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11/10/2019 | FRANCE | N°18NT01055

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 11 octobre 2019, 18NT01055


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, la décision du 8 juillet 2014 par laquelle le président du conseil général de la Sarthe lui a retiré son agrément en qualité d'assistante maternelle et, d'autre part, la décision du 20 octobre 2014 par laquelle le président du conseil général de la Sarthe a rejeté son recours gracieux contre la décision du 8 juillet 2014.

Par un jugement n° 1503779 du 19 juillet 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté

cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 mar...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, la décision du 8 juillet 2014 par laquelle le président du conseil général de la Sarthe lui a retiré son agrément en qualité d'assistante maternelle et, d'autre part, la décision du 20 octobre 2014 par laquelle le président du conseil général de la Sarthe a rejeté son recours gracieux contre la décision du 8 juillet 2014.

Par un jugement n° 1503779 du 19 juillet 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 mars 2018, Mme E... D..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1503779 du 19 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 8 juillet 2014 par laquelle le président du conseil général de la Sarthe a retiré son agrément en qualité d'assistante maternelle et contre la décision du 20 octobre 2014 portant rejet de son recours gracieux contre la décision du 8 juillet 2014 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ces deux décisions ;

3°) d'enjoindre au président du conseil départemental de la Sarthe, à titre principal, de renouveler son agrément en qualité d'assistante maternelle dans un délai d'un mois, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande dans un délai de deux mois ;

4°) de mettre à la charge du département de la Sarthe la somme de deux mille euros à verser à son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.

Elle soutient que :

- les décisions contestées sont entachées d'erreur d'appréciation ; les difficultés qu'elle rencontre avec son voisinage n'ont aucun impact sur les enfants gardés ;

- les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ; elle n'a pas eu communication de l'intégralité des informations préoccupantes qui étaient, en outre, anonymisées ;

- le tribunal administratif n'a pas répondu à son argumentation qui était de ne pas retenir contre elle des pièces incomplètes et rendues anonymes ; en raison de ce caractère, les informations préoccupantes anonymes doivent être écartées des débats.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2019, le département de la Sarthe, représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande, en outre, qu'une somme de deux mille cinq cents euros soit mise à la charge de Mme D... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 28 décembre 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... D..., dont l'agrément en qualité d'assistante maternelle a été renouvelé, en août 2013, pour l'accueil de deux enfants à la journée et un enfant scolarisé, relève appel du jugement du 19 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation, d'une part, de la décision du 8 juillet 2014 par laquelle le président du conseil général de la Sarthe lui a retiré son agrément en qualité d'assistante maternelle et, d'autre part, de la décision du 20 octobre 2014 par laquelle le président du conseil général de la Sarthe a rejeté son recours gracieux contre la décision du 8 juillet 2014.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Dans sa requête introductive d'instance devant le tribunal administratif de Nantes, Mme D... soutenait que le tribunal administratif ne devait pas retenir les comptes-rendus " d'informations préoccupantes " dès lors que ces documents avaient été anonymisés par le département. Toutefois, cet argument n'était pas présenté en tant que moyen autonome mais seulement à l'appui du moyen tiré de l'erreur d'appréciation qu'aurait commise le président du conseil général de la Sarthe. Les premiers juges ont répondu à ce moyen tiré de l'erreur d'appréciation aux points 5 et 6 du jugement. Ils n'étaient pas tenus de répondre à chacun des arguments développés par la requérante à l'appui de ses moyens et le jugement est suffisamment motivé. Il suit de là que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait entaché son jugement d'irrégularité en ne répondant pas à ce point de son argumentation.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. En premier lieu, l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ".

5. Ni le président du conseil général qui prononce le retrait d'un agrément d'assistant maternel, ni la commission consultative paritaire saisie pour avis préalablement à une telle décision ne constituent un tribunal au sens des stipulations du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations est, par suite, inopérant. De plus, si Mme D... soutient que le respect de ses droits de la défense a été méconnu dans la mesure où les identités des témoins, et enfants, cités dans les différents rapports et réponses à informations préoccupantes ont été occultées, le département de la Sarthe oppose que la communication de l'identité de ces personnes était de nature à porter préjudice à celles-ci. En outre, et alors que Mme D... ne précise pas les documents dont elle n'aurait pas eu communication, l'intéressée a pu prendre connaissance, lorsqu'elle en a fait la demande, au demeurant postérieurement à la décision contestée, des différents rapports, lesquels sont très précis et détaillés quant aux faits qui lui sont reprochés, et était donc en mesure de présenter utilement ses observations sur ces faits. Dès lors, le président du conseil général de la Sarthe a pu, sans méconnaitre la procédure prévue par les dispositions de l'article R. 421-3 du code de l'action sociale et des familles, occulter l'identité de tiers dans le dossier administratif de Mme D.... Le moyen tiré de ce que la décision de retrait d'agrément et la décision portant rejet du recours gracieux de l'intéressée ont méconnu les droits de la défense doit donc être écarté.

