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20/12/2013 | FRANCE | N°12NT00898

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 20 décembre 2013, 12NT00898


Vu la requête, enregistrée le 2 avril 2012, présentée pour la société nationale immobilière dont le siège social est situé 100-104 avenue de France à Paris (75013), par Me Paillard ; la société nationale immobilière demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 2 février 2012 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle l'Etat a refusé de lui payer les loyers dus depuis le 11 juin 2009 pour l'occupation de la caserne de gendarmerie de Montbazon et à la condamnation de l'Etat à l

ui verser le montant des loyers dus augmenté des intérêts au taux légal ;

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Vu la requête, enregistrée le 2 avril 2012, présentée pour la société nationale immobilière dont le siège social est situé 100-104 avenue de France à Paris (75013), par Me Paillard ; la société nationale immobilière demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 2 février 2012 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle l'Etat a refusé de lui payer les loyers dus depuis le 11 juin 2009 pour l'occupation de la caserne de gendarmerie de Montbazon et à la condamnation de l'Etat à lui verser le montant des loyers dus augmenté des intérêts au taux légal ;

2°) d'annuler la décision implicite du directeur des services fiscaux d'Indre-et-Loire portant refus de paiement des loyers dus par l'Etat depuis le 11 juin 2009 ;

3°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 407 894,06 euros, augmentée des intérêts au taux légal, au titre de ces loyers ;

4°) d'enjoindre à l'Etat de lui verser les loyers à venir jusqu'à ce qu'il soit mis un terme au contrat de bail ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- le tribunal s'est fondé à tort sur sa qualité de tiers au contrat de location conclu avec l'Etat dès lors qu'elle s'est substituée à la commune en sa qualité de bailleur, ainsi que le stipule le bail emphytéotique ;

- le tribunal ne pouvait pas se fonder, dans le cadre d'un moyen soulevé d'office, sur le fait qu'en l'absence d'autorisation préalable de l'Etat, la cession du contrat de bail ne lui est pas opposable, sans préciser le fondement juridique de cette règle qui porte atteinte au principe de la liberté contractuelle ;

- il a ainsi fait application d'une règle jurisprudentielle qui ne concerne que la cession des marchés publics et des concessions de service public alors que le contrat de bail emphytéotique ne relève pas du code des marchés publics, n'a pas fait l'objet d'une procédure de publicité et de mise en concurrence et n'a pas été conclu en considération de la personne du cocontractant ;

- compte tenu des garanties professionnelles, techniques et financières de la société requérante, le refus de l'Etat de signer un avenant au contrat de bail est illégal et rend illégal le refus de versement des loyers ;

- l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie au contrat de bail emphytéotique, ne peut en invoquer l'illégalité ni par voie d'action ni par voie d'exception et ce d'autant plus qu'il ne se prévaut pas du caractère illicite du contenu du contrat ou d'un vice d'une particulière gravité ; en signant le contrat de bail, il a consenti à un changement de bailleur dont l'accord du preneur ne constitue pas une condition ;

- contrairement à ce qu'a soutenu l'Etat en première instance, la signature du contrat de bail emphytéotique n'avait pas à être approuvée dans son principe par les ministres compétents avant le 31 décembre 2007, ainsi que l'exige certaines des dispositions de l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction issue de la loi du 29 août 2002, ce bail n'entrant pas dans le champ d'application de ces dispositions du fait de sa nature de bail emphytéotique de droit commun ;

- l'externalisation de la gestion de bâtiments communaux, qui présente un intérêt communal caractérisé par la protection et l'entretien du patrimoine immobilier, compte tenu de l'importance des travaux et des investissements nécessaires, et relève ainsi des compétences de la commune, peut faire l'objet d'un bail emphytéotique administratif ; la présence de la gendarmerie sur le territoire de la commune est également d'intérêt communal ;

- le contrat de bail emphytéotique stipulant qu'un avenant sera signé entre le preneur et le locataire et qu'à compter de sa prise d'effet, l'intégralité des loyers, charges et taxes versées par la gendarmerie seront la propriété du preneur, l'Etat bénéficie sans contrepartie, depuis le 11 juin 2009, des prestations fournies par la société requérante alors que cette dernière acquitte les loyers dus dans le cadre du bail emphytéotique ;

- le comportement fautif de l'Etat la prive de la perception des loyers depuis le 11 juin 2009 ;

- elle est en droit de demander le paiement des loyers à venir sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2012, présenté par le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et du commerce extérieur, chargé du budget, qui conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, au rejet de la demande relative aux frais de procès ;

il soutient que :

- les conclusions de la requérante tendant à l'annulation de la décision implicite de refus de paiement des loyers, qui sont nouvelles en appel, ne sont pas recevables ;

- l'argumentation de la requérante relative à la légalité du contrat de bail emphytéotique étant inopérante, il se borne à demander à la cour de lui adjuger le bénéfice des observations qu'il avait présentées sur ce point en première instance ;

- un contrat administratif ne pouvant pas être cédé sans l'autorisation préalable de l'administration, aucune relation contractuelle ne s'est établie entre l'Etat et la société requérante qui a donc conservé la qualité de tiers vis-à-vis de lui ;

- n'étant pas lié par contrat à l'Etat et n'apportant pas la preuve d'un manquement de ce dernier à ses obligations contractuelles à l'égard de la commune à l'origine d'un préjudice au titre du contrat de bail emphytéotique, elle ne peut agir en responsabilité contractuelle à son encontre ;

- l'existence d'un lien de causalité entre la faute invoquée et le préjudice subi n'est pas établie ;

Vu la mise en demeure adressée le 6 juin 2012 à la commune de Montbazon, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire, enregistré le 5 octobre 2012, présenté pour la société nationale immobilière, qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

elle ajoute que :

