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05/10/2021 | FRANCE | N°20NC03807

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 05 octobre 2021, 20NC03807


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Besançon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2020 par lequel le préfet du Jura lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai, et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de trois ans, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 22 septembre 2020 par lequel le même préfet l'a assigné à résid

ence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement nos 2001379 et 2001435...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Besançon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2020 par lequel le préfet du Jura lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai, et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de trois ans, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 22 septembre 2020 par lequel le même préfet l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement nos 2001379 et 2001435 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif de Besançon a rejeté ses demandes.

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Besançon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2020 par lequel le préfet du Jura lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai, et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de trois ans, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 22 septembre 2020 par lequel le même préfet l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement nos 2001382 et 2001436 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif de Besançon a rejeté ses demandes.

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Besançon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2020 par lequel le préfet du Jura lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai, et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de trois ans, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 22 septembre 2020 par lequel le même préfet l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement nos 2001383 et 2001437 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif de Besançon a rejeté ses demandes.

Mme C... E... a demandé au tribunal administratif de Besançon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2020 par lequel le préfet du Jura lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai, et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de trois ans, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 22 septembre 2020 par lequel le même préfet l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement nos 2001384 et 2001438 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif de Besançon a rejeté ses demandes.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 28 décembre 2020 sous le n° 20NC03807, M. A... E..., représenté par Me Bertin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 2001379 et 2001435 du tribunal administratif de Besançon du 29 septembre 2020 ;

2°) d'annuler les arrêtés contestés ;

3°) d'enjoindre au préfet du Jura de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 8 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, à renouveler dans l'attente du réexamen de son droit au séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocate en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;

- l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de son droit à être entendu et des dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- alors qu'il a fait valoir son état de santé, et avait déposé une demande d'admission au séjour à ce titre en février 2018, l'obligation de quitter le territoire français a été prise sans que le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'ait été préalablement consulté ;

- compte tenu de son état de santé et de sa situation familiale, l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du § 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, des articles L. 313-14 et L. 313-11-11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ;

- elle a été prise en méconnaissance de son droit à être entendu et des dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision d'assignation à résidence méconnaît les dispositions des articles L. 513-1-I et L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2021, le préfet du Jura conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.

L'instruction a été close le 22 juillet 2021.

II. Par une requête, enregistrée le 28 décembre 2020 sous le n° 20NC03809, Mme B... E..., représentée par Me Bertin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 2001382 et 2001436 du tribunal administratif de Besançon du 29 septembre 2020 ;

2°) d'annuler les arrêtés contestés ;

3°) d'enjoindre au préfet du Jura de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 8 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, à renouveler dans l'attente du réexamen de son droit au séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocate en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- compte tenu l'état de santé de son époux et de sa situation familiale, l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du § 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, des articles L. 313-14 et L. 313-11-11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ;

- elle a été prise en méconnaissance de son droit à être entendue et des dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision d'assignation à résidence méconnaît les dispositions des articles L. 513-1-I et L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2021, le préfet du Jura conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

L'instruction a été close le 22 juillet 2021.

III. Par une requête, enregistrée le 28 décembre 2020 sous le n° 20NC03812, Mme D... E..., représentée par Me Bertin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 2001383 et 2001437 du tribunal administratif de Besançon du 29 septembre 2020 ;

2°) d'annuler les arrêtés contestés ;

3°) d'enjoindre au préfet du Jura de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 8 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, à renouveler dans l'attente du réexamen de son droit au séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocate en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- compte tenu l'état de santé de son père et de sa situation familiale, l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du § 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, des articles L. 313-14 et L. 313-11-11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ;

- elle a été prise en méconnaissance de son droit à être entendue et des dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision d'assignation à résidence méconnaît les dispositions des articles L. 513-1-I et L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2021, le préfet du Jura conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

L'instruction a été close le 22 juillet 2021.

IV. Par une requête, enregistrée le 28 décembre 2020 sous le n° 20NC03825, Mme C... E..., représentée par Me Bertin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 2001384 et 2001438 du tribunal administratif de Besançon du 29 septembre 2020 ;

2°) d'annuler les arrêtés contestés ;

3°) d'enjoindre au préfet du Jura de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 8 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, à renouveler dans l'attente du réexamen de son droit au séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocate en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- compte tenu l'état de santé de son père et de sa situation familiale, l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du § 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, des articles L. 313-14 et L. 313-11-11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ;

- elle a été prise en méconnaissance de son droit à être entendue et des dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision d'assignation à résidence méconnaît les dispositions des articles L. 513-1-I et L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2021, le préfet du Jura conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

L'instruction a été close le 22 juillet 2021.

