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20/02/2024 | FRANCE | N°20NC03033

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 20 février 2024, 20NC03033


Vu les procédures suivantes :



I. Par une requête et six mémoires complémentaires, enregistrés respectivement les 15 et 16 octobre 2020 et les 15 février, 5 mars, 8 avril, 17 mai et 1er juin 2021, sous le n° 20NC03033, la commune des Rousses, représentée par Me Le Fouler, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :



1°) d'annuler l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial du 22 juillet 2020 sur le projet de la SARL Du Haut portant création, sur son territoire, d'un ensemble commercial d'une sur

face totale de vente de 2 635 mètres carrés ;



2°) de mettre à la charge de ...

Vu les procédures suivantes :

I. Par une requête et six mémoires complémentaires, enregistrés respectivement les 15 et 16 octobre 2020 et les 15 février, 5 mars, 8 avril, 17 mai et 1er juin 2021, sous le n° 20NC03033, la commune des Rousses, représentée par Me Le Fouler, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial du 22 juillet 2020 sur le projet de la SARL Du Haut portant création, sur son territoire, d'un ensemble commercial d'une surface totale de vente de 2 635 mètres carrés ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat, de la société Jadoric, de la société Huit, de la société Glouglou Market et de Mme A... B... la somme de 7 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la cour est compétente pour statuer en premier et dernier ressort sur le présent litige ;

- eu égard à sa situation de compétence liée pour refuser de délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commercial sollicité par la SARL Du Haut, du fait de l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial du 22 juillet 2020, elle est recevable à demander l'annulation pour excès de pouvoir de cet avis ;

- sa requête n'est pas tardive et, étant favorable au projet de la SARL Du Haut, elle justifie d'un intérêt à agir contre l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial du 22 juillet 2020 ;

- l'avis du 22 juillet 2020 est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'il n'est pas démontré que les membres de la Commission nationale d'aménagement commercial ont été convoqués conformément aux exigences de l'article R. 752-35 du code de commerce ;

- l'avis du 22 juillet 2020 est entaché d'une erreur de droit dès lors que, à la date de la saisine de la Commission nationale d'aménagement commercial le 28 mai 2020, l'avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial du Jura du 13 février 2020 était devenu définitif et ne pouvait plus être contesté ;

- la suspension des délais applicables aux recours administratifs préalables obligatoires dirigés contre les avis rendus par la commissions départementales d'aménagement commercial, instituée au troisième alinéa de l'article 12 bis de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, ne saurait s'appliquer rétroactivement aux délais expirés à la date d'entrée en vigueur des dispositions en cause, sous peine de méconnaître les principes de sécurité juridique et de confiance légitime garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Commission nationale d'aménagement commercial ne lui a pas communiqué, malgré ses demandes répétées, certaines pièces ou courriers, dont elle a été destinataire au cours de l'instruction de la demande d'autorisation d'exploitation commerciale de la SARL Du Haut, de sorte qu'elle n'a pu disposer de l'ensemble des éléments qui lui auraient permis de contester utilement l'avis du 22 juillet 2020 ;

- l'appréciation portée sur le dossier par les membres de la Commission nationale d'aménagement commercial a été faussée dès lors que le rapport du service instructeur, qui s'est abstenu de reprendre les informations complémentaires apportées par la pétitionnaire au cours de l'instruction de sa demande, relatives à l'extension de la zone de chalandise aux communes suisses, à l'état du trafic routier aux abords du site et à la contribution du projet à l'animation, la préservation ou la revitalisation du tissu commercial, n'était ni exhaustif, ni objectif ;

- l'avis du 22 juillet 2020 méconnaît les dispositions de l'article L. 752-21 du code de commerce ;

- les membres de la Commission nationale d'aménagement commercial ont été mis à même de se prononcer en pleine connaissance de cause sur le projet dès lors que la pétitionnaire a intégré, dans la zone de chalandise, les communes suisses situées de l'autre côté de la frontière et qu'elle a fourni aux membres de la Commission nationale d'aménagement commercial des informations suffisantes pour apprécier les effets de ce projet sur les équipements commerciaux existants, sur l'animation de la vie urbaine et sur la circulation routière ;

