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16/02/2018 | FRANCE | N°16NT01919

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 16 février 2018, 16NT01919


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Laboratoire de Traitement des Nuisances a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 27 juin 2014 par laquelle l'office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la somme de 34 900 euros au titre de la contribution spéciale ainsi que la somme de 4 618 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine ainsi que les deux titres de perception émis le 20 août 2014 pour avoir

paiement de ces sommes.

Par un jugement n° 1402484 du 19 avril 2016, le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Laboratoire de Traitement des Nuisances a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 27 juin 2014 par laquelle l'office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la somme de 34 900 euros au titre de la contribution spéciale ainsi que la somme de 4 618 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine ainsi que les deux titres de perception émis le 20 août 2014 pour avoir paiement de ces sommes.

Par un jugement n° 1402484 du 19 avril 2016, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 juin 2016, la société Laboratoire de Traitement des Nuisances, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 19 avril 2016 ;

2°) d'annuler la décision du 27 juin 2014 ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux ;

3°) d'annuler les titres de perception émis par la direction générale des finances publiques pour avoir paiement de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et de la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

4°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de ces contributions à 1 euro.

Elle soutient que :

- le caractère contradictoire de la procédure et les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnus, dès lors qu'elle n'a pas reçu le procès-verbal établi le 11 septembre 2012 et n'a pu faire valoir ses observations ;

- cette irrégularité l'a privée de la possibilité de bénéficier d'une réduction du montant de la sanction, dès lors qu'elle n'a pu acquitter les salaires et indemnités, mentionnées à l'article L. 8252-2 du code du travail, de ces deux salariés, dont elle ignorait l'existence ;

- au titre de l'article L. 8253-1 du code du travail la contribution spéciale est due par l'employeur, ce qu'elle n'est pas pour les deux salariés en cause ;

- les contributions litigieuses doivent être modulées afin de prendre en compte sa taille extrêmement réduite, sa bonne foi et le fait qu'elle n'a ni cumulé d'infractions, ni été en mesure d'acquitter les salaires dus ;

- elle n'est responsable ni de l'entrée en France des deux salariés, ni de l'absence de déclaration préalable à l'embauche, qui incombait à la société PIB en sa qualité de donneur d'ordre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 septembre 2017, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 800 euros soit mise à la charge de la société Laboratoire de Traitement des Nuisances au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Laboratoire de Traitement des Nuisances ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office.

Par un mémoire, enregistré le 16 janvier 2018, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a répondu au moyen d'ordre public en soulignant que le bouclier pénal de 15 000 euros ne s'applique qu'aux employeurs, personnes physiques.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- les conclusions de M. Derlange, rapporteur public.

1. Considérant qu'à la suite d'un contrôle effectué le 11 septembre 2012 par les services de la police et de l'Urssaf sur le chantier d'isolation intérieure du centre commercial Leclerc Drive de Tourlaville, la société Laboratoire de Traitement des Nuisances (LTN) s'est vue notifier, le 27 juin 2014, une décision mettant à sa charge la somme de 34 900 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail ainsi que la somme de 4 618 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine, prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en raison de l'emploi de deux ressortissants étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée ; que le 22 août 2014, cette société a adressé un recours gracieux à l'office français de l'immigration et de l'intégration, lequel est resté sans réponse ; que le 19 décembre 2014, la société Laboratoire de Traitement des Nuisances a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 27 juin 2014 et des deux titres de perception émis le 20 août 2014 pour avoir paiement des sommes précitées ; qu'elle relève appel du jugement du 19 avril 2016 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande, et sollicite à titre subsidiaire, la réduction du montant de ces contributions à la somme symbolique de 1 euro ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher (...) ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France (...) " ; qu'aux termes de l'article L5221-8 du même code : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France (...) " ; qu'aux termes de l'article L8253-1 du code du travail dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " (...) l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale (...) est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 8253-1 du code du travail : " La contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est due pour chaque étranger employé en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1. / Cette contribution est à la charge de l'employeur qui a embauché ou employé un travailleur étranger non muni d'une autorisation de travail. " ; qu'aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine ( ...) " ; que selon un arrêté du 5 décembre 2006, le montant de cette contribution est fixé à 2 309 euros pour chaque ressortissant de l'Asie du sud-est / Moyen Orient en séjour irrégulier ; qu'enfin l'article L. 8271-17 du même code mentionne les agents compétents pour rechercher et constater, au moyen de procès-verbaux transmis directement au procureur de la République, les infractions aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger sans titre de travail et de l'article L. 8251-2 interdisant le recours aux services d'un étranger sans titre ;

