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24/01/2023 | FRANCE | N°22NC01555

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 24 janvier 2023, 22NC01555


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le conseil interrégional des notaires des cours d'appel de Colmar et de Metz a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 25 août 2020 du garde des sceaux, ministre de la justice, portant nomination d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée pour l'exercice de la profession de notaire.

Par un jugement n° 2005768 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser

au conseil interrégional des notaires des cours d'appel de Colmar et de Metz au titr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le conseil interrégional des notaires des cours d'appel de Colmar et de Metz a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 25 août 2020 du garde des sceaux, ministre de la justice, portant nomination d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée pour l'exercice de la profession de notaire.

Par un jugement n° 2005768 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser au conseil interrégional des notaires des cours d'appel de Colmar et de Metz au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 juin et 13 septembre 2022 sous le n° 22NC01555 M. D... C..., M. B... A..., M. E... C... et la SELARL

" Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés ", représentés par Me Gillig de la SELARL Soler-Couteaux et associés, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 25 mai 2022 ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande présentée par le conseil interrégional des notaires des cours d'appel de Colmar et de Metz tendant à annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du

25 août 2020 pris par le garde des sceaux, ministre de la justice, et à titre subsidiaire, de moduler dans le temps les effets d'une éventuelle annulation de cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge du conseil interrégional des notaires des cours d'appel de Colmar et de Metz la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- en méconnaissance de l'article 84 du décret du 13 janvier 1993, les premiers juges ont assimilé à tort l'office notarial situé à Chatenois-les-Forges à un bureau annexe ;

- en méconnaissance des dispositions du décret du 5 juillet 1973, les premiers juges ont imposé une condition de réussite au concours de droit local à tous les associés de la SELARL, y compris ceux relevant de l'office notarial situé à Chatenois-les-Forges ;

- en méconnaissance de l'article 81 du décret du 13 janvier 1993, et contrairement à ce qu'ont indiqué les premiers juges, le ministre n'est jamais lié par l'avis rendu par commission de présentation qui, en tout état de cause, a été effectivement saisie ;

- les moyens tirés de la méconnaissance des articles 110 et suivants du décret du

5 juillet 1973, de la méconnaissance de l'article 84 du décret du 13 janvier 1993, de l'absence de respect de l'article 81 du même décret, de la violation du principe de non patrimonialité des offices notariaux en Alsace-Moselle et de l'existence d'une fraude ne sont pas fondés ;

- à titre infiniment subsidiaire, compte tenu de l'intérêt général s'attachant à la continuité du service public notarial, les conséquences dans le temps d'une annulation doivent être aménagées.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 août et 19 décembre 2022, le conseil interrégional des notaires des Cours d'appel de Colmar et de Metz, représenté par Me Muller-Pistré de la SCP Racine Strasbourg, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à la modulation des effets de l'annulation de l'arrêté du 25 août 2020 ;

3°) à ce que la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soit mise à la charge de la SELARL " Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés " et de M. D... C..., M. B... A... et de M. E... C....

Il soutient que :

- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés ;

- l'arrêté du 25 août 2020 est illégal dans la mesure où il méconnaît les articles 110 et suivants du décret n° 73-609 dès lors que deux des trois associés ne remplissent pas les conditions pour exercer la profession de notaire en Alsace-Moselle ;

- en méconnaissance de l'article 84 du décret n° 93-78, une SELARL ayant son siège social en Alsace-Moselle ne peut détenir des offices notariaux que dans le ressort de l'Alsace-Moselle ;

- l'arrêté du 25 août 2020 méconnaît le principe de non patrimonialité des offices ;

- l'arrêté du 25 août 2020 a été obtenu par fraude ;

- les appelants ont souhaité contourner les règles déontologiques de la profession de notaire ; M. D... C... a fait l'objet le 1er juin 2022 d'un rappel à l'ordre par la chambre interrégionale de discipline.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence du garde des sceaux, en application des dispositions des articles 80 et 81 du décret n° 93-78 du 13 janvier 1993 et 118 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973, à avoir procédé à la nomination de la SELARL " Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés " et de l'ensemble de ses associés, en l'absence de proposition de la commission prévue par l'article 49-4 du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973.

Par des mémoires, enregistrés les 22 et 27 décembre 2022, le conseil interrégional des notaires des cours d'appel de Colmar-Metz, représenté par Me Muller-Pistré, a présenté des observations sur le moyen d'ordre public.