- l'avis du 22 juillet 2020 est entaché d'une erreur d'appréciation dès lors que les conditions d'accessibilité au parc de stationnement ne présentent aucune dangerosité particulière et ne sont pas de nature à générer des conflits d'usage entre les véhicules de livraison et ceux de la clientèle, que le terrain d'assiette du projet est desservi par les transports en commun en période hivernale et estivale et, enfin, que la qualité paysagère et architecturale du projet n'est pas insuffisante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2020, la Commission nationale d'aménagement commercial conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- les conclusions de la commune des Rousses à fin d'annulation de son avis du 22 juillet 2020 sont irrecevables dès lors que la SARL Du Haut est l'unique porteur du projet, que la commune ne se prévaut d'aucun préjudice particulier, que son maire, qui a voté en faveur de ce projet au sein de la commission départementale d'aménagement commercial du Jura, sans s'estimer être en situation de conflit d'intérêts au sens de l'article L. 751-3 du code de commerce, a implicitement admis son absence d'intérêt à agir contre l'avis en litige et que cet avis constitue, en tout état de cause, un acte préparatoire insusceptible de recours ;

- le recours administratif préalable obligatoire, formé devant elle le 28 mai 2020, n'était pas tardif ;

- son avis défavorable du 22 juillet 2020 est suffisamment motivé et n'est entaché d'aucune erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense et cinq mémoires complémentaires, enregistrés respectivement les 15 février, 8 mars, 8 avril, 17 mai et 7 juin 2021, la société Jadoric, la société Huit, la société Glouglou Market et Mme A... B..., représentées par Me Renaux, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de la commune des Rousses et de la SARL Du Haut d'une somme de 5 000 euros chacune en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que :

- leur recours administratif préalable obligatoire, formé devant la Commission nationale d'aménagement commercial le 28 mai 2020, n'était pas tardif ;

- la convocation des membres de la Commission nationale d'aménagement commercial à la réunion du 22 juillet 2020 a été régulière ;

- la zone de chalandise retenue, même rectifiée, demeure contestable et ne permet pas de se prononcer sur l'impact réel du projet ;

- en l'absence d'informations sur l'activité des centres-villes et sur la contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial local, ainsi que d'une étude de trafic permettant d'apprécier les effets de ce projet sur les flux de circulation, le dossier de demande d'autorisation d'exploitation commerciale était incomplet et ne répondait pas aux exigences imposées par les textes en vigueur ;

- le rapport du service instructeur, qui a repris l'ensemble des informations complémentaires apportées par la pétitionnaire au cours de l'instruction de sa demande, n'a pas faussé l'appréciation portée sur le dossier par les membres de la Commission nationale d'aménagement commercial dès lors qu'il n'était ni incomplet, ni dépourvu d'objectivité ;

- eu égard aux nombreuses lacunes du dossier de demande d'autorisation d'exploitation commerciale et au caractère substantiel des modifications requises par les motifs de refus opposés au projet, l'absence de mention, dans l'avis défavorable du 22 juillet 2020, de la faculté de saisir directement la Commission nationale d'aménagement commercial d'une nouvelle demande en application de l'article L. 752-21 du code de commerce n'est pas de nature à entacher cet avis d'irrégularité ;

- la Commission nationale d'aménagement commercial n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant que le projet de la SARL Du Haut compromettait les objectifs fixés par l'article L. 752-6 du code de commerce.

II. Par une requête et six mémoires complémentaires, enregistrés respectivement les 23 octobre 2020, 15 février, 5 mars, 8 avril, 17 mai, 3 juin et 20 août 2021, sous le n° 20NC03114, la SARL Du Haut, représentée par Me Le Fouler, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'arrêté du 31 août 2020 par lequel le maire des Rousses a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la création sur le territoire de cette commune d'un ensemble commercial d'une surface totale de vente de 2 635 mètres carrés ;

2°) dans le cas où la cour ne jugerait pas irrecevable le recours administratif préalable obligatoire formé devant la Commission nationale d'aménagement commercial, d'enjoindre à cette commission de rendre un nouvel avis sur son projet dans un délai de quatre mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de cinq cents euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, de la société Jadoric, de la société Huit, de la société Glouglou Market et de Mme A... B... la somme totale de 15 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la cour est compétente pour statuer en premier et dernier ressort sur le présent litige ;

