La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/03/2022 | FRANCE | N°21NT01707

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 11 mars 2022, 21NT01707


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... et Mme D... C..., son épouse, ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner à titre principal le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) ou à titre subsidiaire l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à verser à M. A... la somme de 285 611,43 euros outre une rente annuelle de 21 053,17 euros et à Mme A... la somme 12 000 euros en

réparation des préjudices résultant de la prise en charge de M. A... au CH...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... et Mme D... C..., son épouse, ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner à titre principal le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) ou à titre subsidiaire l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à verser à M. A... la somme de 285 611,43 euros outre une rente annuelle de 21 053,17 euros et à Mme A... la somme 12 000 euros en réparation des préjudices résultant de la prise en charge de M. A... au CHU de Brest le 16 février 2012.

Par un jugement n° 1803577 du 15 avril 2021 le tribunal administratif de Rennes a mis hors de cause l'ONIAM, a condamné le CHU de Brest et la SHAM à verser à M. A... la somme 124 410,17 euros majorée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation en réparation de ses préjudices, une rente annuelle au titre de son besoin d'assistance par une tierce personne et une somme de 3 750 euros en réparation des préjudices subis par Mme A... majorée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation et rejeté le surplus des conclusions de la requête. Ils ont également été condamnés à verser à la CPAM du Finistère la somme de 101 530,06 euros en remboursement de ses débours outre la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 28 juin, 28 juillet, 9 novembre 2021, 3 et 30 décembre 2021, le centre hospitalier universitaire (CHU) et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) de Brest, représentés par Me Le Prado, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 avril 2021 en tant qu'il a prononcé des condamnations à son encontre ;

2°) de rejeter dans cette mesure les demandes présentées par M. et Mme A... et par la CPAM du Finistère.

Ils soutiennent que :

- aucun retard fautif dans la prise en charge de M. A... ne peut être observé ;

- à supposer qu'une faute a été commise, la perte de chance ne saurait excéder 50 % ;

- le montant des indemnités accordées par le tribunal au titre des souffrances endurées, du déficit fonctionnel permanent ou du préjudice sexuel sont excessifs :

- la créance de la CPAM est irrecevable en ce qu'elle excède le montant réclamé en première instance ; la caisse ne peut demander le remboursement de débours qu'elle aurait dû en tout état de cause exposer du fait de l'état initial du patient.

Par un mémoire en défense enregistré le 31 octobre 2021, l'ONIAM représenté par

Me Welsh, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les conditions d'indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas remplies.

Par un mémoire enregistré le 2 novembre 2021, M. et Mme A..., représentés par Me Cartron, concluent :

- au rejet de la requête ;

- par la voie de l'appel incident, à titre principal à la condamnation du CHU de Brest et de la SHAM à verser à M. A... la somme de 285 611,43 euros outre la somme de

21 053,17 euros au titre de la rente afférente à ses frais futurs au titre de l'assistance par tierce personne et celle de 12 000 euros en réparation du préjudice de Mme A... ; ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal et de leur capitalisation à compter du 26 juin 2012 et à la condamnation du CHU de Brest et de la SHAM à leur verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;

- à titre plus subsidiaire, à la condamnation de l'ONIAM à leur verser ces sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2012 et au versement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le taux de perte de chance ne peut être inférieur à 80 % ; que si la responsabilité du CHU n'était pas retenue, l'ONIAM devrait être condamné à réparer les conséquences dommageables de l'accident dont M A... a été victime ;

- les indemnités alloués au titre des préjudices subis doivent être réévalués.

Par des mémoires enregistrés les 22 novembre et 23 décembre 2021, la CPAM du Finistère représentée par Me Paublan, conclut :

1°) à titre principal, par la voie de l'appel à incident à la réformation du jugement en ce que le tribunal a limité à 101 530,06 euros le montant de l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le CHU de Brest et la SHAM en réparation de ses débours ;

2°) de porter à la somme de 129 262,89 euros le montant de l'indemnité due par le CHU et son assureur, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2021 ;

3°) à titre subsidiaire de condamner le CHU de Brest et la SHAM à lui verser la somme de 111 634,04 euros outre une rente annuelle de 1 805,45 euros au titre des dépenses de santé futures ;

4°) de condamner le CHU de Brest et la SHAM à lui verser la somme de 1 098 euros au titre de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale ;

