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07/12/2018 | FRANCE | N°18NT01864

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 07 décembre 2018, 18NT01864


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 16 mars 2018 du préfet d'Eure-et-Loir fixant le pays à destination duquel il sera éloigné en exécution d'une décision judiciaire d'interdiction définitive du territoire.

Par un jugement n° 1801428 du 28 mars 2018, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 27 avril et 13 novembre 2018 le pr

éfet d'Eure-et-Loir demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné du tribunal ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 16 mars 2018 du préfet d'Eure-et-Loir fixant le pays à destination duquel il sera éloigné en exécution d'une décision judiciaire d'interdiction définitive du territoire.

Par un jugement n° 1801428 du 28 mars 2018, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 27 avril et 13 novembre 2018 le préfet d'Eure-et-Loir demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes du 28 mars 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. D....

Il soutient que :

- l'arrêté litigieux a été précédé d'un examen de situation et d'une procédure contradictoire ;

- son arrêté n'a pas été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; M. D...a été systématiquement débouté de ses demandes d'asile par le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, la Cour nationale du droit d'asile et le Conseil d'Etat. Le témoignage de M. G...ne possède aucune valeur probante ;

- cet arrêté, qui n'entraîne pas de conséquences d'une exceptionnelle gravité, n'a pas été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet n'a pris, contrairement à ce qui était avancé en première instance, aucune décision prévoyant une interdiction de retour sur le territoire français mais s'est contenté de mettre en oeuvre la décision judiciaire portant interdiction définitive du territoire français.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 juillet 2018 M. B...D..., représenté par MeE..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros.

Il fait valoir que les moyens invoqués par le préfet d'Eure-et-Loir ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- et les observations de M. A...C..., représentant le préfet d'Eure-et-Loir.

Considérant ce qui suit :

1. M. D...B..., né le 10 août 1980 à Grosny en Russie, de nationalité russe, a fait l'objet d'une décision judiciaire d'interdiction définitive du territoire prise le 28 juillet 2009 par la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel d'Orléans. Par un arrêté du 16 mars 2018, le préfet d'Eure-et-Loir a, en exécution de cette décision, fixé le pays à destination duquel M. D... serait éloigné. Il a ainsi décidé que, conformément aux articles L. 513-2 1° et 2° et L. 513-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'intéressé serait éloigné à destination du pays dont il a la nationalité, ou à défaut le pays qui lui a délivré un titre de voyage en cours de validité, ou encore à destination de tout autre pays dans lequel il était légalement admissible. Le préfet d'Eure-et-Loir relève appel du jugement du 28 mars 2018 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité (...) ; / 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. (...) ".

3. En premier lieu, pour fixer le pays de destination de M. D..., le préfet d'Eure-et-Loir a notamment désigné la Russie, pays dont l'intéressé avait la nationalité. Si M. D... se prévaut, pour contester cette décision, de sa nationalité tchétchène, il est constant cependant que la République Tchétchène ne constitue qu'une des composantes de la Fédération de Russie. Le moyen ainsi soulevé est, par suite, inopérant.

4. En second lieu, M. D... soutient qu'il a contribué à l'avitaillement des militants de la résistance tchétchène opposée aux forces militaires russes, qu'il a fait l'objet d'une arrestation avec sa propre mère, a fui en France en 2006 et qu'il craint pour sa sûreté et pour sa vie en cas de retour dans son pays d'origine. Toutefois, si M. D... produit, à l'appui de ses allégations peu circonstanciées, un document présenté comme étant la traduction d'une attestation qui aurait été établie le 19 janvier 2013 sous l'en-tête " association internationale paix et droits de l'homme " par M. H... G..., ancien ministre en Tchétchénie, ce document, au demeurant incomplet et rédigé en des termes convenus au regard des déclarations de l'intéressé, demeure insuffisant à établir la réalité des risques qu'il encourrait personnellement et actuellement en cas de retour dans son pays d'origine. Par ailleurs, les propos tenus par M. D... devant les instances habilitées à délivrer la qualité de réfugié ainsi que les pièces versées au débat font apparaitre des incohérences, des invraisemblances ainsi que des contradictions quant aux risques personnels allégués pour sa vie. D'ailleurs, une nouvelle demande d'asile a été rejetée pour irrecevabilité par une décision du 29 mars 2018 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

