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04/02/2020 | FRANCE | N°18NT02527

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 04 février 2020, 18NT02527


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la décision du 1er juillet 2015 par laquelle le président du conseil départemental de Loire-Atlantique a refusé de le titulariser, et d'autre part, d'enjoindre au président du conseil départemental de la Loire-Atlantique de le réintégrer dans ses fonctions.

Par un jugement n° 1509231 du 2 mai 2018, le tribunal administratif de Nantes a prononcé l'annulation de la décision du 1er juillet 2015 du président du conseil

départemental de la Loire-Atlantique et enjoint au président du conseil départem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la décision du 1er juillet 2015 par laquelle le président du conseil départemental de Loire-Atlantique a refusé de le titulariser, et d'autre part, d'enjoindre au président du conseil départemental de la Loire-Atlantique de le réintégrer dans ses fonctions.

Par un jugement n° 1509231 du 2 mai 2018, le tribunal administratif de Nantes a prononcé l'annulation de la décision du 1er juillet 2015 du président du conseil départemental de la Loire-Atlantique et enjoint au président du conseil départemental de la Loire-Atlantique de renouveler le contrat de M. D... pour une durée d'un an et de réexaminer sa situation au terme de ce second contrat.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 juin 2018, le département de la Loire-Atlantique, représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 mai 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal ;

3°) de mettre à la charge de M. D... le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a retenu que les difficultés de communication de M. D... résultaient de son handicap ; cet agent a lui-même admis avoir des difficultés de communication avec ses collègues et malgré l'aide technique qui lui a été apportée via la mise à disposition d'une tablette numérique, les difficultés de communication reprochées lui sont entièrement imputables. Son handicap ne saurait justifier ses accès de colère en particulier lorsqu'il lui est reproché que son travail est mal exécuté ; le département s'est, par ailleurs, inscrit de longue date dans une politique de recrutement des membres de son personnel atteints de handicap ; s'agissant de l'accueil de M. D... au sein du service, de nombreux efforts ont été réalisés afin que l'exercice de ses fonctions se déroule dans des conditions optimales ; en plus des aménagements matériels, M. D... est suivi par le " référent handicap " et ses missions de menuisier ont été adaptées ; la situation de handicap de M. D... a été correctement appréhendée par le département afin de permettre sa bonne intégration dans le service et de lui apporter l'aide nécessaire à la réalisation de ses missions ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que la charge de travail confiée à

M. D... pouvait expliquer son comportement à l'égard de sa hiérarchie ;

- ce n'est pas son handicap qui a justifié son refus de titularisation ; c'est le changement sensible d'attitude vis à vis de la hiérarchie et les refus réitérés d'obéir aux ordres qui lui étaient donnés ainsi qu'une agressivité récurrente et les incidents qui ont émaillé son parcours, lesquelles sont clairement établies par les pièces du dossier, qui constituent les raisons du licenciement contesté ; son comportement " tendu " se caractérise par un refus d'échange avec ses collègues, une remise en cause régulière des consignes et des commandes, une volonté délibérée d'ignorer les règles élémentaires de sécurité lors de certaines interventions en milieu extérieur ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a retenu de manière erronée au bénéfice de

