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17/06/2022 | FRANCE | N°22NT00603

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 juin 2022, 22NT00603


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 1er décembre 2021 du préfet du Morbihan l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 2106528 du 15 février 2022, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le pays de renvoi, a enjoint au préfet du Morbihan de réexaminer sa situation dans un délai de trente jours et de lui délivrer d

ans l'attente une autorisation provisoire de séjour, mis à la charge de l'Etat le vers...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 1er décembre 2021 du préfet du Morbihan l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 2106528 du 15 février 2022, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le pays de renvoi, a enjoint au préfet du Morbihan de réexaminer sa situation dans un délai de trente jours et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 au bénéfice de son conseil et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 février et 20 avril 2022, le préfet du Morbihan demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du président du tribunal administratif de Rennes du 15 février 2022 en tant qu'il annule partiellement son arrêté du 1er décembre 2021 ;

2°) de rejeter la demande de Mme A....

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, les éléments produits par l'intéressée postérieurement à l'arrêté litigieux ne permettent pas d'établir la réalité des craintes invoquées en cas de retour dans son pays d'origine ;

- l'arrêté contesté a été pris postérieurement à la notification, le 29 septembre 2021, de l'ordonnance de la Cour nationale du droit d'asile.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 avril 2022, Mme A..., représentée par Me Berthet-Le Floch, demande à la cour :

1°) de rejeter cette requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler l'arrêté du 1er décembre 2021 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français ;

3°) de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le préfet n'est pas fondé à contester le motif d'annulation de la décision fixant le pays de renvoi retenu par le premier juge ;

- en l'absence de notification de l'ordonnance de la Cour nationale du droit d'asile préalablement à l'édiction de la mesure d'éloignement, cette dernière est dépourvue de base légale ;

- elle entend se référer, en ce qui concerne les autres moyens qu'elle avait soulevés devant le tribunal administratif au soutien de ses conclusions dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi, aux termes de ses écritures de première instance.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 avril 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

-la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante haïtienne née le 19 août 1989, est entrée irrégulièrement en France le 23 décembre 2019, selon ses déclarations. Le bénéfice de l'asile lui a été refusé par une décision du 27 avril 2021 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par une décision du 22 septembre 2021 de la Cour nationale du droit d'asile. Par un arrêté du 1er décembre 2021, le préfet du Morbihan a obligé l'intéressée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle serait reconduite à l'issue de ce délai. Le préfet du Morbihan relève appel du jugement du 15 février 2022 par lequel le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le pays de renvoi. Par la voie de l'appel incident, Mme A... demande l'annulation de ce même jugement en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.

Sur l'appel principal :

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

S'agissant du motif d'annulation retenu par le premier juge :

2. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) /Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

3. Pour annuler la décision litigieuse par laquelle le préfet du Morbihan a fixé le pays à destination duquel Mme A..., ressortissante haïtienne, pourrait être reconduite, le président du tribunal administratif de Rennes a estimé que cette décision avait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Mme A... fait valoir qu'elle a quitté Haïti après avoir été rejetée par sa famille et subi des violences et persécutions en raison de son orientation sexuelle et qu'un retour dans son pays d'origine l'exposerait à des traitements inhumains et dégradants. Il ressort toutefois des pièces du dossier que les instances en charge de l'asile ont, par leurs décisions respectives des 27 avril 2021 et 22 septembre 2021, estimé que ni ses déclarations, convenues et insuffisamment circonstanciées, ni les documents produits, notamment ceux à caractère médical, ne permettaient de tenir pour avérés les faits allégués et les craintes énoncées en cas de retour en Haïti. L'intéressée n'établit pas, par les justificatifs insuffisamment probants, et notamment par les documents présentés comme des courriels échangés avec un ami résidant en Haïti qui aurait repris contact avec elle postérieurement à l'arrêté contesté et qui lui aurait transmis une lettre datée du 15 novembre 2021 que lui aurait destinée son père, le caractère réel, actuel et personnel des risques qu'elle invoque en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, c'est à tort que, pour annuler la décision fixant le pays de renvoi contenue dans l'arrêté du 1er décembre 2021 du préfet du Morbihan, le président du tribunal administratif de Rennes s'est fondé sur le motif tiré de la méconnaissance des stipulations précitées.

4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... en première instance et en appel.

S'agissant des autres moyens invoqués par Mme A... à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi :

5. A l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi, l'intimée invoque, par voie d'exception, l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

6. En premier lieu, par un arrêté du 7 juin 2021, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Morbihan a donné délégation à M. D... C..., attaché d'administration, adjoint à la cheffe de bureau des étrangers et de la nationalité de la préfecture du Morbihan, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement du directeur de la citoyenneté et de la légalité et de la cheffe du bureau précitée, notamment les décisions relatives à l'éloignement des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée doit être écarté.

7. En deuxième lieu, Mme A... se prévaut de son entrée en France en 2019, des relations sociales qu'elle y a nouées et de son investissement dans le secteur associatif. Il ressort toutefois des pièces du dossier que sa présence sur le territoire français, où elle ne justifie pas être entrée régulièrement, est récente et qu'elle n'a été admise à y séjourner qu'en qualité de demandeur d'asile le temps de l'instruction de sa demande. L'intéressée, célibataire et sans enfant, qui ne dispose ni d'un logement et de ressources autonomes, ni d'une perspective professionnelle précise, ne justifie pas d'une particulière intégration. Elle n'établit pas davantage avoir tissé des liens d'une particulière intensité en France ou être dépourvue de toute attache dans son pays d'origine, où elle a vécu jusqu'à l'âge de trente ans et où résident plusieurs membres de sa famille. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment des conditions d'entrée et de séjour en France de Mme A..., la décision contestée l'obligeant à quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Dès lors, en prenant cette décision, le préfet du Morbihan n'a ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni entachée sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.

8. Enfin, Mme A... soutient que l'ordonnance du 22 septembre 2021 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a rejeté le recours qu'elle a formé contre la décision du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides lui refusant le bénéfice de l'asile ne lui a pas été notifiée préalablement à l'édiction, le 1er décembre 2021, de la décision l'obligeant à quitter le territoire français Toutefois, le préfet du Morbihan établit, par la fiche " TelemOfpra " qu'il produit devant le juge d'appel que cette ordonnance a été notifiée à l'intéressée le 29 septembre 2021. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée portant obligation de quitter le territoire français aurait été prise avant cette notification, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 542-1 et du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.

9. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à se prévaloir, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi. Compte tenu de ce qui précède, le préfet du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé sa décision du 1er décembre 2021 fixant le pays à destination duquel l'intimée était susceptible d'être reconduite d'office.

Sur les conclusions de Mme A... dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français :

10. Les moyens invoqués par Mme A... à l'appui de ses conclusions aux fins d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 6 à 8 du présent arrêt.

11. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le préfet du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 1er décembre 2021 en tant qu'ils fixe le pays de renvoi et, d'autre part, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce même jugement, le premier juge a rejeté sa demande tendant à l'annulation du même arrêté en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par voie de conséquence, les conclusions présentées en première instance par Mme A... à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

D E C I D E

Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2106528 du 15 février 2022 du président du tribunal administratif de Rennes sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rennes et ses conclusions présentées par voie d'appel incident sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme E... A....

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Morbihan.

Délibéré après l'audience du 2 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. L'hirondel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 17 juin 2022.

La rapporteure,

C. B...

Le président,

D. Salvi

La greffière,

A. Martin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22NT006032


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00603
Date de la décision : 17/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : BERTHET-LE FLOCH

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-06-17;22nt00603 ?
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