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19/12/2014 | FRANCE | N°13NT02641

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 19 décembre 2014, 13NT02641


Vu la requête, enregistrée le 9 septembre 2013, présentée pour M. D... B..., demeurant..., par MeA... ; M. B... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 26 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 92 968,34 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la suppression de ses repos compensateurs ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 92 968,34 e

uros en réparation de son préjudice matériel et moral ou, à titre subsidiaire,...

Vu la requête, enregistrée le 9 septembre 2013, présentée pour M. D... B..., demeurant..., par MeA... ; M. B... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 26 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 92 968,34 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la suppression de ses repos compensateurs ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 92 968,34 euros en réparation de son préjudice matériel et moral ou, à titre subsidiaire, en réparation du seul préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que :

- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen soulevé dans sa note en délibéré du 5 juin 2013 selon lequel l'arrêté du 6 décembre 1994 qui a porté atteinte à ses droit acquis et ne lui a pas été notifié, ne pouvait pas faire courir le délai de prescription quadriennale ;

- il avait un droit acquis au bénéfice des repos récupérateurs pris avant 1994 ; seule la notification d'une décision portant atteinte à des droits acquis fait courir les délais de recours et de prescription ; le caractère collectif de la décision ne lui confère pas une nature réglementaire ;

- le signataire du mémoire de première instance du 3 mai 2013, dont qu'il n'est pas établi qu'il est l'ordonnateur principal ou secondaire de la créance, n'était pas compétent pour soulever l'exception de prescription ; l'exception de prescription ne peut être régulièrement invoquée pour la première fois en appel ;

- la date de publication de l'arrêté du 6 décembre 1994 n'étant pas établie par le ministre de l'intérieur, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la prescription quadriennale est opposable depuis le 1er janvier 2000 ;

- il n'a pas eu connaissance du fait générateur de sa créance avant la décision du Conseil d'Etat du 12 décembre 2008 et ignorait l'illégalité de l'arrêté du 6 décembre 1994 ; les repos compensateurs n'ayant pu être pris, les délais de prescription ne peuvent commencer à courir qu'à compter de son départ en retraite ; jusqu'à l'arrêt du Conseil d'Etat, les services supplémentaires qu'il a effectués lui ont ouvert droit à récupération en fin de carrière ainsi que le ministre de l'intérieur l'a d'ailleurs fait valoir dans d'autres affaires ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le moyen tiré de ce que les intéressés ont été induits en erreur par l'arrêté du 6 décembre 1994 était étayé ; l'administration s'est engagée à les indemniser après l'annulation de cet arrêté par le Conseil d'Etat ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les demandes adressées par ses collègues à l'administration sont interruptives de prescription ;

- plusieurs communications écrites du chef du groupement d'hélicoptères en 1999 ont interrompu le délai de prescription ; les démarches et réclamations des autres membres du groupement d'hélicoptères sur les repos compensateurs l'ont également interrompu ;

- l'illégalité fautive de l'arrêté du 6 décembre 1994 supprimant les repos compensateurs accumulés lui ouvre droit à réparation notamment sur le fondement des dispositions du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement du travail dans la fonction publique ;

- l'indemnisation de son préjudice ne peut s'effectuer sur la base du décret du 3 mars 2000 qui n'est pas applicable aux membres du groupement d'hélicoptère ;

- son préjudice s'élève à un montant de 82 968,34 euros correspondant à un total de 3 191, 09 heures supplémentaires évaluées à 26 euros par heure sur la base de son traitement de fin de carrière et non à 12,28 euros par heure ainsi que le soutient l'administration en se fondant sur l'article 3 du décret du 3 mars 2000 ; ce décret ne tient pas compte de sa prime de vol alors qu'elle constitue une part très importante de sa rémunération ; depuis l'arrêt du Conseil d'Etat, les personnels navigants bénéficiant de repos récupérateurs acquis avant 1994 bénéficient du versement de la prime de vol pendant la période de récupération de ces repos ;

- ce mode de calcul a déjà été pris en compte par le juge administratif dans des situations similaires ;

- il est fondé à se prévaloir d'une rupture d'égalité par rapport à ses collègues ayant pris leur retraite après l'arrêt du Conseil d'Etat et d'un enrichissement sans cause de l'administration ;

- les intérêts au taux légal doivent être appliqués à compter de l'enregistrement de la requête ;

- il justifie également d'un préjudice moral évalué à 10 000 euros résultant des troubles dans les conditions d'existence causés par son maintien en service alors qu'il aurait dû bénéficier de jours de repos récupérateurs, par la sous-évaluation de sa créance par l'administration et par la persistance du refus d'indemnisation qui lui est opposé ;

- à titre subsidiaire, la somme demandée en réparation du préjudice matériel doit lui être accordée en réparation des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la mise en demeure adressée le 4 avril 2014 au ministre de l'intérieur, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu l'ordonnance du 17 octobre 2014 fixant la clôture d'instruction au 17 novembre 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 novembre 2014, présenté par le ministre de l'intérieur qui conclut au rejet de la requête ;

il fait valoir que :

- contrairement aux allégations du requérant, le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité dès lors que les premiers juges n'étaient pas tenus de soumettre la note en délibéré produite par l'intéressé au contradictoire dans la mesure où aucune circonstance de droit ou de fait ne rendait nécessaire la réouverture de l'instruction ; cette note figure dans les visas du jugement ;

- l'exception de prescription quadriennale a été soulevée par une autorité compétente ;

