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15/12/2020 | FRANCE | N°19NT02124

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 15 décembre 2020, 19NT02124


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle l'administration a rejeté sa demande du 6 décembre 2015 tendant à se voir attribuer des heures d'enseignement en lettres aux classes préparatoires aux grandes écoles littéraires du lycée Gabriel Guist'hau à Nantes, d'enjoindre à l'administration de lui attribuer des heures d'enseignement en lettres et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de j

ustice administrative.

Par un jugement n° 1602151 du 2 avril 2019, le tri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle l'administration a rejeté sa demande du 6 décembre 2015 tendant à se voir attribuer des heures d'enseignement en lettres aux classes préparatoires aux grandes écoles littéraires du lycée Gabriel Guist'hau à Nantes, d'enjoindre à l'administration de lui attribuer des heures d'enseignement en lettres et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1602151 du 2 avril 2019, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision (article 1er), a enjoint au recteur de l'académie de Nantes de procéder au réexamen de la situation de Mme C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement (article 2), a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3) et a rejeté le surplus de la demande (article 4).

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 juin 2019, le ministre de l'éducation nationale demande à la cour d'annuler les articles 1 à 3 de ce jugement.

Il soutient que :

-c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a estimé que la décision contestée ne revêtait pas le caractère d'une mesure d'ordre intérieur dès lors que cette décision n'a pas porté atteinte aux droits et prérogatives que Mme C... tient de son statut ou à ses perspectives de carrière et n'a pas emporté de perte de responsabilités ou de rémunération ;

- la répartition des services d'enseignement de français dans les classes préparatoires littéraires aux grandes écoles du lycée Guist'hau, fondée sur les capacités, aptitudes et mérites respectifs des professeurs composant l'équipe pédagogique, ne repose sur aucune discrimination prohibée par les dispositions de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 ; elle ne méconnaît pas l'égalité de rémunération entre les salariés dans la mesure où les enseignants ne sont pas placés dans des situations identiques du fait de leurs services différents ;

- il s'en rapporte, pour le surplus, à ses écritures développées en première instance ainsi qu'à celles présentées par le recteur de l'académie de Nantes.

Par deux mémoires, enregistrés les 22 novembre 2019 et 7 avril 2020, Mme C..., représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) d'enjoindre au ministre et au recteur de l'académie de Nantes de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de recalculer son salaire sur la base du salaire le plus élevé des enseignants de classe préparatoire au lycée Guist'hau ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire-droit, la production par l'administration du courrier du 30 avril 2015 ainsi que des plannings et bulletins de salaire annuels des cinq professeurs de lettres des classes préparatoires aux grandes écoles du lycée Guist'hau ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors qu'il n'est pas établi qu'elle a été déposée, accompagnée des pièces requises, avant la fermeture du greffe ;

- la requête est irrecevable en l'absence de représentation par ministère d'avocat ;

- le ministre n'est pas recevable à contester l'article 2 du jugement qui ne concerne que le recteur de l'académie de Nantes, lequel n'a pas interjeté appel ;

- il n'est pas justifié de la délégation du délégataire ayant signé le mémoire pour le ministre ;

- son recours initial était bien dirigé dès lors que la pratique administrative consiste pour le chef d'établissement à laisser le soin aux inspecteurs généraux de choisir la répartition des enseignements au sein de son établissement ;

- le chef d'établissement n'exerçant pas ses prérogatives légales, les heures supplémentaires sont attribuées en dehors de tout contrôle hiérarchique et de tout critère objectif ;

- elle subit une discrimination ; le fait d'induire, par une mesure discriminatoire, une inégalité salariale de 15 000 euros annuels entre les professeurs de français de même grade constitue un harcèlement professionnel et cette pratique illégale ne peut constituer une mesure d'ordre intérieur ; cette discrimination est contraire à la Constitution, à l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à la charte pour la promotion de l'égalité et la lutte contre les discriminations dans la fonction publique et à la circulaire du 3 avril 2017 relative à la mise en oeuvre de la politique d'égalité, de lutte contre les discriminations et de promotion de la diversité dans la fonction publique.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 50-581 du 25 mai 1950 ;

- le décret n° 50-1253 du 6 octobre 1950 ;

- le décret n° 72-580 du 4 juillet 1972 ;

- le décret n° 2019-889 du 27 août 2019 :

