La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/09/2015 | FRANCE | N°14NT02130

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 25 septembre 2015, 14NT02130


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner solidairement l'Etat et La Poste à lui verser la somme de 72 144 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait du blocage de sa carrière.

Par un jugement n° 1201546 du 28 mai 2014, le tribunal administratif de Rennes n'a que partiellement fait droit à cette demande, en condamnant solidairement l'Etat et La Poste à payer à M. C...la somme de 5 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregis

trée le 5 août 2014, M.C..., représenté par Me Martin, avocat, demande à la cour :

1°) de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner solidairement l'Etat et La Poste à lui verser la somme de 72 144 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait du blocage de sa carrière.

Par un jugement n° 1201546 du 28 mai 2014, le tribunal administratif de Rennes n'a que partiellement fait droit à cette demande, en condamnant solidairement l'Etat et La Poste à payer à M. C...la somme de 5 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 août 2014, M.C..., représenté par Me Martin, avocat, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes du 28 mai 2014 ;

2°) de condamner solidairement l'Etat et La Poste à lui verser en réparation la somme de 72 144 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 13 juillet 2012 ;

4°) d'enjoindre à l'Etat et à La Poste de reconstituer sa carrière dans un délai d'un mois suivant l'arrêt à rendre et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de La Poste et de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité solidaire pour faute de l'Etat et La Poste est établie ;

- il a subi un préjudice professionnel et matériel, dès lors qu'il a été privé d'une chance sérieuse d'accéder au grade de conducteur de travaux ;

- il a exercé les fonctions de conducteur de travaux pendant 10 ans pour un temps d'occupation de 22,66 % ;

- il a toujours effectué avec compétences et diligences les fonctions qui lui étaient confiées, à la plus grande satisfaction de se hiérarchie, de ses collègues et des usagers ;

- à la perte de rémunération s'ajoute un préjudice de retraite ;

- il a subi un trouble dans ses conditions d'existence ainsi qu'un préjudice moral ;

- son préjudice de carrière doit être évalué à 15 244 euros, celui sur le montant de sa pension de retraite à 36 900 euros, et les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral, chacun ;

- la reconstitution de sa carrière doit être ordonnée.

Par un mémoire en défense et en appel incident, enregistré le 11 septembre 2014, le ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 28 mai 2014 ;

2°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête de M.C....

Il soutient que :

- les premiers juges ont commis une erreur de droit en estimant que M. C...est en droit d'obtenir une indemnité au titre du préjudice moral alors qu'ils ont par ailleurs estimé qu'il n'a pas été privé d'une chance sérieuse de bénéficier d'une promotion au choix au grade supérieur ;

- le caractère certain de ce préjudice moral n'est pas établi et le jugement n'en justifie pas l'évaluation à 5 000 euros ;

- M. C...n'a pas été privé d'une chance sérieuse de promotion ;

- il n'existe aucun lien de causalité entre la prétendue faute de l'Etat et les dommages allégués et le montant du dommage allégué n'est pas valablement établi ;

- les conclusions à fin d'injonction ne sauraient être accueillies.

Par un mémoire en défense et à fin d'appel incident enregistré le 9 avril 2015, la Poste demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M.C... ;

2°) d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de M.C... ;

3°) de mettre à la charge de M. C...le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- si M. C...a satisfait en 1996 aux conditions d'une promotion au choix au grade de conducteur de travaux, il n'aurait pu prétendre à une telle promotion qu'entre 1996 et 2004, dès lors qu'il a bénéficié d'une retraite pour invalidité en 2004 ;

- il n'a pas été privé d'une chance sérieuse de bénéficier d'une telle promotion de grade ;

- il a toujours refusé son intégration dans un corps de " reclassification " ;

- il n'a pas subi de préjudice de retraite ;

- les conclusions à fin de reconstitution de la carrière ne sauraient être accueillies ;

- les premiers juges ont fait une évaluation exagérée du préjudice moral en l'estimant à 5 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 28 août 2015, M. C...a conclu aux mêmes fins que par ses précédentes écritures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005 ;

- le décret n° 57-1319 du 21 décembre 1957 ;

- le décret n° 90-1224 du 31 décembre 1990 ;

- le décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mony,

- les conclusions de M. Durup de Baleine, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., substituant MeD..., représentant La Poste.

1. Considérant que M.C..., qui, né en 1951, a intégré le service public des postes et télécommunications en 1977 en qualité d'agent de service ; qu'il y a été titularisé en 1978 dans le grade de préposé et, en 1991, a accédé au grade d'agent d'exploitation de la distribution et de l'acheminement ; qu'il n'a pas souhaité, lors du changement de statut de son employeur résultant de l'application de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom, intégrer les corps dits de " reclassification " et opté en faveur de la conservation de son grade dans le corps, dit de " reclassement ", des agents d'exploitation du service de la distribution et de l'acheminement de La Poste ; qu'il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er mars 2004 ; qu'il a saisi La Poste et l'Etat de demandes indemnitaires tendant à la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait du blocage de sa carrière depuis 1993 et, à la suite des rejets implicites de ces demandes, en a saisi le tribunal administratif de Rennes, en lui demandant de condamner solidairement La Poste et l'Etat à lui verser en réparation la somme de 72 144 euros ; qu'il relève appel du jugement du 28 mai 2014 par lequel le tribunal administratif de Rennes n'a que partiellement fait droit à sa demande, en condamnant solidairement La Poste et l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros ; que, par la voie de l'appel incident, le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique et La Poste demandent à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de M.C... ;