- le moyen tiré du défaut de publication de l'arrêté du 6 décembre 1994 est inopérant ; en outre cet arrêté a fait l'objet d'une publication au BOMI du 4ème trimestre 1994 ;

- le fait générateur de la créance étant le service fait, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu le 1er janvier 1996 comme date du début de déchéance quadriennale ;

- les délais de prescription quadriennale n'ont pas été interrompus par les demandes parallèles ni par l'attitude de l'administration ;

Vu le mémoire, enregistré le 28 novembre 2014 présenté pour M. B... non communiqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 modifiée ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée ;

Vu le décret n° 94-1047 du 6 décembre 1994 ;

Vu le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;

Vu la décision du Conseil d'Etat n° 297702 du 12 décembre 2008 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 décembre 2014 :

- le rapport de M. Auger, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;

- et les observations de Me E...pour M. B... ;

1. Considérant que M. B..., brigadier-chef de police affecté en qualité de mécanicien-sauveteur-secouriste à la base d'hélicoptères de la sécurité civile de Lorient, a été admis, par arrêté du 2 mai 2005, à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 12 septembre 2005 ; que le 21 septembre 2009 il a adressé au ministre de l'intérieur une demande préalable tendant à l'indemnisation du préjudice causé par la perte de repos compensateurs dont le bénéfice lui avait été retiré par un arrêté du 6 décembre 1994 que le Conseil d'Etat a jugé illégal par un arrêt rendu le 12 décembre 2008 ; que le ministre de l'intérieur ayant rejeté sa demande par un courrier du 11 décembre 2009, il a formé un recours contentieux tendant à l'indemnisation de son préjudice financier et moral ; qu'il relève appel du jugement du 26 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 92 968,34 euros augmentée des intérêts et de la capitalisation des intérêts correspondant à 409,11 jours de repos compensateurs ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision ; que, s'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office ;

3. Considérant que le moyen tiré de l'inopposabilité de la prescription quadriennale en raison de l'absence de notification de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 6 décembre 1994 invoqué dans la note en délibéré que M. B... a produite en première instance le 5 juin 2013 ne repose pas sur une circonstance de fait dont il n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et ne constitue ni une circonstance de droit nouvelle ni un moyen qui aurait dû relever d'office ; qu'il suit de là qu'en ne communiquant pas cette note en délibéré les premiers juges n'ont pas entaché leur jugement d'irrégularité ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

En ce qui concerne la faute :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. " ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire, notamment le décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction de temps de travail dans la fonction publique de l'Etat, dont se prévaut M. B..., n'a prévu l'indemnisation des jours de repos compensateurs non pris ; que le requérant n'est dès lors pas fondé à en demander le paiement ;

5. Considérant que l'administration en annulant illégalement les jours de repos compensateur accumulés par M. B... au 6 décembre 1994 a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard du requérant ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, la prescription ne court pas contre le créancier " qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance. " ; qu'il en résulte que le délai de prescription ne court pas à l'encontre d'une victime qui n'est pas en mesure de connaître l'origine du dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de la personne publique ; que le requérant a eu connaissance du fait générateur des préjudices subis le 12 décembre 2008 au plus tôt, date de la décision par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a considéré que l'arrêté ministériel du 6 décembre 1994 était illégal ; qu'il suit de là que le délai de prescription quadriennale qui a commencé à courir le 1er janvier 2009 n'était pas venu à expiration lorsque M. B... a saisi le ministre de l'intérieur d'une réclamation le 21 septembre 2009 ; que, par suite, l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre doit être écartée ;

7. Considérant que si M. B... invoque un préjudice financier correspondant à la rémunération des jours de repos compensateurs qu'il n'a pas pu prendre avant son départ à la retraite sur la base de son traitement mensuel, l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de prendre ces jours n'a pas donné lieu à une perte de revenu ; qu'il suit de là que le préjudice financier n'est pas établi ;

8. Considérant cependant, que M. B..., qui était titulaire de 409,11 jours de repos compensateurs qu'il n'a pas pu prendre au moment de son départ en retraite, a subi des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence dont il sera fait une juste appréciation en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros tous intérêts confondus ;

En ce qui concerne la rupture d'égalité devant les charges publiques :

9. Considérant que le préjudice invoqué, résultant de la perte de jours de repos compensateurs non pris, qui est susceptible d'être invoqué par l'ensemble des membres du personnel navigant du groupement d'hélicoptères, ne constitue pas un préjudice spécial ; que, dès lors, il n'est pas susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques ;

En ce qui concerne l'enrichissement sans cause :

10. Considérant que si le requérant se prévaut d'un enrichissement sans cause de l'Etat, il est constant que le service effectué au cours de la période précédant son départ à la retraite, au cours de laquelle il aurait souhaité utiliser ses congés récupérateurs, a été effectué en contrepartie de la rémunération qui lui était due ; que ce moyen doit, dès lors, et en tout état de cause, être écarté ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation des troubles dans ses conditions d'existence ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. B... une indemnité de 30 000 euros tous intérêts confondus.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la requête de M. B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B...et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 2 décembre 2014, à laquelle siégeaient :

- Mme Aubert, président de chambre,

- M.F..., faisant fonction de premier conseiller,

- M. Auger, premier conseiller.

Lu en audience publique le 19 décembre 2014.

Le rapporteur,

P. AUGERLe président,

S. AUBERT

Le greffier,

M. C...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13NT02641


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT02641
Date de la décision : 19/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme AUBERT
Rapporteur ?: M. Paul AUGER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SELARL HUGLO LEPAGE et ASSOCIES CONSEIL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-12-19;13nt02641 ?
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