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21/07/2022 | FRANCE | N°21NC00986

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 21 juillet 2022, 21NC00986


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 3 novembre 2020 par lequel le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il serait renvoyé.

Par un jugement n° 2001820 du 26 janvier 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregist

rés le 2 avril 2021 et le 29 juillet 2021, M. B..., représenté par la SELARL Abdelli, Alves, demande ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 3 novembre 2020 par lequel le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il serait renvoyé.

Par un jugement n° 2001820 du 26 janvier 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 2 avril 2021 et le 29 juillet 2021, M. B..., représenté par la SELARL Abdelli, Alves, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 26 janvier 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 novembre 2020 pris à son encontre par le préfet du Doubs ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision de refus de titre de séjour est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation, d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation dès lors qu'il n'est pas établi que ses actes d'état civil seraient frauduleux ;

- la décision de refus de titre de séjour est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que le préfet a fait des liens avec la famille du pays d'origine un critère prépondérant ;

- le préfet a fait une appréciation inexacte de sa situation au regard de l'ensemble des critères de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 juillet 2021, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 août 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picque, première conseillère,

- et les observations de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant guinéen, qui déclare être né le 25 juin 2002 et être entré irrégulièrement en France le 1er septembre 2018, a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance du Doubs à compter du 25 septembre 2018. Le 7 juin 2019, il a sollicité la délivrance de la carte de séjour temporaire prévue à l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 3 novembre 2020, le préfet du Doubs lui a refusé cette délivrance, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. B... relève appel du jugement du 26 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur l'arrêté attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé ".

3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

4. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité et, le cas échéant, de ceux de son conjoint, de ses enfants et de ses ascendants ". Selon l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". L'article 47 du code de civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

5. D'une part, en cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

6. D'autre part, à la condition que l'acte d'état civil étranger soumis à l'obligation de légalisation et produit à titre de preuve devant l'autorité administrative ou devant le juge présente des garanties suffisantes d'authenticité, l'absence ou l'irrégularité de sa légalisation ne fait pas obstacle à ce que puissent être prises en considération les énonciations qu'il contient. En particulier, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il appartient à l'autorité administrative d'y répondre, sous le contrôle du juge, au vu de tous les éléments disponibles, dont les évaluations des services départementaux et les mesures d'assistance éducative prononcées, le cas échéant, par le juge judiciaire, sans exclure, au motif qu'ils ne seraient pas légalisés dans les formes requises, les actes d'état civil étrangers justifiant de l'identité et de l'âge du demandeur

7. A l'appui de sa demande de titre de séjour, M. B... a présenté un jugement supplétif n° 10245 du tribunal de première instance de Conakry III Mafanco du 17 août 2018 tenant lieu d'acte de naissance, un extrait du registre de transcription de ce jugement supplétif émanant du bureau " état civil et populations " de la ville de Conakry, commune de Matoto en date du 27 août 2018 et une copie intégrale d'acte de naissance datée du 1er août 2018. Ces trois documents, non légalisés, mentionnent qu'il est né le25 mars 2002 à Conakry sous le patronyme de Yaya B....

8. Pour contester l'authenticité de ces actes, la décision de refus de titre de séjour en litige se fonde sur le rapport technique documentaire réalisé le 18 mai 2020 par le service territorial de de l'antenne cellule fraude documentaire de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Pontarlier. Ce rapport observe que les documents sont rédigés sur du papier ordinaire, non sécurisé, avec une personnalisation au tonner et que les cachets humides sont le résultat de l'apposition d'un tampon en caoutchouc facilement imitable et présentant des anomalies. Il indique également que les actes produits par M. B... ne reprennent pas l'ensemble des mentions prévues par l'article 196 du code civil guinéen. Enfin, il relève que la copie intégrale d'acte de naissance est antérieure au jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance.

9. La circonstance que le document intitulé " copie intégrale d'acte de naissance " daté du 1er août 2018 soit antérieur au jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance fait obstacle à ce que puisse lui être accordé une valeur probante en l'espèce. Toutefois, d'une part, il ne ressort pas des dispositions du code civil guinéen, et en particulier de son article 193 qui régit les jugements supplétifs, que ces derniers doivent comporter l'ensemble des mentions prévues par les dispositions de l'article 196 du même code relatif aux actes d'état civil, selon lesquelles les actes d'état civil doivent mentionner l'heure à laquelle ils ont été établis, les lieux et dates de naissance des parents de l'enfant, leur profession et domicile. D'autre part, en l'absence de tout élément sur la qualité des supports des actes d'état civil guinéens et les tampons utilisés par les autorités guinéennes en Guinée, ainsi que les sécurités qu'ils doivent comporter selon la règlementation guinéenne, la circonstance que les actes présentés par M. B... sont établis sur un support ordinaire grand public sans sécurité documentaire et que les cachets aient été apposés par de simples tampons en caoutchouc, n'est pas de nature à établir que les mentions relatives à son identité et notamment à sa date de naissance sont irrégulières, falsifiées ou inexactes.

10. Il suit de là qu'aucun des éléments avancés par l'autorité administrative, chacun pris isolément ou dans leur l'ensemble, ne sont de nature à établir que le jugement supplétif du 17 août 2018 tenant lieu d'acte de naissance produit par M. B... et sa transcription du 27 août 2018 ne seraient pas authentiques, alors même qu'ils ne sont pas légalisés. Dans ces conditions, M. B..., qui produit également à hauteur d'appel un passeport délivré par les autorités guinéennes le 19 août 2021 dont l'authenticité n'est pas contestée, doit être regardé comme justifiant de son état civil et notamment de sa date de naissance. Par suite, le préfet du Doubs ne pouvait pas légalement rejeter sa demande de titre de séjour au motif que, faute de justifier de son identité, il ne remplissait pas la condition d'âge requise pour prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'il soulève, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 3 novembre 2020 par laquelle le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour et, par voie de conséquence, des décisions concomitantes portant obligation de quitter le territoire et fixant le pays de destination.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

12. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".

13. Les motifs de l'annulation prononcée au point 11 impliquent uniquement que le préfet du Doubs réexamine la demande de titre de séjour de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans cette attente, du fait de l'annulation par voie de conséquence de l'obligation de quitter le territoire français, le préfet délivrera immédiatement à M. B... une autorisation provisoire de séjour sur le fondement de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il n'y a en revanche pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de l'instance :

14. M. B... est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2001820 du tribunal administratif de Besançon du 26 janvier 2021 et l'arrêté du préfet du Doubs du 3 novembre 2020 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Doubs de réexaminer la situation de M. B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour sur le fondement de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Article 3 : L'Etat versera à Me Abdelli avocat de M. B..., la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Abdelli renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 28 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Grossrieder, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- Mme Picque, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2022.

La rapporteure,

Signé : A.-S. PicqueLa présidente,

Signé : S. Grossrieder

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 21NC00986


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00986
Date de la décision : 21/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GROSSRIEDER
Rapporteur ?: Mme Anne-Sophie PICQUE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : ABDELLI - ALVES

Origine de la décision
Date de l'import : 16/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-07-21;21nc00986 ?
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