- sa requête n'est pas tardive et son intérêt à agir contre l'arrêté du maire des Rousses du 31 août 2020 est incontestable ;

- l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial du 22 juillet 2020 est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'il n'est pas démontré que les membres de cette commission ont été convoqués conformément aux exigences de l'article R. 752-35 du code de commerce ;

- c'est à tort que le maire des Rousses s'est estimé en situation de compétence liée pour rejeter sa demande de permis de construire dès lors que, à la date de la saisine de la Commission nationale d'aménagement commercial le 28 mai 2020, l'avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial du Jura du 13 février 2020 était devenu définitif et ne pouvait plus être contesté ;

- la suspension des délais applicables aux recours administratifs préalables obligatoires dirigés contre les avis rendus par la commissions départementales d'aménagement commercial, instituée au troisième alinéa de l'article 12 bis de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, ne saurait s'appliquer rétroactivement aux délais expirés à la date d'entrée en vigueur des dispositions en cause, sous peine de méconnaître les principes de sécurité juridique et de confiance légitime garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Commission nationale d'aménagement commercial ne lui a pas communiqué, malgré ses demandes répétées, certaines pièces ou courriers, dont elle a été destinataire au cours de l'instruction de sa demande d'autorisation d'exploitation commerciale, de sorte qu'elle n'a pu disposer de l'ensemble des éléments qui lui auraient permis de contester utilement l'avis du 22 juillet 2020 ;

- l'appréciation portée sur le dossier par les membres de la Commission nationale d'aménagement commercial a été faussée dès lors que le rapport du service instructeur, qui s'est abstenu de reprendre les informations complémentaires apportées par la pétitionnaire au cours de l'instruction de sa demande, relatives à l'extension de la zone de chalandise aux communes suisses, à l'état du trafic routier aux abords du site et à la contribution du projet à l'animation, la préservation ou la revitalisation du tissu commercial, n'était ni exhaustif, ni objectif ;

- l'avis du 22 juillet 2020 est insuffisamment motivé au regard des dispositions des articles L. 752-21 et R. 752-43-1 du code de commerce ;

- les membres de la Commission nationale d'aménagement commercial ont été mis à même de se prononcer en pleine connaissance de cause sur le projet dès lors que la pétitionnaire a intégré, dans la zone de chalandise, les communes suisses situées de l'autre côté de la frontière et qu'elle a fourni aux membres de la Commission nationale d'aménagement commercial des informations suffisantes pour apprécier les effets de ce projet sur les équipements commerciaux existants, sur l'animation de la vie urbaine et sur la circulation routière ;

- l'avis du 22 juillet 2020 est entaché d'une erreur d'appréciation dès lors que les conditions d'accessibilité au parc de stationnement ne présentent aucune dangerosité particulière et ne sont pas de nature à générer des conflits d'usage entre les véhicules de livraison et ceux de la clientèle, que le terrain d'assiette du projet est desservi par les transports en commun en période hivernale et estivale et, enfin, que la qualité paysagère et architecturale du projet n'est pas insuffisante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2020, la Commission nationale d'aménagement commercial conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- l'Etat n'étant pas partie à l'instance n° 20NC03114, les conclusions présentées par la SARL Du Haut à son encontre sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne sont pas recevables ;

- le recours administratif préalable obligatoire, formé devant elle le 28 mai 2020, n'était pas tardif ;

- son avis défavorable du 22 juillet 2020 est suffisamment motivé et n'est entaché d'aucune erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense et quatre mémoires complémentaires, enregistrés les 15 février, 8 mars, 8 avril, 17 mai et 7 juin 2021, la société Jadoric, la société Huit, la société Glouglou Market et Mme A... B..., représentées par Me Renaux, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de la SARL Du Haut et de la commune des Rousses d'une somme de 5 000 euros chacune en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que :

- leur recours administratif préalable obligatoire, formé devant la Commission nationale d'aménagement commercial le 28 mai 2020, n'était pas tardif ;

