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06/11/2020 | FRANCE | N°19NT00537

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 06 novembre 2020, 19NT00537


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 294 299, 41 euros en réparation des préjudices résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C survenue au centre hospitalier universitaire de Caen.

Par un jugement n° 1701456 du 6 décembre 2018 le tribunal administratif de Caen a mis à la charge de l'ONIAM le versemen

t de la somme de 40 006,70 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 294 299, 41 euros en réparation des préjudices résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C survenue au centre hospitalier universitaire de Caen.

Par un jugement n° 1701456 du 6 décembre 2018 le tribunal administratif de Caen a mis à la charge de l'ONIAM le versement de la somme de 40 006,70 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 5 février 2019 et 3 juin 2020 Mme B...-F..., représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 6 décembre 2018 en tant qu'il n'a pas fait droit à la totalité de ses conclusions indemnitaires ;

2°) de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de la somme totale de 458 952,56 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le quantum de certains postes de préjudices est insuffisant ;

- le taux horaire pris en compte pour l'aide pour tierce personne doit être réévalué sur la base de 20 € de l'heure ;

- la perte de gains professionnels doit être portée à 25 804,91 € avant consolidation et à 347 286,15 € après consolidation ;

- l'incidence professionnelle doit être réparée par le versement d'une somme de 30 000 euros ;

- le déficit fonctionnel temporaire partiel doit être réparé par le versement d'une somme de 8 502,60 € ;

- les souffrances endurées doivent être réparées par une somme de 10 000 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent doit être réparé par une somme de 15 200 euros ;

- le préjudice d'agrément doit être réparé par le versement d'une somme de 5 000 euros et le préjudice sexuel par celle de 7 000 €.

Par des mémoires en défense enregistrés les 26 février et 8 juin 2020 l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me C..., conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement attaqué et au rejet de la demande indemnitaire relative au déficit fonctionnel permanent, aux préjudices d'agrément et sexuel ou subsidiairement, à ce que l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent soit limitée à 10 000 euros.

Il soutient que :

- le jugement doit être confirmé s'agissant de l'évaluation des préjudices liés à l'assistance par une tierce personne, les pertes de gains, l'incidence professionnelle, le déficit fonctionnel temporaire et les souffrances endurées ;

- le jugement doit être réformé s'agissant du déficit fonctionnel permanent, inexistant, du préjudice d'agrément, non démontré, et du préjudice sexuel, lesquels doivent être rejetés ou, subsidiairement, s'agissant du déficit fonctionnel permanent, celui-ci doit être ramené à 10 000 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant Mme B...-F....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... F..., épouse B..., née le 26 mai 1984, qui présentait une cardiopathie congénitale, a été opérée au centre hospitalier universitaire de Caen en juillet 1984 et, à cette occasion, a reçu plusieurs culots sanguins et de plasma. Le diagnostic d'une hépatite C a été posé le 27 juillet 2009. L'intéressée a saisi d'une demande indemnitaire préalable l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), lequel a proposé de lui verser la somme de 7 124,80 euros correspondant à la réparation des souffrances endurées et de son déficit fonctionnel temporaire tout en réservant l'examen des préjudices tenant au besoin d'assistance d'une tierce personne, des pertes de gains professionnels actuels et de frais divers à la production de justificatifs complémentaires, et a écarté les autres chefs de préjudice invoqués par l'intéressée. Cette offre ayant été refusée par Mme B..., celle-ci a ensuite saisi le tribunal administratif de Caen qui, par un jugement du 6 décembre 2018, a mis à la charge de l'ONIAM le versement de la somme de 40 006,70 euros en réparation des divers préjudices résultant pour Mme B... de sa contamination par le virus de l'hépatite C. La requérante conteste ce jugement en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande indemnitaire. L'ONIAM, par la voie de l'appel incident, demande, quant à lui, la réformation du jugement en ce qu'il a indemnisé le déficit fonctionnel permanent et les préjudices d'agrément et sexuel.

Sur l'obligation de l'ONIAM :

2. En application de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'ONIAM.

3. Il ne résulte pas de l'instruction, ni d'ailleurs n'est contesté en appel par les parties ou l'ONIAM, que les conditions permettant de mettre à la charge de ce dernier le versement d'une somme destinée à réparer le préjudice subi par Mme B... ne seraient pas remplies ainsi qu'en a décidé le tribunal administratif dans son jugement du 6 décembre 2018. Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer sur ce point le tribunal et de ne se prononcer que sur l'étendue des préjudices subis par Mme B....

