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21/10/2021 | FRANCE | N°19NC00017

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 21 octobre 2021, 19NC00017


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Tomblaine a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner in solidum les sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design à lui verser la somme totale de 1 205 184,66 euros à titre d'indemnisation.

Par un jugement n° 1602965 du 6 novembre 2018, le tribunal administratif de Nancy a condamné solidairement les sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design à verser à la commune de Tomblaine la somme de 165 425,16 euros, les sociétés Cholley et Samia Devianne à garanti

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Tomblaine a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner in solidum les sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design à lui verser la somme totale de 1 205 184,66 euros à titre d'indemnisation.

Par un jugement n° 1602965 du 6 novembre 2018, le tribunal administratif de Nancy a condamné solidairement les sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design à verser à la commune de Tomblaine la somme de 165 425,16 euros, les sociétés Cholley et Samia Devianne à garantir la société Metapolis Global Design à hauteur, respectivement, de 15 % et 50 % de cette somme, les sociétés Cholley et Metapolis Global Design à garantir la société Samia Devianne à hauteur, respectivement, de 15 % et 35 % de cette somme, et la commune de Tomblaine à verser la somme de 10 916,15 euros à la société Samia Devianne.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 janvier 2019 et 13 août 2020, la société Samia Devianne, représentée par Me Samama Samuel, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1602965 du tribunal administratif de Nancy du 6 novembre 2018 en ce qu'il l'a condamnée, solidairement avec la société Metapolis Global Design, à verser à la commune de Tomblaine la somme de 165 425,16 euros augmentée des intérêts de retard, ainsi que des frais d'expertise, et en ce qu'il a condamné les sociétés Cholley et Metapolis Global Design à la garantir de cette condamnation à hauteur, respectivement, de 15 % et 35 % ;

2°) de rejeter la demande de la commune de Tomblaine ;

3°) subsidiairement, de condamner la société Metapolis Global Design, la société Donzé et Me Guigon, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Cholley Ingénierie, à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre, et de confirmer le jugement pour le surplus ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Tomblaine la somme de 10 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande présentée par la commune devant le tribunal est insuffisamment motivée, et aurait dès lors dû être rejetée comme étant irrecevable ;

- sa responsabilité ne peut pas être engagée à la fois au titre d'un manquement à ses obligations contractuelles et d'un manquement à son obligation de conseil, alors qu'il s'agit de deux fondements juridiques distincts ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu sa responsabilité contractuelle vis-à-vis de la commune, alors que la norme NF EN 13200-1 ne s'applique pas aux salles culturelles et que la tribune qu'elle a réalisée est conforme aux prescriptions du cahier des clauses techniques particulières du lot n° 8 " tribunes - gradins rétractables " et de la norme NF EN 13200-5 ;

- elle n'a pas manqué à son obligation de conseil, alors qu'il n'existe pas de norme de visibilité pour ce type de salle, qu'elle n'était pas à même d'apprécier les conditions de visibilité depuis sa tribune en l'absence d'information sur la hauteur de l'estrade de la scène et qu'elle a formulé des propositions pour améliorer la visibilité ; le manquement qui lui est reproché est sans lien avec le dommage, dès lors que celui-ci trouve sa cause dans la conception de l'ouvrage, laquelle a été actée avant son intervention ;

- la commune, qui assurait la conduite de l'opération et qui a décidé en toute connaissance de cause, et en dépit des difficultés de visibilité qui lui avaient été signalées, d'approuver la conception du projet, est l'unique responsable du dommage dont elle demande réparation, et ne peut dès lors pas rechercher la responsabilité des autres constructeurs ;

- c'est à tort qu'en l'absence de faute commune, le tribunal a prononcé sa condamnation solidaire avec la société Metapolis Global Design ;

- le coût des travaux de réfection ne saurait être évalué sur la base de la réalisation d'une tribune parabolique, alors que cet ouvrage n'est pas prévu par le marché et qu'elle ne peut être condamnée qu'à rendre sa tribune conforme aux stipulations de ce dernier ;

- le trouble de jouissance et le préjudice d'image invoqués par la commune ne sont pas établis ;

- la part de responsabilité mise à sa charge par le tribunal est excessive, alors que le désordre en litige résulte exclusivement de la conception défectueuse de l'ouvrage.

Par des mémoires, enregistrés les 18 mars 2019 et 24 juin 2020, la société Metapolis Global Design, représentée par Me Zine, demande à la cour :

A titre principal :

1°) d'annuler le jugement n° 1602965 du tribunal administratif de Nancy du 6 novembre 2018 ;

2°) de la mettre hors de cause et de rejeter les demandes de la commune de Tomblaine et des autres parties dirigées contre elle ;

3°) de condamner la commune de Tomblaine à lui verser la somme de 65 257,33 euros ;

4°) de condamner la société Donzé à lui verser la somme de 1 000 euros ;

5°) de mettre à la charge de toute partie perdante, le cas échéant in solidum, la somme de 4 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Subsidiairement :

6°) de condamner solidairement Me Guigon, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Cholley Ingénierie, la société Donzé et la société Samia Devianne à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

7°) de fixer la créance de la société Metapolis Global Design pour laquelle Me Guigon, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Cholley Ingénierie, sera tenu de la garantir au passif de la liquidation judiciaire de cette société ;

8°) de mettre à la charge de la commune de Tomblaine un tiers de l'ensemble du montant des condamnations ;

Plus subsidiairement :

9°) de réformer le partage de responsabilités, sans que sa part de responsabilité n'excède 10 % ;

10°) de fixer la créance de la société Metapolis Global Design pour laquelle Me Guigon, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Cholley Ingénierie, sera tenu de la garantir au passif de la liquidation judiciaire de cette société ;

11°) de mettre à la charge de la commune de Tomblaine un tiers de l'ensemble du montant des condamnations.

