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04/02/2020 | FRANCE | N°18NT02341

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 04 février 2020, 18NT02341


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat des personnels de l'énergie atomique Normandie CFDT a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 14 octobre 2016 de l'inspecteur du travail de l'unité départementale de la Manche rejetant sa demande de retrait de la note de la société Areva NC La Hague relative à la mise en place de badgeuses, note annexée au règlement intérieur de la société et de lui allouer une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par

un jugement n° 1701144 du 16 avril 2018, le tribunal administratif de Caen a reje...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat des personnels de l'énergie atomique Normandie CFDT a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 14 octobre 2016 de l'inspecteur du travail de l'unité départementale de la Manche rejetant sa demande de retrait de la note de la société Areva NC La Hague relative à la mise en place de badgeuses, note annexée au règlement intérieur de la société et de lui allouer une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1701144 du 16 avril 2018, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 juin 2018, le syndicat des personnels de l'énergie atomique Normandie CFDT, représenté par Me Dollon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 16 avril 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 14 octobre 2016 de l'inspecteur du travail de l'unité départementale de la Manche rejetant sa demande de retrait de la note de la société Areva NC La Hague relative à la mise en place de badgeuses, note annexée au règlement intérieur de la société ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête présentée devant le tribunal dirigée contre la décision de l'inspecteur du travail était bien recevable. Les dispositions de l'article L.1322-3 du code du travail n'instituent pas un recours administratif préalable obligatoire devant le ministre mais prévoient seulement que sa décision peut faire l'objet d'un recours hiérarchique ;

- la requête présentée devant le tribunal administratif dans un délai inférieur à une année, qui n'était pas déraisonnable, n'était pas tardive ; en outre, le contrôle administratif portant sur la légalité du règlement intérieur peut s'exercer à tout moment ;

- sur le fond, l'administration a adressé une mise en demeure à la société Areva en lui rappelant que l'employeur doit évaluer les risques psychosociaux, impliquant un suivi rigoureux de la charge de travail mental et physique de travail des salariés ; or la mise en place de badgeuses au pied du bâtiment ne répond pas à cet impératif ;

- la note litigieuse ne respecte pas les dispositions conventionnelles applicables au sein de l'établissement, en particulier l'accord d'entreprise sur les 35 heures qui fait référence au temps de présence dans l'entreprise et l'accord d'établissement du 14 décembre 2000 qui précise que les horaires d'entrée et de sortie du personnel demeurent inchangés et qu'il n'est pas envisagé un système de pointage ; les absences et les heures supplémentaires sont basées sur un système déclaratif ; sur le site de la Hague, les bons de retard et de sortie anticipée étaient délivrés aux tourniquets, c'est-à-dire aux portes du site ;

- la note relative à la mise en place des badgeuses et donc un système de pointage sur l'établissement contrevient à ces dispositions conventionnelles ; le système de pointage des salariés est irrégulier dès lors qu'il a été pris en dehors de toute négociation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2018, la société Orano Cycle anciennement dénommée Areva, représentée par Me Borten, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1500 euros soit mise à la charge du syndicat des personnels de l'énergie atomique Normandie CFDT au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande présentée devant le tribunal administratif n'était pas recevable ;