Monsieur et Mesdames E... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 24 novembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience

Le rapport de M. Rees, président, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées, nos 20NC03807, 20NC03809, 20NC03812 et 20NC03825, sont relatives à la situation des membres d'une même famille et présentent à juger de questions similaires. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

Sur la légalité des décisions énonçant les obligations de quitter le territoire français :

En ce qui concerne la décision prise à l'encontre de M. E... :

2. En premier lieu, en se bornant à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre est insuffisamment motivée, sans indiquer en quoi les considérations de droit et de fait ne constituent pas une motivation régulière, M. E... ne met pas la cour à même d'apprécier le bien-fondé de son moyen.

3. En deuxième lieu, les dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ne sont pas applicables aux décisions énonçant une obligation de quitter le territoire français, dont la procédure administrative et contentieuse est entièrement régie par les dispositions du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable.

4. En troisième lieu, le droit d'être entendu, qui est rappelé à l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Par contre, ce droit n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. E... a bénéficié, le 7 septembre 2020, d'un entretien en préfecture au sujet de sa situation et de la mesure d'éloignement envisagée à son encontre. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé, qui a déclaré comprendre le français et ne pas avoir besoin d'un interprète, aurait été empêché de présenter utilement ses observations, ni que ses observations n'auraient pas été fidèlement retranscrites dans le compte-rendu cet entretien. Dans ces conditions, et sans qu'ait la moindre incidence la circonstance que la décision contestée a été prise dès le lendemain de cet entretien, il n'est pas fondé à soutenir que son droit à être entendu aurait été méconnu.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi ". Aux termes de l'article R. 511-1 de ce code, alors applicable : " L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511-4 est constaté au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, même si elle n'a pas été saisie d'une demande de titre de séjour fondée sur les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable, l'autorité administrative qui dispose d'éléments d'informations suffisamment précis et circonstanciés établissant qu'un étranger résidant habituellement sur le territoire français est susceptible de bénéficier des dispositions protectrices du 10° de l'article L. 511-4 du même code doit, avant de prononcer à son encontre une obligation de quitter le territoire, recueillir préalablement l'avis du collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

7. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. E..., qui lors de son entretien du 7 septembre 2020 s'est borné à évoquer des " problèmes psychologiques ", ait par ailleurs porté à la connaissance du préfet, préalablement à la décision contestée, des informations suffisamment précises et circonstanciées pour établir qu'il était susceptible de bénéficier des dispositions protectrices précitées. S'il avait, auparavant, sollicité son admission au séjour en raison de son état de santé, cette demande a été présentée en février 2018, plus de deux ans et demi avant la décision en litige, et elle a été entretemps rejetée, sans qu'il ne conteste ce rejet ni ne fasse à nouveau valoir son état de santé auprès du préfet. Enfin, bien que les certificats médicaux des 11 septembre et 12 octobre 2020 qu'il produit puissent être admis dès lors qu'ils décrivent son état de santé à la date de la décision contestée, il ne peut pas utilement s'en prévaloir à l'appui du moyen qu'il soulève, dès lors que les informations qu'il comporte n'ont pas été portées à la connaissance du préfet avant qu'il ne se prononce.

8. En cinquième lieu, les dispositions des articles L. 313-14 et L. 313-11-11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction alors en vigueur, ne régissent que les décisions relatives au séjour, et ne sont pas applicables aux décisions énonçant une obligation de quitter le territoire français. Par conséquent, M. E... ne peut pas utilement en invoquer la méconnaissance.

9. En sixième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des certificats médicaux sommaires et non circonstanciés produits par le requérant, qu'à la date de la décision contestée, son état de santé était de nature à lui permettre de prétendre à la délivrance de plein droit du titre de séjour mentionné à l'article L. 313-11-11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction alors en vigueur, et par suite à faire obstacle à son éloignement.

10. En septième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. Il ressort des pièces du dossier que M. E..., ressortissant albanais né en 1968, est entré en France en compagnie de son épouse, de leurs cinq enfants, dont deux filles majeures, et du fils de l'une de ces dernières, en avril 2017, soit trois ans et demi seulement avant la décision contestée. Comme lui, son épouse et ses deux filles majeures, également en situation irrégulière, ont fait l'objet de précédentes mesures d'éloignement auxquelles elles n'ont pas déféré, et font l'objet de nouvelles mesures d'éloignement. Il ne justifie d'aucune autre attache personnelle ou familiale, ni d'aucune intégration particulière en France, où du reste il a fait l'objet, en avril 2018, d'une condamnation pénale pour des faits de vol aggravé. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il serait dans l'impossibilité de reconstituer sa cellule familiale dans son pays d'origine, où il ne démontre pas être dépourvu de toute attache personnelle et familiale, alors qu'il y a vécu jusqu'à l'âge de 49 ans et ne l'a quitté que trois ans et demi avant que ne soit prise la décision contestée. Dans ces conditions, M. E... n'est pas fondé à soutenir que le préfet a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a décidé de l'obliger à quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.