Elle soutient que :

- sa responsabilité contractuelle n'est pas engagée vis-à-vis de la commune, dès lors que les règles de visibilité fixées par la norme NF EN 13200-1 ne sont pas applicables, que les prescriptions de la norme NF EN 13200-5 sont respectées, et que le simple inconfort visuel de certains spectateurs ne constitue pas un désordre caractérisant un défaut de conformité de l'ouvrage par rapport aux stipulations contractuelles ;

- la commune, qui assurait la conduite de l'opération, a décidé en toute connaissance de cause, alors que les difficultés de visibilité qui lui avaient été signalées dès la conception de l'ouvrage, de maintenir le nombre de places prévues dans son programme, sans modifier les contraintes liées à la configuration de la salle, notamment sa hauteur ;

- les préjudices de la commune ne sont pas établis, dès lors que la salle est exploitable et utile ;

- subsidiairement, la société Cholley, à laquelle le défaut de conception est exclusivement imputable, et la société Samia Devianne, qui n'a émis aucune réserve sur cette conception, doivent la garantir des condamnations prononcées à son encontre ; plus subsidiairement, sa part de responsabilité par rapport à celle des autres constructeurs ne saurait excéder 10 % ;

- la commune doit être condamnée à lui rembourser la somme de 65 257,33 euros qu'elle lui a versée en exécution du jugement attaqué ;

- la société Donzé doit être condamnée à lui rembourser la somme de 1 000 euros qu'elle lui a versée en exécution du jugement attaqué.

Par un mémoire, enregistré le 15 mai 2019, Me Pascal Guigon, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Cholley Ingénierie SAS, représenté par Me Chardonnens, demande à la cour :

A titre liminaire :

1°) de rejeter les conclusions de la société Metapolis Global Design tendant à voir sa créance fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Cholley Ingénierie SAS ;

A titre principal :

2°) de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a retenu la responsabilité de société la Cholley Ingénierie SAS ;

3°) de rejeter les conclusions de la société Metapolis Global Design tendant à ce qu'elle la garantisse des condamnations prononcées à son encontre ;

A titre subsidiaire :

4°) de réformer le jugement attaqué en ce qu'il fixe sa part de responsabilité à 15 % et de limiter cette part de responsabilité à 3 %, ou subsidiairement 11,11 % ;

En tout état de cause :

5°) de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il rejette les conclusions de la commune de Tomblaine relatives à l'indemnisation du trouble de jouissance et du préjudice d'image, et en ce qu'il retient l'option n° 3 relative à la mise en œuvre de gradins paraboliques ;

6°) de condamner solidairement les sociétés Metapolis Global Design et Samia Devianne à le garantir, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Cholley Ingénierie SAS, contre toute condamnation mise à sa charge ;

7°) de rejeter les conclusions de toutes natures dirigées contre lui ;

8°) de mettre à la charge des sociétés Metapolis Global Design et Samia Devianne la somme de 2 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a fait droit aux appels en garantie des sociétés Metapolis Global Design et Samia Devianne, dès lors que les créances de ces dernières, faute d'avoir été régulièrement déclarées à la procédure collective, lui sont inopposables, en application de l'article L. 622-26 du code de commerce ;

- en application de l'acte d'engagement du marché de maîtrise d'œuvre, la société Cholley n'est tenue à aucune garantie vis-à-vis de la société Metapolis Global Design ;

- elle n'a commis aucune faute, dès lors qu'il n'était ni dans sa mission, ni dans ses compétences, de s'assurer de la conformité des plans par rapport aux normes applicables, ni de la faisabilité du projet architectural ;

- subsidiairement, sa part de responsabilité ne saurait être supérieure à 3 %.

Par des mémoires, enregistrés les 16 mai 2019, 7 mai, 13 juillet et 8 septembre 2020, la commune de Tomblaine, représentée par Me Tadic, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Samia Devianne ;

2°) d'annuler le jugement attaqué en ce que, d'une part, il limite à 165 425,16 euros la somme mise à la charge des sociétés Metapolis Global Design et Samia Devianne et, d'autre part, il la condamne à verser la somme de 10 916,15 euros à la société Samia Devianne ;

3°) de condamner solidairement les sociétés Metapolis Global Design et Samia Devianne à lui verser la somme de 1 085 184,66 euros au titre du préjudice résultant pour elle des travaux inutilement réalisés, la somme de 100 000 euros au titre de son trouble de jouissance et la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice d'image ;

4°) d'assortir ces condamnations des intérêts de retard au taux légal à compter de l'introduction de sa demande auprès du tribunal, et de la capitalisation de ces intérêts ;

5°) de mettre à la charge des sociétés Metapolis Global Design et Samia Devianne une somme de 3 000 euros chacune en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et de les condamner solidairement aux entiers dépens de l'instance, y compris les frais d'expertise.

Elle soutient que :

- ni le déploiement des gradins, ni les nez de marche des escaliers d'accès aux places assises ne satisfont aux prescriptions du cahier des clauses techniques particulières du marché relatif au lot n°8 " tribunes - gradins rétractables " ;

- la norme NF EN 13200-1 est applicable et a été méconnue, et en tout état de cause, la tribune réalisée par la société Samia Devianne n'assure pas le confort des spectateurs en ce qui concerne la vision vers la scène, comme l'exige l'article 1.6.3 du cahier des clauses techniques particulières ;

- le maître d'œuvre a failli à sa mission en lui proposant de prononcer la réception de l'ouvrage ;

- aucune faute ne peut lui être reprochée dans ses choix de programmation, alors que le maître d'œuvre ne l'a jamais alertée sur d'éventuels problèmes de visibilité résultant de la configuration de la salle, qu'elle ne s'est jamais opposée à un rehaussement du bâtiment, lequel était juridiquement et techniquement possible ;

- c'est à tort que le tribunal a limité son indemnisation en en basant le calcul sur la solution d'installation d'une tribune parabolique rétractable, alors que la faisabilité de cette solution n'est pas établie ; son indemnisation, qui doit être calculée sur la base de la solution consistant à adapter le bâtiment afin de réaliser une structure de gradins plus haute, doit être fixée à la somme de 1 085 184,66 euros ;

- son trouble de jouissance est établi et sa réparation doit être fixée à la somme de 100 000 euros ;

- son préjudice d'image est établi et sa réparation doit être fixée à la somme de 20 000 euros.

