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07/02/2020 | FRANCE | N°18NT00963

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 07 février 2020, 18NT00963


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au tribunal administratif de Rennes, dans le cadre d'une action subrogatoire, de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui rembourser la somme de 1 425 539,88 euros correspondant à l'indemnisation des préjudices subis par M. G... à la suite de soins reçus dans la prise en charge

d'une insuffisance cardiaque, la somme de 1 400 euros au titre des frais...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au tribunal administratif de Rennes, dans le cadre d'une action subrogatoire, de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui rembourser la somme de 1 425 539,88 euros correspondant à l'indemnisation des préjudices subis par M. G... à la suite de soins reçus dans la prise en charge d'une insuffisance cardiaque, la somme de 1 400 euros au titre des frais d'expertise ainsi que la somme de 106 915,49 euros au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.

Le régime social des indépendants (RSI) a, dans la même instance, demandé la condamnation du CHU de Rennes à lui verser la somme de 397 353,40 euros au titre des débours exposés pour M. G..., outre l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par un jugement n° 1504289 du 21 décembre 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les demandes de l'ONIAM et du RSI.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 2 mars 2018 et 15 novembre 2019 l'ONIAM, représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 21 décembre 2017 ;

2°) de condamner solidairement le CHU de Rennes et la SHAM à lui rembourser la somme de 1 425 539,88 euros correspondant à l'indemnisation des préjudices subis par M. G... à la suite de soins reçus dans cet établissement, la somme de 1 400 euros au titre des frais d'expertise ainsi que la somme de 106 915,49 euros au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, et d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 2015 et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge solidaire du CHU de Rennes et de la SHAM le versement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- si le caractère nosocomial de l'infection dont M. G... a été atteint est incontestable, la responsabilité du CHU de Rennes est engagée du fait des manquements commis dans la prévention des infections nosocomiales lors de la prise en charge chirurgicale du patient et dans la prise en charge de l'infection une fois celle-ci déclarée ; aucun suivi du point d'insertion du cathéter veineux périphérique, avant comme après l'apparition de l'infection, n'a été assuré par l'équipe médicale, alors qu'une antibiothérapie aurait favorisé une guérison rapide du patient ;

- le lien de causalité entre ces manquements et l'infection nosocomiale dont M. G... a eu à souffrir est établi, en dépit des imprécisions du dossier médical qui ne doivent pas conduire à exonérer l'établissement de soins de sa responsabilité ;

- la note critique versée aux débats par le CHU de Rennes est dépourvue de caractère probant car la feuille de transmission de M. G... au CH de Dinard mentionne l'existence d'une lésion au niveau du poignet gauche ;

- le lien de causalité entre l'infection nosocomiale et la survenue de l'accident vasculaire cérébral est également établi ;

- le montant de l'indemnité transactionnelle proposée à la victime, et qu'elle a acceptée, fixé à 1 425 539,88 euros, a été déterminé par application de son référentiel d'indemnisation et de son barème de capitalisation et inclut les sommes de 10 047 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total, de 15 000 euros au titre des souffrances endurées, de 22 000 euros au titre du préjudice d'agrément, de 3 600 euros au titre du préjudice esthétique permanent, de 15 000 euros au titre du préjudice sexuel, de 140 331,90 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, de 1 170 992 euros au titre de l'aide par tierce personne avant et après consolidation, de 18 707,89 euros au titre des frais de véhicule adapté et de 29 861,08 euros au titre des frais de logement adapté ;

- en tant que subrogé il a droit au remboursement des frais d'expertise d'un montant de 1 400 euros ;

- il a droit au versement de la pénalité de 15% prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, soit la somme de 106 915,49 euros.