Par un mémoire, enregistré le 27 décembre 2022, Me Thierry C..., Me Benoît A..., Me Sébastien C... et la SELARL " Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés ", représentés par Me Gillig, ont présenté des observations sur le moyen d'ordre public et conclu, pour le surplus, aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens.

II. Par une requête enregistrée le 27 juin 2022 sous le n° 22NC01644, le garde de sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 25 mai 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par le conseil interrégional des notaires des cours d'appel de Colmar-Metz présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Il soutient que :

- le tribunal a commis une erreur en jugeant que les décisions relatives à la désignation et au remplacement en Alsace et en Moselle d'une SELARL ainsi que de ses associés exerçant en son sein les fonctions de notaire ne peuvent intervenir que sur proposition de la commission de présentation ;

- le tribunal a commis une erreur en jugeant que chacun des associés exerçant au sein de la SELARL doit remplir la condition, notamment, de réussite au concours de droit local ;

- le tribunal a commis une erreur en jugeant qu'en vertu de l'article 84 du décret du

13 janvier 1993, une SELARL titulaire d'un ou plusieurs offices en Alsace-Moselle a l'interdiction d'ouvrir un bureau annexe dans un des départements limitrophes ;

- les effets de l'annulation de l'arrêté contesté doivent être modulés dans le temps.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2022, le conseil interrégional des notaires des cours d'appel de Colmar et de Metz, représenté par Me Muller-Pistré de la SCP Racine Strasbourg, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à la modulation des effets de l'annulation de l'arrêté du 25 août 2020 ;

3°) à ce que la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soit mise à la charge de l'Etat.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés ;

- l'arrêté du 25 août 2020 est illégal dans la mesure où il méconnaît les articles 110 et suivants du décret n° 73-609 dès lors que deux des trois associés ne remplissent pas les conditions pour exercer la profession de notaire en Alsace-Moselle ;

- en méconnaissance de l'article 84 du décret n° 93-78, une SELARL ayant son siège social en Alsace-Moselle ne peut détenir des offices notariaux que dans le ressort de l'Alsace-Moselle ;

- l'arrêté du 25 août 2020 méconnaît le principe de non patrimonialité des offices ;

- l'arrêté du 25 août 2020 a été obtenu par fraude ;

- les appelants ont souhaité contourner les règles déontologiques de la profession de notaire ; M. D... C... a fait l'objet le 1er juin 2022 d'un rappel à l'ordre par la chambre interrégionale de discipline.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence du garde des sceaux, en application des dispositions des articles 80 et 81 du décret n° 93-78 du 13 janvier 1993 et 118 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973, à avoir procédé à la nomination de la SELARL " Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés " et de l'ensemble de ses associés, en l'absence de proposition de la commission prévue par l'article 49-4 du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973.

Par des mémoires, enregistrés les 22 et 27 décembre 2022, le conseil interrégional des notaires des cours d'appel de Colmar et de Metz, représenté par Me Muller-Pistré, a présenté des observations sur le moyen d'ordre public.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 ;

- le décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973 ;

- le décret n° 93-18 du 13 janvier 1993 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denizot, premier conseiller,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Arab pour la SELARL " Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés " et leurs associés et de Me Muller-Pistré pour le conseil interrégional des notaires des cours d'appel de Colmar et de Metz.