Par un mémoire, enregistré le 26 août 2019, la société EURL Philippe Donzé, représentée par Me Lebon, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) à titre subsidiaire, en cas d'annulation du jugement en tout ou partie et de mise en cause de sa responsabilité, de condamner la société Samia Devianne et la société Metapolis Global Design à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre, sans que sa part de responsabilité n'excède 3 % ou 6,5 % ;

3°) de mettre à la charge des sociétés Metapolis Global Design et Samia Devianne, solidairement, une somme de 4 500 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son intervention, préalable à la conception et à la réalisation de l'ouvrage, s'est limitée aux études d'esquisse et de diagnostic, et n'a pas porté sur la problématique de la visibilité ;

- le déploiement des gradins ne présente aucune anomalie et le défaut relatif aux nez de marche des escaliers d'accès aux places assises n'est à l'origine d'aucun préjudice ; la commune n'en demande d'ailleurs pas l'indemnisation ;

- la commune ne peut pas rechercher la responsabilité des constructeurs du fait des problèmes de visibilité depuis la tribune, dès lors qu'en sa qualité de conducteur d'opération, elle a défini et suivi le programme de l'opération, et imposé, en toute connaissance de cause, la configuration de la salle à l'origine de ces problèmes ;

- les règles de visibilité fixées par la norme NF EN 13200-1 ne sont pas applicables, s'agissant d'une salle culturelle ;

- l'inconfort visuel des spectateurs n'est pas établi ;

- les troubles de jouissance et le préjudice d'image ne sont pas établis ;

- s'agissant des travaux de réfection, les prétentions de la commune sont excessives, le montant de la réparation devant être calculé sur la base de la solution d'installation d'une tribune parabolique rétractable ;

- subsidiairement, compte tenu des fautes de la commune et de la société Samia Devianne, la part de responsabilité des maîtres d'œuvre ne saurait excéder 20 % ;

- en l'absence de clause prévoyant la solidarité entre tous les membres du groupement de maîtrise d'œuvre, la société Metapolis Global Design ne peut pas l'appeler en garantie ; en outre, elle ne lui impute aucune faute ;

- le cas échéant, sa part de responsabilité ne saurait excéder 3 % ou 6,5 %.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rees, président,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Samama, pour la société Samia Devianne, de Me Tadic, pour la commune de Tomblaine ainsi que celles de Me Frey, pour la société Philippe Donzé.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 27 juin 2009, la commune de Tomblaine a confié la maîtrise d'œuvre de l'opération de restructuration de son espace socio-culturel Jean Jaurès à un groupement conjoint constitué, notamment, par la société Metapolis Global Design, architecte et mandataire solidaire, la société Donzé, architecte associé, et la société Cholley Ingénierie, économiste. Par acte d'engagement du 18 juin 2012, les travaux du lot n° 8 " tribunes - gradins rétractables " ont été confiés à la société Samia Devianne. Estimant ces gradins télescopiques non conformes à ses exigences contractuelles, pour l'essentiel en raison d'un problème de visibilité de la scène de la salle Léo Ferré de l'espace socio-culturel, la commune n'a pas prononcé la réception des travaux, a obtenu du tribunal administratif de Nancy la désignation d'un expert, qui a déposé son rapport le 4 mai 2015, et a, au vu des conclusions de ce rapport, recherché la responsabilité des sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design devant ce tribunal.

2. La société Samia Devianne relève appel du jugement du 6 novembre 2018 par lequel ce tribunal l'a condamnée, solidairement avec la société Metapolis Global Design, à verser à la commune de Tomblaine la somme de 165 425,16 euros, et à garantir la société Metapolis Global Design à hauteur de 50 % de cette somme.

3. Par voie d'appel incident, s'agissant de la société Samia Devianne, et d'appel provoqué, s'agissant de la société Metapolis Global Design, la commune de Tomblaine demande à la cour de porter le montant de la condamnation solidaire de ces dernières à la somme de 1 205 184,66 euros, et d'annuler le jugement attaqué en ce qu'il la condamne à verser la somme de 10 916,15 euros à la société Samia Devianne au titre du solde de son marché.

4. Par voie d'appel incident, s'agissant de la société Samia Devianne, et d'appel provoqué, s'agissant des autres intimés, la société Metapolis Global Design demande à la cour d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a retenu sa responsabilité, de rejeter la demande de la commune dirigée contre elle, de condamner cette dernière à lui rembourser la somme de 65 257,33 euros, et la société Donzé, la somme de 1 000 euros, versées en exécution du jugement, et de condamner les constructeurs à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.

5. Par voie d'appel incident, s'agissant de la société Samia Devianne, et d'appel provoqué, s'agissant des autres intimés, Me Guigon, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Cholley Ingénierie, demande à la cour de réformer le jugement en tant qu'il a retenu la responsabilité de cette société et l'a condamné à garantir les sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design, et de condamner les autres constructeurs, à l'exception de la société Donzé, à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.

6. Par voie d'appel incident, s'agissant de la société Samia Devianne, et d'appel provoqué, s'agissant de la Metapolis Global Design, la société Donzé demande, à titre subsidiaire, que ces dernières soient condamnées à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.

Sur la recevabilité de la demande présentée par la commune devant le tribunal :

7. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge ".

8. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la commune a expressément fondé sa demande de condamnation solidaire des sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design sur la responsabilité contractuelle de ces dernières. Par suite, le moyen soulevé par la société Samia Devianne, tiré de ce que la demande de la commune aurait dû être rejetée par le tribunal comme irrecevable du fait de son défaut de motivation sur ce point, manque en fait et doit être écarté.

