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10/01/2020 | FRANCE | N°18NT02041

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 10 janvier 2020, 18NT02041


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCEA du Parc a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 89 423 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'application de dispositions réglementaires illégales pour le calcul de ses droits à paiement unique (DPU).

Par un jugement n° 1600275 du 23 mars 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 mai 2018 la SCEA du Parc, re

présentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCEA du Parc a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 89 423 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'application de dispositions réglementaires illégales pour le calcul de ses droits à paiement unique (DPU).

Par un jugement n° 1600275 du 23 mars 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 mai 2018 la SCEA du Parc, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 23 mars 2018 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 31 053 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'application de dispositions réglementaires illégales pour le calcul de son DPU, cette somme étant augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2015 et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'application illégale du règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 par la France engage la responsabilité de l'Etat ; en l'espèce, l'administration n'a pas tenu compte des engagements agroenvironnementaux qu'elle avait contractés en 2002 pour calculer le montant de référence de son DPU au motif, jugé illégal par la Cour de justice de l'Union européenne et par le Conseil d'Etat, que l'incidence de ces engagements sur ses aides directes à la production était inférieure à 20% ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Rennes, elle a donc subi un préjudice, lié à l'absence de revalorisation de ses DPU, qui peut être évalué à 24 441 euros pour la période allant de 2006 à 2014 et à 6 612 euros pour la période allant de 2015 à 2020.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 octobre 2019 le ministre de l'agriculture et de l'alimentation déclare s'en remettre à la sagesse de la cour.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 modifié établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs ;

- le règlement (CE) n° 795/2004 de la Commission du 21 avril 2004 modifié portant modalités d'application du régime de paiement unique prévu par le règlement (CE) n° 1782/2003 ;

- l'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 3 octobre 2013, Confédération paysanne c. Ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche (C-298/12) ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968

- le décret n° 2006-710 du 19 juin 2006 ;

- l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la pêche du 20 novembre 2006 modifié portant application du décret n° 2006-710 du 19 juin 2006 relatif à la mise en oeuvre de l'aide au revenu prévue par le règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 ;

- l'arrêté du 23 février 2010 modifiant l'arrêté du 20 novembre 2006 portant application du décret n° 2006-710 du 19 juin 2006 relatif à la mise en oeuvre de l'aide au revenu prévue par le règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant la SCEA du Parc.

Considérant ce qui suit :

1. La SCEA du Parc exploite sur le territoire de la commune de Cesson-Sevigné 54 hectares de terres agricoles et un atelier de production laitière. Le 28 mai 2002, elle a signé pour cinq ans un " contrat territorial d'exploitation " comportant des engagements agroenvironnementaux. Par un courrier du 8 octobre 2015, elle a adressé au préfet d'Ille-et-Vilaine une demande d'indemnisation en réparation du préjudice résultant selon elle de l'absence de prise en compte de ses engagements agroenvironnementaux dans le calcul de ses droits à paiement unique (DPU). L'absence de réponse du préfet a fait naître une décision implicite de rejet de sa demande. La SCEA du Parc a alors saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande indemnitaire, qui a été rejetée par un jugement du 23 mars 2018. La SCEA du Parc relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le tribunal administratif de Rennes, après avoir retenu la responsabilité de l'Etat, a jugé que " en se bornant à soutenir, dans ses écritures, qu'elle aurait subi un préjudice financier du fait de la non-reconduction, à compter de 2006, de la totalité des aides antérieurement perçues au titre du contrat territorial d'exploitation qu'elle avait souscrit à compter du 28 mai 2002, la requérante n'établit pas l'existence de son préjudice financier, ni que cet éventuel préjudice serait directement la conséquence de l'illégalité des dispositions de l'arrêté de 2010 susvisé annulées par la décision du Conseil d'Etat précitée. ". En rejetant ainsi l'intégralité des conclusions indemnitaires dont il était saisi, en raison de ce qu'il n'était pas en mesure d'établir l'importance du préjudice indemnisable, alors qu'il lui revenait, le cas échéant, de faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour que soit précisée l'étendue de ce préjudice, le tribunal n'a pas complètement rempli la mission juridictionnelle qui était la sienne. Son jugement doit donc être annulé.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de la SCEA du Parc.