- l'annulation de la décision implicite de rejet a été demandée dans la requête adressée au tribunal ;

- en renonçant à se prévaloir de l'illégalité du contrat de bail emphytéotique, l'Etat admet refuser le changement de bailleur sans motif légitime ;

- seul le preneur à bail ne peut céder son droit sans l'accord du bailleur ;

- le refus de l'Etat de payer les loyers constitue une faute contractuelle ;

Vu le mémoire, enregistré le 4 novembre 2013, présenté pour la société nationale immobilière qui conclut aux mêmes fins que précédemment ;

elle ajoute qu'ayant été publiée à la conservation des hypothèques, la cession opérée par le bail emphytéotique est opposable à l'Etat ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu le code rural et de la pêche maritime ;

Vu la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 novembre 2013 :

- le rapport de Mme Aubert, président-assesseur ;

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;

- et les observations de Me Paillard, avocat de la société nationale immobilière ;

1. Considérant que, par un contrat conclu avec l'Etat le 5 janvier 2006, la commune de Montbazon a mis à sa disposition un ensemble immobilier constitué des locaux de service et techniques d'une brigade territoriale de la gendarmerie nationale et de seize logements destinés aux gendarmes, en contrepartie du versement d'un loyer annuel d'un montant de 148 325,10 euros ; que le 11 juin 2009, la commune a confié à la société nationale immobilière les travaux de mise en sécurité, de grosses réparations, de gros entretien et d'amélioration portant sur les locaux de casernement de la gendarmerie, dans le cadre d'un contrat de bail emphytéotique d'une durée de cinquante ans ; que le contrat stipulant que le bail portant sur ces locaux que la commune avait conclu avec l'Etat est transféré au preneur, la société requérante a mis l'Etat, représenté par le directeur des services fiscaux d'Indre-et-Loire, en demeure, le 18 janvier 2011, de lui verser les loyers d'un montant annuel de 148 325,10 euros à compter du 11 juin 2009 ; que les autorités représentant l'Etat, qui avaient refusé de signer le projet d'avenant de régularisation prévu par le contrat de bail emphytéotique et de reconnaître la substitution de la société nationale immobilière dans les droits et obligations de la commune résultant du contrat de location, ont implicitement rejeté cette demande ; que la société nationale immobilière a saisi le tribunal administratif d'Orléans de conclusions tendant à l'annulation de cette décision de refus, à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 259 568,96 euros et à ce qu'il lui soit enjoint de verser les loyers à venir ; qu'elle relève appel du jugement du 2 février 2012 rejetant sa demande ;

Sur les conclusions à fin d'annulation et d'indemnisation :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction en vigueur à la date de la signature du contrat de bail emphytéotique : " Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l'objet d'un bail emphytéotique prévu à l'article L. 451-1 du code rural, en vue de l'accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d'une mission de service public ou en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de sa compétence (...) ou, jusqu'au 31 décembre 2007, liée aux besoin de la justice, de la police ou de la gendarmerie nationales (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime : " Le bail emphytéotique de biens immeubles confère au preneur un droit réel (...) " ; qu'il résulte des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales, notamment de la référence qu'elles comportent au bail emphytéotique prévu à l'article L. 451-1 du code rural, que le législateur n'a ainsi entendu viser que les contrats dans lesquels le preneur a la charge de réaliser, sur le bien immobilier qu'il est autorisé à occuper, des investissements qui reviendront à la collectivité en fin de bail, et non de permettre la conclusion, dans le cadre de ce régime, de contrats par lesquels une collectivité territoriale confie à un tiers une mission de gestion courante d'un bien lui appartenant ; que, s'il résulte des dispositions insérées à l'article L. 1311-2 précité par l'article 96 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 qu'un bail emphytéotique peut également être conclu en vue de la restauration, de la réparation, de l'entretien-maintenance ou de la mise en valeur d'un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale, il ne résulte ni de ce dernier article ni d'aucune autre disposition de cette loi qu'elle comporterait un effet rétroactif ;

3. Considérant qu'eu égard à la date de sa signature, la convention conclue entre la commune de Montbazon et la société nationale immobilière n'entre pas dans le champ d'application des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales relatives au bail emphytéotique administratif ; qu'ainsi, elle n'a pu avoir pour effet de conférer à la société nationale immobilière un droit réel sur l'ensemble immobilier mis à la disposition de l'Etat, lequel eu égard à son affectation au service public de la gendarmerie nationale et à son aménagement spécial à cet effet constitue une dépendance du domaine public de la commune ; que, dans ces conditions, en l'absence de clause du contrat d'occupation du domaine public que constitue le " contrat de bail " liant la commune à l'Etat stipulant que cette convention pourrait être cédée sans le consentement de ce dernier, la substitution de la société nationale immobilière à la commune ne lui est pas opposable alors même qu'elle présenterait un intérêt communal et que le contrat dont elle résulte a été publié à la conservation des hypothèques ;

4. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions à fin d'annulation, que la société nationale immobilière n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation et à fin d'indemnisation de la société nationale immobilière, n'implique aucune mesure d'exécution ; que les conclusions de la requérante tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de lui verser les loyers à venir jusqu'à ce qu'il soit mis un terme au contrat de bail doivent, dès lors, être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la société nationale immobilière demande sur le fondement de ces dispositions ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société nationale immobilière est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société nationale immobilière, au ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et à la commune de Montbazon.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2013, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Aubert, président-assesseur,

- M.A..., faisant fonction de premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 décembre 2013.

Le rapporteur,

S. AUBERTLe président,

L. LAINÉ

Le greffier,

N. CORRAZE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 12NT00898


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 12NT00898
Date de la décision : 20/12/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Sylvie AUBERT
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : PAILLARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2013-12-20;12nt00898 ?
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