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21/12/2021 | FRANCE | N°20NC02102

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 21 décembre 2021, 20NC02102


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 13 janvier 2020 par lequel le préfet des Vosges lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2000397 du 17 mars 2020, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 20NC02102 le 24 juillet 2020, Mme A... C..., représentée par Me Boulanger,

demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 17 mars 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 13 janvier 2020 par lequel le préfet des Vosges lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2000397 du 17 mars 2020, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 20NC02102 le 24 juillet 2020, Mme A... C..., représentée par Me Boulanger, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 17 mars 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 13 janvier 2020 par lequel le préfet des Vosges lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

s'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle viole l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle ;

- le préfet n'a pas pris en considération sa situation personnelle et familiale ;

- cette décision est illégale en ce que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, elle ne répond pas à sa demande de titre de séjour qu'elle avait présentée le 7 août 2019 ;

s'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tant au regard des violences et menaces subies en Albanie qu'au regard de son état de santé ;

- le préfet s'est estimé en situation de compétence liée par rapport à l'avis de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2021, le préfet des Vosges conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 29 septembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Stenger, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... C..., ressortissante albanaise née le 1er mars 1988, serait entrée en France, selon ses déclarations, le 26 avril 2018, accompagnée de son mari et de leur fille mineure, pour y demander 1'asile. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) par une décision du 31 juillet 2018 confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 21 mai 2019. Sa demande de réexamen a été rejetée comme irrecevable par l'OFPRA et la CNDA. Par un arrêté du 13 janvier 2020, le préfet des Vosges a obligé Mme C... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme C... relève appel du jugement du 17 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté du 13 janvier 2020 :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, la décision attaquée vise les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et notamment son article L. 511-1, I, 6° ainsi que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle indique que la demande d'asile de Mme C... a été rejetée par l'OFPRA et la CNDA et que sa demande de réexamen a été déclarée irrecevable par l'OFPRA, confirmée par la CNDA. Elle mentionne également les éléments relatifs à la situation privée et familiale de la requérante. Par conséquent, la décision attaquée comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et doit être considérée comme suffisamment motivée. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire doit être écarté comme manquant en fait.

3. En deuxième lieu, il ne ressort pas des termes de la décision contestée ni des pièces du dossier que le préfet se serait estimé lié par les décisions de l'OFPRA et de la CNDA pour prendre la décision en litige.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.

5. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

6. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Enfin, selon la jurisprudence de la Cour de justice de 1'Union européenne C-383/13 PPU du 10 septembre 2013, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision.

7. Mme C... a sollicité le 4 septembre 2017 son admission au séjour au bénéfice de l'asile puis elle a introduit le 2 juillet 2019 une demande de réexamen. Elle a ainsi été conduite à préciser à l'administration les motifs pour lesquels elle demandait que lui soit délivré un titre de séjour en cette qualité et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de ces demandes. Il lui appartenait, lors du dépôt de ces demandes, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'elle jugeait utiles. Le droit de l'intéressée d'être entendu, ainsi satisfait avant que l'administration statue sur sa demande d'asile, n'imposait pas à l'autorité administrative de mettre la requérante à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français. Par suite, et alors que l'intéressée ne se prévaut d'aucun élément pertinent qu'elle aurait été privée de faire valoir et qui aurait pu influer sur le contenu de la décision, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté, nonobstant la circonstance que le préfet ne l'ait pas convoquée à l'issue du rejet de sa demande d'asile.

8. En quatrième lieu, il ne ressort ni des termes de la décision contestée ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet des Vosges n'aurait pas procédé à un examen de la situation personnelle de la requérante avant de prononcer à son encontre une décision portant obligation de quitter le territoire. A ce titre, et comme l'ont retenu les premiers juges, la circonstance que la décision en litige indique de manière erronée que son époux a également fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, alors que cette mesure ne sera prononcée que le 15 janvier 2020, est sans incidence sur sa légalité dès lors que cette mention erronée ne constitue pas le motif sur lequel l'administration s'est fondée pour obliger la requérante à quitter le territoire français, lequel était le rejet définitif de sa demande d'asile par l'OFPRA et la CNDA.

9. En cinquième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. Il ressort des pièces du dossier que si Mme C... se trouvait en France depuis deux ans à la date de la décision contestée, elle ne s'y maintenait que pour les besoins de l'instruction de sa demande d'asile. Elle ne démontre pas être dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de 30 ans. Si elle affirme avoir transféré en France le centre de ses intérêts personnels et familiaux, elle n'en justifie pas par les attestations qu'elle produit, alors que son époux fait également l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Les seules circonstances que l'une de ses filles soit née en France et que l'autre y soit scolarisée et qu'elle ait appris le français sont sans incidence. Par suite, la décision en litige ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale de l'intéressée protégée par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ne parait pas reposer sur une appréciation manifestement erronée de sa situation ou de ses conséquences sur sa situation personnelle.

11. En sixième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme C... a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7°) de l'article L. 313-11-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que le préfet a méconnu les dispositions de cet article.

12. En dernier lieu, si Mme C... soutient que la décision est illégale en ce qu'elle ne répond pas à sa demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée le 7 août 2019, il ressort toutefois des termes mêmes de la décision qu'après avoir examiné sa situation administrative, notamment au regard de l'ensemble de sa situation familiale, la préfète a estimé qu'elle ne justifiait pas qu'il soit procédé à la régularisation de son séjour en France, fût-ce à titre exceptionnel. Par suite, ce moyen doit être écarté.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

13. En premier lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".

14. Si Mme C... soutient que son retour en Albanie l'exposerait à des traitements contraires aux textes susvisés, elle ne produit toutefois aucun élément probant de nature à établir la réalité des risques personnels auxquels elle serait exposée en cas de retour dans son pays d'origine, alors que sa demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA et la CNDA. Par suite, le moyen tiré de la violation des dispositions précitées doit être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 janvier 2020.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

16. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par Mme C....

Sur les frais liés à l'instance :

17. Il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

18. L'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, ne saurait être condamné à verser à l'avocat de Mme C... une somme en application de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... née B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Vosges.

N° 20NC02102 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NC02102
Date de la décision : 21/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. REES
Rapporteur ?: Mme Laurence STENGER
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : BOULANGER

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-12-21;20nc02102 ?
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