations prioritaires et objectifs à atteindre dans les modes d'approvisionnement des granulats : " 5.1. Définition d'une politique d'extraction des granulats : Des orientations et des objectifs doivent être définis afin de mettre en oeuvre une utilisation économe et rationnelle des matériaux. En effet, ces gisements de ressources minérales ne sont pas renouvelables et leur extraction est toujours source de nuisances et d'atteintes à l'environnement qu'il convient d'éviter ou de réduire. Il importe donc de préserver les gisements de matériaux de grande qualité et éviter leur gaspillage. Ceci est particulièrement vrai pour les matériaux alluvionnaires dont les ressources potentielles sont loin d'être inépuisables et sont soumises à des contraintes environnementales de plus en plus astreignantes, alors que les gisements de roches massives calcaires, répartis sur la plus grande partie du territoire départemental, sont considérables. Par ailleurs, la limitation des extractions de granulats dans les plaines alluviales est un objectif prioritaire des pouvoirs publics, au niveau national. Quatre voies principales sont envisageables pour réduire les extractions de granulats en milieu alluvionnaire : - utilisation plus rationnelle des matériaux en technique routière et VRD, - développement du processus de substitution des granulats alluvionnaires par des granulats de roches massives concassées, dans la fabrication des bétons, limitation des exportations, - recyclage des matériaux (...) 5.1.3. Définition d'une politique de régulation des flux de granulats : Le schéma départemental des carrières prend en compte l'intérêt économique national, les ressources et besoins en matériaux du département et des départements voisins, conformément aux dispositions du décret n° 94603 du 11 juillet 1994 et de la circulaire du 11 janvier 1995. a) Livraisons vers les départements voisins (...) Le Jura ne livre pas de granulats de roches massives calcaires dans les départements voisins qui, tous, possèdent des gisements de ce type. / b) Autres livraisons : Afin d'éviter le gaspillage de la ressource et de limiter les nuisances environnementales, il convient de réguler les flux hors du département et des départements voisins. La priorité devra toujours être donnée à la couverture des besoins locaux avant d'envisager une éventuelle exportation. Le nombre des carrières et leur importance doivent toujours dépendre des besoins du secteur correspondant. / Les sites concernés par ce marché devront être situés dans des zones ayant vocation traditionnelle d'échange, afin d'éviter des nuisances de transport trop importantes (...) 5.2. Conditions d'implantation de nouvelles carrières. 5.2.1. Règles générales : La carte schématique de l'annexe 1 montre que les carrières autorisées (productives ou non), sont nombreuses et assez bien réparties sur l'ensemble du territoire départemental (...) Les nouvelles autorisations de carrière seront instruites selon la procédure des Installations Classées pour la Protection de l'Environnement comprenant notamment une étude d'impact mais également une justification de l'adéquation entre les besoins locaux et les productions ".

5. Ces dispositions du schéma départemental des carrières du Jura, éclairées par le rapport de synthèse de ce même schéma, prévoit ainsi, au nombre de ses orientations prioritaires, que, d'une part, afin d'économiser les gisements, d'éviter la multiplication des carrières et de préserver l'environnement, toute implantation de nouvelles carrières de granulats dans le département du Jura est subordonnée à la justification de l'existence de besoins locaux dans ce département et les départements voisins, que, d'autre part, s'agissant spécifiquement des granulats de roches massives calcaires, la livraison de tels matériaux dans les départements voisins du Jura n'est justifiée ni pour les carrières existantes, ni pour d'éventuelles nouvelles carrières, dès lors que tous ces départements possèdent des gisements de ce type et qu'enfin, les flux hors du département du Jura et des départements voisins doivent eux-mêmes être limités, la priorité devant toujours être donnée à la couverture des besoins locaux sur une éventuelle exportation.

6. Si la société requérante soutient que son projet d'implantation de carrière à Cogna recouvre partiellement la zone d'extraction autrefois exploitée par la société Orsa Granulats Franche-Comté, qui aurait cessé son activé avant d'avoir épuisé la ressource géologique disponible, et met en avant la réutilisation possible des infrastructures routières existantes, ces circonstances n'ont pas pour effet d'ôter à sa demande le caractère d'une demande d'exploitation d'une nouvelle carrière au sens des dispositions précitées du schéma départemental des carrières du Jura, alors qu'il est constant que l'exploitation autorisée de l'ancienne carrière par la société Orsa Granulats Franche-Comté, dont il n'est au demeurant pas établi qu'elle recouvrirait les mêmes gisements, a pris fin en 1998, et que le site a d'ailleurs fait l'objet d'une remise en état.