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Par courriers du 6 décembre 2015 adressés au doyen de l'inspection générale des lettres et au recteur de l'académie de Nantes, Mme C..., professeur agrégée de lettres modernes affectée en classes préparatoires au lycée Guist'hau de Nantes, a demandé la modification de son service d'enseignement en vue de se voir attribuer des heures d'enseignement en littérature. Ses courriers étant restés sans réponse, elle a sollicité auprès du tribunal administratif de Nantes l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande. Par un jugement du 2 avril 2019, ce tribunal a annulé cette décision (article 1er), a enjoint au recteur de l'académie de Nantes de procéder au réexamen de la situation de Mme C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement (article 2), a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3) et a rejeté le surplus de la demande (article 4). Le ministre de l'éducation nationale relève appel des articles 1er à 3 de ce jugement.

Sur les fins de non-recevoir opposées par Mme C... :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 811-11 du code de justice administrative : " Les appels relevant de la compétence de la cour administrative d'appel doivent être déposés au greffe de cette cour. ". Aux termes de l'article R. 811-2 du même code : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1. (...) ". Aux termes de l'article R. 412-1 du même code : " La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de la décision attaquée (...) ".

3. La requête du ministre chargé de l'éducation nationale, à laquelle était annexée une copie du jugement attaqué qui lui a été notifié le 2 avril 2019, a été enregistrée au greffe de la cour le lundi 3 juin 2019 à 14h55. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir qu'elle est irrecevable, faute d'avoir été déposée, accompagnée des pièces requises, dans le délai de recours.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 811-10 du code de justice administrative : " Devant la cour administrative d'appel, l'Etat est dispensé de ministère d'avocat soit en demande, soit en défense, soit en intervention. Sauf dispositions contraires, les ministres intéressés présentent devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'Etat. / Les ministres peuvent déléguer leur signature dans les conditions prévues par la réglementation en vigueur. ".

5. La requête a été signée par Mme B... F..., adjointe au sous-directeur des affaires juridiques de l'enseignement scolaire, qui bénéficiait en vertu de l'article 2 de la décision du 10 octobre 2018 portant délégation de signature publiée au journal officiel de la République Française du 28 octobre 2018, d'une délégation à l'effet de signer, au nom du ministre chargé de l'éducation nationale, tous actes, arrêtés et décisions, à l'exclusion des décrets, dans la limite des attributions de la sous-direction des affaires juridiques de l'enseignement scolaire. Dès lors que l'Etat est dispensé de ministère d'avocat ainsi que le prévoit l'article R. 811-10 du code de justice administrative et que Mme F... bénéficiait d'une délégation de signature au nom du ministre chargé de l'éducation nationale pour signer les mémoires produits au nom de l'Etat, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la requête est irrecevable faute de représentation par une personne ayant qualité pour agir.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article D. 222-35 du code de l'éducation, dans sa rédaction applicable au jour de l'enregistrement de la requête : " Les recteurs d'académie ont compétence pour présenter les mémoires en défense aux recours introduits à l'occasion des litiges relatifs aux décisions prises, dans le cadre des pouvoirs que leur confèrent les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, soit par eux-mêmes, soit par les personnels placés sous leur autorité, dans l'exercice des missions relatives au contenu et à l'organisation de l'action éducatrice ainsi qu'à la gestion des personnels et des établissements qui y concourent. (...) ". Aux termes de l'article R. 811-10-4 du même code, crée par l'article 1er du décret n° 2019-889 du 27 août 2019, applicable aux requêtes enregistrées devant les cours administratives d'appel à compter du 1er septembre 2019 : " Par dérogation aux dispositions de l'article R. 811-10, le recteur d'académie présente devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations en défense produits au nom de l'Etat lorsque le litige est né d'une décision relevant des dispositions de l'article D. 222-35 du code de l'éducation, sous réserve des affaires dans lesquelles des conclusions d'appel incident sont présentées au nom de l'Etat. "

7. Ni l'article D. 222-35 du code de l'éducation ni l'article R. 811-10-4 du même code qui ne s'applique en tout état de cause qu'aux requêtes enregistrées après le 1er septembre 2019 n'ont eu pour effet de donner au recteur compétence pour interjeter appel du jugement du tribunal administratif de Nantes. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le ministre de l'éducation nationale, compétent en vertu de l'article R. 811-10 du code de justice administrative pour présenter devant la cour administrative d'appel les mémoires au nom de l'Etat, n'est pas recevable à contester l'article 2 du jugement du 2 avril 2019.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