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, du 27 janvier 2006, M. D... C... a été nommé notaire à Hoenheim, dans le département du Bas-Rhin. M. C... exerçait avec deux notaires assistants, M. B... A... et son fils M. E... C.... Ce dernier a été nommé, le 3 octobre 2017, notaire dans un office à Châtenois-les-Forges, dans le département du Territoire de Belfort. Le 18 octobre 2018, M. D... C..., M. E... C... et M. B... A... ont constitué une société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) dénommée " SELARL Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés " sous la condition suspensive, notamment, de l'agrément et de la nomination par le garde des sceaux d'une part, de la société et d'autre part, de M. D... C..., notaire associé, à la résidence de Hoenheim et de M. E... C... et M. A... notaires associés, à la résidence de Chatenois-les-Forges. Le 16 novembre 2018, la SELARL a déposé, auprès de la garde des sceaux, ministre de la justice, une note de présentation du projet. Le 20 mars 2019, la commission chargée de présenter les candidats en qualité de notaires dans les offices de notaires du ressort de la cour d'appel de Colmar a rendu, à l'unanimité, un avis défavorable aux motifs que la création de la SELARL aurait pour conséquence de permettre à deux notaires non lauréats du concours de droit local d'exercer en Alsace-Moselle et de déroger à la règle de non patrimonialité des offices applicable dans les trois départements relevant de ce régime. La garde des sceaux a, par un courrier du 28 mai 2019, informé les intéressés qu'elle envisageait de rejeter leur demande et les a invités à formuler leurs observations. Toutefois, par un arrêté du 25 août 2020, le garde des sceaux a nommé la " SELARL Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés " comme notaire à la résidence de Hoenheim en remplacement de M. D... C... et à la résidence de Châtenois-les-Forges en remplacement de M. E... C.... Ce même arrêté porte aussi nomination de M. D... C... comme notaire associé pour exercer dans l'office dont la société est titulaire à la résidence de Hoenheim et nomination de M. B... A... et M. E... C... comme notaires pour exercer dans l'office dont la société est titulaire à la résidence de Châtenois-les-Forges.

2. Par un jugement du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à la demande du conseil interrégional des notaires des cours d'appel de Colmar et de Metz et a annulé l'arrêté du 25 août 2020. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre, M. D... C...,

M. B... A..., M. E... C... et la SELARL " Thierry C..., Benoît A... et

Sébastien C..., Notaires associés " et le garde des sceaux, ministre de la justice, demandent l'annulation de ce jugement.

Sur la légalité de l'arrêté du 25 août 2020 :

3. Aux termes de l'article 5 du décret du 13 janvier 1993 : " La nomination d'une société d'exercice libéral dans un office de notaire et la nomination de chacun des associés qui exerceront au sein de la société la profession de notaire sont prononcées par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. (...) Une société ne peut être nommée dans plusieurs offices de notaire que si, dans chacun des offices, au moins un associé exerçant la profession de notaire au sein de cette société est nommé pour y exercer. Chacun de ces associés est nommé par arrêté pour exercer dans un seul office. Il peut ultérieurement être nommé pour exercer dans un autre office de la même société soit par l'arrêté nommant la société dans cet autre office, soit par un arrêté postérieur. Dans ces deux hypothèses, l'arrêté met fin également à ses fonctions dans le précédent office ".

4. Tout d'abord, aux termes de l'article 80 du même décret : " Sous réserve des dispositions particulières régissant l'organisation du notariat dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, le présent décret est applicable aux sociétés d'exercice libéral et aux sociétés en participation constituées pour l'exercice de la profession de notaire dans ces départements ". Aux termes de l'article 81 de ce texte : " La nomination d'une société prévue au titre Ier du présent décret ainsi que celle de tous les associés exerçant au sein de la société la profession de notaire est faite sur proposition de la commission prévue par l'article 118 du décret du 5 juillet 1973 précité. (...) ". Ensuite, l'article 118 du décret du 5 juillet 1973 dispose que : " Les nominations aux offices de notaires dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ont lieu sur les propositions formulées par la commission prévue au chapitre VI du titre II du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973 relatif à la discipline et au statut des officiers publics et ministériels ". Enfin, l'article 49-4 du décret du 28 décembre 1973 dispose que : " Il est institué une commission de présentation aux offices vacants de notaires et de commissaires de justice situés dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Elle exerce les attributions prévues par l'article 118 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire et par l'article 17 du décret n° 2022-949 du 29 juin 2022 relatif aux conditions d'exercice des commissaires de justice ".

5. Il résulte de ces dispositions que les nominations d'une SELARL ayant son siège dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et de l'ensemble des associés exerçant en son sein la profession de notaire, ne peuvent intervenir que sur proposition de la commission de présentation aux offices vacants de notaires et de commissaires de justice situés dans ces départements, prévue par les dispositions de l'article 49-4 du décret du 28 décembre 1973. Par conséquent, le garde des sceaux, ministre de la justice, ne peut légalement nommer une telle société ou des associés exerçant en son sein la profession de notaire si une telle nomination ne lui a pas été proposée par la commission de présentation prévue par les dispositions de l'article 49-4 du décret du 28 décembre 1973, tout en ayant la faculté, si besoin est, de solliciter une nouvelle proposition.