12. En huitième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

13. M. F... ne peut pas utilement invoquer la méconnaissance de ces stipulations en ce qui concerne ses deux filles majeures. S'agissant de ses trois enfants mineurs, la décision contestée n'a ni pour objet, ni pour effet de les séparer de M. F... ou de son épouse, qui elle aussi fait l'objet d'une mesure d'éloignement. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que les enfants mineurs du requérant ne pourraient pas poursuivre leur scolarité dans leur pays d'origine. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.

14. En neuvième et dernier lieu, pour les mêmes raisons que celles indiquées aux points 9, 11 et 13, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.

En ce qui concerne les autres obligations de quitter le territoire français :

15. Pour les mêmes raisons que celles indiquées aux points 8 à 14, ne peuvent qu'être écartés les moyens soulevés par Mmes B..., D... et C... F..., tirés de méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du § 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, des articles L. 313-14 et L. 313-11-11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, et de l'erreur manifeste d'appréciation.

Sur la légalité des décisions fixant le pays de destination :

16. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

17. Les requérants font valoir les risques qu'ils encourent dans leur pays en raison du veuvage de Mme D... E... et de l'application du droit dit " kanun ". Toutefois, les deux rapports qu'ils produisent remontent à 2004 et 2010, et il en ressort qu'à l'époque déjà, ce droit n'était plus d'application générale en Albanie et y était contredit par le droit commun. Par conséquent, ces éléments ne sauraient suffire à démontrer qu'ils seraient personnellement exposés à un risque quelconque à ce titre. Dans ces conditions, et alors que les instances chargées de l'asile, auprès desquelles ils ont déjà fait valoir les mêmes risques, ne les ont pas jugés crédibles, leur moyen tiré de la méconnaissance des stipulations et dispositions précitées doit être écarté.

Sur la légalité des interdictions de retour sur le territoire français :

18. En premier lieu, les requérants font valoir que le préfet a insuffisamment motivé sa décision en ce qu'il ne s'est pas expressément prononcé sur le critère de la menace à l'ordre public, prévu par les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur version alors en vigueur. Toutefois, le préfet n'ayant pas retenu la menace à l'ordre public au nombre des motifs de ses décisions, il n'a pas entaché ces dernières d'une insuffisance de motivation en s'abstenant de le préciser expressément.

19. En deuxième lieu, pour la même raison que celle indiquée au point 3, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ne peut pas être utilement invoqué. Par ailleurs, M. E... et Mmes B..., D... et C... F... ont bénéficié d'un entretien en préfecture le 7 septembre 2020, où ils ont été mis à même de présenter utilement leurs observations au sujet de la mesure en litige. Dès lors, ils ne sont pas fondés à soutenir que leur droit à être entendus a été méconnu.

Sur la légalité des décisions d'assignation à résidence :

20. En premier lieu, les dispositions du I de l'article L. 513-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, ne sont pas applicables aux décisions d'assignation à résidence. Par suite, le moyen tiré de leur méconnaissance ne peut qu'être écarté comme inopérant.

21. En second lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable (...) ".

22. Les requérants font valoir que leur éloignement ne demeure pas une perspective raisonnable, dès lors qu'aucun d'entre eux ne dispose d'un passeport et que le préfet ne justifie pas avoir obtenu pour eux des laissez-passer consulaires. Toutefois, lors de leurs entretiens du 7 septembre 2020 en préfecture, chacun d'entre eux a déclaré détenir un passeport, les compte-rendu précisant que ceux de Mme B... E..., qui a refusé de remettre le sien, et de Mmes D... et C... F..., qui ont accepté de remettre les leurs, sont valables jusqu'en 2025. Du reste, les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides mentionnent également que les intéressés ont présenté leurs passeports. Par conséquence, le moyen manque en fait et doit être écarté.

23. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par M. F... et Mmes B..., D... et C... F..., ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins d'injonction, d'astreinte et d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1 : Les requêtes nos 20NC03807, 20NC03809, 20NC03812 et 20NC03825, présentées par M. E... et Mmes B..., D... et C... F..., sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E..., Mme B... E..., Mme D... E... et Mme C... E..., ainsi qu'au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Jura.

N° 20NC03807-20NC03809-20NC03812-20NC03825 10


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03807
Date de la décision : 05/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. REES
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : BERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-10-05;20nc03807 ?
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