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne le fondement de la responsabilité :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste la poste et à France Télécom : " Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) " ; que l'article 31 de la même loi a permis à La Poste d'employer, sous le régime des conventions collectives, des agents contractuels ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) " ; qu'en vertu de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984 et des dispositions règlementaires prises pour son application, il appartient à l'autorité administrative, sauf à ce qu'aucun emploi vacant ne soit susceptible d'être occupé par des fonctionnaires à promouvoir, d'établir annuellement des tableaux d'avancement en vue de permettre l'avancement de grade ;

4. Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de " reclassement " de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de " reclassification " créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de " reclassification ", ne dispensait pas le président de La Poste, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de " reclassement " ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par La Poste de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires " reclassés " comme aux fonctionnaires " reclassifiés " de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

5. Considérant, d'autre part, que le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires " reclassés " ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de " reclassement ", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a, de même, commis une illégalité fautive ; que La Poste, pour s'exonérer de sa responsabilité, ne saurait ainsi utilement se prévaloir ni de la circonstance que les décrets statutaires des corps de " reclassement " auraient interdit ces promotions, ni du fait qu'aucun emploi ne serait devenu vacant, au cours de la période, pour permettre de procéder à de telles promotions ; que, de même, l'Etat a commis une faute en attendant le 14 décembre 2009 pour prendre les décrets organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de reclassement de La Poste ; que ces fautes sont de nature à entraîner la responsabilité solidaire de l'Etat et de La Poste à l'égard de M. C...; qu'elles n'ouvrent cependant droit à réparation au profit du requérant qu'à la condition qu'elles soient à l'origine d'un préjudice personnel, direct et certain ;

En ce qui concerne le préjudice :

6. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 18 du décret du 21 décembre 1957 fixant le statut particulier des corps des services de la distribution et de l'acheminement de La Poste, dans sa rédaction modifié par le décret du 31 décembre 1990 : " Les conducteurs de travaux de la distribution et de l'acheminement sont recrutés : / (...) / 2° Au choix (...) parmi les fonctionnaires du corps des agents d'exploitation des branches " services de la distribution et de l'acheminement " et " recettes-distribution ", âgés de quarante ans au moins, ayant atteint le septième échelon depuis au moins deux ans et comptant cinq ans au moins de services effectifs dans ce corps. / (...) " ;

7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...a satisfait à l'ensemble des conditions statutaires requises pour une promotion au choix au grade de conducteur de travaux à compter du 20 février 1996 ; qu'il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er mars 2004 ; que, s'il résulte de l'instruction qu'entre 1993 et 2004, il a été noté " B " à plusieurs reprises, appréciation selon laquelle " les résultats sont bons " ou " la valeur professionnelle de l'intéressé correspond parfaitement aux exigences du poste ", il n'en résulte en revanche pas qu'il aurait reçu la note " E ", correspondant à une appréciation selon laquelle " les résultats sont excellents " ou " la valeur professionnelle de l'intéressé est largement supérieure aux exigences du poste " ; que, de même, il n'en résulte pas que son aptitude à exercer des fonctions d'un niveau supérieur aurait été à aucun moment estimée " excellente " ; que, par suite et alors même qu'à diverses reprises, dans le cadre de remplacements et de manière ponctuelle, M. C...a eu l'occasion d'exercer des fonctions équivalentes à celles susceptibles d'être confiées à un pointeur ou un conducteur de travaux, il ne peut être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse d'être promu au choix au grade de conducteur de travaux ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'indemnisation d'un préjudice de carrière comme d'un préjudice de retraite ;

8. Considérant, en second lieu, que, contrairement à ce qui est soutenu à l'appui des appels incidents, M. C...a subi, du fait de l'atteinte à ses droits statutaires en raison des illégalités fautives ci-dessus relevées, des troubles dans ses conditions d'existence et un préjudice moral, dont il est fondé à demander réparation solidairement à La Poste et à l'Etat et ce, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que, comme il vient d'être dit, le préjudice de carrière dont il se prévaut ne présente pas un caractère certain ; que, sans commettre d'erreur de droit, les premiers juges se sont livrés à une juste appréciation en évaluant à 5 000 euros, tous intérêts confondus au jour de leur jugement, le montant de l'indemnité à laquelle devait être solidairement condamnés La Poste et l'Etat en réparation de ces troubles et de ce préjudices ;

9. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes n'a que partiellement fait droit à ses prétentions indemnitaires ; que, pour leur part, le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique et La Poste ne sont pas fondés, par la voie de l'appel incident, à demander l'annulation de l'article 1er du jugement et le rejet des conclusions auxquelles fait droit cet article ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Considérant que le présent arrêt, qui statue sur les conclusions indemnitaires de M. C... tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de La Poste a réparer les préjudices et dont il se prévaut, et qui rejette les conclusions de sa requête, n'implique pas la reconstitution de sa carrière ; que, dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté les conclusions de sa demande tendant à ce que, sous astreinte, soit ordonnée une telle reconstitution ; que, de même, les conclusions aux mêmes fins qu'il réitère en appel ne sauraient être accueillies ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de La Poste ou de l'Etat, qui n'ont pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement de la somme demandée par M. C...à ce titre ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par La Poste au même titre ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.

Article 2 : Les appels incidents du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique et de La Poste sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions présentées par La Poste au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C..., à La Poste et au ministre des finances et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Francfort, président-assesseur,

- M. Mony, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 25 septembre 2015.

Le rapporteur,

A. MONYLe président,

H. LENOIR

Le greffier,

F. PERSEHAYE

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

''

''

''

''

2

N° 14NT02130


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 14NT02130
Date de la décision : 25/09/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Arnaud MONY
Rapporteur public ?: M. DURUP de BALEINE
Avocat(s) : SCP VERDIER MARTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-09-25;14nt02130 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award