Sur la responsabilité des sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design :

En ce qui concerne les désordres relatifs à l'écart entre les sièges et la largeur de l'accès aux gradins, au déploiement des gradins et aux nez de marche :

9. Si la commune fait valoir que ni le déploiement des gradins, ni les nez de marche des escaliers d'accès aux places assises ne satisfont aux prescriptions du cahier des clauses techniques particulières du marché relatif au lot n° 8 " tribunes - gradins rétractables ", ces manquements, pour lesquels elle ne sollicite aucune réparation, sont sans lien avec les indemnités qu'elle réclame devant la cour.

En ce qui concerne le désordre relatif au manque de visibilité :

S'agissant des obligations contractuelles de la société Samia Devianne relatives au confort visuel des spectateurs :

10. Le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot n° 8 " tribune gradins rétractables ", qui prévoit que la salle Léo Ferré doit pouvoir accueillir 502 spectateurs, dont 26 sur sièges fixes et 476 sur tribune télescopique, impose à ses articles 1.2.1 et 2.1.2 que cette tribune soit " conforme à la norme NFP 90-501 / EN 13200 - classe TA ". La norme EN 13200 comprend plusieurs parties, présentées sous le titre général " installations pour spectateurs ", dont la cinquième (NF EN 13200-5) est relative aux tribunes télescopiques. L'article 5.3 de cette norme NF EN 13200-5 précise que : " Les exigences et les recommandations relatives aux lignes de visibilité sont données dans l'EN 13200-1 ". Si l'article 1er de cette norme NF EN 13200-1, qui en définit le domaine d'application, indique qu'elle " spécifie les exigences de conception relatives aux installations pour spectateurs ou des lieux de divertissement permanents ou temporaires, y compris les stades sportifs, les salles de sport, les installations intérieures et les installations extérieures, l'objectif visé étant d'en assurer la fonctionnalité ", il précise également que " d'autres lieux permanents comme les théâtres, les salles de cinéma, les opéras, les amphithéâtres et autres salles similaires sont exclus de la présente norme ". En l'absence, dans l'une ou l'autre de ces normes, d'indication expresse contraire à cette exclusion en ce qui concerne les tribunes télescopiques, il résulte de la combinaison de ces dispositions que le renvoi opéré par l'article 5.3 de la norme NF EN 13200-5 n'a pas pour objet ou pour effet de rendre applicables à ces tribunes, lorsqu'elles sont installées dans des lieux que la norme NF EN 13200-1 exclut de son champ d'application, les exigences et les recommandations relatives aux lignes de visibilité fixées par cette dernière. Cette exclusion n'est pas contredite par le CCTP du lot n° 8, qui se borne à exiger le respect de la norme EN 13200, sans apporter de précision sur l'application des exigences et des recommandations relatives aux lignes de visibilité fixées par la norme NF EN 13200-1.

11. Il résulte de l'instruction, en particulier du programme établi par la commune, qui en fournit la définition fonctionnelle, qu'au sein de l'espace socio-culturel Jean Jaurès, la salle Léo Ferré est une salle de représentations de théâtre et de spectacles culturels divers, équipée de gradins rétractables permettant de laisser un espace dégagé pour d'autres activités. Le même document évoque, à ce titre, des " manifestations culturelles (théâtre, concert, chorale...) et artistiques, conférences, repas... ". Compte tenu de la fonction principalement attribuée à cette salle, et alors même qu'elle peut se prêter à une utilisation polyvalente, elle doit être regardée comme un lieu exclu de la norme NF EN 13200-1. Par suite, la société Samia Devianne est fondée à soutenir que les exigences et les recommandations relatives aux lignes de visibilité prévues par cette norme ne sont pas applicables dans le cadre de son marché.

12. En revanche, ainsi que le fait valoir la commune de Tomblaine, l'article 1.6.3 du CCTP du lot n° 8 impose également, indépendamment du respect de la norme NF EN 13200, que soit garanti le " confort des spectateurs en ce qui concerne la vision vers la scène ".

S'agissant de la réalité et de la qualification du désordre :

13. La société Metapolis Global Design fait valoir que l'insuffisance de visibilité de la scène depuis les gradins en litige constitue un simple inconfort et non un désordre dont la commune pourrait demander la réparation.

14. Il résulte de l'instruction, notamment du constat d'huissier dressé le 12 mai 2014 et des constats de l'expert judiciaire, que les gradins télescopiques en litige n'offrent pas une visibilité optimale de la scène, le spectateur voyant son champ de vision de la scène obstrué en partie, voire totalement depuis certains points de vue, par la tête du spectateur situé immédiatement devant lui. La circonstance que l'huissier ait effectué ses constats au vu d'une scène se trouvant au niveau du sol, et non installée sur l'estrade d'une hauteur de 1 mètre également utilisée dans la salle, est sans incidence sur la pertinence de ces constats, dès lors que, ainsi que l'indique elle-même la société Metapolis Global Design, aucune stipulation contractuelle ne détermine l'altimétrie de la scène, ni par suite une hauteur de référence pour en vérifier la visibilité depuis les gradins. Par ailleurs, ce phénomène, relevé tant par l'huissier que par l'expert, et qui n'est du reste pas contesté par les autres constructeurs, est généralisé. Il est, du reste, constant qu'il résulte de l'insuffisance de la pente des gradins, dont la hauteur a été limitée à 3,20 mètres en raison d'une hauteur sous plafond du bâtiment existant de 5,95 mètres, alors que, selon l'expert, la mise en place d'une tribune télescopique pour quelque 500 personnes dans cette salle aurait nécessité, pour que soit assuré leur confort visuel, une hauteur de gradins de plus de 6 mètres.

15. Dans ces conditions, l'insuffisance de visibilité de la scène depuis les gradins en litige constitue un désordre au regard des stipulations de l'article 1.6.3 du CCTP du lot n° 8.

S'agissant des responsabilités :

Quant à la responsabilité de la société Samia Devianne :

16. Ainsi qu'il a été dit au point 11, la société Samia Devianne n'était pas contractuellement tenue au respect de la norme NF EN 13200-1. Par suite, elle n'a pas commis de faute en réalisant un ouvrage non-conforme à cette norme.

