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20/02/2024 | FRANCE | N°21NC00517

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 20 février 2024, 21NC00517


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SCI 23 rue du président Roosevelt a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 24 mai 2019 par lequel le maire de la commune de Yutz a refusé de lui délivrer un permis portant sur la démolition de bâtiments existants et la construction d'un ensemble collectif de 38 logements, ainsi que la décision par laquelle il a implicitement rejeté son recours gracieux du 29 mai 2019.



Par un jugement n° 1907262 du 22 décembre 2020, le

tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :


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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI 23 rue du président Roosevelt a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 24 mai 2019 par lequel le maire de la commune de Yutz a refusé de lui délivrer un permis portant sur la démolition de bâtiments existants et la construction d'un ensemble collectif de 38 logements, ainsi que la décision par laquelle il a implicitement rejeté son recours gracieux du 29 mai 2019.

Par un jugement n° 1907262 du 22 décembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 22 février 2021, le 11 janvier 2022, le 14 février 2022 et le 22 mars 2022, la SCI 23 rue du président Roosevelt, représentée par Me Fady, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 22 décembre 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 24 mai 2019 par lequel le maire de la commune de Yutz a refusé de lui délivrer un permis portant sur la démolition de bâtiments existants et la construction d'un ensemble collectif de 38 logements, ainsi que la décision par laquelle il a implicitement rejeté son recours gracieux du 29 mai 2019 ;

3°) d'enjoindre au maire de la commune de Yutz de lui délivrer le permis de construire sollicité le 11 février 2019 ou, à défaut, de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Yutz la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est recevable en l'absence d'obligation de notifier le recours en appel en vertu de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme contre un jugement rejetant une demande d'annulation d'un refus de permis de construire ;

- la fraude justifiant la substitution de motif n'est pas caractérisée en l'absence de manœuvres frauduleuses et d'intention de frauder ; le maire n'aurait ainsi pas pris la même décision s'il avait entendu se fonder initialement sur la fraude pour refuser la demande de permis de construire ;

- le maire a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte, en application de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme, des règles antérieures au plan local d'urbanisme approuvé le 4 février 2019 ;

- le maire a entaché d'illégalité sa décision en se fondant sur le certificat d'urbanisme opérationnel du 14 mars 2019, dont elle est fondée à exciper de l'illégalité par la voie de l'exception ;

- le refus du permis de construire est fondé sur la volonté de lui nuire en raison du recours qu'elle a exercé contre le plan local d'urbanisme approuvé le 4 février 2019.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 1er octobre 2021, le 28 janvier 2022, le 8 mars 2022 et le 5 avril 2022, la commune de Yutz, représentée par Me De Zolt, conclut au rejet de la requête, au besoin en procédant à une substitution de motifs, et demande que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la SCI 23 rue du président Roosevelt en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête n'est pas recevable en l'absence de justification du respect de la formalité prévue à l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ;

- les motifs tirés de la méconnaissance de l'ancien article UD 11 et de la fraude à l'obtention du permis de construire peuvent être substitués au motif initial de l'arrêté ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 23 mars 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 7 avril 2022 à 12 heures.

La SCI 23 rue du président Roosevelt a produit un mémoire, enregistré le 1er décembre 2023, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Barteaux,

- les conclusions de M. Marchal, rapporteur public,

- et les observations de Me Paye-Blondet, représentant la SCI 23 rue du président Roosevelt et de Me Damilot, représentant la commune de Yutz.