Par un mémoire enregistré le 30 mars 2018 la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, venant aux droits du RSI, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 21 décembre 2017 ;

2°) de condamner solidairement le CHU de Rennes et la SHAM à lui verser, au titre de ses débours, la somme de 397 353,40 euros assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, outre la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

3°) de mettre à la charge solidaire du CHU de Rennes et de la SHAM la somme de 3 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que, en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, il est fondé à demander au CHU de Rennes le remboursement, à hauteur de 397 353,40 euros au total, des débours et dépenses futures imputables à l'infection nosocomiale contractée par M. G... et à ses suites, ainsi qu'une indemnité forfaitaire de gestion.

Par des mémoires enregistrés les 27 septembre, 3 octobre et 20 novembre 2019 le CHU de Rennes et la SHAM, représentés par Me F..., concluent au rejet de la requête de l'ONIAM et des conclusions du RSI.

Ils font valoir que :

- les moyens invoqués par l'ONIAM et la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants ne sont pas fondés ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité du CHU de Rennes ne pourrait être engagée qu'à raison d'une perte de chance, et le montant de l'indemnité due à M. G... devrait être ramené à de plus justes proportions.

Par une ordonnance du 9 décembre 2019, l'instruction a été close avec effet immédiat.

L'ONIAM a produit le 17 janvier 2020 un nouveau mémoire, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme H...,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., substituant Me F..., avocat du CHU de Rennes et de la SHAM.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... G..., né le 20 juin 1946, a été admis en urgence au centre hospitalier de Saint-Malo le 6 août 2007 pour une insuffisance cardiaque, et a subi le 9 octobre suivant au CHU de Rennes une intervention chirurgicale consistant dans le remplacement d'une valve aortique par une prothèse mécanique. Le 16 octobre 2007, il a été transféré pour sa convalescence au centre hospitalier de Dinard, où une fièvre est apparue le 21 octobre suivant, une infection causée par un staphylocoque aureus sensible à la méticilline étant finalement diagnostiquée le 23 octobre. Le 25 octobre 2007, le patient a de nouveau été opéré au CHU de Rennes en raison d'une suspicion de médiastinite, finalement non avérée, la sternotomie étant reprise à cette occasion et un traitement antibiotique administré. A la suite de cette nouvelle intervention, M. G... a présenté, en salle de réveil, une hémiplégie gauche massive due à un important accident vasculaire cérébral. Atteint de graves séquelles, le patient a dû séjourner en service de rééducation du 3 décembre 2007 au 31 mars 2008, puis en hôpital de jour du 31 mars au 31 août 2008, puis a de nouveau été hospitalisé en rééducation du 5 février 2009 au 26 mars 2009 en raison d'une dégradation motrice, en partie due à une obésité sévère.

2. M. G... a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) de Bretagne le 27 mai 2009 et une expertise a été ordonnée et confiée à un médecin spécialiste de chirurgie cardiovasculaire et thoracique et à un spécialiste des maladies infectieuses. Le rapport d'expertise, remis le 26 février 2010, a conclu au caractère nosocomial de l'infection contractée par M. G... et imputé la complication neurologique dont ce dernier a eu à souffrir au processus infectieux dont le patient avait été affecté. Par un avis du 30 septembre 2010, la CRCI a retenu le caractère nosocomial de l'infection en cause mais a également estimé que la responsabilité pour faute du CHU de Rennes était engagée du fait des conditions de la prise en charge et a par suite préconisé que l'ONIAM et le CHU assument, chacun pour moitié, l'indemnisation des préjudices subis par M. G.... La SHAM ayant refusé de formuler une offre d'indemnisation, l'ONIAM a indemnisé M. G... de l'intégralité de ses préjudices et deux protocoles d'indemnisation transactionnelle ont été acceptés le 6 février 2013, pour un montant total de 1 425 539,88 euros. L'ONIAM a ensuite adressé une réclamation préalable au CHU de Rennes par un courrier du 3 septembre 2015 reçu le 7 septembre suivant et demeuré sans réponse. Il a parallèlement saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande indemnitaire dirigée contre le CHU de Rennes et la SHAM. Par un jugement du 21 décembre 2017, le tribunal a rejeté cette requête ainsi que les conclusions présentées par le régime social des indépendants (RSI) et tendant au remboursement de ses débours. L'ONIAM relève appel de ce jugement. La caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants demande également l'annulation de ce jugement.