6. Il ressort des pièces des dossiers que, le 20 mars 2019, la commission prévue par le décret du 28 décembre 1973, chargée de présenter les candidats en qualité de notaires dans les offices de notaires du ressort de la cour d'appel de Colmar, a émis, à l'unanimité, un avis défavorable à la demande tendant à la constitution d'une SELARL ayant son siège social à Hoenheim (Bas-Rhin) et à la nomination de M. D... C..., M. E... C... et M. B... A... comme notaires associés de cette société à la résidence de Hoenheim et de Châtenois-les-Forges. Dans ces conditions, la commission de présentation doit être regardée comme n'ayant pas proposé la nomination de cette société. De même, la commission de présentation ne peut davantage être regardée comme ayant proposé la nomination de M. D... C..., M. E... C... et M. B... A... comme notaires associés de cette société à la résidence de Hoehneim et de Châtenois-les-Forges. Par suite, en nommant la " SELARL Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés " comme notaire à la résidence de Hoenheim et de Châtenois-les-Forges et en nommant Thierry C... comme notaire associé pour exercer dans l'office dont la société est titulaire à la résidence de Hoenheim et M. B... A... et M. E... C... comme notaires associés pour exercer dans l'office dont la société est titulaire à la résidence de Châtenois-les-Forges, l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, est entaché d'un vice qui affecte la compétence de l'autorité qualifiée pour prendre cet arrêté.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens des requêtes, que le garde des sceaux, ministre de la justice, et M. D... C..., M. B... A...,

M. E... C... et la SELARL " Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés " ne sont pas fondés à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 25 août 2020.

Sur la limitation dans le temps des effets de l'annulation :

8. D'une part, l'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation, ou, lorsqu'il a décidé de surseoir à statuer sur cette question, dans sa décision relative aux effets de cette annulation, que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine

9. D'autre part, lorsque le juge d'appel est saisi d'un jugement ayant annulé un acte administratif et qu'il rejette l'appel formé contre ce jugement en ce qu'il a jugé illégal l'acte administratif, la circonstance que l'annulation ait été prononcée par le tribunal administratif avec un effet rétroactif ne fait pas obstacle à ce que le juge d'appel, saisi dans le cadre de l'effet dévolutif, apprécie, conformément à ce qui a été dit au point précédent et à la date à laquelle il statue, s'il y a lieu de déroger en l'espèce au principe de l'effet rétroactif de l'annulation contentieuse et détermine, en conséquence, les effets dans le temps de l'annulation, en réformant le cas échéant sur ce point le jugement de première instance.

10. Compte tenu, d'une part, de l'intérêt général qui s'attache à l'autorité des actes authentiques auxquels M. D... C..., M. E... C... et M. B... A... ont concouru en leur qualité de notaires à Hoenheim et à Châtenois-les-Forges, et, d'autre part, à la nature du motif d'annulation retenu, et alors qu'aucun autre moyen n'est de nature à justifier l'annulation immédiate de cet arrêté, la disparition rétroactive de la nomination de la SELARL " Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés " porte une atteinte manifestement excessive au fonctionnement du service public notarial, ainsi que le soutiennent les requérants. Dès lors, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de ne prononcer l'annulation de l'arrêté du 25 août 2020 qu'à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de notification du présent arrêt. Les requérants sont seulement fondés à demander l'annulation du jugement attaqué, dans cette mesure.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du conseil interrégional, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demandent M. D... C..., M. E... C... et M. B... A... et de la SELARL " Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés " au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge à l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le conseil interrégional des notaires des cours d'appels de Colmar et de Metz et non compris dans les dépens. Il y a également lieu de solidairement mettre à la charge de M. D... C..., M. E... C... et M. B... A... et de la SELARL " Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés " le versement d'une somme globale de 1 500 euros au conseil interrégional des notaires des cours d'appels de Colmar et de Metz sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : L'annulation de l'arrêté du 25 août 2020, prononcée par le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 25 mai 2022, prendra effet à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 25 mai 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera au conseil interrégional des notaires des cours d'appels de Colmar et de Metz une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : M. D... C..., M. E... C... et M. B... A... et la SELARL " Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés " verseront solidairement au conseil interrégional des notaires des cours d'appels de Colmar et de Metz une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, à M. D... C..., à M. E... C..., à M. B... A..., à la SELARL " Thierry C..., Benoît A... et Sébastien C..., Notaires associés " et au conseil interrégional des notaires des cours d'appels de Colmar et de Metz.

Délibéré après l'audience du 3 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023.