Une note en délibéré, présentée pour la SCI 23 rue du président Roosevelt, a été enregistrée le 1er février 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Le 28 septembre 2018, la SCI 23 rue du président Roosevelt a déposé une demande de permis de construire un ensemble collectif de 33 logements sur un terrain situé 19-23 rue du président Roosevelt dans la commune de Yutz que le maire lui a accordé par un arrêté du 25 février 2019. Elle a, dans l'intervalle, déposé deux demandes de certificats d'urbanisme. Le 6 février 2019, le maire de Yutz lui a délivré un certificat d'urbanisme informatif, puis le 14 mars 2019, un certificat d'urbanisme opérationnel. Le 11 février 2019, la SCI 23 rue du président Roosevelt a déposé une nouvelle demande pour la démolition de deux bâtiments existants et la construction d'un ensemble collectif de 38 logements. Par un arrêté du 24 mai 2019, le maire de Yutz a refusé de délivrer le permis de construire sollicité. Par ailleurs, par un arrêté du 18 octobre 2019, il a procédé au retrait du premier permis de construire, estimant qu'il avait été obtenu par fraude. La SCI 23 rue du président Roosevelt fait appel du jugement du 22 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir procédé, à la demande de l'administration, à une substitution de motif, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 mai 2019 et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Un permis peut être refusé lorsque des éléments, dont l'administration a connaissance à la date de délivrance du permis, établissent l'existence d'une fraude. La caractérisation de la fraude résulte de ce que le pétitionnaire a procédé de manière intentionnelle à des manœuvres de nature à tromper l'administration sur la réalité du projet dans le but d'échapper à l'application d'une règle d'urbanisme. Une information erronée ne peut, à elle seule, faire regarder le pétitionnaire comme s'étant livré, à l'occasion du dépôt de sa demande, à des manœuvres destinées à tromper l'administration.

3. L'article UD 10 du plan local d'urbanisme, dans sa version approuvée le 28 janvier 2008, applicable à la demande de permis de construire déposée par la requérante, limite à douze mètres la hauteur maximale des bâtiments collectifs, calculée du terrain naturel avant tout remaniement à l'égout de toiture.

4. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

5. Il ressort du jugement attaqué que les premiers juges ont estimé que le maire de Yutz avait commis un erreur de droit en refusant le permis de construire sollicité par la SCI 23 rue du président Roosevelt, en se fondant sur les dispositions du plan local d'urbanisme approuvé le 4 février 2019 et entré en vigueur le 8 mars 2019 alors que sa demande de permis de construire aurait dû être examinée au regard du plan local d'urbanisme approuvé le 28 janvier 2008 compte tenu du certificat d'urbanisme qui lui avait été délivré le 6 février 2019 sur le fondement du a) de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme. Néanmoins, à la demande de la commune de Yutz, le tribunal administratif a substitué à ce motif initial celui tiré de ce que la SCI 23 rue du président Roosevelt avait intentionnellement dissimulé la déclivité du terrain et le niveau du terrain naturel pour induire en erreur le service instructeur sur la hauteur réelle du projet, qui méconnaissait la règle fixée à l'article UD 10 du plan local d'urbanisme dans sa version du 28 janvier 2008.

6. La SCI 23 rue du président Roosevelt conteste ce jugement en faisant valoir que les premiers juges ont estimé à tort que la fraude était caractérisée.

7. Il résulte de la demande de permis de construire que la SCI 23 rue du président Roosevelt a produit un plan de masse, des plans des façades et des plans de coupes du projet qui mentionnent, pour l'ensemble du terrain, une cote altimétrique uniforme R+0+161,43 NGF, sans faire apparaitre de dénivelé à l'endroit de l'implantation de la construction. La notice architecturale indique que la hauteur maximale de la construction projetée est de 11,90 mètres à partir du terrain naturel, en précisant, pour celui-ci, un niveau de référence uniforme pour l'ensemble des parcelles de 161,43 NGF. S'agissant plus précisément de l'immeuble B, implanté sur la parcelle n° 507, les plans joints mentionnent la cote de 161,43 au niveau du terrain naturel et les cotes de 173,35 et de 173,11 au niveau de l'acrotère, qui doit être assimilé à l'égout du toit, pour la façade Est et pour la façade Ouest, faisant croire au respect de la hauteur maximale de 12 mètres fixée par l'article UD 10.

