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20/02/2024 | FRANCE | N°20NC03300

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 20 février 2024, 20NC03300


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision, applicable à la rentrée 2019, par laquelle le maire de la commune de Charleville-Mézières a décidé son changement d'affectation et de mettre à la charge de la commune une somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi.



Par un jugement n° 1902888 du 22 septembre 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 novembre 2020...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision, applicable à la rentrée 2019, par laquelle le maire de la commune de Charleville-Mézières a décidé son changement d'affectation et de mettre à la charge de la commune une somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi.

Par un jugement n° 1902888 du 22 septembre 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 novembre 2020, 6 avril 2021, 13 février 2023 et 14 mars 2023, Mme B..., représentée par la SCP Delgenes Vaucois Justine Delgenes, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 septembre 2020 du tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne ;

2°) d'annuler la décision de changement d'affectation pour la rentrée scolaire 2019 ;

3°) de condamner la commune de Charleville-Mézières à lui verser une somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Charleville-Mézières une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son changement d'affectation constitue une sanction disciplinaire déguisée ; les faits subis caractérisent des agissements répétés de harcèlement moral qui ont excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ;

- une enquête administrative a été diligentée sur l'ensemble du service de restauration scolaire sur l'existence de faits de harcèlement moral et sur le mode de fonctionnement managérial.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 mars 2021, 6 février 2023 et 27 février 2023, la commune de Charleville-Mezières, représentée par Me Carrere, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la décision de changement de lieu d'affectation constitue une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours ;

- la requérante ne produit aucun élément permettant d'établir que son simple changement de lieu d'affectation n'aurait pas été motivé par l'intérêt du service et qu'il aurait eu pour effet de dégrader ses conditions de travail ou même de la sanctionner ;

- ses conclusions indemnitaires sont irrecevables, faute de liaison préalable du contentieux ;

- le moyen tiré de ce que le changement d'affectation serait entaché de vice de procédure est irrecevable dans la mesure où il se rattache à une cause juridique distincte de celle à laquelle se rattachent les moyens développés dans le délai de recours contentieux ; subsidiairement il n'est pas fondé ;

- l'enquête administrative réalisée dans le service de restauration scolaire est indépendante de la situation de la requérante et est relative à des faits s'étant déroulés postérieurement, en 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bauer,

- les conclusions de M. Marchal, rapporteur public.

- et les observations de Me Langlet pour la commune de Charleville-Mezières.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., adjoint technique principal de deuxième classe, est employée au sein du service de la restauration scolaire de la commune de Charleville-Mézières. Elle a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'annulation de la décision, dont elle soutient avoir été informée oralement le 23 avril 2019, prononçant son changement d'affectation du restaurant scolaire situé rue Henri Thomas à Charleville-Mézières, au restaurant scolaire situé cours de la Criée dans cette commune et l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi. Par jugement du 22 septembre 2020, dont l'intéressée relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Sans qu'il y ait lieu d'examiner les fins de non-recevoir soulevées :

2. Aux termes de l'article 52 de la loi n°84-53 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'autorité territoriale procède aux mouvements des fonctionnaires au sein de la collectivité ou de l'établissement ; seules les mutations comportant changement de résidence ou modification de la situation des intéressés sont soumises à l'avis des commissions administratives paritaires (...) ". L'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 dispose que : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) ".

3. Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre une telle mesure, à moins qu'elle ne traduise une discrimination, est irrecevable, alors même que la mesure de changement d'affectation aurait été prise pour des motifs tenant au comportement de l'agent public concerné.

4. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui.

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., employée depuis 2007 au service de la restauration scolaire de la commune exerçait initialement ses fonctions au sein du restaurant scolaire de l'école Henri Thomas et que, à la suite de difficultés relationnelles avec l'une de ses collègues, elle a été affectée au restaurant scolaire situé cours de la Criée. Il n'est pas établi ni même soutenu que ce changement d'affectation, qui n'implique pas de changement de résidence, entrainerait une diminution des responsabilités de l'intéressée ou une perte de rémunération, alors que son arrêté d'affectation du 27 novembre 2007 prévoit qu'elle est affectée au service des terminaux scolaires sans indication de lieu précis.

6. Si l'intéressée soutient que ce changement d'affectation constitue en réalité une sanction disciplinaire déguisée et traduit des faits de harcèlement de sa hiérarchie à son encontre, ses fiches de notation mettaient cependant en évidence dès 2007, soit avant l'entrée en fonctions de son supérieur direct, un surinvestissement dans le travail et des difficultés comportementales dans le fonctionnement en équipe. Mme B... ne conteste pas à cet égard avoir fait l'objet d'une plainte pour harcèlement dès février 2018 émanant d'une collègue de travail. Le changement d'affectation opéré apparaît, dans ces conditions, justifié par l'intérêt du service, alors au demeurant que les recommandations de la médecine du travail et des médecins traitants de Mme B... préconisant que cette dernière ne soit pas affectée sur un poste de travail isolé, ont été suivies dans la détermination du nouveau lieu d'exercice des fonctions. La seule circonstance que l'intéressée n'ait pas été informée par écrit de ce changement d'affectation ne saurait traduire un harcèlement moral, dès lors qu'aucune disposition législative ou règlementaire n'impose une telle information écrite, alors que la requérante ne conteste pas sérieusement en avoir été avisée au cours d'une réunion de service le 3 avril 2019. L'engagement, en 2022, d'une enquête administrative dans l'ensemble du service de restauration scolaire, postérieure aux faits en litige, ne saurait davantage révéler une discrimination ou un harcèlement dans la mesure édictée à l'encontre de l'intéressée. Il en va de même de la circonstance qu'à sa reprise du travail le 23 avril 2019, son vestiaire ait été vidé d'autorité et ses affaires ramenés à la mairie, Mme B... s'étant délibérément rendue sur son ancien lieu de travail et ayant refusé de rejoindre sa nouvelle affectation.

7. Il s'ensuit que, faute pour l'intéressée d'établir que le changement d'affectation litigieux et le comportement de ses supérieurs hiérarchiques traduiraient une discrimination ou seraient susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre, ce changement d'affectation doit être regardé comme une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision attaquée comme irrecevables, ainsi que, par voie de conséquence et en tout état de cause, ses conclusions indemnitaires et ses conclusions à fin d'injonction.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Charleville-Mézières, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme demandée par la commune au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Charleville-Mézières relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la commune de Charleville-Mézières.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- Mme Bauer, présidente-assesseure,

- M. Meisse, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.

La rapporteure,

Signé : S. BAUER Le président,

Signé : Ch. WURTZ Le greffier,

Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au préfet des Ardennes en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

F. LORRAIN

2

N° 20NC03300


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03300
Date de la décision : 20/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Sandra BAUER
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : SEBAN ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-20;20nc03300 ?
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