Sur le bien-fondé de l'action subrogatoire de l'ONIAM :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du même code : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d' atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales (...) ". Aux termes de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique : " Lorsque la commission régionale estime que le dommage est indemnisable au titre du II de l'article L. 1142-1, ou au titre de l'article L. 1142-1-1 l'office adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis. (...) Si l'office qui a transigé avec la victime estime que la responsabilité d'un professionnel, établissement, service, organisme ou producteur de produits de santé mentionnés au premier alinéa de l'article L. 1142-14 est engagée, il dispose d'une action subrogatoire contre celui-ci. Cette action subrogatoire ne peut être exercée par l'office lorsque les dommages sont indemnisés au titre de l'article L. 1142-1-1, sauf en cas de faute établie de l'assuré à l'origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales ".

4. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise médicale réalisée à la demande de la CRCI de Bretagne que M. G... a développé, à la suite de l'intervention chirurgicale pratiquée le 9 octobre 2007, une infection par un germe de type staphylococcus aureus sensible à la méticilline, processus infectieux que les experts ont imputé à une migration probable de la bactérie depuis le point d'insertion du cathéter vers la plaie opératoire par voie hématogène, et qui a entraîné une endocardite dont le risque embolique, en particulier cérébral, constitue une des complications. Dans ces conditions, le caractère nosocomial de cette infection, qui n'est du reste pas contesté par l'ONIAM, doit être regardé comme établi.

5. Eu égard au taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique directement imputable à l'infection nosocomiale, dont il résulte de l'instruction qu'il doit être évalué à 80% et excède donc le seuil de 25 % prévu à l'article 1142-1-1 du code de la santé publique, il appartenait à l'ONIAM, comme il l'a fait, d'assurer par la voie transactionnelle l'indemnisation de la victime sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique, puis de se retourner le cas échéant contre l'établissement hospitalier par la voie de l'action subrogatoire, en cas de faute de celui-ci.

6. L'ONIAM soutient que le CHU de Rennes n'a pas pris les précautions qui s'imposaient à lui pour éviter la survenance de l'infection nosocomiale dont M. G... a été atteint. Les experts ont en effet conclu, au vu de la seule mention " point de ponction vu poignet gauche : Bétadine " figurant sur la feuille de transmission communiquée par le CHU de Rennes au centre hospitalier de Dinard à l'occasion du transfert du patient en service de convalescence, et en se fondant sur une absence au dossier de traçabilité de la perfusion, que le cathéter veineux périphérique mis en place n'avait pas fait l'objet d'une surveillance conforme aux bonnes pratiques.

7. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment des feuilles de surveillance des voies veineuses évoquées dans l'avis médical produit par le CHU de Rennes et versées au dossier, que le cathéter a en réalité fait l'objet d'une surveillance régulière de la part du personnel hospitalier durant la période du 11 au 15 octobre 2008, précédant immédiatement le transfert de M. G... au service de convalescence du centre hospitalier de Dinard. Dans ces conditions, aucun manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales n'est établi à l'encontre du CHU de Rennes.

8. Il résulte de ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses conclusions indemnitaires.

9. Pour les mêmes motifs, la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire du CHU de Rennes et de la SHAM à lui rembourser les débours exposés pour M. G....

Sur les frais de l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge solidaire du CHU de Rennes et de la SHAM les sommes que demandent l'ONIAM et la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'ONIAM est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, au centre hospitalier universitaire de Rennes et à la société hospitalière d'assurances mutuelles.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- M. Mony, premier conseiller,

- Mme H..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 février 2020.

Le rapporteur

M. H...Le président

I. PerrotLe greffier

M. E...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 18NT009634

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT00963
Date de la décision : 07/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Muriel LE BARBIER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SELARL BIROT MICHAUD RAVAUT

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-02-07;18nt00963 ?
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