- la convocation des membres de la Commission nationale d'aménagement commercial à la réunion du 22 juillet 2020 a été régulière ;

- l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial du 22 juillet 2020 est suffisamment motivé ;

- la SARL Du Haut n'est pas fondée à se prévaloir d'une violation des dispositions des articles L. 752-21 et R. 752-43-1 du code de commerce ;

- la zone de chalandise retenue, même rectifiée, demeure contestable et ne permet pas de se prononcer sur l'impact réel du projet ;

- en l'absence d'informations sur l'activité des centres-villes et sur la contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial local, ainsi que d'une étude de trafic permettant d'apprécier les effets de ce projet sur les flux de circulation, le dossier de demande d'autorisation d'exploitation commerciale était incomplet et ne répondait pas aux exigences imposées par les textes en vigueur ;

- le rapport du service instructeur, qui a repris l'ensemble des informations complémentaires apportées par la pétitionnaire au cours de l'instruction de sa demande, n'a pas faussé l'appréciation portée sur le dossier par les membres de la commission nationale d'aménagement commercial, dès lors qu'il n'était ni incomplet, ni dépourvu d'objectivité ;

- la Commission nationale d'aménagement commercial n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant le projet de la SARL Du Haut compromettait les objectifs fixés par l'article L. 752-6 du code de commerce.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de commerce ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;

- le décret n° 2019-331 du 17 avril 2019 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Meisse,

- les conclusions de M. Marchal, rapporteur public,

- et les observations de Me Le Fouler pour la commune des Rousses et la SARL Du Haut et de Me Lopez-Longueville pour les sociétés Jadoric, Huit, Glouglou Market et Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Le 20 décembre 2019, la SARL Du Haut a sollicité la délivrance d'un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la réalisation d'un ensemble commercial de cinq cellules d'une surface totale de vente de 2 635 mètres carrés, sur un terrain constitué de deux parcelles cadastrées section AD n° 473 et n° 432 et situé à l'entrée sud de la commune des Rousses, dans la zone artisanale du Bois de l'Ours, à 800 mètres environ du centre-bourg. Desservi par la route nationale n° 5, qui constitue l'axe routier principal de la commune, le projet prévoit notamment le déménagement et l'agrandissement du magasin d'alimentation à l'enseigne " Biocoop ", déjà exploité sur le territoire communal et dont la surface de vente serait portée à 483 mètres carrés, l'implantation d'un nouveau magasin de jardinage et d'outillage à l'enseigne " Jardival ", d'une surface de vente de 1 352 mètres carrés, et celle de trois commerces non alimentaires, non encore déterminés et présentant une surface de vente totale de 800 mètres carrés. Dans le cadre de l'instruction de cette demande de permis de construire, le maire des Rousses a transmis le dossier à la commission départementale d'aménagement commercial du Jura, qui a émis un avis unanime favorable au projet le 13 février 2020. Toutefois, cet avis ayant été contesté par plusieurs concurrents implantés sur le territoire de la commune, en application des dispositions de l'article L. 752-17 du code de commerce, la Commission nationale d'aménagement commercial a, le 22 juillet 2020, émis un avis défavorable sur la demande de permis de construire, à l'unanimité de ses membres, l'autorisation d'exploitation commerciale ainsi sollicitée. Se trouvant en situation de compétence liée, le maire des Rousses, par un arrêté du 31 août 2020, a refusé de faire droit à la demande de délivrance de permis de construire présentée par la pétitionnaire. Par les présentes requêtes, qu'il convient de joindre pour statuer par un seul arrêt, la commune des Rousses, qui se déclare favorable au projet, et la SARL Du Haut demandent à la cour d'annuler, pour la première, l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commerciale du 22 juillet 2020 et, pour la seconde, l'arrêté du maire des Rousses du 31 août 2020.

