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16/05/2023 | FRANCE | N°23NC00103

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 16 mai 2023, 23NC00103


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités hongroises responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2207473 du 24 novembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg l'a admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requ

ête enregistrée le 11 janvier 2023, M. B... A..., représenté par Me Sabatakakis, demande à la c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités hongroises responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2207473 du 24 novembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg l'a admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 janvier 2023, M. B... A..., représenté par Me Sabatakakis, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2022 pris à son encontre par la préfète du Bas-Rhin ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de le placer en procédure d'asile normale et de lui délivrer, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, une attestation de demande d'asile, ou subsidiairement de réexaminer sa situation dans le même délai ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil, sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté méconnaît les dispositions des articles 9 et 16 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 en application desquelles la France est responsable de sa demande d'asile ;

- c'est en commettant une erreur manifeste d'appréciation que la préfète n'a pas fait application de la clause discrétionnaire prévue par l'article 17.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'il existe un risque de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Hongrie.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 mars 2023

Par ordonnance du 5 avril 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 20 avril 2023.

Un mémoire, produit par la préfète du Bas-Rhin, a été enregistré le 25 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Samson-Dye, présidente-rapporteure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant afghan né le 1er octobre 1988, est entré en France le 25 août 2022, selon ses déclarations. Le 7 novembre 2022, une attestation de demande d'asile en procédure Dublin lui a été remise. Les autorités hongroises, saisies le 27 septembre 2022 d'une demande de prise en charge sur le fondement de l'article 18-1 du règlement (UE) n° 604/2013, ont donné leur accord le 11 octobre 2022. En conséquence, par un arrêté du 21 octobre 2022, la préfète du Bas-Rhin a ordonné le transfert de l'intéressé aux autorités hongroises. M. A... relève appel du jugement par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté pris à son encontre le 21 octobre 2022.

Sur la légalité de l'arrêté de transfert :

2. Aux termes de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, il est procédé à l'enregistrement de la demande selon les modalités prévues au chapitre I du titre II. / Une attestation de demande d'asile est délivrée au demandeur selon les modalités prévues à l'article L. 521-7. Elle mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. " Aux termes de l'article L. 572-3 du même code : " La procédure de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ne peut être engagée dans le cas de défaillances systémiques dans l'Etat considéré mentionné au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. ". Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ".

3. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre, l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement, ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

5. La Cour de justice de l'Union européenne a constaté, par un arrêt C-808/18 du 17 décembre 2020 rendu en grande chambre, le manquement des autorités hongroises aux obligations leur incombant en vertu, d'abord, des dispositions de la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ensuite, de celles de la directive n° 2013/32/UE du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale, enfin, de celles de la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale. Elle a en particulier jugé que la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ces textes " : - en prévoyant que les demandes de protection internationale émanant de ressortissants de pays tiers ou d'apatrides qui, arrivant de Serbie, souhaitent accéder, sur son territoire, à la procédure de protection internationale, ne peuvent être présentées que dans les zones de transit de Röszke et de Tompa, tout en adoptant une pratique administrative constante et généralisée limitant drastiquement le nombre de demandeurs autorisés à pénétrer quotidiennement dans ces zones de transit ; - en instaurant un système de rétention généralisée des demandeurs de protection internationale dans les zones de transit de Röszke et de Tompa, sans respecter les garanties prévues à l'article 24, paragraphe 3, et à l'article 43 de la directive 2013/32 ainsi qu'aux articles 8, 9 et 11 de la directive 2013/33 ;- en permettant l'éloignement de tous les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire, à l'exception de ceux d'entre eux qui sont soupçonnés d'avoir commis une infraction, sans respecter les procédures et garanties prévues à l'article 5, à l'article 6, paragraphe 1, à l'article 12, paragraphe 1, et à l'article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115 ; - en subordonnant à des conditions contraires au droit de l'Union l'exercice, par les demandeurs de protection internationale qui relèvent du champ d'application de l'article 46, paragraphe 5, de la directive 2013/32, de leur droit de rester sur son territoire ". Prenant acte de cet arrêt, l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex) a décidé, le 27 janvier 2021, de suspendre ses opérations de protection des frontières extérieures de l'Union européenne (UE) en Hongrie, afin de ne pas les compromettre avec des actions qui ne seraient pas pleinement conformes au droit de l'Union européenne.

6. Par un arrêt C-821/19 du 16 novembre 2021, rendu également en grande chambre, la Cour de justice de l'Union européenne a constaté que la Hongrie avait commis les mêmes manquements que ceux identifiés dans son arrêt C-808/18 du 17 décembre 2020. Elle a en outre jugé que " la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 33, paragraphe 2, de la directive 2013/32, en permettant de rejeter comme étant irrecevable une demande de protection internationale au motif que le demandeur est arrivé sur son territoire par un Etat dans lequel il n'est pas exposé à des persécutions ou à un risque d'atteintes graves, ou dans lequel un degré de protection adéquat est assuré ". Le 12 novembre 2021, la Commission européenne a saisi la Cour de justice de l'Union européenne afin d'ordonner à la Hongrie le paiement des sanctions pécuniaires pour non-respect de l'arrêt précité du 17 décembre 2020, notamment en ne prenant pas de mesures pour garantir un accès effectif à la procédure d'asile.

7. L'ensemble des éléments énoncés aux points précédents caractérise l'existence, depuis plusieurs années, et la persistance, en Hongrie, d'une privation, pour les demandeurs d'asile, des garanties de procédure ainsi que des conditions minimales d'accueil dont ils sont en droit de bénéficier. Par suite, il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile. Ainsi, M. A... est fondé à soutenir qu'en décidant son transfert aux autorités hongroises responsables de l'examen de leur demande d'asile, l'administration a méconnu les dispositions précitées du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement contesté a rejeté sa demande et à demander en conséquence son annulation sur ce point, ainsi que celle de l'arrêté du 21 octobre 2022 portant transfert aux autorités hongroises.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Eu égard au motif de l'annulation de la décision de transfert en litige, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'un autre Etat que la France pourrait être considéré comme responsable de l'examen de la demande d'asile de M. A... en vertu des critères énoncés au chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le présent arrêt implique nécessairement que sa demande d'asile soit instruite en France. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de délivrer à M. A..., le temps de l'examen de sa demande d'asile en France, l'attestation de demande d'asile mentionnées à l'article L. 521-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai de huit jours, à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais de l'instance :

10. M. A... est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Sabatakakis de la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.

D E C I D E :

Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2207473 du 24 novembre 2022 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 21 octobre 2022 de la préfète du Bas-Rhin est annulé.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de délivrer à M. B... A..., le temps de l'examen de sa demande d'asile en France, l'attestation de demande d'asile mentionnées à l'article L. 521-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai de huit jours, à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Sabatakakis, avocate de M. A..., la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Sabatakakis renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Sabatakakis et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 9 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023

La présidente-rapporteure,

Signé : A. Samson-Dye

L'assesseure la plus ancienne,

Signé : S. Roussaux La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 23NC00103


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00103
Date de la décision : 16/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SABATAKAKIS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-05-16;23nc00103 ?
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