5°) de mettre à la charge du CHU de Brest et de la SHAM la somme de 1 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité du CHU est engagée à raison du retard de diagnostic de la hernie discale compressive ; M A... a ainsi été privé d'une perte de chance de 75 % d'éviter les séquelles dont il reste atteint ;

- sa créance actualisée s'élève à la somme totale de 172 350,53 euros ou à titre subsidiaire à la somme de 148 845,39 euros dont 75 % doit être mis à la charge solidaire du CHU et de la SHAM.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brisson,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- les observations de Me Damailly, représentant le CHU de Brest et de Me Cartron représentant M. et Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 6 avril 1952, qui souffrait de lombalgies, a présenté le 16 février 2012 de fortes douleurs lombaires, une sensation de pied froid d'un côté puis une impossibilité pour lui de se mettre debout. Il a été admis au service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest à 3h44, et a été examiné à 4h02 par un interne qui a constaté un déficit des releveurs du pied, une hypoesthésie des membres inférieurs et du périné. Le scanner réalisé à 6h40 met en évidence une hernie discale L3L4 ainsi qu'un canal lombaire étroit. L'IRM pratiquée à 8h21 confirme une importante hernie discale au sein d'un canal médullaire étroit et l'examen clinique montre un déficit moteur des deux membres inférieurs, un déficit périnéal avec une atonie des sphincters et au toucher rectal. Une intervention chirurgicale aux fins de laminectomie et d'herniectomie L3L4 sera pratiquée à 12h08. M A... hospitalisé dans le service de neurochirurgie jusqu'au 27 février 2012 est ensuite transféré au pôle locomoteur de cet établissement pour rééducation. Eu égard aux séquelles du syndrome de la queue de cheval qu'il présentait, M. A... a, les 19 novembre 2012 et 15 mars 2013, saisi la commission de conciliation et d'indemnisation en matière d'accidents médicaux de Bretagne et une expertise médicale a été ordonnée. Deux rapports d'expertise ont été établis les 19 juin 2013 et 13 octobre 2014 par des neurochirurgiens Les 29 janvier 2014 et 21 janvier 2015, la commission de conciliation et d'indemnisation de Bretagne a émis l'avis selon lequel la responsabilité du CHU est engagée à raison d'un retard dans la prise en charge de M. A... à l'origine d'une perte de chance de 75 % d'éviter les séquelles dont il reste atteint. Le 3 avril 2015, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) a refusé de suivre cet avis et a invité M. A... à se rapprocher de l'ONIAM.

2. Par un jugement n° 1803577 du 15 avril 2021 le tribunal administratif de Rennes a constaté que le retard fautif dans la prise en charge de M. A... a été pour l'intéressé à l'origine d'une perte de chance d'éviter les séquelles dont il reste atteint et a condamné solidairement le CHU de Brest et la SHAM à lui verser la somme de 124 410,17 euros en réparation de ses préjudices. Le CHU de Brest et la SHAM relèvent appel de ce jugement.

Sur la responsabilité du CHU de Brest :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, (...) tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) / ".

4. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise diligenté devant la commission de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux qu'eu égard à la fois aux données scientifiques et aux observations des chirurgiens expérimentés dans ce type de pathologie que le maximum de chances de récupération se situe dans les 8 premières heures après la survenue des signes patents. Ce rapport relève en l'espèce que les signes du déficit moteur sont apparus à 1h30, que le déficit moteur a été coté à 4/5 lors de l'arrivée de M. A... aux urgences à 4h, puis que les troubles du tonus anal sont apparus à 6h30, permettant ainsi, après la réalisation du scanner à 6h40, de poser à 7h30 le diagnostic. L'expert estime en conséquence que M. A... aurait pu être opéré dès 7h30 de son syndrome de la queue de cheval, ce qui lui aurait permis de disposer d'un maximum de chances de récupération avant que les phénomènes ischémiques ne deviennent irréversibles, et qu'en raison de la demande répétée du neurochirurgien du CHU de réaliser une IRM, l'intéressé n'a été opéré qu'à midi, de sorte qu'un retard de quatre heures doit être observé dans la prise en charge de M. A... lui ayant fait perdre 75% de chances de se soustraire aux conséquences dommageables dont il a souffert.