8. Aux termes de l'article 4 du décret du 4 juillet 1972 : " Les professeurs agrégés participent aux actions d'éducation principalement en assurant un service d'enseignement. Dans ce cadre, ils assurent le suivi individuel et l'évaluation des élèves et contribuent à les conseiller dans le choix de leur projet d'orientation. Ils assurent leur service dans les classes préparatoires aux grandes écoles, dans les classes de lycée, dans des établissements de formation et, exceptionnellement, dans les classes de collège. (...) ". Aux termes de l'article 7 du décret n°50-581 du 25 mai 1950 : " 1° Le maximum de service des professeurs de philosophie, lettres, histoire et géographie ou langues vivantes qui donnent tout leur enseignement dans la classe de première supérieure, dans celle de lettres supérieures, dans les classes préparatoires aux Ecoles normales supérieures (section des lettres), à l'Ecole nationale de la France d'outre-mer, à l'Ecole nationale des chartes, est fixé ainsi qu'il suit : / Classes de Première supérieure :/ Classes ayant un effectif de plus de 35 élèves : 8 heures ; / Classes ayant un effectif de 20 à 35 élèves : 9 heures ; / Classes ayant un effectif de moins de 20 élèves : 10 heures ; / Classes de lettres supérieures et classes préparatoires aux Ecoles normales supérieures (section des lettres), à l'Ecole nationale de la France d'outre-mer, à l'Ecole nationale des chartes : / Classes ayant un effectif de plus de 35 élèves : 9 heures ; / Classes ayant un effectif de 20 à 35 élèves : 10 heures ; / Classes ayant un effectif de moins de 20 élèves : 11 heures ; / Les professeurs de philosophie, lettres, histoire et géographie ou langues vivantes dont le service est partagé entre la classe de première supérieure et celle de lettres supérieures ont le même maximum de service que s'ils donnaient tout leur enseignement en première supérieure. (...) ". Aux termes de l'article 3 du décret n°50-1253 du 6 octobre 1950 : " (...) Le taux des heures supplémentaires d'enseignement assurées par les professeurs autres que ceux régis par le décret n° 68-503 du 30 mai 1968 donnant tout leur enseignement dans les classes préparatoires aux grandes écoles est calculé sur la base du traitement du professeur agrégé et du maximum de service réglementaire les concernant. Les heures d'interrogation effectuées dans les classes préparatoires aux grandes écoles sont toujours décomptées à l'unité. Elles sont rétribuées à raison du trente-sixième du tarif annuel de l'heure supplémentaire, tel qu'il résulte des dispositions du présent décret, ce tarif étant réduit de 25%. Ces heures d'interrogation peuvent également être effectuées par des intervenants autres que ceux visés à l'article premier ci-dessus. ".

9. Par ailleurs aux termes de l'article D. 333-14 du code de l'éducation : " Les services d'enseignement sont répartis entre les personnels par le chef d'établissement qui recueille à cet effet tous les avis qu'il juge utiles. ".

10. Il ressort des pièces du dossier que Mme C..., professeure agrégée de lettres modernes a été affectée au lycée Guist'hau de Nantes à compter de septembre 2011 et était chargée, jusqu'à la rentrée de l'année scolaire 2015-2016, d'un service d'enseignement de huit heures composé de quatre heures d'enseignement en théâtre à des élèves de première année de classe préparatoire littéraire aux grandes écoles (dite LSA ou hypokhâgne) et de quatre heures d'enseignement en théâtre à des élèves de seconde année de classe préparatoires aux grandes écoles (dite PSL ou khâgne), auquel s'est adjoint, pour l'année scolaire 2015-2016, un enseignement d'une heure de méthodologie. Par courriers des 6 décembre 2015, elle a demandé la modification, par redistribution au sein de l'équipe enseignante de classe préparatoire littéraire composée de cinq professeurs, dont trois professeurs de lettres classiques et deux professeurs de lettres modernes, de son service d'enseignement par l'attribution d'heures d'enseignement en littérature dans le cadre de son obligation règlementaire de service ou d'heures supplémentaire ou d'heures d'interrogation orale.

En ce qui concerne le rejet implicite de la demande d'attribution d'heures d'enseignement en littérature dans le cadre de l'obligation règlementaire de service ou d'heures supplémentaires :

11. Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination, est irrecevable.