Sur la régularité de la procédure :

3. Considérant que, s'agissant des mesures à caractère de sanction, le respect du principe général des droits de la défense suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu'elle en fait la demande ; que si ni les articles L. 8253-1 et suivants du code du travail, ni l'article L. 8271-17 du même code ne prévoient expressément que le procès-verbal constatant l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler en France, et fondant le versement de la contribution spéciale, soit communiqué au contrevenant, le silence de ces dispositions sur ce point ne saurait faire obstacle à cette communication, en particulier lorsque la personne visée en fait la demande, afin d'assurer le respect de la procédure contradictoire préalable à la liquidation de la contribution spéciale, qui revêt le caractère d'une sanction administrative ; que, par un courrier du 31 octobre 2013, la société Laboratoire de Traitement des Nuisances a été informée des griefs qui lui étaient reprochés à la suite d'un contrôle effectué sur l'un de ses chantiers, le 11 septembre 2012, lequel a donné lieu à un procès-verbal pour infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail ; qu'un délai de 15 jours lui a été laissé pour faire valoir ses observations ; que le 18 novembre 2013, cette société, dont le gérant avait lui-même été entendu le 13 septembre 2012 par un officier de police judiciaire à la suite de ce contrôle, a présenté ses observations en faisant valoir qu'elle avait sous-traité ce marché à la société Professionnels International du Bâtiment (PIB) ; qu'il est constant qu'elle n'a pas demandé la communication du procès-verbal établi le 11 septembre 2012 ; que dans ces conditions, la société Laboratoire de Traitement des Nuisances a été à même d'assurer sa défense ; que par suite, les moyens tirés du non-respect du caractère contradictoire de la procédure et de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés ;

Sur le bien fondé des sommes réclamées :

4. Considérant qu'il résulte du procès-verbal dressé le 11 septembre 2012 qu'a été constaté le même jour, sur le chantier d'aménagement des locaux Leclerc Drive à Tourlaville dont il est constant qu'il a été confié à la société Laboratoire de Traitement des Nuisances (LTN), la présence de trois personnes affectés à des travaux d'isolation intérieure, dont deux personnes de nationalité indienne dépourvues de document les autorisant à séjourner sur le territoire national, et n'ayant en outre pas fait l'objet d'une déclaration d'embauche ; que ces faits caractérise un travail dissimulé et l'emploi de salariés sans titre de travail ; que la société Laboratoire de Traitement des Nuisances (LTN) soutient que cette situation ne lui est pas imputable, dès lors qu'elle a sous-traité à la société Professionnels International du Bâtiment (PIB), son partenaire habituel, le chantier dont il s'agit, par l'intermédiaire de M.A... ; qu'il ressort des différents procès-verbaux d'audition figurant au dossier que, lorsqu'elles travaillent ensemble, la société LTN fournit le matériel et les matériaux et la société PIB, la main d'oeuvre ; qu'il est toutefois constant que M.A..., qui a notamment bénéficié d'un contrat de travail au sein de la société PIB pour la période du 16 avril 2012 au 15 mai 2012, a été contacté directement par M.B..., gérant de la société LTN, afin de lui confier une mission qu'elle devait réaliser pour le compte de la société Diesnis sur le chantier litigieux, sans qu'aucun contrat de sous-traitance n'ait été signé ni avec la société PIB, ni avec M.A... ; que la société requérante n'a pas cherché à vérifier si M. A...agissait pour son propre compte ou pour celui de son ancien employeur, s'il allait recourir à des travailleurs étrangers et si ces derniers étaient en situation régulière ; que dans ces conditions, l'office français de l'immigration et de l'intégration a pu estimer que les trois personnes qui se trouvant sur le chantier le jour du contrôle travaillaient directement ou indirectement pour le compte de la société LTN, qui devait être regardée comme leur employeur au sens des dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail ; que la circonstance que M. B...ne connaissait ni l'existence, ni le nom de ces deux travailleurs étrangers en situation irrégulière et qu'il a de ce fait été dans l'impossibilité de procéder au paiement des salaires qui leur étaient dus et donc, de bénéficier de la minoration de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, est sans incidence sur la légalité de la décision contestée, dès lors que cette situation résulte de sa propre négligence ;

