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04/04/2023 | FRANCE | N°22NC02518

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 04 avril 2023, 22NC02518


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui renouveler son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éloignement.

Par un jugement n° 2105382 du 8 décembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédu

re devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 octobre 2022, M. B..., représenté pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui renouveler son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éloignement.

Par un jugement n° 2105382 du 8 décembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Sabatakakis, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 décembre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2021 de la préfète du Bas-Rhin portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination de son éloignement ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'alinéa 2 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- la décision méconnaît l'autorité de la chose jugée qui s'attache au jugement du 27 avril 2021 du tribunal administratif de Strasbourg qui a annulé le précédent arrêt du 1er mars 2021 pris à son encontre ; la préfète du Bas-Rhin ne pouvait pas prendre de nouvel arrêté sans l'avoir convoqué préalablement afin de procéder à un réexamen de sa situation ;

- elle n'a pas respecté le principe du contradictoire ainsi que son droit d'être entendu tels que prévus par l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration et l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; alors que l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 27 avril 2021 enjoignait à l'autorité préfectorale de procéder à un réexamen de sa situation, il n'a pas été convoqué à un entretien ;

- la décision est entachée d'une erreur de fait et d'un défaut d'examen de sa situation ; la décision mentionne qu'il a la nationalité palestinienne alors qu'il est d'origine palestinienne ;

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

sur la décision fixant le pays de renvoi :

- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il ne bénéficie pas d'un droit au retour sur les territoires palestiniens et ne possède pas non plus la nationalité algérienne ; il peut donc prétendre à la qualité d'apatride car sa situation répond à la définition de l'article 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954 ;

- la décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il a été privé de l'exercice de ses droits fondamentaux par les autorités algériennes en raison de ses origines palestiniennes.

La préfète du Bas-Rhin, à qui la procédure a été communiquée, n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 25 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 25 novembre 2022 à 12h 00.

M. B... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision non datée mais expédiée le 27 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né le 28 décembre 1983 en Algérie, est titulaire d'un passeport palestinien qui selon une attestation de la Mission Palestine en France est réservé à usage extérieur lui permettant de circuler dans le monde à l'exception de la Palestine. Il a déclaré être entré en France le 10 juillet 2017 afin de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides le 18 mai 2018, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 15 septembre 2020. Par un arrêté du 1er mars 2021, la préfète du Bas-Rhin lui a refusé le renouvellement de son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Cet arrêté a été annulé par un jugement du 27 avril 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg pour défaut d'examen de situation. Le requérant a sollicité le réexamen de sa demande d'asile le 4 mars 2021 et celle-ci a fait l'objet d'un rejet pour irrecevabilité par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 9 mars 2021, notifiée le 31 mars 2021. Par un arrêté du 8 juillet 2021, la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui renouveler son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éloignement. M. B... relève appel du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 8 décembre 2021 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; " Aux termes de l'article L. 531-32 du même code : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides peut prendre une décision d'irrecevabilité écrite et motivée, sans vérifier si les conditions d'octroi de l'asile sont réunies, dans les cas suivants :(...) 3° En cas de demande de réexamen lorsque, à l'issue d'un examen préliminaire effectué selon la procédure définie à l'article L. 531-42, il apparaît que cette demande ne répond pas aux conditions prévues au même article (...) ". Aux termes de l'article L. 531-42 de ce code : " (...) Lorsque, à la suite de cet examen préliminaire, l'office conclut que ces faits ou éléments nouveaux n'augmentent pas de manière significative la probabilité que le demandeur justifie des conditions requises pour prétendre à une protection, il peut prendre une décision d'irrecevabilité ".

3. En premier lieu, il ressort des termes de la décision attaquée que la mesure d'éloignement contestée a été prise, sur le fondement des dispositions précitées, à la suite du rejet par l'OFPRA de la demande de réexamen du requérant au motif de son irrecevabilité. Elle mentionne en outre que le requérant a la nationalité palestinienne. Cette nouvelle décision révèle par ces motifs que la préfète a bien réexaminé la situation du requérant notamment au regard du motif d'annulation retenue par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg dans son jugement du 27 avril 2021 qui a sanctionné le défaut d'examen par l'administration de la situation de l'intéressé au regard de sa nationalité palestinienne qu'il a reconnu.