12. En premier lieu, Mme C..., qui, en tant que professeure agrégée, a vocation, aux termes de l'article 4 du décret du 4 juillet 1972, à assurer son service dans les classes préparatoires aux grandes écoles, dans les classes de lycée ou dans des établissements de formation, dispense des enseignements de théâtre en classe préparatoire aux grandes écoles qui sont en lien avec la certification complémentaire en arts option théâtre qu'elle a obtenue le 25 septembre 2006. Si elle souhaite également dispenser des heures d'enseignement en littérature en lettres supérieures, le refus opposé à sa demande de modification de son service d'enseignement n'a pour effet ni de lui faire perdre des responsabilités ni de l'empêcher d'accéder des fonctions comportant une augmentation sensible de celles-ci. Il ne porte pas davantage atteinte aux droits et prérogatives qu'elle tient de son statut ou à ses perspectives de carrière, l'intéressée ayant été au demeurant nommée professeure agrégée hors classe à compter du 1er septembre 2016.

13. En deuxième lieu, ce refus n'a pour effet ni de diminuer la rémunération dont Mme C... bénéficiait ni de porter atteinte à sa situation pécuniaire dès lors que son obligation de service est respectée.

14. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983: " (...) Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. (...) ". Il appartient au requérant qui soutient qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer du sérieux de ses allégations. Lorsqu'il apporte à l'appui de son argumentation des éléments précis et concordants, il incombe à l'administration de produire tous les éléments permettant d'établir que la mesure contestée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

15. D'une part, Mme C... soutient que le refus de lui attribuer un enseignement en littérature traduit une discrimination à son égard dès lors qu'elle dispose des compétences pour enseigner cette matière dans laquelle elle est agrégée. Toutefois, ce faisant, elle ne se prévaut d'aucune distinction prohibée par l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983. En tout état de cause, alors qu'elle est la seule à détenir une certification en théâtre au sein de l'équipe pédagogique de français enseignant en classe préparatoire littéraire au lycée Guist'hau et que le ministre fait valoir que la répartition des services en littérature repose sur la valeur professionnelle des enseignants et les recommandations de l'inspection générale de l'éducation nationale, elle n'apporte pas de faits précis et concordants de nature à faire présumer que la décision qu'elle conteste, en tant qu'elle porte sur le contenu de son service d'enseignement, repose sur une discrimination prohibée par les dispositions citées au point 14.

16. D'autre part, Mme C... soutient que le refus de lui attribuer des heures supplémentaires est discriminatoire. Toutefois, si elle fait état d'une discrimination à son encontre en raison de son sexe, il ressort de ses propres écritures que son autre collègue de sexe féminin dispose de trois heures supplémentaires, de sorte que ses allégations ne sont pas suffisantes pour faire présumer que la décision qu'elle conteste repose sur une telle discrimination. Par ailleurs, si elle se prévaut du caractère inégalitaire de la répartition des heures supplémentaires au sein de l'équipe enseignante, cette répartition découle notamment de la répartition des services en littérature dont il n'est pas présumé, ainsi qu'il a été dit au point précédent, qu'il repose sur une discrimination prohibée par l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983. Enfin, si la requérante expose que cette répartition inégalitaire des heures supplémentaires génère de fortes disparités salariales, ces différences résultent d'obligations hebdomadaires de service différentes et non d'une distinction prohibée par l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983.

17. Dès lors qu'elle ne traduit aucune discrimination et au regard de ce qui a été dit aux points 12 à 16, le rejet implicite de la demande d'attribution d'heures d'enseignement en littérature dans le cadre de l'obligation règlementaire de service ou d'heures supplémentaires a la caractère d'une simple mesure d'ordre intérieur insusceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Par suite, le ministre chargé de l'éducation nationale est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a estimé que la demande présentée à cette fin était recevable et à demander l'annulation dans cette mesure du jugement contesté.

18. Il y a lieu, pour la cour, de statuer par voie de l'effet dévolutif de l'appel sur la demande de Mme C... et de la rejeter, pour les motifs évoqués précédemment, et sans qu'il soit besoin d'ordonner avant dire-droit la production de pièces complémentaires, comme irrecevable au motif qu'elle n'était pas susceptible de recours pour excès de pouvoir.