Sur les préjudices subis par Mme B... :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux temporaires :

S'agissant des dépenses d'assistance par une tierce personne :

4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise au dossier, que Mme B... a bénéficié de l'aide d'une tierce personne à concurrence d'une heure par jour pendant 3 mois afin de l'assister dans ses tâches ménagères et que sa mère lui a également apporté une aide afin de s'occuper de ses deux enfants et pour faire les courses à concurrence de 2 h par jour pendant 6 mois. En se fondant sur un taux horaire moyen de rémunération, tenant compte des charges patronales et des majorations de rémunération pour travail du dimanche, fixé à 13 euros s'agissant, comme en l'espèce, d'une aide non spécialisée, et en retenant une base annuelle de 412 jours, incluant les congés payés, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme B... en l'évaluant à la somme de 6 603,28 €.

S'agissant de la perte de gains professionnels :

5. Il ressort de l'expertise mentionnée ci-dessus que Mme B... exerçait, outre un emploi d'ouvrière en polyculture depuis 2005, un emploi d'auxiliaire de vie à raison de quelques heures par semaine. Eu égard aux effets du traitement antiviral qui lui a été administré, elle a dû cesser son activité d'ouvrière en avril 2012. Après qu'elle eut été placée en position d'arrêt de travail, le médecin du travail l'a, le 3 décembre 2013, déclarée inapte définitivement au métier d'ouvrière en polyculture tout en l'estimant apte à un poste d'auxiliaire de vie. Elle a, par suite, été licenciée de son emploi agricole. Son état de santé est consolidé à la date du

26 mai 2015. Par ailleurs, la qualité de travailleur handicapé a été reconnue à Mme B... par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de la Manche le

30 septembre 2015 pour la période du 24 septembre 2015 au 23 septembre 2020.

6. Au cours de l'année 2011, Mme B... a perçu, ainsi qu'il ressort de son avis d'imposition, un revenu annuel de 14 526 euros soit de 1 210 euros par mois en moyenne. Compte-tenu de l'évolution du smic horaire, elle aurait eu vocation à percevoir, jusqu'au 25 mai 2015, une rémunération d'un montant total de 50 583,09 €. Les indemnités journalières versées par la MSA d'un montant de 11 633,09 € et celles versées par son employeur ainsi que la pension d'invalidité d'un montant de 28 259,20 €, qui s'imputent sur les pertes de revenus de Mme B..., n'ont pas réparé l'intégralité de son préjudice. Dans ces conditions, la perte de gains professionnels supportée par Mme B... du fait de sa contamination doit être évaluée, jusqu'au jour de sa consolidation, à la somme de 10 690 € [50 583,09 - (11 633,09 + 28 259,20)].

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux permanents :

S'agissant de la perte de gains professionnels postérieurs à la consolidation :

7. Mme B... fait valoir que, ne pouvant reprendre son activité professionnelle dans le secteur du maraîchage, elle subit, jusqu'à l'âge de 65 ans, compte tenu à la fois de ce qu'elle n'a pu jusqu'à présent occuper un emploi d'auxiliaire de vie que pendant 4 h par semaine et de l'euro de rente d'une femme de 34 ans au 1er janvier 2019, une perte de revenus devant être évaluée à 347 286,15 €. Toutefois, comme il a été dit ci-dessus, si l'intéressée est devenue par suite de sa contamination inapte à un emploi d'ouvrière en polyculture, elle demeurait capable d'exercer des fonctions d'auxiliaire de vie ou d'autres fonctions, et la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ne fait pas, en elle-même, obstacle à ce qu'elle puisse exercer une activité professionnelle.

8. Par suite, alors que la contamination par le virus de l'hépatite C ne la rend pas inapte à tout emploi, la perte de revenus futurs invoquée par Mme B... ne peut être regardée comme présentant un lien de causalité direct et certain avec la contamination dont elle a été victime. L'ONIAM ne saurait, dans ces conditions, être tenu de réparer un tel chef de préjudice.