Sur la responsabilité de l'Etat :

4. Le règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 a institué un régime de paiement unique, dit " droits à paiement unique " (DPU), découplé de la production, calculé en fonction d'un " montant de référence " égal, en vertu des articles 37 et 38 de ce règlement, à la moyenne annuelle des montants totaux d'aides accordés à un agriculteur au cours d'une période de référence correspondant aux années 2000, 2001 et 2002. Aux termes de l'article 40 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 37, tout agriculteur dont la production a été gravement affectée au cours de la période de référence par un cas de force majeure ou des circonstances exceptionnelles survenus avant ou pendant ladite période de référence est habilité à demander que le montant de référence soit calculé sur la base de l'année ou des années civiles de la période de référence qui n'ont pas été affectées par le cas de force majeure ou les circonstances exceptionnelles. (...) / 5. Les paragraphes 1 (...) du présent article s'appliquent mutatis mutandis aux agriculteurs soumis, au cours, de la période de référence, à des engagements agroenvironnementaux (...) ". La Cour de justice de l'Union européenne a, dans son arrêt du 3 octobre 2013, Confédération paysanne c. Ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche (C-298/12), jugé que l'article 40, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement n° 1782/2003 doit être interprété en ce sens que tout agriculteur, du seul fait d'avoir été soumis, au cours de la période de référence, à des engagements agroenvironnementaux au titre des règlements nos 2078/92 et 1257/1999, est habilité à demander que son montant de référence soit calculé sur la base de l'année ou des années civiles de la période de référence non soumises à de tels engagements.

5. Aux termes de l'article 1er du décret du 19 juin 2006 relatif à la mise en oeuvre de l'aide au revenu prévue par le règlement (CE) n° 1782/2003 du 29 septembre 2003 : " (...) Pour l'application du 5 de l'article 40 du règlement du 29 septembre 2003 susvisé, ne peuvent être pris en compte que les engagements agro-environnementaux dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de l'agriculture et qui, selon le cas, ont conduit à une diminution au moins équivalente à 20 % (...) du montant d'aides perçu au titre des années affectées, calculé selon des modalités fixées par ce même arrêté, par rapport à celui versé au titre des années de la période de référence non affectées ; (...) ".

6. Par un arrêté du 23 février 2010, le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche a modifié l'arrêté du 20 novembre 2006 relatif à la mise en oeuvre de l'aide au revenu prévue par le règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 et portant application du décret du 19 juin 2006. Le paragraphe 3 de l'article 1er de cet arrêté, modifiant l'article 6 de l'arrêté du 20 novembre 2006, fixe, pour les agriculteurs soumis à des engagements agroenvironnementaux pendant une ou deux des trois années de la période de référence, les règles de comparaison du montant d'aides perçu respectivement lors des années non affectées et lors des années affectées par de tels engagements et, dans le cas où le second montant est inférieur d'au moins 20 % au premier montant, les modalités de calcul de la revalorisation du montant de référence. Par une décision n° 339036 du 26 février 2014, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé ce paragraphe.

7. Il résulte de l'instruction et n'est pas sérieusement contesté que le préfet d'Ille-et-Vilaine a refusé de tenir compte des engagements agroenvironnementaux de la SCEA du Parc pour arrêter le montant de référence servant de base au calcul de ses DPU à compter de l'année 2006 en se fondant sur le motif que ces engagements avaient entraîné une diminution des aides directes inférieure au seuil de 20 % fixé par l'arrêté du 20 novembre 2006 dans sa rédaction issue de l'arrêté modificatif du 23 février 2010 annulée par la décision du 26 février 2014 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, censurant ce dispositif pour incompatibilité avec l'article 40 du règlement du 29 septembre 2003 précité. Ce faisant, le préfet a commis une illégalité qui engage la responsabilité de l'Etat et ouvre droit à réparation du préjudice qui en est résulté pour la SCEA du Parc.

Sur l'exception de prescription quadriennale :

8. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. ". Selon l'article 3 de cette même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. ".