17. Par ailleurs, si l'ouvrage réalisé par la société Samia Devianne ne garantit pas le " confort des spectateurs en ce qui concerne la vision vers la scène ", en méconnaissance des stipulations de l'article 1.6.3 du CCTP de son marché, il résulte de l'instruction, en particulier de l'article 2.1 du CCTP, que tant la jauge de la tribune que ses dimensions maximales, notamment sa hauteur limitée à 3,20 mètres, ont été imposées à la société Samia Devianne, et il est constant que ces contraintes ne permettaient pas d'obtenir une pente suffisante pour assurer une bonne visibilité de la scène depuis chaque point des gradins. Compte tenu de l'impossibilité dans laquelle ces contraintes parfaitement contradictoires l'ont ainsi placée de satisfaire aux exigences de l'article 1.6.3 du CCTP, la société Samia Devianne ne saurait se voir reprocher de les avoir méconnues.

18. Toutefois, il incombait à la société Samia Devianne de signaler cette impossibilité au maître d'ouvrage avant de réaliser l'installation de la tribune, dès lors que, eu égard à sa compétence et à son expérience en la matière, et compte tenu de la faible pente de l'ouvrage prévu liée à la configuration de la salle, elle ne pouvait pas ignorer que les conditions de visibilité de la scène depuis cette tribune ne pourraient pas être satisfaisantes. Elle ne peut pas utilement faire valoir qu'elle ne disposait pas d'information sur la hauteur de l'estrade de la scène, dès lors, que, cette hauteur n'ayant pas été définie contractuellement, il lui appartenait d'envisager, notamment, que la scène puisse être installée au niveau du sol. Au demeurant, il ne résulte pas de l'instruction, et n'est pas soutenu, qu'elle aurait sollicité des informations à ce sujet en vue d'apprécier les conditions de visibilité depuis sa tribune. Est, de même, sans incidence la circonstance que la visibilité serait excellente avec une jauge réduite à 306 spectateurs, dès lors que de bonnes conditions de visibilité devaient être garanties avec une jauge pleine de 476 spectateurs. La requérante ne peut pas non plus se prévaloir de ses propositions pour améliorer la visibilité depuis la tribune, dès lors que celles-ci n'ont été présentées qu'en juin et juillet 2014, postérieurement à l'installation de la tribune et au constat des problèmes de visibilité par le maître d'ouvrage. Dans ces conditions, en s'abstenant d'alerter le maître d'ouvrage, ou même les maîtres d'œuvre, la société Samia Devianne a manqué à son obligation contractuelle de conseil et, par suite, a commis une faute.

19. Enfin, si la société Samia Devianne fait valoir que la cause du dommage réside dans la conception de l'ouvrage, son alerte aurait permis, à tout le moins, d'empêcher l'installation de la tribune défectueuse. Dès lors, son abstention fautive a, elle aussi, concouru au dommage subi par la commune.

20. Il résulte de ce qui précède que la société Samia Devianne n'est pas fondée à soutenir que sa responsabilité contractuelle vis-à-vis de la commune n'est pas engagée.

Quant à la responsabilité de la société Metapolis Global Design :

21. En concevant une tribune dont il ne pouvait ignorer qu'elle ne pourrait, au regard de la configuration du bâtiment, assurer aux spectateurs le niveau de confort visuel exigé par la commune, le groupement de maîtrise d'œuvre a manqué à ses obligations contractuelles. Ce défaut de conception, à l'origine du dommage en litige, est de nature à engager la responsabilité de la société Metapolis Global Design, en sa qualité de mandataire solidaire du groupement, vis-à-vis de la commune.

Quant à la responsabilité solidaire des sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design :

22. Il résulte de l'instruction que les fautes de la société Samia Devianne et des maîtres d'œuvre ont concouru à la réalisation du même dommage subi par la commune. Par suite, et contrairement à ce que soutient la société Samia Devianne, c'est à bon droit que le tribunal a retenu qu'elle était solidairement tenue, avec la société Metapolis Global Design, en sa qualité de mandataire solidaire du groupement de maîtrise d'œuvre, à la réparation de ce dommage.

Quant à la faute de la commune :

23. La requérante et les intimées font valoir qu'il avait été constaté dès le début des études du projet que la hauteur du bâtiment existant était insuffisante et nécessitait, pour obtenir, selon les discussions des parties devant l'expert, " une salle mieux adaptée ", un rehaussement important de ce bâtiment non prévu dans le programme de l'opération, mais que la commune a refusé la proposition en ce sens des maîtres d'œuvre, et leur a imposé de revoir le projet en conservant la partie du bâtiment existant où se trouve la salle Léo Ferré, sans la modifier structurellement ni en hauteur. Selon elles, ce choix a été fait en toute connaissance de cause par la commune, qui avait été informée des problèmes de visibilité de la scène depuis la tribune résultant de la configuration du bâtiment existant. Mais la commune conteste avoir été préalablement informée de ces difficultés et des conséquences de son choix, et aucun des éléments versés au dossier de l'instruction ne permet d'étayer les allégations de la requérante et des intimées à ce sujet. Dans ces conditions, ces dernières ne sont pas fondées à soutenir que le dommage en litige serait exclusivement imputable au choix de la commune et qu'elles devraient, par suite, être entièrement exonérées de leur responsabilité vis-à-vis de cette dernière.