8. Toutefois, il ressort des relevés topographiques produits par les parties que la parcelle n° 507 n'est pas plate. Sur la partie ouest de cette parcelle, les cotes altimétriques du terrain naturel à l'emplacement de l'immeuble B oscillent, en prenant les cotes les plus avantageuses pour la requérante, entre 160,84 au droit de la rue du président Roosevelt et 160,01 plus à l'intérieur de la parcelle, entrainant en réalité un dépassement de la hauteur maximale entre 50 centimètres et plus de 1 mètre. La requérante s'est abstenue de reporter sur les plans de dossier de demande les cotes altimétriques du terrain d'assiette du projet, excepté sur le plan de coupe PC03 qui matérialise, uniquement à l'arrière du bâtiment A, implanté sur la parcelle n°1020, un dénivelé du terrain naturel. Aucun autre document ne permet de déceler le dénivelé du terrain naturel au droit de l'implantation du projet. Contrairement à ce que soutient la requérante, le service instructeur n'était pas tenu de lui demander des précisions sur l'altimétrie du terrain naturel dont les cotes reportées sur les pièces jointes et l'absence de toute autre précision laissaient supposer que les parcelles étaient plates au niveau de l'implantation du projet de construction avec une pente seulement au niveau des jardins situées à l'arrière du bâtiment A. En outre, il lui appartenait de prendre en considération le niveau du terrain naturel tel qu'il existait, quand bien même le décaissement aurait été effectué par le précédent propriétaire de la parcelle n° 507, dès lors que ces travaux, anciens, n'ont pas été effectués en vue de la réalisation du projet en litige. Enfin, si la requérante a confié à un cabinet d'architecte une mission de conception et de suivi des travaux, cette circonstance n'est pas de nature à établir qu'elle aurait ignoré l'existence d'un dénivelé, alors que le plan topographique et parcellaire daté du 11 avril 2016 qu'elle a produit en cours d'instance établit l'altimétrie réelle du terrain. En outre, les photographies jointes au dossier ont été prises avec un angle de vue qui ne permettait pas de déceler la déclivité du terrain sur la partie ouest de la parcelle n° 507. Ces informations erronées et imprécises ont été de nature, comme l'a relevé le tribunal, à fausser l'appréciation du service instructeur sur le respect par le projet de la règle de hauteur maximale fixée à l'article UD 10 du plan local d'urbanisme, ce que l'administration n'a pu déceler qu'à l'occasion d'un contrôle sur place, et à caractériser une fraude du pétitionnaire. Par suite, le tribunal administratif a pu opérer, à bon droit, la substitution de motif demandée par la commune de Yutz fondée sur la fraude, qui est de nature à justifier légalement l'arrêté contesté, et qu'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif qui ne prive la requérante d'aucune garantie procédurale.

9. Dès lors, ainsi qu'il a été exposé au point 5, que le tribunal a accueilli le moyen tiré de l'erreur de droit commise par le maire de la commune de Yutz, le moyen repris en appel tiré de ce que le maire a méconnu le droit que confère à la requérante le certificat d'urbanisme d'information de voir sa demande examinée au regard des dispositions du plan local d'urbanisme en vigueur à la date du 6 février 2019 doit être écarté.

10. Le moyen tiré de l'illégalité du certificat d'urbanisme opérationnel délivré le 14 mars 2019, invoqué par la voie de l'exception, ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté dès lors que le tribunal a jugé que ce certificat ne pouvait pas être opposé à la demande de permis de construire déposée par la requérante.

11. En se bornant à soutenir, pour la première fois en appel, d'une part, que le refus du permis de construire est fondé sur la volonté de lui nuire en raison du recours contentieux qu'elle a exercé contre le plan local d'urbanisme approuvé le 4 février 2019 et que, d'autre part, d'autres projets de construction d'immeubles dans la même rue ont été autorisés alors que leur hauteur était supérieure à celle de son projet, la requérante n'établit pas que l'arrêté en litige, qui est fondé sur une fraude suffisamment caractérisée ainsi qu'il a été exposé précédemment, serait entaché d'un détournement de pouvoir.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que la SCI 23 rue du président Roosevelt n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Yutz, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que demande la requérante au titre des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens. Il y a lieu, au titre des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la SCI 23 rue du président Roosevelt la somme globale de 2 000 euros à verser à la commune de Yutz.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SCI 23 rue du président Roosevelt est rejetée.

Article 2 : La SCI 23 rue du président Roosevelt versera à la commune de Yutz la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI 23 rue du président Roosevelt et à la commune de Yutz.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- Mme Bauer, présidente assesseure,

- M. Barteaux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.

Le rapporteur,

Signé : S. BARTEAUXLe président,

Signé : Ch. WURTZLe greffier,

Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au préfet de la Moselle, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 21NC00517 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00517
Date de la décision : 20/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : COSSALTER, DE ZOLT & COURONNE

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-20;21nc00517 ?
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