En ce qui concerne le rejet implicite de la demande d'attribution d'heures d'interrogation :

19. Madame C... soutient qu'alors qu'elle enseigne en classe préparatoire littéraire depuis 2011, aucune heure d'interrogation dite " de colle ", dispositif d'évaluation individuelle des élèves mis en place au-delà des obligations hebdomadaires de service réalisées en classe, ne lui a été confiée. Elle indique que les deux enseignantes de l'équipe pédagogique de lettres sont exclues de la répartition de ces heures, réservées à leurs collègues de sexe masculin qui ne les sollicitent pas alors qu'au besoin, ils font appel à des collègues extérieurs à l'équipe. Ces faits ne sont pas contestés et constituent des éléments précis et concordants, compte tenu de leur réitération sur cinq années, et alors que l'administration se borne à faire valoir que Mme C... ne peut revendiquer l'exercice de ces heures venant en complément de son obligation de service, ce qui est de nature à faire présumer que le refus que la requérante conteste repose sur une discrimination prohibée par l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983, par l'effet d'une distinction en raison de son sexe ou genre féminin. Par conséquent, le recours contre cette décision, quand bien même elle ne porte pas atteinte aux droits et prérogatives que l'intéressée tient de son statut ou à l'exercice de ses droits et libertés fondamentaux et n'emporte ni perte de responsabilité ni perte de rémunération, est recevable.

20. Ainsi qu'il a été dit, alors que Mme C... fait état d'éléments précis de nature à établir qu'elle est lésée dans l'attribution d'heures d'interrogation pour des motifs prohibés par l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983, l'administration ne produit aucun élément de nature à établir que la décision de refus repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination alors que la charge lui en incombe en vertu de ce qui a été dit au point 14. Dès lors, la décision contestée ne peut qu'être regardée comme reposant sur des critères entachés de discrimination. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en cette matière, le chef d'établissement ait exercé la compétence de répartition qui lui est dévolue en application des dispositions citées au point 9. Par conséquent, alors que les autres fins de non-recevoir, reprises en appel par le ministre sans apporter aucun élément de fait ou de droit nouveau, ont été écartées à bon droit par le tribunal par des motifs qu'il y a lieu d'adopter, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de Mme C... ou d'ordonner avant dire-droit la production de pièces complémentaires, cette décision doit être annulée. Dès lors, le ministre chargé de l'éducation nationale n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la décision en tant qu'elle rejette l'attribution d'heures d'interrogation et sa requête doit, sur ce second point, être rejetée.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

21. Dès lors que le réexamen auquel il a été procédé à la suite du jugement du tribunal administratif de Nantes n'a pas porté sur l'attribution d'heures d'interrogation, il y a lieu d'enjoindre au ministre de procéder au réexamen de la situation de Mme C... au regard de cette seule attribution dans un délai de deux mois. En revanche, dans la mesure où l'annulation prononcée n'implique aucun calcul rétroactif du salaire de Mme C..., ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre recalculer son salaire sur la base du salaire le plus élevé des enseignants de classe préparatoire au lycée Guist'hau doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

22. D'une part, en mettant à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à verser à Mme C..., le tribunal administratif de Nantes a fait une exacte appréciation des circonstances de l'espèce.

23. D'autre part, il n'y pas a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du 2 avril 2019 sont annulés en tant qu'ils ont prononcé l'annulation de la décision de rejet implicite de la demande d'attribution d'heures d'enseignement en littérature dans le cadre de l'obligation règlementaire de service ou d'heures supplémentaires et enjoint au recteur de l'académie de Nantes de procéder au réexamen de la situation de Mme C... sur cette attribution.

Article 2 : La demande de Mme C... tendant à l'annulation de la décision de rejet de sa demande d'attribution d'heures d'enseignement en littérature dans le cadre de l'obligation règlementaire de service ou d'heures supplémentaires et à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui attribuer ces heures est rejetée.

Article 3 : Le surplus de la requête du ministre chargé de l'éducation nationale est rejeté.

Article 4 : Il est enjoint au ministre chargé de l'éducation nationale de réexaminer dans un délai de deux mois la situation de Mme C... au regard de l'attribution d'heures d'interrogation.

Article 5 : Le surplus des conclusions incidentes de Mme C... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et à Mme A... C....

Délibéré après l'audience du 27 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président assesseur,

- Mme D..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 15 décembre 2020.

Le rapporteur,

F. D...Le président,

O. Gaspon

La greffière,

E. Haubois

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 19NT02124 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT02124
Date de la décision : 15/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Fanny MALINGUE
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SELARL ATLANTIQUE ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-12-15;19nt02124 ?
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