24. En revanche, il ressort de l'article 3.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché de maîtrise d'œuvre que la commune a assuré la conduite d'opération des travaux en litige, au sens des dispositions de l'article 6 de la loi du 12 juillet 1985 susvisée. En vertu de ces dispositions, le conducteur d'opération a pour mission d'apporter au maître d'ouvrage une assistance générale à caractère administratif, financier et technique. Indépendamment des missions par ailleurs dévolues aux maîtres d'œuvre, cette mission, eu égard à sa nature, imposait ainsi à la commune, dès lors qu'elle avait choisi de l'assumer elle-même, de suivre avec une particulière vigilance et un œil critique les différentes étapes de l'opération, et notamment, dans leurs aspects techniques, la conception de la salle et de la tribune. A ce titre, et dès lors que les maîtres d'œuvre ne l'avaient pas spontanément informée des raisons pour lesquelles ils lui ont proposé de rehausser le bâtiment existant afin d'obtenir une " salle mieux adaptée ", il incombait à la commune de les interroger à ce sujet, afin d'être à même d'arrêter ses choix de programmation en pleine connaissance de cause. En s'abstenant de vérifier elle-même les conséquences de ses choix de programmation, la commune a commis une faute qui a contribué à la réalisation de son dommage, et qui, par suite, est de nature à exonérer les constructeurs d'une partie de leur responsabilité vis-à-vis d'elle.

25. Il résulte de l'instruction que l'expert a fixé à un tiers la part de responsabilité de la commune au titre de la conduite de l'opération, sans toutefois prendre en considération la circonstance qu'elle était également le maître d'ouvrage de l'opération, et pouvait à ce titre imposer ses décisions aux autres constructeurs. En retenant la même part de responsabilité que celle proposée par l'expert, le tribunal s'est livré à une inexacte appréciation de la contribution de la faute de la commune à la réalisation de son propre dommage. Il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité de cette dernière en la portant à 45 %.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne la réparation du désordre :

26. Le montant du préjudice dont le maître de l'ouvrage est fondé à demander réparation aux constructeurs en raison des désordres affectant l'ouvrage qu'ils ont réalisé correspond aux frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection. L'indemnité est égale à la différence entre, d'une part, le coût de construction de l'ouvrage défectueux, les frais de sa démolition et le coût de la reconstruction d'un ouvrage ayant même destination et, d'autre part, le coût, évalué à la date à laquelle l'ouvrage a été construit, de la construction d'un tel ouvrage si sa conception et sa réalisation n'avaient été entachées d'aucun vice.

27. En premier lieu, dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 15, l'ouvrage en litige ne garantit pas aux spectateurs le niveau de confort visuel contractuellement prévu, et bien que ce désordre ne fasse pas obstacle à l'utilisation de la salle Léo Ferré, la société Metapolis Global Design n'est pas fondée à soutenir que le préjudice de la commune n'est pas établi.

28. En second lieu, il résulte de l'instruction que l'expert a envisagé trois solutions pour remédier au désordre en litige, soit une réduction de la capacité d'accueil des gradins à 250 places, permettant d'augmenter la pente de ces derniers et de libérer un espace au sol pour 250 autres sièges horizontaux, pour un montant total de 42 300 euros TTC, une adaptation du bâtiment consistant à surbaisser le niveau de la salle de 1,50 mètre, de façon à réaliser une structure de gradins surélevée de plus de 3 mètres, pour un montant total de 1 870 000 euros TTC, ou la réalisation, sans adaptation du bâtiment existant, d'une tribune parabolique, pour un montant total de 665 000 euros TTC.

29. La société Samia Devianne fait valoir que c'est à tort que, pour déterminer le montant des travaux de réfection nécessaires, le tribunal s'est fondé sur la troisième solution, alors que la première permet de maintenir la jauge souhaitée par la commune et est la moins onéreuse. Toutefois, cette première solution n'est pas conforme à la capacité d'accueil en gradins requise par le marché, et il est manifeste que les 250 places horizontales ne permettraient pas de garantir le confort des spectateurs en ce qui concerne la vision vers la scène, exigé par l'article 1.6.3 du CCTP. Si la société Samia Devianne soutient également que la troisième solution ne permet pas d'améliorer significativement le confort visuel des spectateurs, elle n'apporte aucun élément concret à l'appui de cette affirmation, qui est contredite par l'expertise. Enfin, la société Samia Devianne ne peut pas utilement faire valoir que la troisième solution n'est pas conforme à son marché, dès lors que la reprise du désordre en litige, qui résulte d'une conception défectueuse de l'ouvrage, implique nécessairement une modification de cette conception.

30. La commune de Tomblaine soutient, quant à elle, que la deuxième solution, qui est la plus onéreuse, doit être retenue, dès lors que la faisabilité technique d'une tribune parabolique rétractable n'est pas établie. Toutefois, la commune n'apporte aucun élément pour démontrer qu'une telle tribune ne pourrait pas être réalisée dans le bâtiment existant, alors que l'expert a estimé cette solution suffisamment réaliste pour en proposer la mise en œuvre. Si l'expert indique qu'elle " suppose que l'entreprise soit en capacité de réaliser un tel ouvrage sur mesure ", cette réserve concerne les compétences de cette dernière et non, comme le soutient la commune, la faisabilité de l'ouvrage.

31. Il résulte de l'instruction que le coût de construction de la tribune en litige s'est élevé à la somme de 233 137,74 euros TTC. L'expert a estimé à 15 000 euros TTC le coût de son démontage, et à 650 000 euros TTC, dont 100 000 euros pour les études et les agréments et 550 000 euros pour l'installation, le coût de la nouvelle structure de gradins. Il ne résulte pas de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas soutenu, que ce coût, que l'expert a évalué à la date de son expertise, aurait été différent si l'expert s'était placé à la date à laquelle l'ouvrage défectueux a été construit.

32. Par conséquent, le tribunal ne s'est pas livré à une inexacte appréciation du préjudice subi par la commune au titre de la reprise de la tribune défectueuse en en fixant la réparation à la somme de 248 137,74 euros TTC, soit le coût d'installation et de dépose de cette tribune, à l'exclusion de la plus-value résultant, pour la commune, de la mise en œuvre d'une solution non prévue au marché et améliorant l'ouvrage existant.