Sur le montant des sommes réclamées :

5. Considérant qu'en vertu de l'article L. 8253-1 du code du travail, le montant de la contribution spéciale " peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux (...) " ; que l'infraction prévue aux dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail est constituée du seul fait de l'emploi de travailleurs étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français, l'employeur étant tenu de vérifier, à l'embauche, la régularité de la situation de ses employés au regard de la réglementation en vigueur ; que, par suite, la société requérante, qui ainsi qu'il a été dit ci-dessus doit être regardée comme l'employeur des deux ressortissants indiens travaillant pour son compte sur le chantier du centre commercial Leclerc Drive de Tourlaville, ne peut utilement invoquer, pour solliciter la réduction des contributions litigieuses, ni sa taille extrêmement réduite, ni sa bonne foi, ni le fait qu'elle ne serait pas responsable de l'entrée en France de ces deux salariés, dès lors qu'à tout le moins, les infractions de travail dissimulé et d'emploi d'étranger sans titre de travail pouvaient lui être reprochées ; que par ailleurs, outre l'infraction d'emploi d'étranger sans autorisation de travail, ont aussi été relevées, dans le procès-verbal, les infractions d'aide au séjour irrégulier et de travail dissimulé, de sorte que la société ne remplit pas la condition de non-cumul d'infractions permettant la minoration de la contribution spéciale ; qu'en outre, la société LTN, quelles qu'en soient les raisons, n'a pas acquitté les salaires dus à ces deux personnes ; que par suite, elle ne remplit pas les conditions prévues à l'article L. 8253-1 du code du travail pour bénéficier d'une minoration du taux de 5 000 fois le taux horaire du salaire minimum de croissance qui lui a été appliqué sur le fondement de ces dispositions ; qu'il n'y a pas davantage lieu de réduire la contribution forfaitaire à laquelle elle a été assujettie et qui a été calculée selon les règles définies à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et selon le montant de 2 309 euros fixé par l'arrêté susvisé du 5 décembre 2006 pour chaque ressortissant de l'Asie du sud-est ou du Moyen-Orient en séjour irrégulier ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que la société Laboratoire de Traitement des Nuisances n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande ; que ses conclusions tendant à la réduction à 1 euro des contributions mises à sa charge doivent également être rejetées ;

Sur les frais liés au litige :

7. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Laboratoire de Traitement des Nuisances le versement à l'office français de l'immigration et de l'intégration le versement de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Laboratoire de Traitement des Nuisances est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'office français de l'immigration et de l'intégration tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Laboratoire de Traitement des Nuisances et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président,

- Mme Gélard, premier conseiller,

- Mme Bougrine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 février 2018.

Le rapporteur,

V. GELARDLe président,

S. DEGOMMIER

Le greffier,

S. BOYERE La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16NT01919


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT01919
Date de la décision : 16/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : SCP CHAPRON YGOUF LANIECE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-02-16;16nt01919 ?
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