- les moyens soulevés par le syndicat des personnels de l'énergie atomique Normandie CFDT ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me Joubert, substituant Me Borten, représentant la société Orano Cycle.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 18 septembre 2012, l'inspecteur du travail de la Manche a mis en demeure la direction de l'établissement Areva NC La Hague de ramener aux limites maximales légales, dans un délai de trois mois, la durée du travail sur site et hors site de tout le personnel de l'établissement quel que soit son niveau de qualification et également de respecter les règles régissant les repos. Il a, à cette fin, en vue de pouvoir vérifier la mise en oeuvre de cette mise en demeure, demandé la mise en place, dans les mêmes délais, d'un système d'enregistrement automatique, fiable, infalsifiable, du début et de la fin de chaque période de travail pour tout le personnel de l'établissement quel que soit le niveau de qualification et dont les décomptes devaient être tenus à sa disposition. La direction de l'établissement a alors engagé des négociations avec les organisations syndicales pour trouver un accord sur la mise en place d'un système de badgeuses, une première réunion s'étant tenue le 27 septembre 2013. Les négociations ont porté sur deux projets d'accord, l'un relatif à la mise en place de l'horaire variable, projet qui prévoyait, notamment, la mise en place de badgeuses aux différentes entrées de l'établissement et aux entrées et sorties des restaurants, l'autre projet étant un avenant à l'accord d'établissement sur la réduction du temps de travail du 14 décembre 2000. Lors de la réunion de négociations du 28 janvier 2014, la direction de l'établissement a indiqué aux organisations syndicales vouloir signer les deux projets d'accord, précisant qu'à défaut de signature, les badgeuses seraient implantées en pied de bâtiment de façon unilatérale. Les organisations syndicales ayant refusé de signer les deux accords, la direction de l'établissement a présenté devant le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, respectivement les 24 mai 2016 et 2 juin 2016, le projet de mise en place des badgeuses, ces instances ayant ensuite été consultées sur un projet de note relative à la mise en place des badgeuses, valant annexe au règlement intérieur de l'établissement. La société a, le 9 septembre 2016, en application de l'article L. 1321-4 du code du travail transmis la note annexée au règlement intérieur à l'inspecteur du travail qui n'a formulé aucune observation. Le dispositif consistant à implanter des badgeuses aux entrées des différents bâtiments de travail situés sur le site comme aux entrées et sorties des restaurants d'entreprise est entré en vigueur le 10 octobre 2016.

2. Le 12 octobre 2016, le syndicat des personnels de l'énergie atomique Normandie CFDT a demandé à l'inspecteur du travail de la Manche de procéder au retrait de la note relative à la mise en place des badgeuses annexée au règlement intérieur. La demande de retrait était motivée par le fait que la direction d'Areva avait décidé de décompter le temps de travail au pied des bâtiments et non pas à l'entrée des tourniquets de l'enceinte de la protection physique de l'établissement, ce qui, selon le syndicat, ne permettrait pas de mesurer le temps de travail effectif compte tenu de l'absence de prise en compte du temps d'acheminement. Par une décision du 14 octobre 2016, l'inspecteur du travail a rejeté cette demande. Il a, après avoir relevé que le dispositif d'enregistrement automatique entrait en vigueur presque quatre ans après l'échéance du délai fixé par la mise en demeure du 18 septembre 2012, estimé que la demande de retrait ne lui paraissait pas justifiée et a invité les délégués du personnel, qui doivent avoir accès aux pointages horaires des salariés en application de l'article L. 3171-2 du code du travail, à saisir la direction de l'établissement des anomalies à la règlementation du travail qu'ils pourraient rencontrer et à porter à sa connaissance, le cas échéant, les plaintes et observations relatives à l'application des dispositions légales en application de l'article L. 2313-1 du code du travail. Le syndicat des personnels de l'énergie atomique Normandie CFDT a, alors le 20 juin 2017, saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 14 octobre 2016 de l'inspecteur du travail. Le syndicat requérant relève appel du jugement du tribunal administratif de Caen du 16 avril 2018 qui a rejeté sa demande. La société Areva NC La Hague, désormais dénommée société Orano Cycle, conclut au rejet de la requête.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. Aux termes de l'article L. 1321-1 du code du travail : " Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement : 1° Les mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement, notamment les instructions prévues à l'article L. 4122-1 ; 2° Les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l'employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu'elles apparaîtraient compromises ; 3° Les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur. ". Aux termes de l'article L. 1321-3 du même code : " Le règlement intérieur ne peut contenir : 1° Des dispositions contraires aux lois et règlements ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l'entreprise ou l'établissement ; 2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (...) ". Enfin, selon l'article L. 1322-1 du même code : " L'inspecteur du travail peut à tout moment exiger le retrait ou la modification des dispositions contraires aux articles L. 1321-1 à L. 1321-3 et L. 1321-6. ". Il résulte des dispositions précitées que l'inspecteur du travail ne peut exiger le retrait d'une disposition du règlement que si cette disposition est étrangère au contenu que doit comporter un règlement, ou si elle est illégale ou ne respecte pas les conventions et accords collectifs ou encore lorsque cette disposition est injustifiée ou disproportionnée pour atteindre le but recherché.

4. En premier lieu, le syndicat des personnels de l'énergie atomique Normandie CFDT soutient que le dispositif issu de la note litigieuse annexée au règlement intérieur est contraire au dispositif conventionnel applicable au sein de l'établissement résultant de l'accord d'entreprise sur les 35 heures et de l'accord d'établissement signé le 14 décembre 2000.