5. Toutefois ce taux de perte de chance est contesté par le CHU de Brest qui estime que ce taux ne peut être que de 25 % et ne saurait en tout état de cause excéder 50 %. A cet égard, il se fonde sur les conclusions d'un neurochirurgien mandaté par ses soins, qui, dans une analyse critique du rapport d'expertise sus-évoqué, après avoir rappelé qu'un syndrome de la queue de cheval doit être opéré rapidement, indique que si la réalisation d'une IRM n'était pas strictement indispensable, elle était néanmoins souhaitable devant les symptômes observés et que cet examen qui a été effectué à 8h30, l'a été rapidement. Ce médecin, au regard des observations relevées dans la littérature médicale, indique également qu'une décompression chirurgicale du syndrome de la queue de cheval doit intervenir dans un délai de 24 à 48h et que M. A... ayant été pris en charge entre 8 et 12h après l'installation des premiers signes cliniques, aucune perte de chance ne peut être retenue ; il précise que si l'analyse de l'expert de la CCI devait être suivie, ce taux ne pourrait être que de 25 %.

6. Dans ces conditions, la cour n'est pas en mesure d'apprécier l'existence d'un retard de prise en charge de M. A... et l'incidence qu'un tel retard a pu avoir sur son état de santé et d'évaluer l'ampleur de la chance qu'il a perdue de voir son état de santé s'améliorer ou d'éviter l'aggravation de son état de santé du fait de ce retard.

7. Il y a, dans ce contexte, lieu d'ordonner une expertise aux fins précisées ci-après.

DECIDE :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires des parties, procédé, par un neurochirurgien, à une expertise médicale aux fins précisées ci-après.

Article 2 : L'expert aura pour mission :

1°) de prendre connaissance de l'entier dossier médical de M. A..., de convoquer et d'entendre toute personne qu'il jugera utile et de se faire communiquer tous documents ou pièces utiles ;

2°) de décrire les examens devant être faits au regard des symptômes présentés par M. A... lors de son admission au CHU de Brest ; de préciser le délai dans lequel en cas de suspicion de la pathologie présentée par l'intéressé, celle-ci doit être prise en charge et si en l'espèce un retard dans la prise en charge chirurgicale de la hernie discale L3L4 comprimant la queue de cheval, au regard des connaissances scientifiques à la date à laquelle M. A... a été pris en charge, peut être constaté et, le cas échéant, s'il a été de nature à avoir eu une incidence sur sa récupération physique et s'il a été à l'origine des séquelles dont il demeure affecté ; de dire dans quelle mesure ces lésions et séquelles sont en lien avec l'éventuelle faute commise par le CHU de Brest et dans quelle mesure cette faute a compromis les chances de M. A... de voir son état de santé s'améliorer ou d'éviter sa dégradation ; de chiffrer la perte de chance (pourcentage ou coefficient) ;

3°) de préciser si l'état de M. A... est consolidé et le cas échéant, en préciser la date ;

4°) de dire pour chaque type de séquelle et de poste de préjudice, si éventuellement il existe de manière certaine une absence de lien de causalité avec la faute commise par le CHU de Brest ou, à l'inverse, s'il existe un lien exclusif avec l'acte dommageable, dans le cas contraire la perte de chance définie suivant le point 2 de la mission sera appliquée ;

5°) de dire s'il résulte de la faute commise par le CHU de Brest et de ses conséquences un déficit fonctionnel permanent et, dans l'affirmative, après en avoir précisé les éléments, chiffrer le taux du déficit physiologique existant au jour de la consolidation de l'état de santé de M. A... ;

6°) d'une manière générale, de fournir au tribunal tous éléments d'appréciation de nature à permettre de se prononcer sur les préjudices subis.

Article 3 : L'expert accomplira la mission définie à l'article 2 dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il pourra, au besoin, se faire assister par un sapiteur préalablement désigné par le tribunal.

Article 4 : Les frais et honoraires dus à l'expert seront taxés ultérieurement par le président de la cour conformément aux dispositions de l'article R. 621-13 du code de justice administrative.

Article 5 : L'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires, accompagné de l'état de ses vacations, frais et débours. Il en notifiera copie aux personnes intéressées, notification qui pourra s'opérer sous forme électronique avec l'accord desdites parties, à laquelle il joindra copie de l'état de ses vacations, frais et débours.

Article 6 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Brest, à la société hospitalière d'assurances mutuelles, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à M. B... A..., à Mme D... C... épouse A... et à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère.

Délibéré après l'audience du 24 février 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 11 mars 2022.

La rapporteure, Le président,

C. BRISSON D. SALVI

La greffière,

A. MARTINLe président,

D. SALVI

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT01707


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01707
Date de la décision : 11/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CARTRON DOMINIQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-03-11;21nt01707 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award