5. Il résulte de ce qui est dit aux points 3 et 4 que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 16 mars 2018 du préfet d'Eure-et-Loir fixant le pays à destination duquel l'intéressé serait éloigné au motif qu'il méconnaissait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés devant la juridiction administrative par M. D... contre cet arrêté.

7. En premier lieu, et ainsi qu'il a été dit, M. D... ne conteste pas sérieusement, en se prévalant de son origine tchétchène, être ressortissant de la Fédération de Russie. Par suite, le moyen tiré de ce qu'en décidant son éloignement à destination de ce pays, le préfet d'Eure-et-Loir aurait méconnu les dispositions du 1° de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, l'arrêté contesté énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde. Par suite, il est suffisamment motivé.

9. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. D... a été invité le 13 mars 2018 à présenter ses observations sur la décision fixant le pays à destination duquel il serait reconduit en exécution de la décision judiciaire d'interdiction du territoire que le préfet envisageait de prendre et qu'il a présenté des observations écrites le même jour. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.

10. En quatrième lieu, l'article L. 541-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit : " La peine d'interdiction du territoire français susceptible d'être prononcée contre un étranger coupable d'un crime ou d'un délit est régie par les dispositions des articles 131-30, 131-30-1 et 131-30-2 du code pénal ci-après reproduites : / "Art. 131-30 du code pénal. / "Lorsqu'elle est prévue par la loi, la peine d'interdiction du territoire français peut être prononcée, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l'encontre de tout étranger coupable d'un crime ou d'un délit. / "L'interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion. (...) ". Aussi longtemps que la personne condamnée n'a pas obtenu de la juridiction qui a prononcé la condamnation pénale le relèvement de la peine complémentaire que constitue l'interdiction judiciaire du territoire, laquelle est imprescriptible, l'autorité administrative est tenue de pourvoir à son exécution.

11. Dès lors que M. D...avait fait l'objet, ainsi qu'il a déjà été dit, par un arrêt rendu le 28 juillet 2009 par la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel d'Orléans, d'une interdiction judiciaire définitive du territoire français, à laquelle il n'a pas déféré et dont il n'allègue pas avoir demandé le relèvement, il n'était plus légalement autorisé à séjourner sur le territoire national, et le préfet était tenu de pourvoir à l'exécution de cette décision de l'autorité judiciaire. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'atteinte portée par l'arrêté contesté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale en France protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, inopérant, ne peut qu'être écarté.

12. Enfin, l'arrêté préfectoral contesté du 16 mars 2018 se borne dans son article 1er à fixer le pays à destination duquel M. D... sera éloigné en exécution de la décision judiciaire d'interdiction définitive du territoire prise le 28 juillet 2009. Par suite, les conclusions dirigées contre la décision de placement en rétention prise à son encontre le 19 mars 2018 et " les décisions " de refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et portant interdiction de retour sur le territoire français qui ne sont pas formalisée et sont étrangères au présent litige, ne peuvent qu'être rejetées.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet d'Eure-et-Loir est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 16 mars 2018 et mis la somme de 800 euros à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Sur les frais de l'instance :

14. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par M. D... et non compris dans les dépens.

D E C I D E

Article 1er : Le jugement n° 1801428 du 28 mars 2018 du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... D....

Copie en sera adressée au préfet d'Eure-et-Loir.

Délibéré après l'audience du 22 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. Berthon, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 7 décembre 2018.

Le rapporteur,

O. Coiffet

Le président,

I. Perrot

Le greffier,

M. F...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 18NT018642


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT01864
Date de la décision : 07/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : DENIZOT

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-12-07;18nt01864 ?
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