5. Le syndicat requérant avance, tout d'abord, se référant à la notion qui est visée par ces accords de " temps de présence sur le site ", comme élément pertinent de mesure du temps de travail, que la mise en place des badgeuses au pied de chaque établissement conduisant à donner une mesure plus faible du temps de travail serait défavorable aux salariés. Toutefois, d'une part, le temps d'acheminement de l'entrée du site jusqu'au bâtiment ne peut être considéré comme du travail effectif, le salarié n'étant pas alors dans la situation de recevoir de quelconques directives de l'employeur. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que ce temps d'acheminement a, en fait, été pris en compte dans le cadre du dispositif litigieux. En effet, il a été défini très précisément des " temps d'acheminement forfaitaires " pour se rendre matin et soir aux bâtiments ainsi qu'au restaurant lors de la pause déjeuner sur la base d'un découpage du site en différentes zones, chaque badgeuse étant rattachée à un bâtiment, chaque bâtiment à une zone et chaque zone à un temps forfaitaire fixé en fonction des réalités géographiques du site. Par ailleurs, il est constant qu'il a été également retenu le principe de latitudes pour tenir compte des flux d'entrée/sortie du site ainsi que des dispositions particulières en cas d'événements exceptionnels. Enfin, et ainsi que l'administration l'avait rappelé dans ses écritures de première instance, les heures supplémentaires s'apprécient aux entrées et sorties de l'établissement et " l'ensemble du temps de présence sur le site est payé, y compris le temps d'acheminement ". Le dispositif litigieux n'a pas conduit ainsi à remettre en cause la durée du travail et le temps de présence issus des accords d'entreprise et d'établissement.

6. Le syndicat requérant ne saurait ensuite sérieusement faire valoir que le dispositif contesté " qui institue un pointage aux portes d'entrée et de sortie des bâtiments où sont affectés les salariés " serait irrégulier faute d'être intervenu en dehors de toute négociation. En effet, ainsi qu'il a été rappelé au point 1, il ressort des éléments versés au dossier que des négociations ont été engagées dès le mois de septembre 2013 et que les principes et les modalités du dispositif envisagé ont été rappelées lors des différentes réunions de négociations, lesquelles n'ont pu toutefois aboutir à la signature d'un accord par les organisations syndicales.

7. En deuxième lieu, il ne ressort pas davantage des éléments versés au dossier, tant en appel qu'en première instance, que le dispositif prévu dans la note contestée, lequel permet l'implantation de badgeuses au pied des bâtiments et non pas à l'entrée des tourniquets de l'enceinte de la protection physique de l'établissement, conduirait à méconnaitre l'objectif de prévention des risques pour les salariés qui est énoncé à l'article L. 4121-2 du code du travail.

8. En troisième et dernier lieu, à supposer que l'inspecteur du travail ait pu exiger le retrait ou la modification de la note instituant le dispositif en cause, le moyen tiré de ce que le dispositif contesté ne serait pas conforme à l'impératif énoncé dans la mise en demeure adressée le 18 septembre 2012 par l'inspection du travail à la direction de l'entreprise, évoquée au point 1, et qui est relatif à l'évaluation des risques psychosociaux manque en fait, la société ayant effectivement respecté les conditions de cette mise en demeure.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées en première instance par l'administration tirées de l'irrecevabilité de la demande, que le syndicat des personnels de l'énergie atomique Normandie CFDT n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 14 octobre 2016 de l'inspecteur du travail refusant de procéder au retrait de la note relative à la mise en place des badgeuses annexée au règlement intérieur.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Orano Cycle, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le syndicat des personnels de l'énergie atomique Normandie CFDT demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de ce syndicat le versement à la société Orano Cycle d'une somme de 1000 euros au titre des mêmes frais.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du syndicat des personnels de l'énergie atomique Normandie CFDT est rejetée.

Article 2 : Le syndicat des personnels de l'énergie atomique Normandie CFDT versera à la société Orano Cycle la somme de 1000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat des personnels de l'énergie atomique Normandie CFDT, à la société Orano Cycle et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 17 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 février 2020.

Le rapporteur

O. CoiffetLe président

H. Lenoir

Le greffier,

R. Mageau

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°18NT02341 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02341
Date de la décision : 04/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : ASSOCIATION COGUIC DOLLON

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-02-04;18nt02341 ?
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