S'agissant de l'incidence professionnelle :

9. En l'espèce il est constant que la contamination par le VHC est à l'origine pour Mme B... d'une importante asthénie et de troubles de l'humeur. Alors qu'elle avait envisagé une reconversion professionnelle dans le secteur de la restauration collective, elle a été dans l'incapacité physique de suivre une formation dans ce domaine. Il n'est, en outre, pas contesté que son état de santé rend plus difficile une reconversion professionnelle. Dans ces conditions, il a été fait une juste appréciation par les premiers juges de l'incidence professionnelle de sa maladie en lui allouant à ce titre une somme de 10 000 €.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

10. Mme B... a subi un déficit fonctionnel temporaire de 10 % entre le 27 juillet 2009, date du diagnostic et le 26 mai 2015, jour de sa consolidation, et de 25 % au cours de son traitement suivi du 1er avril 2012 au 31 octobre 2012. Il résulte des termes du rapport d'expertise médicale que l'intéressée présente, postérieurement au jour de la consolidation de son état de santé, un bilan hépatique normal et un stade de fibrose compris entre F0 et F1 avec toutefois des répercussions psychologiques. Dans les circonstances de l'espèce, les premiers juges n'ont pas procédé à une inexacte appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 4 042,50 euros, qu'il convient de confirmer.

S'agissant des souffrances endurées :

11. Il résulte des termes du rapport de l'expert désigné par le tribunal que les souffrances endurées par Mme B... ont été évaluées à 3,5/7 en raison des effets secondaires du traitement suivi et du retentissement psychologique. Par suite, c'est par une juste appréciation de ce chef de préjudice que les premiers juges lui ont alloué à ce titre une somme de 6 000 euros.

S'agissant du déficit fonctionnel permanent :

12. Le déficit fonctionnel permanent en lien avec la contamination de Mme B... par le VHC a été évalué par l'expert à 8 % à la date de consolidation de son état de santé. Si son état de santé a pu être regardé comme consolidé, l'intéressée présente des séquelles psychologiques tenant en particulier à l'incertitude s'attachant à l'évolution potentielle de sa maladie. Compte tenu de l'âge de la requérante au jour de sa consolidation le 26 mai 2015, il y a lieu de porter le montant de l'indemnité destinée à réparer ce préjudice à la somme de 12 000 euros.

S'agissant des préjudices de loisirs et sexuel :

13. En l'espèce, Mme B... ne justifie d'aucune activité spécifique et pratiquée de manière régulière, autre que des loisirs courants, qui serait de nature à justifier l'indemnisation d'un préjudice d'agrément. L'ONIAM est, par suite fondé à demander la réformation sur ce point du jugement attaqué.

14. Enfin, il sera fait une juste appréciation du préjudice sexuel subi par Mme B..., lié à sa baisse de libido, en l'estimant, comme l'a fait le tribunal, à la somme de 1 000 euros.

15. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de porter à 50 335,78 € le montant total de l'indemnité due par l'ONIAM à Mme B... et de réformer en ce sens le jugement du tribunal administratif de Caen du 6 décembre 2018.

Sur les intérêts :

16. En l'absence de pièces permettant d'établir la date de la demande d'indemnisation présentée à l'ONIAM, la somme de 50 335,78 euros allouée par la cour sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 4 août 2017, date d'enregistrement de la demande de Mme B... devant le tribunal administratif de Caen.

Sur les frais liés au litige :

17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 1 500 euros qui sera versée à Mme B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 40 006,70 € que l'ONIAM a été condamné à verser à Mme B... par le jugement du tribunal administratif de Caen du 16 décembre 2018 est portée à 50 335,78 euros.

Article 2 : Le jugement n°1701456 du tribunal administratif de Caen du 16 décembre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent jugement.

Article 3 : L'ONIAM versera à Mme B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... et des conclusions d'appel incident de l'ONIAM est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B...-F..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et à la Mutualité sociale agricole des Côtes normandes.

Délibéré après l'audience du 15 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot président de chambre,

- Mme D..., président-assesseur,

- M. Berthon premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 novembre 2020.

Le rapporteur

C. D...

Le président

I. Perrot

Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT00537


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT00537
Date de la décision : 06/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : CABINET REMY LE BONNOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-11-06;19nt00537 ?
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