En ce qui concerne les autres préjudices :

33. En premier lieu, la commune de Tomblaine demande réparation, à hauteur de 100 000 euros, du trouble de jouissance qu'elle estime subir du fait de l'obligation de mobiliser des moyens humains et matériels pour monter, démonter, déplacer et stocker des gradins provisoires, de ce que la capacité d'accueil de la salle de spectacles est réduite à 350 places, et de l'impossibilité de programmer certains spectacles. Toutefois, elle se borne à produire, comme en première instance, un tableau récapitulatif et une délibération relatifs au coût de ses interventions qui ne suffisent pas à établir que celles-ci ont été effectivement réalisées. En outre, aucun des éléments qu'elle produit ne permet de vérifier que le désordre en litige l'a empêchée d'organiser certains spectacles ou qu'il a eu une incidence sur le nombre de places de spectacles qu'elle pouvait raisonnablement espérer commercialiser. Dans ces conditions, la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé que le préjudice allégué n'est pas établi et a rejeté ses conclusions indemnitaires à ce titre.

34. En second lieu, la commune de Tomblaine demande réparation, à hauteur de 20 000 euros, du préjudice d'image qu'elle estime subir du fait du mécontentement des usagers, dans l'attente de la mise en œuvre des nouveaux aménagements de la salle de spectacles. Toutefois, les 13 attestations d'usagers qu'elle produit ne sauraient suffire à établir une dégradation de l'image de la commune aux yeux de sa population. Du reste, si ces attestations comportent des plaintes sur les conditions d'installation des spectateurs ou d'accès à la salle, et traduisent une attente par rapport aux nouveaux aménagements, aucune d'entre elle ne formule de reproche à l'encontre de la commune. Dans ces conditions, la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé que le préjudice allégué n'est pas établi et a rejeté ses conclusions indemnitaires à ce titre.

35. Il résulte de ce qui précède que le tribunal ne s'est pas livré à une appréciation inexacte de l'ensemble du préjudice subi par la commune de Tomblaine en en fixant le montant à la somme de 248 137,74 euros TTC. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 22 et 25, le montant de la condamnation solidaire à mettre à la charge des sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design s'élève ainsi à la somme de 136 475,76 euros TTC. Par suite, les sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design sont seulement fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal les a solidairement condamnées à verser une somme supérieure à la commune de Tomblaine, cette dernière n'étant, quant à elle, pas fondée à soutenir que c'est à tort qu'il a limité son indemnisation.

Sur le partage des responsabilités et les appels en garantie :

En ce qui concerne la part de responsabilité de la société Samia Devianne :

36. Le tribunal, suivant les conclusions de l'expert, a considéré que le groupement de maîtrise d'œuvre et la société Samia Devianne ont concouru à parts égales à la survenance du désordre, le premier en concevant un ouvrage qui ne pourrait pas remplir ses objectifs de visibilité, la seconde en s'abstenant de signaler cette impossibilité et en installant un ouvrage non conforme. Toutefois, ainsi qu'il a été dit aux points 17 et 18, il ne peut être reproché à la société Samia Devianne, compte tenu des exigences contradictoires du CCTP de son marché, de n'avoir pas installé un ouvrage satisfaisant à chacune d'entre elles, mais seulement de n'avoir pas signalé cette impossibilité au maître d'ouvrage avant de réaliser l'installation de la tribune. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de la portée de cette abstention fautive en ramenant la part de responsabilité de la société Samia Devianne à 10 % du dommage subi par la commune.

En ce qui concerne la répartition des responsabilités au sein du groupement de maîtrise d'œuvre :

S'agissant de la responsabilité de la société Donzé :

37. La société Donzé, intervenue en qualité d'architecte associé au sein du groupement conjoint de maîtrise d'œuvre, indique n'être intervenue, s'agissant de la salle Léo Ferré, qu'au stade des études d'esquisse et de diagnostic du projet, afin d'en déterminer la faisabilité et le phasage en site occupé, sans qu'aucune épure de visibilité n'ait été établie à ce stade, et n'avoir pas pris part à la phase ultérieure de conception, au cours de laquelle l'ouvrage défectueux a été défini. Aucune des parties qui l'appellent en garantie ne conteste ces affirmations, ni même ne soutient qu'elle aurait commis une faute. Par suite, la société Donzé est fondée à soutenir que sa responsabilité n'est pas engagée vis-à-vis des autres constructeurs.

S'agissant de la responsabilité de la société Cholley Ingénierie :

38. Le tribunal a, comme l'expert, retenu une part de responsabilité de 15 % pour la société Cholley Ingenierie, après avoir relevé qu'elle était en charge de la rédaction du CCTP du lot n° 8.

39. La société Metapolis Global Design ne peut pas sérieusement faire valoir que le défaut de conception de l'ouvrage serait exclusivement imputable à la société Cholley Ingenierie au motif que cette dernière aurait conçu l'ouvrage, alors qu'il résulte, au contraire, de l'instruction que c'est elle-même qui a assuré cette mission. Il n'est pas non plus établi que la société Cholley Ingenierie aurait été associée au choix ayant conduit à ce défaut de conception. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que la société Cholley Ingenierie soit, comme le soutient la société Metapolis Global Design, spécialisée en matière de conception et d'installation de tribunes, ni que, eu égard à sa compétence d'économiste de la construction, elle était à même de déceler le défaut d'ordre technique affectant la conception de l'ouvrage. Par conséquent, la société Metapolis Global Design n'est pas fondée à soutenir que la part de responsabilité mise à la charge de la société Cholley Ingenierie par le tribunal doit être augmentée.

40. Par ailleurs, le CCTP du lot n° 8 rédigé par la société Cholley Ingenierie ne constitue pas, par lui-même, une cause du désordre en litige, dès lors qu'il a seulement pour objet, en l'espèce, de traduire en des prescriptions contractuelles la conception défectueuse de l'ouvrage qui est à l'origine de ce désordre. La société Cholley Ingenierie est ainsi, en dépit des conclusions de l'expertise, fondée à soutenir que le désordre en litige ne lui est pas imputable et que, par suite, c'est à tort que le tribunal a mis à sa charge une part de responsabilité dans le dommage subi par la commune. Dès lors, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens qu'elle soulève à cet égard, elle est fondée à demander le rejet des appels en garantie dirigés à son encontre.