7. Il résulte de l'instruction, notamment du projet de schéma départemental des carrières du Jura établi en juillet 2013, que le département du Jura comptait à cette date 44 carrières de granulats autorisées, dont 31 de roches calcaires, qu'il comportait une population de 260 244 habitants, en augmentation modeste mais régulière, se traduisant par des besoins croissants en matériaux, que ces besoins, évalués à 3 Mt de matériaux, étaient satisfaits par la production du département, relativement stable dans le temps, avec, en 2010, une production globale de 3,3 Mt de matériaux de roches massives et que, si des besoins exceptionnels en matériaux peuvent naître de la réalisation de grands travaux, peu de chantiers sont prévus dans le dix ans qui suivent. Il n'est pas établi que ces caractéristiques générales de la production de matériaux dans le Jura auraient été modifiées notablement depuis 2013. Il n'est en outre pas contesté qu'une dizaine de carrières de granulats sont déjà exploitées dans un rayon de quinze kilomètres autour de la commune de Cogna. Si la société requérante fait valoir que trois d'entre elles, situées à Charézier, Charcier et Largillay-Marsonnay, contrairement à son projet, n'exploitent que des matériaux alluvionnaires et que deux carrières, auparavant exploitées sur le territoire des communes de Lavancia-Epercy et de Jeurre auraient définitivement cessé leur activité, il ne résulte pas de l'ensemble de la situation existant dans le département du Jura que les besoins en matériaux, notamment en granulats de roches massives, ne pourraient pas y être couverts par les carrières existantes. En outre, comme le mentionne le schéma départemental des carrières du Jura, il ne saurait être fait état des besoins des départements voisins du Jura et, en tout état de cause, des cantons suisses voisins, en granulats de roches massives calcaires, dès lors que tous ces territoires possèdent des gisements de ce type, susceptibles d'être mobilisés, en quantité suffisante, pour couvrir leurs besoins. Au regard de l'ensemble de ces éléments, la SAS Les carrières de Cogna, qui se borne à produire des courriers émanant de deux entreprises locales indiquant que leurs besoins en matériaux s'élèveraient respectivement à 15 000 tonnes et 8 000 tonnes, n'établit pas que son projet d'implantation d'une carrière à Cogna répondrait aux besoins du département du Jura ou des départements voisins. Dès lors, son projet, quand bien même il répondrait à l'objectif du schéma départemental des carrières du Jura de limitation progressive des extractions de granulats d'origine alluvionnaire au profit de granulats de roches massives, n'est pas compatible avec les orientations prioritaires de ce schéma.

8. Eu égard à ce qui a été dit au point précédent, la SAS les carrières de Cogna ne soulève pas utilement les moyens tirés de ce que le schéma départemental des carrières n'interdirait pas les exportations de matériaux en dehors du département du Jura, de ce que le Pays de Gex dans le département de l'Ain, qui est un département voisin, et le canton de Vaud en Suisse connaîtraient d'importants besoins en matériaux, de ce que son projet de carrière appartiendrait au même secteur que ces lieux de destination de ses granulats, de ce que ces territoires formeraient une zone traditionnelle d'échanges et appartiendraient à l'aire de rayonnement opérationnel de la Conférence transjurassienne ou de ce que le projet d'implantation d'une carrière à Cogna respecterait le principe de proximité.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS les Carrières de Cogna n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté lui refusant l'autorisation d'exploiter une carrière et à ce que lui soit délivrée cette autorisation. Elle n'est par suite pas davantage fondée à demander à la cour de lui délivrer une telle autorisation et d'enjoindre au préfet du Jura de fixer les prescriptions techniques nécessaires à l'exploitation de la carrière envisagée.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la SAS les carrières de Cogna demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SAS les carrières de Cogna est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS les carrières de Cogna et à la ministre de la transition écologique.

2

N° 18NC03191


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC03191
Date de la décision : 10/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Mines et carrières - Carrières.

Nature et environnement - Installations classées pour la protection de l'environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : SCP BOIVIN et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-05-10;18nc03191 ?
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