9. La circonstance que le paragraphe 3 de l'article 1er de l'arrêté du 23 février 2010 a été jugé illégal par la décision rappelée au point 6 du 26 février 2014 du Conseil d'Etat statuant au contentieux n'est pas de nature à faire regarder la SCEA du Parc comme ayant ignoré l'existence de sa créance avant cette date, dès lors qu'il était loisible à celle-ci de présenter, avant l'intervention de cette décision juridictionnelle, une demande indemnitaire et de contester l'éventuel refus opposé par l'administration devant le juge administratif.

10. La SCEA du Parc a demandé pour la première fois au préfet d'Ille-et-Vilaine le paiement de ses créances, correspondant à la différence entre les sommes qu'elle a perçues chaque année à partir de 2006 au titre de ses DPU et celles qu'elle aurait dû percevoir en l'absence de faute de l'Etat, par un courrier du 8 octobre 2015 reçu le lendemain par l'administration. En conséquence, seules les créances dont le fait générateur est postérieur à l'année 2010 ne sont pas prescrites.

Sur les préjudices :

11. Aux termes de l'article 6 de l'arrêté du 20 novembre 2006, dans sa rédaction applicable : " 5. Lorsqu'un agriculteur répond aux conditions fixées au quatrième alinéa de l'article 1er du décret n° 2006-710 susvisé et que la part du montant de la MAE de cet agriculteur est au moins égale à 6, 6 %, alors un montant égal au tiers du montant moyen perçu au titre d'un engagement agroenvironnemental calculé conformément à l'article 4 du présent arrêté est ajouté à son montant de référence, au sens de l'article 37 du règlement (CE) n° 1782 / 2003 du Conseil du 29 septembre 2003 susvisé. 6. Pour l'application du 5 du présent article, la part du montant de la MAE correspond au rapport entre : / - le tiers du montant moyen perçu au titre d'un engagement agroenvironnemental calculé conformément à l'article 4 du présent arrêté ; / - et la somme du montant de référence, au sens de l'article 37 du règlement (CE) n° 1782 / 2003 du Conseil du 29 septembre 2003 susvisé, et du tiers du montant moyen perçu au titre d'un engagement agroenvironnemental calculé conformément à l'article 4 du présent arrêté. ". Selon cet article 4 : " Le montant moyen perçu par un agriculteur au titre d'un engagement agro-environnemental correspond à la moyenne annuelle des montants perçus au cours de la totalité de la durée de l'engagement agro-environnemental. / Le montant perçu au cours d'une année est égal au produit des surfaces constatées et du montant unitaire de l'aide prévu par le cahier des charges de l'engagement agro-environnemental. ".

12. En application de ces dispositions, et sur la base de la somme qui aurait dû être ajoutée au montant de référence de la SCEA du Parc, correspondant au tiers du montant moyen perçu au titre de ses engagements agroenvironnementaux, soit 2 971,88 euros, l'Etat doit être condamné à verser à cette société, au titre de ses créances non-prescrites entre 2011 et 2019 la somme non contestée de 16 351,58 euros.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

13. La somme de 16 351,58 euros mise à la charge de l'Etat portera intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2015, date de réception par l'administration de la demande indemnitaire de la SCEA du Parc.

14. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Si, à la date où elle est demandée, les intérêts sont dus depuis moins d'une année, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois par la SCEA du Parc le 22 janvier 2016 devant le tribunal administratif de Rennes. Il y a ainsi lieu de capitaliser les intérêts au 9 octobre 2016, date à laquelle une année d'intérêts a été due, et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les frais de l'instance :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SCEA du Parc et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1600275 du tribunal administratif de Rennes du 23 mars 2018 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la SCEA du Parc la somme de 16 351,58 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2015. Les intérêts échus le 9 octobre 2016 seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle ultérieure pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la SCEA du Parc est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à la SCEA du Parc la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SCEA du Parc et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Délibéré après l'audience du 5 décembre 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme D..., présidente-assesseure,

- M. B..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 janvier 2020.

Le rapporteur

E. B...Le président

I. Perrot

Le greffier

M. C...

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT02041


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02041
Date de la décision : 10/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: M. Eric BERTHON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SELARL BARBIER

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-01-10;18nt02041 ?
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