S'agissant de la responsabilité de la société Metapolis Global Design :

41. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, la part de responsabilité de la société Metapolis Global Design dans le dommage subi par la commune de Tomblaine doit être fixée à 45 %.

En ce qui concerne les appels en garantie :

S'agissant des appels en garantie des sociétés Donzé et Cholley Ingénierie :

42. Les conclusions d'appels incident et d'appel provoqué des sociétés Donzé et Cholley Ingénierie, tendant à ce que les autres constructeurs les garantissent de toute condamnation prononcée à leur encontre, sont sans objet, en l'absence de telles condamnations.

S'agissant des appels en garantie de Samia Devianne et Metapolis Global Design :

43. En premier lieu, pour les raisons indiquées aux points 37 en ce qui concerne la société Donzé et 40 en ce qui concerne la société Cholley Ingenierie, les sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design ne sont pas fondées à les appeler en garantie.

44. En second lieu, eu égard à ce qui a été dit aux points 36 à 43, la société Samia Devianne est fondée à demander à être garantie par la société Metapolis Global Design à hauteur de 45/55ème du montant des condamnations prononcées à son encontre, y compris les frais d'expertise, et la société Metapolis Global Design est fondée à demander à être garantie par la société Samia Devianne à hauteur de 10/55ème des condamnations prononcées à son encontre, y compris les frais d'expertise.

Sur le décompte du marché de la société Samia Devianne :

45. Par ordonnance en date du 28 novembre 2014, le juge des référés du tribunal de Nancy a condamné la commune de Tomblaine à verser à la société Samia Devianne, à titre de provision, la somme de 185 184,66 euros HT, correspondant à 95 % du montant de la situation n° 1 de son marché. En exécution de cette ordonnance, la commune a versé à la société la somme de 222 221,59 euros TTC. Par le jugement attaqué, le tribunal, faisant droit aux conclusions reconventionnelles de cette dernière, a condamné la commune à lui verser, la somme de 10 916,15 euros TTC au titre du solde de son marché.

46. La commune soutient que, du fait de son défaut de conformité, l'ouvrage réalisé par la société Samia Devianne n'est pas en état d'être réceptionné, et que cette dernière n'a pas rempli ses obligations contractuelles. Toutefois, la société Samia Devianne a achevé ses travaux, les conséquences préjudiciables de ses manquements à ses obligations contractuelles sont mises à sa charge par ailleurs par le présent arrêt, et la commune ne fait valoir aucune règle permettant la compensation entre les sommes mises à la charge de l'intéressée à ce titre et celle qui lui reste due au titre de son marché. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que cette condamnation a été prononcée à tort par le tribunal.

47. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a condamné Me Guiguon en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Cholley Ingenierie, à garantir les sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design des condamnations solidaires prononcées à leur encontre, de réformer ce jugement en tant qu'il a fixé le montant de la réparation due à la commune à une somme supérieure à 136 475,757 euros, ainsi que, dans la mesure indiquée au point 44, en ce qui concerne les garanties que se doivent mutuellement les sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design, et de rejeter le surplus des conclusions indemnitaires de l'appel principal de la requérante et des appels incidents et provoqués des intimés.

Sur les conclusions de la société Metapolis Global Design tendant au remboursement des sommes versées en exécution du jugement :

48. En premier lieu, la somme de 65 257,33 euros que la société Metapolis Global Design a versée à la commune de Tomblaine en exécution du jugement attaqué étant inférieure au montant de la condamnation prononcée à son encontre, ses conclusions tendant à ce que la commune soit condamnée à lui rembourser cette somme ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.

49. En second lieu, le tribunal ayant rejeté son appel en garantie dirigé contre la société Donzé, la société Metapolis Global Design était, vis-à-vis de cette dernière, la partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par conséquent, le tribunal pouvait mettre à la charge de la société Metapolis Global Design une somme à verser à la société Donzé en application de ces dispositions. Dès lors, les conclusions de la société Metapolis Global Design tendant à ce que la société Donzé soit condamnée à lui rembourser cette somme ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

50. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

51. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la commune de Tomblaine et des sociétés Metapolis Global Design et Samia Devianne une somme à verser à l'une ou l'autre d'entre elles en application de ces dispositions.

52. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre solidairement à la charge des sociétés Metapolis Global Design et Samia Devianne la somme de 2 000 euros à verser à Me Guiguon, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Cholley Ingénierie, et la somme de 2 000 euros à verser à la société Donzé.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1602965 du tribunal administratif de Nancy du 6 novembre 2018 est annulé en tant qu'il a condamné la société Cholley Ingénierie, représentée par Me Guigon ès qualité de liquidateur judiciaire, à garantir les sociétés Metapolis Global Design et Samia Devianne à hauteur de 15 % de la somme de 165 425,16 euros.

Article 2 : Les sociétés Samia Devianne et Metapolis Global Design sont condamnées solidairement à verser la somme de 136 475,76 euros TTC à la commune de Tomblaine.

Article 3 : La société Samia Devianne garantira la société Metapolis Global Design à hauteur de 10/55ème des condamnations prononcées à son encontre.

Article 4 : La société Metapolis Global Design garantira la société Samia Devianne à hauteur de 45/55ème des condamnations prononcées à son encontre.

Article 5 : Le jugement est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 2 à 4.

Article 6 : Les sociétés Metapolis Global Design et Samia Devianne verseront, solidairement, la somme de 2 000 euros à Me Guiguon, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Cholley Ingénierie, et la somme de 2 000 euros à la société Donzé, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 :Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la société Samia Devianne, à la commune de Tomblaine, à la société Metapolis Global Design, à Me Guiguon, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Cholley Ingénierie, et à la société EURL Philippe Donzé.

N° 19NC00017 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC00017
Date de la décision : 21/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : SAMAMA

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-10-21;19nc00017 ?
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