M. D... des difficultés de communication avec ses collègues ;

- les faits reprochés sont suffisamment établis.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 96-1087 du 10 décembre 1996 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., substituant Me C..., représentant le département de la Loire-Atlantique, et les observations de M. D..., bénéficiant d'une assistance.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., qui est affecté d'un handicap sévère du fait de sa surdité et de son mutisme pathologique et qui est reconnu travailleur handicapé pour ce motif depuis plusieurs années par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, a été recruté du 13 février au 5 mars 2012 en qualité de menuisier par le département de la Loire-Atlantique, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, pour assurer le remplacement d'un agent au sein du service logistique et achat. Ce contrat a été renouvelé à plusieurs reprises jusqu'au 31 mars 2014. A partir du 1er avril 2014, l'intéressé a été recruté dans le cadre d'un contrat prévu pour le recrutement de travailleurs handicapés par l'article 38 de la loi du 26 janvier 1984 et le décret du 10 décembre 1996 visés ci-dessus. Ces dispositions prévoient qu'à l'issue du contrat d'un an, l'agent a vocation à être titularisé. Par une décision du 1er juillet 2015, le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique a refusé de titulariser M. D.... Ce dernier a alors, le 6 novembre 2015, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Le département de Loire-Atlantique relève appel du jugement du 2 mai 2018 par lequel cette juridiction a prononcé l'annulation de la décision du 1er juillet 2015.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 38 de la loi du 26 janvier 1984, dans sa rédaction alors applicable : " Par dérogation à l'article 36, les fonctionnaires peuvent être recrutés sans concours : (...) / Les personnes mentionnées aux 1°, 2°, 3°, 4°, 9°, 10° et 11° de l'article L. 323-3 du code du travail peuvent être recrutées en qualité d'agent contractuel dans les emplois de catégories A, B et C pendant une période correspondant à la durée de stage prévue par le statut particulier du cadre d'emplois dans lequel elles ont vocation à être titularisées. (...) Le contrat est renouvelable, pour une durée qui ne peut excéder la durée initiale du contrat. A l'issue de cette période, les intéressés sont titularisés sous réserve qu'ils remplissent les conditions d'aptitude pour l'exercice de la fonction. (...) " et aux termes de l'article 8 du décret du 10 décembre 1996 : " A l'issue du contrat, l'appréciation de l'aptitude professionnelle de l'agent par l'autorité territoriale est effectuée au vu du dossier de l'intéressé et après un entretien de celui-ci. / I. - Si l'agent est déclaré apte à exercer les fonctions, l'autorité territoriale procède à sa titularisation. (...) / II. - Si l'agent, sans s'être révélé inapte à exercer ses fonctions, n'a pas fait la preuve de capacités professionnelles suffisantes, l'autorité territoriale prononce le renouvellement du contrat pour la même durée que le contrat initial, après avis de la commission administrative paritaire compétente pour le cadre d'emplois au sein duquel l'agent a vocation à être titularisé. / Une évaluation des compétences de l'intéressé est effectuée de façon à favoriser son intégration professionnelle. / Si l'appréciation de l'aptitude de l'agent ne permet pas d'envisager qu'il puisse faire preuve de capacités professionnelles suffisantes dans le cadre d'emplois dans lequel il a vocation à être titularisé, le renouvellement du contrat peut être prononcé, après avis de la commission administrative paritaire compétente, en vue d'une titularisation éventuelle dans un cadre d'emplois de niveau hiérarchique inférieur. / III. - Si l'appréciation de l'aptitude de l'agent ne permet pas d'envisager qu'il puisse faire preuve de capacités professionnelles suffisantes, le contrat n'est pas renouvelé, après avis de la commission administrative paritaire compétente pour le cadre d'emplois concerné (...) ".

3. Il ressort des pièces versées au dossier que la décision contestée du 1er juillet 2015 est intervenue sur la base du rapport du 30 mars 2015, établi sur la manière de servir de l'agent par la directrice supports et moyens généraux et par le chef du service logistique et achat au sein duquel cet agent exerçait en qualité de menuisier depuis février 2012, et après l'avis rendu le 30 juin 2015 par la commission administrative paritaire (CAP) - Catégorie C qui a fait apparaitre le résultant suivant : 5 voix pour le refus de titularisation, 5 voix contre et 3 abstentions. Pour refuser de titulariser M. D..., l'administration territoriale s'est ainsi fondée, d'une part, sur son comportement " manifeste et répété " caractérisé par un comportement conflictuel, des accès de violence présentant un risque de forte accidentologie et un refus d'exécution de tâches, d'autre part, sur le souhait réitéré de l'agent de ne plus exercer la fonction de menuisier.

4. Il y a lieu, tout d'abord, de constater que le travail effectué pendant les deux ans précédant la signature du contrat donnant à M. D... " vocation à être titularisé " n'avait fait l'objet d'aucun reproche, l'agent donnant, selon les propres termes de son employeur " entièrement satisfaction ". Si le comportement de M. D... a pu ensuite évoluer défavorablement, seuls peuvent toutefois, le cas échéant et compte tenu du handicap de l'agent, être retenus à son encontre les faits qui sont matériellement établis. En l'occurrence, les faits suivants sont établis au vu des pièces du dossier : le refus manifesté le 25 juin 2014 par l'intéressé d'exécuter la réalisation de tablettes, l'existence d'une altercation avec son supérieur survenue le 21 mai 2014, l'exécution insatisfaisante en termes de qualité de certains travaux dont la liste n'est cependant pas donnée, des difficultés de communication avec ses collègues, malgré la mise à disposition d'une tablette numérique pour faciliter les échanges, et enfin le souhait exprimé par l'intéressé de diversifier ses interventions pour pouvoir sortir de l'atelier. En revanche, le département n'établit pas que M. D... aurait, comme il le soutient, volontairement endommagé un portail en février 2015 ainsi que, en mars 2015,la porte de l'atelier et un meuble à réparer. Le département n'établit pas non plus que, comme il le soutient, M. D... aurait déclaré pouvoir (citation) " se la couler douce " du fait de sa titularisation.

