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29/10/2021 | FRANCE | N°21NT01600

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 29 octobre 2021, 21NT01600


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 16 avril 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités croates.

Par un jugement n° 2100969 du 14 mai 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 juin 2021, Mme C... A..., représentée par Me Abdollahi Mandolkani, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administr

atif de Caen du 14 mai 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 16 avril 2021 du préfet de la Seine-Maritime ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 16 avril 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités croates.

Par un jugement n° 2100969 du 14 mai 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 juin 2021, Mme C... A..., représentée par Me Abdollahi Mandolkani, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 14 mai 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 16 avril 2021 du préfet de la Seine-Maritime décidant son transfert aux autorités croates ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale et, subsidiairement, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour afin de réexaminer sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté de transfert procède d'une application manifestement erronée du 2 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile dès lors que la raison humanitaire prévue par ces dispositions est remplie eu égard à la circonstance que la France a déjà apprécié la situation au regard de l'asile de ses frères ;

- sa situation devait être examinée au regard des articles 2 et 9 du même règlement, et de son préambule, eu égard à sa situation maritale et au fait que son époux a la qualité de réfugié.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 et 8 juillet 2021, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés et indique que celle-ci a été déclarée en fuite.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... A..., ressortissante turque d'origine kurde, est entrée irrégulièrement en France. Elle s'est présentée à la préfecture du Calvados le 2 février 2021 pour y déposer sa demande d'asile. La consultation de la borne Eurodac ayant révélé qu'elle avait été identifiée le 17 mars 2020 par les autorités croates pour avoir franchi irrégulièrement la frontière extérieure de ce pays, ces autorités ont été saisies d'une demande de prise en charge de l'intéressée et de son fils mineur sur le fondement du 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Ces mêmes autorités ayant explicitement accepté cette prise en charge de Mme A... et de son fils le 6 avril 2021, par un arrêté du 16 avril suivant, le préfet de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités croates. Par un jugement du 14 mai 2021, dont Mme A... relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté. Le préfet de la Seine-Maritime indique que l'intéressée ayant été déclarée en fuite, le terme de son transfert a été fixé au 14 novembre 2022.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. ".

3. Mme A... soutient que la décision de transfert contestée est intervenue en méconnaissance de ces dispositions, éclairées par celle de l'article 2 " Définitions " du même règlement, dès lors que son nouveau conjoint, épousé en 2021, s'est vu reconnaitre la qualité de réfugié en France. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que ce dernier a renoncé en 2012 à cette qualité, qui lui avait été reconnue en 2003. Par suite, le moyen tiré de la violation de ces dispositions, inopérant, ne peut qu'être écarté.

4. En second lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. Le cas échéant, il en informe, au moyen du réseau de communication électronique "DubliNet" établi au titre de l'article 18 du règlement (CE) n° 1560/2003, l'Etat membre antérieurement responsable, l'Etat membre menant une procédure de détermination de l'Etat membre responsable ou celui qui a été requis aux fins de prise en charge ou de reprise en charge. L'Etat membre qui devient responsable en application du présent paragraphe l'indique immédiatement dans Eurodac conformément au règlement (UE) n° 603/2013 en ajoutant la date à laquelle la décision d'examiner la demande a été prise. / 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit. / La requête aux fins de prise en charge comporte tous les éléments dont dispose l'Etat membre requérant pour permettre à l'Etat membre requis d'apprécier la situation. / L'Etat membre requis procède aux vérifications nécessaires pour examiner les raisons humanitaires invoquées et répond à l'État membre requérant, au moyen du réseau de communication électronique DubliNet établi conformément à l'article 18 du règlement (CE) n° 1560/2003, dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. Les réponses refusant une requête doivent être motivées. / Si l'Etat membre requis accède à la requête, la responsabilité de l'examen de la demande lui est transférée. ".

5. Mme A... soutient que la décision de transfert contestée est intervenue en violation du 2 de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 dès lors que les raisons humanitaires mentionnées par ces dispositions sont réunies puisque la France a eu à connaitre des engagements politiques de trois de ses frères, dont deux ont acquis la nationalité française, et dont la demande d'asile du troisième est en cours d'examen. Il résulte cependant de ces dispositions que celles-ci ont vocation à régir la situation d'une personne ayant sollicité une demande de protection internationale dans un Etat membre et qui consent à ce que celui-ci sollicite un autre Etat membre afin qu'en dérogation aux règles de détermination de l'Etat membre responsable, la personne concernée puisse rejoindre cet Etat " pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels ". Or, au cas d'espèce, Mme A... a sollicité l'asile en France et il est manifeste qu'elle ne souhaite pas rejoindre la Croatie. Par suite, elle ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions afin de voir sa demande de protection internationale examinée par la France. Le moyen tiré de la méconnaissance du 2 de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 ne peut donc qu'être écarté.

6. En admettant ensuite que Mme A... se prévale des dispositions du 1 du même article 17, la faculté ainsi laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le même règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Si Mme A... fait valoir que l'acquisition de la nationalité française de deux de ses frères serait en lien avec leur engagement pour la cause kurde, elle ne l'établit pas. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que son frère séjournant en France, M. B... A... né en 1970, est visé par une obligation de quitter le territoire français datée du 1er décembre 2020. Au demeurant, d'autres membres de sa fratrie résident toujours en Turquie. Si elle fait également valoir son union le 18 mars 2021 avec un ressortissant turc résidant régulièrement en France au bénéfice d'une carte de résident émise en 2014, elle n'a pas même fait état d'un projet de mariage lors de son entretien en préfecture le 2 février 2021 et aucun élément n'établit une vie commune du couple alors que son conjoint réside dans les Côtes d'Armor et qu'elle séjourne avec son fils mineur dans Le Calvados. Par suite, c'est sans erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du 1 de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 et sans méconnaître son droit au respect de sa vie privée et familiale que le préfet de la Seine-Maritime a décidé le transfert de Mme A... et de son fils mineur aux autorités croates.

7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 avril 2021 du préfet de la Seine-Maritime décidant son transfert aux autorités croates. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 octobre 2021.

Le rapporteur,

C. Rivas

Le président,

L. Lainé

La greffière,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

3

N° 21NT01600


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01600
Date de la décision : 29/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : ABDOLLAHI MANDOLKANI

Origine de la décision
Date de l'import : 09/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-10-29;21nt01600 ?
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