Le rapporteur,

Signé : A. DenizotLa présidente,

Signé : A. Samson-Dye

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

Nos 22NC01555, 22NC01644


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01555
Date de la décision : 24/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - COMPÉTENCE - NOTAIRES - ALSACE-MOSELLE - COMMISSION DE PROPOSITION - POUVOIR DE PROPOSITION EN MATIÈRE DE NOMINATION AUX OFFICES DES SELARL ET DE LEURS ASSOCIÉS (ART - 81 DU DÉCRET DU 13 JANVIER 1993 ET ART - 118 DU DÉCRET DU 5 JUILLET 1973) - CONSÉQUENCE - IMPOSSIBILITÉ POUR LE MINISTRE DE PRENDRE UNE MESURE QUI NE LUI A PAS ÉTÉ PROPOSÉE - INCOMPÉTENCE.

01-02 Il résulte des dispositions régissant, en Alsace-Moselle, les nominations aux offices notariaux des SELARL et de leurs associés, que l'autorité ministérielle ne peut légalement prendre une mesure qui ne lui a pas été proposée par la commission de présentation, tout en ayant la faculté, si besoin est, de solliciter une nouvelle proposition [RJ1]. En l'absence d'une telle proposition, l'arrêté portant nomination est entaché d'un vice d'incompétence [RJ2], qu'il appartient au juge de relever d'office.

ALSACE-MOSELLE - PROFESSIONS - COMMERCE - INDUSTRIE - NOTAIRES - ALSACE-MOSELLE - COMMISSION DE PROPOSITION - POUVOIR DE PROPOSITION EN MATIÈRE DE NOMINATION AUX OFFICES DES SELARL ET DE LEURS ASSOCIÉS (ART - 81 DU DÉCRET DU 13 JANVIER 1993 ET ART - 118 DU DÉCRET DU 5 JUILLET 1973) - CONSÉQUENCE - IMPOSSIBILITÉ POUR LE MINISTRE DE PRENDRE UNE MESURE QUI NE LUI A PAS ÉTÉ PROPOSÉE - INCOMPÉTENCE.

06-07 Il résulte des dispositions régissant, en Alsace-Moselle, les nominations aux offices notariaux des SELARL et de leurs associés, que l'autorité ministérielle ne peut légalement prendre une mesure qui ne lui a pas été proposée par la commission de présentation, tout en ayant la faculté, si besoin est, de solliciter une nouvelle proposition [RJ1]. En l'absence d'une telle proposition, l'arrêté portant nomination est entaché d'un vice d'incompétence [RJ2], qu'il appartient au juge de relever d'office.

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - INSTANCES D`ORGANISATION DES PROFESSIONS AUTRES QUE LES ORDRES - NOTAIRES - ALSACE-MOSELLE - COMMISSION DE PROPOSITION - POUVOIR DE PROPOSITION EN MATIÈRE DE NOMINATION AUX OFFICES DES SELARL ET DE LEURS ASSOCIÉS (ART - 81 DU DÉCRET DU 13 JANVIER 1993 ET ART - 118 DU DÉCRET DU 5 JUILLET 1973) - CONSÉQUENCE - IMPOSSIBILITÉ POUR LE MINISTRE DE PRENDRE UNE MESURE QUI NE LUI A PAS ÉTÉ PROPOSÉE - INCOMPÉTENCE.

55-015 Il résulte des dispositions régissant, en Alsace-Moselle, les nominations aux offices notariaux des SELARL et de leurs associés, que l'autorité ministérielle ne peut légalement prendre une mesure qui ne lui a pas été proposée par la commission de présentation, tout en ayant la faculté, si besoin est, de solliciter une nouvelle proposition [RJ1]. En l'absence d'une telle proposition, l'arrêté portant nomination est entaché d'un vice d'incompétence [RJ2], qu'il appartient au juge de relever d'office.


Références :

[RJ1]

Rappr. CE, juge des référés, 28 décembre 2004, Ecole inter-régionale d'avocats des ressorts des cours d'appel de Besançon, Dijon et Reims, n° 275606, B....

[RJ2]

Cf. CE 30 juillet 1997, Confédération nationale de la production française des vins doux naturels d'appellation d'origine contrôlée, n° 147826, A, fiché sur un autre point.


Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: M. Arthur DENIZOT
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : CABINET RACINE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-01-24;22nc01555 ?
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