5. Afin d'apprécier la pertinence des seuls griefs qui sont établis et seraient susceptibles, le cas échéant, de fonder légalement le refus de titularisation de M. D..., il y a lieu sur la base des éléments versés au dossier de procéder aux constats qui suivent. Le compte rendu de la commission administrative paritaire (CAP) qui s'est tenue le 30 juin 2015 révèle, tout d'abord, que l'examen du dossier de M. D..., qui devait intervenir une première fois le 12 mai 2015, a été reporté au 30 juin suivant afin de permettre au conseil général d'apporter des éléments de réponse, par le biais éventuel d'une expertise, à la question posée par les représentants du personnel de savoir " si les difficultés de communication liées au handicap de l'agent pouvaient expliquer la violence perçue par sa hiérarchie ". Or il n'apparaît pas au vu des échanges entre les parties rappelés dans l'avis de la CAP que des éléments complémentaires aient été donnés précisément sur cette interrogation. Il ressort par ailleurs des éléments du dossier qu'à la suite de certaines mesures prises en cours de contrat par le conseil général pour remédier aux difficultés rencontrées par M. D... tenant à l'importance de sa charge de travail, laquelle avait alors été reconnue, et aux difficultés de communication avec ses collègues, une amélioration certaine a été constatée. De même, si la collectivité a mis en avant le fait que " la productivité de l'agent avait diminué " à compter de 2014, cette appréciation, sujette d'ailleurs à interrogation s'agissant d'un travailleur reconnu handicapé, a été contredite lors de la séance de la CAP où a été relevé que le reconditionnement des bureaux avait donné lieu à cette période, sur le site de Gesvrines où travaillait M. D..., à une surcharge de travail. Le rapport soumis à la CAP montre également que, lors d'un point d'étape effectué au mois de juillet 2014 durant la période de stage, ce dernier avait exprimé " une fatigue, un rythme de travail soutenu, un isolement, source d'énervement dont il s'excusait ". Bien que le conseil général rappelle également que toutes les préconisations médicales ont été suivies, et notamment celles sur le port de charges lourdes, il a néanmoins été souligné par un représentant du personnel lors de la CAP que l'agent effectuait régulièrement du port de charge et " que la fiche de poste de l'agent n'était pas respectée ". Si l'administration a enfin avancé le fait que M. D... ne souhaitait plus exercer les fonctions de menuisier, cette affirmation mérite cependant d'être nuancée voire fortement relativisée. En effet, il a été rappelé par un des représentants du personnel lors de la CAP du 30 juin 2015 que l'agent souhaitait au contraire s'investir sur son poste et n'envisageait pas une mobilité dans les prochaines années et que " c'est l'impression d'être cloitré dans l'atelier qui avait pu expliquer son envie de mobilité - en dehors de l'atelier - exprimée il y a quelques semaines ", éléments qui sont d'ailleurs confirmés par la relation de l'échange intervenu le 6 mars 2015 entre M. D... et l'un de ses encadrants. En tout état de cause, le souhait de l'intéressé d'effectuer des tâches plus variées et plus ouvertes vers l'extérieur n'avait pas à être pris en compte dans l'appréciation de sa manière de servir. Ainsi, l'argumentation de M. D... selon laquelle l'évolution de son comportement, qui a donné lieu à critiques sur certains points, après deux années au cours desquelles il avait démontré son aptitude professionnelle à exercer les fonctions de menuisier, s'explique par les difficultés de communication résultant de son handicap, de sa charge de travail et des lombalgies qu'il a présentées, à l'origine pendant la durée du contrat de l'un des congés de maladie évoqué au point 4 nécessitant la poursuite d'un traitement, apparaît fondée au vu des pièces du dossier. Dans ces conditions, en décidant de ne pas titulariser M. D..., sans lui proposer le renouvellement de son contrat, le président du conseil général de la Loire-Atlantique a entaché la décision du 1er juillet 2015 d'une erreur manifeste d'appréciation.

6. Il résulte de ce qui précède, que le département de la Loire-Atlantique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 1er juillet 2015 et a enjoint au président du conseil départemental de la Loire-Atlantique de renouveler le contrat de M. D... pour une durée d'un an, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de réexaminer sa situation au terme de ce second contrat.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. D..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement au département de la Loire-Atlantique de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du département de la Loire-Atlantique est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Loire-Atlantique et à M. E... D....

Délibéré après l'audience du 17 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. B..., président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 février 2020.

Le rapporteur,

O. B...Le président,

H. Lenoir

Le greffier,

R. Mageau

La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°18NT02527 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02527
Date de la décision : 04/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : CABINET LAHALLE - ROUHAUD et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-02-04;18nt02527 ?
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