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19/11/2021 | FRANCE | N°21NT01251

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 19 novembre 2021, 21NT01251


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... A..., a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 5 février 2021 du préfet du Morbihan l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 2101067 du 22 avril 2021, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet du Morbihan de réexaminer la situation de

M. A... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'État le versement de

la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de jus...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... A..., a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 5 février 2021 du préfet du Morbihan l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 2101067 du 22 avril 2021, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet du Morbihan de réexaminer la situation de

M. A... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'État le versement de la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 au bénéfice de son conseil.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 mai et 23 juillet 2021, le préfet du Morbihan demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du président du tribunal administratif de Rennes du 22 avril 2021 ;

2°) de rejeter la demande de M. A....

Il soutient que :

- en l'absence de présentation par l'intéressé de demande de titre de séjour pour raisons médicales, alors qu'il en avait la possibilité, et de communication d'informations relatives à son état de santé, le premier juge a estimé à tort que son arrêté était entaché d'une erreur de droit au motif que la situation de l'intéressé n'avait pas fait l'objet d'un examen suffisant ;

- il n'est établi ni que l'état de santé de l'intéressé nécessiterait une prise en charge dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni qu'il ne pourrait effectivement bénéficier en Guinée d'un traitement approprié ;

- le droit d'être entendu que l'intéressé tire de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'a pas été méconnu.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 juillet 2021, M. A..., représenté par Me Berthet-Le Floch, conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce que soit mise à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir qu'aucun moyen n'est fondé.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du

18 octobre 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Brisson a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen né le 2 avril 1998, est entré irrégulièrement en France le 28 août 2018, selon ses déclarations. Le bénéfice de l'asile lui a été refusé par décision du 11 septembre 2019 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée par décision du 3 février 2021 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Par un arrêté du 5 février 2021, le préfet du Morbihan l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il serait reconduit à l'issue de ce délai. Le préfet du Morbihan relève appel du jugement du 18 octobre 2021 par lequel le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté.

Sur le moyen d'annulation retenu par le premier juge :

3. L'arrêté contesté rappelle le parcours en France de M. A... et indique qu'il y est entré irrégulièrement en 2018 afin d'y solliciter l'asile, qui lui a été refusé. Cet arrêté examine la situation de l'intéressé notamment au regard des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mentionne les éléments essentiels de sa situation personnelle et familiale et précise notamment qu'il n'est pas justifié de la présence en France de son épouse et de l'enfant du couple, qu'il n'établit pas être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt ans et que l'existence des risques invoqués par l'intéressé en cas de retour dans son pays d'origine n'était pas démontrée. Il est constant qu'à la date de l'arrêté litigieux, M. A... n'avait présenté aucune demande de titre de séjour pour raisons médicales et il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que l'intéressé aurait évoqué des problèmes de santé auprès de la préfecture. Dans ces conditions, le préfet du Morbihan doit être regardé comme ayant procédé à un examen particulier de la situation de M. A... préalablement à l'édiction de la décision l'obligeant à quitter le territoire français. Par suite, c'est à tort que le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision et, par voie de conséquence, la décision fixant le pays de renvoi, au motif qu'en ne procédant pas à un tel examen, le préfet avait commis une erreur de droit.

4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... en première instance et en appel.

5. Lorsque, comme en l'espèce, le préfet oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile après le rejet de sa demande d'asile par les instances compétentes, il ne se prononce pas sur le droit au séjour de l'intéressé. Si le préfet du Morbihan a, dans le dispositif de l'arrêté contesté, précisé que la demande de délivrance d'un titre de séjour présentée par M. A... est rejetée, le préfet s'est borné à constater qu'il ne remplissait pas les conditions pour obtenir un titre de séjour en qualité de réfugié ou au titre de la protection subsidiaire. Cette mention étant superfétatoire, en application des dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les conclusions de l'intéressé dirigées contre la décision de refus de titre de séjour, inexistantes, sont irrecevables.

6. Par arrêté du 31janvier 2020, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs n° 56-2020-015 de la préfecture, le préfet du Morbihan a donné délégation à Mme B... C..., attachée d'administration, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme F... E..., cheffe du bureau des étrangers et de la nationalité, et de M. D... G..., directeur de la citoyenneté et de la légalité, à l'effet de signer les décisions relevant des attributions du bureau des étrangers et de la nationalité, au nombre desquelles figurent les mesures d'éloignement prises à l'encontre des étrangers en situation irrégulière. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit être écarté.

7. L'arrêté contesté comporte les considérations de droit et les circonstances de fait qui fondent la décision portant obligation de quitter le territoire français. Par suite, cette décision est suffisamment motivée.

8. Lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation pour l'administration d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de demander un entretien pour faire valoir ses observations orales. Lorsqu'il demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, y compris au titre de l'asile, l'étranger, du fait même de l'accomplissement de cette démarche qui vise à ce qu'il soit autorisé à se maintenir en France et ne puisse donc pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement forcé, ne saurait ignorer qu'en cas de refus il sera en revanche susceptible de faire l'objet d'une telle décision. En principe, il se trouve ainsi en mesure de présenter à l'administration, à tout moment de la procédure, des observations et éléments de nature à faire obstacle à l'édiction d'une mesure d'éloignement. Enfin, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la décision faisant grief que si la procédure administrative aurait pu, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, aboutir à un résultat différent du fait des observations et éléments que l'étranger a été privé de faire valoir.

9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... aurait demandé un entretien avec les services préfectoraux, ni qu'il aurait été empêché de s'exprimer avant que ne soit prise la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français. L'intéressé n'allègue pas qu'il aurait tenté en vain de porter à la connaissance de l'administration des éléments pertinents relatifs à sa situation avant que ne soit prise la mesure d'éloignement. Dans ces conditions, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé n'aurait pas été également mis à même, pendant la procédure d'instruction de sa demande d'asile, de présenter, s'il l'estimait utile, tous éléments d'information ou arguments de nature à influer sur le contenu des décisions à intervenir, le moyen tiré de ce que M. A... a été privé du droit d'être entendu, résultant du principe général du droit de l'Union européenne tel qu'il est notamment exprimé au 2 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être écarté.

10. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) / 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".

11. Il ressort des certificats médicaux produits par M. A... en première instance que celui-ci souffre d'un syndrome anxio-dépressif sévère lié à un stress post-traumatique et nécessitant un suivi médical et un traitement médicamenteux. Dans son certificat du 8 janvier 2021, le médecin psychiatre qui suit l'intéressé indique que si celui-ci connaît un début de stabilisation, l'interruption de son traitement médicamenteux, composé d'un anxiolytique et de deux antidépresseurs, selon les ordonnances produites, compromettrait de façon irréversible sa santé mentale. Toutefois, alors que des anxiolytiques et des antidépresseurs figurent sur la liste nationale des médicaments essentiels disponibles en Guinée produite par le préfet du Morbihan, ni le certificat médical précité, eu égard aux termes dans lesquels il est rédigé, ni les considérations générales sur l'accès aux soin psychiatriques en Guinée que contient le rapport de l'OSAR du 14 octobre 2010 produit par M. A..., ni les copies d'écran tirées du dictionnaire internet africain des médicaments ne suffisent à établir qu'il ne pourrait bénéficier effectivement dans ce pays d'un traitement approprié à son état de santé. Par ailleurs, si M. A... soutient que ses troubles sont directement liés aux sévices qu'il aurait subis dans son pays d'origine, ses déclarations sur ce point ont été jugées peu crédibles par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Par suite le moyen tiré de ce qu'en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet du Morbihan aurait méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

12. M. A... se prévaut d'une perspective d'embauche dans le domaine qu'il connaît de la réparation de matériel numérique. Toutefois, la présence de l'intéressé en France, où il n'a séjourné qu'en qualité de demandeur d'asile, est récente et il ne justifie ni y avoir d'attaches particulières, ni en être dépourvu dans son pays d'origine, où résident son épouse et son enfant et où il a lui-même vécu l'essentiel de son existence. Si M. A... invoque en outre son état de santé, il ne justifie pas, ainsi qu'il a été dit au point 11, d'une impossibilité de prise en charge appropriée en Guinée. Par suite, en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet du Morbihan n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

13. Compte tenu de l'absence d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, M. A... ne saurait exciper de l'illégalité de cette décision à l'appui de sa contestation de la décision fixant le pays de renvoi.

14. M. A... soutient qu'il est exposé à des risques de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine qu'il a quitté à la suite des arrestations dont il a fait l'objet en raison de son engagement politique en faveur de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). Si les différents documents produits à l'appui de ses allégations justifient de son adhésion à ce mouvement, ils ne sauraient toutefois suffire à établir la réalité et la gravité des menaces auxquelles il serait personnellement et directement exposé en cas de retour dans son pays d'origine, alors d'ailleurs que ni l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ni la Cour nationale du droit d'asile n'en ont reconnu l'existence. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

15. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 5 février 2021. Par voie de conséquence, les conclusions présentées tant en première instance qu'en appel par M. A... à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

D E C I D E

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2101067 du 22 avril 2021 du président du tribunal administratif de Rennes sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Rennes ainsi que ses conclusions présentées devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. H... A....

Copie en sera adressée au préfet du Morbihan.

Délibéré après l'audience du 4 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 19 novembre 2021.

La rapporteure,

C. Brisson

Le président,

D. Salvi

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21NT012512


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01251
Date de la décision : 19/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : BERTHET-LE FLOCH

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-11-19;21nt01251 ?
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