4. Par ailleurs, M. B... disposait de la possibilité de faire valoir ses observations dans le cadre de sa demande de réexamen de sa demande d'asile. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de la reconnaissance de la qualité de réfugié, n'impose pas à l'autorité administrative de le mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise concomitamment et en conséquence du refus définitif de reconnaissance de la qualité de réfugié ou de l'octroi de bénéfice de la protection subsidiaire. En l'espèce, le requérant a renouvelé sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile et a pu, à cette occasion, préciser à l'administration les motifs pour lesquels il présentait cette demande et produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de celle-ci. En outre, le requérant ne se prévaut d'aucun élément pertinent de nature à établir qu'il aurait été privé de les faire valoir et qui aurait pu influer sur le contenu de la mesure d'éloignement contestée qui sanctionne son séjour irrégulier pour l'appréciation duquel sa nationalité est sans incidence.

5. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de la chose jugée, du non-respect du contradictoire et de ce que la décision attaquée méconnaîtrait le principe général des droits de la défense, notamment son droit d'être entendu, doivent être écartés.

6. En deuxième lieu, s'il ressort effectivement des pièces du dossier que contrairement à ce qui est indiqué dans l'arrêté contesté, qui s'est conformé au motif du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg, que le requérant ne dispose pas de la nationalité palestinienne, cette erreur est sans incidence sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire prise à la suite du rejet par l'OFPRA de la demande de réexamen du requérant, qui n'a pas pour objet de fixer le pays de destination. Les moyens tirés de l'erreur de fait et du défaut d'examen relatifs à la nationalité du requérant, soulevés à l'appui de la contestation de l'obligation de quitter le territoire français, sont inopérants et doivent être écartés pour ce motif.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui ne peut être regardé comme ayant la qualité de réfugié alors même qu'il ne disposerait pas d'un droit au séjour en Algérie, est né et a grandi dans ce pays jusqu'à son entrée en France à l'âge de 34 ans, qu'il est célibataire, sans charges familiales et qu'il ne démontre pas posséder de liens stables et intenses en France. Dans ces conditions, la décision litigieuse ne peut être regardée comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit dès lors être écarté.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :

9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soulever, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ;2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ;3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

11. Comme il a été dit ci-avant, contrairement à ce qui est indiqué dans l'arrêté litigieux, le requérant n'a pas la nationalité palestinienne. Aussi, la décision fixant le pays de destination en tant qu'elle indique qu'il pourra être éloigné à destination du pays dont il a la nationalité doit être annulée.

12. En revanche la circonstance qu'il ne serait pas admissible en Algérie est sans incidence sur la légalité de la décision en litige qui ne fixe pas l'Algérie comme pays dans lequel le requérant serait susceptible d'être renvoyé. La circonstance qu'il pourrait prétendre au statut d'apatride est également sans incidence sur la légalité de la décision contestée.

13. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

14. Dès lors que la décision en litige ne fixe pas précisément l'Algérie comme pays de destination, le requérant ne peut utilement soutenir qu'il encourrait personnellement des risques pour sa personne, au demeurant non établis, en cas de retour dans ce pays.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est uniquement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination en tant qu'elle désigne celui dont il la nationalité, soit la Palestine.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur les dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'alinéa 2 de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

D E C I D E :

Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2105382 du 8 décembre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination en tant qu'elle désigne celui dont il la nationalité.

Article 2 : Le décision du 8 juillet 2021 fixant le pays de destination en tant qu'elle indique qu'il pourra être éloigné à destination du pays dont il a la nationalité, soit la Palestine, est annulée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête doit être rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Sabatakakis.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023.

La rapporteure,

Signé : S. D...La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 22NC02518


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02518
Date de la décision : 04/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SABATAKAKIS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-04-04;22nc02518 ?
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