6. En second lieu, l'article L. 421-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " L'assistant maternel est la personne qui, moyennant rémunération, accueille habituellement et de façon non permanente des mineurs à son domicile. / L'assistant maternel accueille des mineurs confiés par leurs parents, directement ou par l'intermédiaire d'un service d'accueil mentionné à l'article L. 2324-1 du code de la santé publique. Il exerce sa profession comme salarié de particuliers employeurs ou de personnes morales de droit public ou de personnes morales de droit privé dans les conditions prévues au chapitre III du présent livre, après avoir été agréé à cet effet ". Par ailleurs l'article L. 421-3 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur, dispose que : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel ou d'assistant familial est délivré par le président du conseil général du département où le demandeur réside. / Un référentiel approuvé par décret en Conseil d'Etat fixe les critères d'agrément. / (...) L'agrément est accordé à ces deux professions si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne. (...) ". Enfin, l'article L. 421-6 du même code, dans sa rédaction alors applicable, dispose que " (...) Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil général peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil général peut suspendre l'agrément. Tant que l'agrément reste suspendu, aucun enfant ne peut être confié. (...) ".

7. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe au président du conseil départemental de s'assurer que les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis et de procéder au retrait de l'agrément si ces conditions ne sont plus remplies. A cette fin, dans l'hypothèse où il est informé de suspicions de comportements susceptibles de compromettre ces conditions de la part du bénéficiaire de l'agrément il lui appartient de tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux et de déterminer si ces éléments sont suffisamment établis pour lui permettre raisonnablement de penser que les conditions de l'agrément ne sont plus remplies.

8. Si l'agrément en qualité d'assistante maternelle accordé en août 2008 pour l'accueil d'un enfant à la journée a été étendu à l'accueil d'un deuxième enfant à la journée en septembre 2009, à l'accueil d'un enfant en scolaire en 2012, puis renouvelé en août 2013, il ressort des pièces du dossier que l'extension de l'agrément n'avait été accordée que sous réserve d'un suivi régulier de Mme D... par les travailleurs sociaux et que quatre " informations préoccupantes " ont été portées à la connaissance du département au cours de cette période, depuis le mois de novembre 2009. S'il est constant que certaines de ces informations préoccupantes concernaient des problèmes de voisinage importants connus par l'intéressée, ces problèmes ont perduré de manière aussi aigue après un déménagement, en 2010, de Mme D.... Il ressort également des pièces du dossier, notamment de plusieurs rapports établis dans le cadre du suivi de l'intéressée ou à l'occasion de la demande de renouvellement d'agrément, que les graves problèmes rencontrés par Mme D... avec son voisinage ont de très fortes répercussions sur son état psychologique, alors qu'elle souffre, par ailleurs, de diverses pathologies. L'extension en 2012 de l'agrément de Mme D... à un troisième enfant, d'âge scolaire, n'a été accordée qu'à titre individuel pour maintenir l'unité d'une fratrie en lui permettant d'accueillir le grand frère d'un bébé qu'elle gardait, la puéricultrice ayant souligné que les difficultés relationnelles de l'intéressée ne permettaient pas en principe d'envisager un agrément pour trois enfants. Il ressort, en outre, des pièces du dossier que si certains parents louent l'attitude de Mme D... envers leur enfant et que l'investissement de cette dernière auprès des enfants a été souligné par les agents du département, plusieurs conflits ont pu éclater entre l'appelante et d'autres parents, conflits atteignant des phases aigues et nécessitant un recours à l'intervention de la police. Il a ainsi dû être mis fin de manière prématurée à l'accueil de plusieurs enfants par Mme D.... Il a pu être également relevé des problèmes dans l'attitude de l'assistante maternelle envers certains des parents ou adultes de la famille des enfants accueillis. Les dernières investigations menées par les personnels du département, en 2014, après la dernière information préoccupante, ont démontré une attitude inappropriée de l'intéressée à l'égard des agents du service de protection maternelle et infantile (PMI), entre agressivité et colère. Le compte-rendu de l'entretien du 10 février 2014 a montré que Mme D... manifestait une méfiance excessive à l'égard des travailleurs médico-sociaux du département. La psychologue du service de PMI qui a mené cet entretien a souligné que selon elle, l'état psychique de l'intéressée s'amplifiait depuis l'année 2008, avec des passages à l'acte se multipliant, et qu'il existait un risque que le " persécuteur devienne de façon intermittente, ou pas, un des enfants accueillis, ou encore, l'un ou l'autre des parents ". La psychologue soulignait également qu'il était probable que les enfants accueillis par Mme D... soient les témoins de conversations " sur les sujets qui l'animent et alimentent ses échanges de façon compulsive, le ton est souvent très haut et la gestuelle agitée " et que l'équilibre des enfants ne pouvait être garanti. Si l'intéressée a produit des témoignages de satisfaction de parents d'enfants qu'elle a gardés, ces témoignages sont antérieurs de plusieurs années aux décisions contestées. Dès lors, le président du conseil général de la Sarthe a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, pour retirer l'agrément dont bénéficiait Mme D..., estimer que celle-ci ne présentait plus les garanties requises par les dispositions de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les frais du litige :

10. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Sarthe, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme D... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

11. En second lieu, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... la somme que le département de la Sarthe demande en application de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du département de la Sarthe tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D... et au département de la Sarthe.

Délibéré après l'audience du 24 septembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme F..., première conseillère.

Lu en audience publique le 11 octobre 2019.

La rapporteure,

M. F...Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

M. B... La République mande et ordonne au préfet de la Sarthe en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°18NT01055 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT01055
Date de la décision : 11/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : MOUTEL

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-10-11;18nt01055 ?
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