En ce qui concerne le dossier n° 20NC03033 :

Sur la fin de non-recevoir opposée par la Commission nationale d'aménagement commercial :

2. Aux termes du second alinéa de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial. (...) / A peine d'irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées à l'article L. 752-17 du même code est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire. ". Aux termes du premier paragraphe de l'article L. 752-17 du code de commerce : " Conformément à l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, le demandeur, le représentant de l'Etat dans le département, tout membre de la commission départementale d'aménagement commercial, tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d'être affectée par le projet ou toute association les représentant peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial. / La Commission nationale d'aménagement commercial émet un avis sur la conformité du projet aux critères énoncés à l'article L. 752-6 du présent code, qui se substitue à celui de la commission départementale. En l'absence d'avis exprès de la commission nationale dans le délai de quatre mois à compter de sa saisine, l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial est réputé confirmé. / A peine d'irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées au premier alinéa du présent I est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire. Le maire de la commune d'implantation du projet et le représentant de l'Etat dans le département ne sont pas tenus d'exercer ce recours préalable. ".

3. Il résulte de ces dispositions que l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial ou de la Commission nationale d'aménagement commercial a le caractère d'un acte préparatoire à la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, seule décision susceptible de recours contentieux. Il en va ainsi que l'avis soit favorable ou qu'il soit défavorable. Par suite et alors même qu'un permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale en application des dispositions de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme ne peut être légalement délivré par le maire, au nom de la commune, que sur avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial compétente ou, le cas échéant, sur avis favorable de la Commission nationale d'aménagement commercial et, qu'ainsi, cet avis lie le maire s'agissant de l'autorisation d'exploitation commerciale sollicitée, la commune d'implantation du projet n'est pas recevable à demander l'annulation pour excès de pouvoir de cet avis, qui, comme il a été dit, a le caractère d'acte préparatoire à la décision prise sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale. Elle est, en revanche, recevable à contester, par la voie d'un recours pour excès de pouvoir, la décision qu'elle prend sur cette demande en tant seulement qu'elle se prononce sur l'autorisation d'exploitation commerciale sollicitée, pour autant qu'elle justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir.

4. Par suite, la commune des Rousses n'étant pas recevable à contester, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l'avis défavorable du 22 juillet 2020, il y a lieu d'accueillir la fin de non-recevoir opposée en défense par la Commission nationale d'aménagement commercial et de rejeter pour irrecevabilité les conclusions à fin d'annulation présentées par la commune.

Sur les frais de justice :

5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par la commune des Rousses au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Jadoric, la société Huit, la société Glouglou Market et Mme A... B... sur le fondement des mêmes dispositions.

En ce qui concerne le dossier n° 20NC03114 :

Sur l'arrêté du maire des Rousses du 31 août 2020 :

6. Si, lorsque la délivrance d'une autorisation administrative est subordonnée à l'accord préalable d'une autre autorité, le refus d'un tel accord, qui s'impose à l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision.

7. Aux termes de l'article R. 752-35 du code de commerce : " La commission nationale se réunit sur convocation de son président. / Cinq jours au moins avant la réunion, chacun des membres reçoit, par tout moyen, l'ordre du jour ainsi que, pour chaque dossier : 1° L'avis ou la décision de la commission départementale ; 2° Le procès-verbal de la réunion de la commission départementale ; 3° Le rapport des services instructeurs départementaux ; 4° Le ou les recours à l'encontre de l'avis ou de la décision ; 5° Le rapport du service instructeur de la commission nationale. ".

8. Il ressort des pièces du dossier que les membres de la Commission nationale d'aménagement commercial ont été convoqués, par un courrier du 6 juillet 2020, pour la séance du 22 juillet 2020. L'annexe jointe à cette lettre de convocation comportait un ordre du jour portant notamment sur " le permis de construire délivré en vue de la création d'un ensemble commercial sur le territoire de la commune des Rousses dans le département du Jura ". Reprenant de façon littérale les dispositions de l'article R. 752-35 du code de commerce relatives aux pièces accompagnant chaque dossier à examiner, cette annexe indiquait également que ces documents ne seraient pas imprimés par le secrétariat, mais seraient disponibles sur la plateforme de téléchargement cinq jours au moins avant la tenue de la séance. La Commission nationale d'aménagement commercial produit, en outre, une attestation de la société assurant l'exploitation du site " e-convocations.com ", dont il résulte seulement que la convocation a bien été transmise, de façon simultanée, le 6 juillet 2020 à 15 heures 07, à tous ses membres. Dans ces conditions, alors qu'elle était seule en mesure d'établir la régularité de la procédure de convocation litigieuse et le respect du délai de mise à disposition des pièces énumérées à l'article R. 732-35 du code de commerce, elle ne justifie pas, par les seuls éléments versés aux débats, que les membres de la commission auraient été effectivement mis à même de prendre connaissance, en temps utile, de l'ensemble des documents requis par les dispositions en cause. Par suite, la SARL Du Haut est fondée à soutenir que la méconnaissance de ces dispositions a entaché d'irrégularité l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial du 22 juillet 2020 et à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêté du maire des Rousses du 31 août 2020.

9. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier. ".

10. Pour l'application de ces dispositions, aucun des autres moyens de la requête n'est susceptible, en l'état du dossier, de fonder l'annulation de l'arrêté du maire des Rousses du 31 août 2020.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ".

12. En vertu de ces dispositions, le juge administratif peut, s'il annule la décision prise par l'autorité administrative sur une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale et en fonction des motifs qui fondent cette annulation, prononcer une injonction tant à l'égard de l'autorité administrative compétente pour statuer sur la demande de permis qu'à l'égard de la Commission nationale d'aménagement commercial. La circonstance que cette commission soit chargée par l'article R. 752-36 du code de commerce d'instruire les recours dont elle est saisie ne fait pas obstacle à ce que le juge administratif lui enjoigne, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de prendre une mesure dans un sens déterminé si les motifs de la décision juridictionnelle l'impliquent nécessairement. Toutefois, l'annulation de la décision rejetant une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sur le fondement d'un avis défavorable rendu par la Commission nationale d'aménagement commercial n'implique, en principe, qu'un réexamen du projet par cette commission. Il n'en va autrement que lorsque les motifs de l'annulation impliquent nécessairement la délivrance d'un avis favorable.

13. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint à la Commission nationale d'aménagement commercial de procéder au réexamen du projet de la SARL Du Haut dans un délai de quatre mois suivant sa notification. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de justice :

14. D'une part, il résulte de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme et des articles L. 752-17 et R. 751-8 du code de commerce que l'Etat, représenté par le président de la Commission nationale d'aménagement commercial, a la qualité de partie au litige devant une cour administrative d'appel, saisie en premier et dernier ressort d'un recours pour excès de pouvoir formé par l'une des personnes mentionnées à l'article L. 752-17 du code de commerce, tendant à l'annulation de la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire en tant qu'elle concerne l'autorisation d'exploitation commerciale.

15. Contrairement aux allégations de la Commission nationale d'aménagement commercial, l'Etat ayant qualité de partie au litige, ainsi qu'il vient d'être dit, c'est à bon droit que la SARL Du Haut a dirigé contre celui-ci, et non pas contre la commune des Rousses, les conclusions de sa requête à fin d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

16. D'autre part, aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la SARL Du Haut et de la commune des Rousses, qui ne sont pas des parties perdantes dans la présente instance, la somme réclamée par la société Jadoric, la société Huit, la société Glouglou Market et Mme A... B... au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu également, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la requérante sur le fondement des mêmes dispositions en tant qu'elles sont dirigées contre ces défenderesses. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SARL Du Haut d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la commune des Rousses est rejetée.

Article 2 : L'arrêté du maire des Rousses du 31 août 2020 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint à la Commission nationale d'aménagement commercial de réexaminer le projet de la SARL Du Haut dans un délai de quatre mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à la SARL Du Haut la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Du Haut est rejeté.

Article 6 : Les conclusions présentées par la société Jadoric, la société Huit, la société Glouglou Market et par Mme A... B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées dans les deux dossiers.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la commune des Rousses, à la SARL Du Haut, à la Commission nationale d'aménagement commercial, à la société Jadoric, à la société Huit, à la société Glouglou Market et à Mme A... B....

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président de la chambre,

- Mme Bauer, présidente assesseure,

- M. Meisse, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.

Le rapporteur,

E. MEISSE

Le président,

C. WURTZ

Le greffier,

F. LORRAIN

La République mande et ordonne au préfet du Jura, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 20NC03033 et 20NC03114 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03033
Date de la décision : 20/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : LETANG AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-20;20nc03033 ?
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