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11/10/2022 | FRANCE | N°21NT03679

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 11 octobre 2022, 21NT03679


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat Interco CFDT 49, a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la délibération du 21 mars 2017 du centre communal d'action sociale d'Angers en tant qu'elle fixe un système d'indemnisation forfaitaire appliqué aux temps inter-vacations des aides à domicile, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 28 avril 2017 et, d'autre part, de mettre à la charge de cette collectivité une somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761- 1 du code de j

ustice administrative.

Par un jugement n° 1707568 du 29 octobre 2021, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat Interco CFDT 49, a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la délibération du 21 mars 2017 du centre communal d'action sociale d'Angers en tant qu'elle fixe un système d'indemnisation forfaitaire appliqué aux temps inter-vacations des aides à domicile, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 28 avril 2017 et, d'autre part, de mettre à la charge de cette collectivité une somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1707568 du 29 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à la demande du syndicat CFDT Interco 49 et a mis à la charge du centre communal d'action sociale d'Angers le versement de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 décembre 2021, le centre communal d'action sociale d'Angers, représenté par Me Boucher, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 29 octobre 2021 ;

2°) de mettre à la charge du syndicat CFDT Interco 49 le versement de la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a commis une erreur de droit dans l'application de l'article 1er du décret n° 2001-623, de l'article 2 du décret n° 2000-815 du 25 août 2000 et du décret n° 92-849 du 28 août 1992, qui porte statut du cadre d'emploi des agents sociaux territoriaux ;

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation des conditions dans lesquelles les agents assurant le service d'aide à domicile accomplissent leur mission ; en réalité, l'emploi du temps des agents est assez souple pour leur permettre dans certains cas de vaquer à des occupations personnelles ; sauf à imaginer un système de géolocalisation extrêmement sophistiqué, il est quasiment impossible de déterminer précisément le temps effectif de déplacement journalier.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 février 2022, le syndicat CFDT Interco, représenté par Me Raimbault, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du centre communal d'action sociale d'Angers la somme de 2500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le centre communal d'action sociale d'Angers ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 modifiée ;

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n°2000-815 du 25 août 2000 ;

- le décret n°2001-623 du 12 juillet 2001 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Boucher, représentant le centre communal d'action sociale d'Angers.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 21 mars 2017, le centre communal d'action sociale (CCAS) d'Angers (Maine-et-Loire) a fixé les principes de l'indemnisation des aides à domicile d'une part, au titre de leurs temps inter-vacations et, d'autre part, au titre de leurs frais de déplacement. Par un courrier du 25 avril 2017, reçu le 28 avril 2017, le syndicat CFDT Interco 49 a demandé au centre communal d'action sociale d'abroger cette délibération en tant qu'elle fixe un système d'indemnisation forfaitaire appliqué aux temps inter-vacations. Cette demande a été implicitement rejetée.

2. Le syndicat CFDT Interco 49 a, le 24 août 2017, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de la délibération du 21 mars 2017 en tant qu'elle fixe un système d'indemnisation forfaitaire appliqué aux temps inter-vacations ainsi que de la décision implicite portant rejet de son recours gracieux contre cette délibération. Par un jugement du 29 octobre 2021, cette juridiction a fait droit à la demande du syndicat CFDT Interco 49. Le centre communal d'action sociale d'Angers relève appel de ce jugement.

Sur la légalité de la délibération du 21 mars 2017 :

3. D'une part, aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. (...) Le montant du traitement est fixé en fonction du grade de l'agent et de l'échelon auquel il est parvenu, ou de l'emploi auquel il a été nommé. (...) ". Aux termes de l'article 87 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Les fonctionnaires régis par la présente loi ont droit, après service fait, à une rémunération fixée conformément aux dispositions de l'article 20 du titre Ier du statut général. (...) ". Aux termes de l'article 105 de cette même loi : " Le traitement ainsi que les indemnités ayant le caractère de complément de traitement sont calculés au prorata du nombre d'heures hebdomadaires de service afférent à l'emploi. (...) ". Aux termes de l'article 7-1 de la même loi : " Les règles relatives à la définition, à la durée et à l'aménagement du temps de travail des agents des collectivités territoriales (...) sont fixées par la collectivité (...), dans les limites applicables aux agents de l'Etat, en tenant compte de la spécificité des missions exercées par ces collectivités (...). ". Par ailleurs, aux termes de l'article 2 de la directive 93/104/CE du 23 novembre 1993, devenu l'article 2 de la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 : " Aux fins de la présente directive, on entend par : / 1) " temps de travail " : toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ; (...) ". Aux termes de l'article 6 de cette directive : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs : / a) la durée hebdomadaire du travail soit limitée au moyen de dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou de conventions collectives ou d'accords conclus entre partenaires sociaux ; / b) la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n'excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires. " et aux termes de l'article 16 de cette même directive : " Les États membres peuvent prévoir : (...) / b) pour l'application de l'article 6 (durée maximale hebdomadaire de travail), une période de référence ne dépassant pas quatre mois. / (...) ". Il résulte, enfin, de l'arrêt rendu le 14 mai 2019 par la Cour de justice de l'Union européenne dans l'affaire Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO) contre Deutsche Bank SAE (C-55/18) que les dispositions citées ci-dessus doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une réglementation d'un État membre qui, selon l'interprétation qui en est donnée par la jurisprudence nationale, n'impose pas aux employeurs l'obligation d'établir un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.

4. D'autre part, selon l'article 2 du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature, applicable aux agents de la fonction publique territoriale en vertu de l'article 1er du décret du 12 juillet 2001 pris pour l'application de l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale : " La durée du travail effectif s'entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. ". Par ailleurs, aux termes de l'article 1er du décret du 12 juillet 2001 précité : " Les règles relatives à la définition, à la durée et à l'aménagement du temps de travail applicables aux agents des collectivités territoriales et des établissements publics en relevant sont déterminées dans les conditions prévues par le décret du 25 août 2000 susvisé (...) ".

5. Il résulte des dispositions citées ci-dessus que le temps de déplacement d'un fonctionnaire ne peut s'entendre comme un temps de service effectif que dans la mesure où il ne s'agit pas d'un déplacement habituel entre le domicile et le lieu de travail mais d'un déplacement effectué, soit entre deux lieux de travail différents, soit entre le domicile et un lieu de travail inhabituellement éloigné par rapport au lieu de travail habituel et dans la mesure où ce temps est intégralement consacré au trajet, sans que le fonctionnaire puisse vaquer librement à des occupations personnelles. Il appartient en conséquence à l'employeur public de mettre en place, à un coût raisonnable, un système objectif proportionné permettant de mesurer de façon fiable la durée du temps de service effectif journalier de chaque agent, sauf à justifier concrètement et précisément d'une impossibilité pour ce faire.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la délibération contestée a défini un système d'indemnisation des temps inter-vacations des aides à domicile, considérés comme des temps de service effectif et rémunérés comme tels, en fixant un forfait hebdomadaire, calculé au prorata de la quotité de temps de travail de l'agent et établi à 2h01 pour un agent se déplaçant en voiture, à 2h05 pour un agent se déplaçant à vélo et à 2h40 pour un agent se déplaçant en transports en commun. Ce système dit d'indemnisation constitue une rémunération. Ainsi, le temps de trajet pour se rendre d'un lieu de travail à un autre lieu de travail constitue bien un temps de travail effectif, et doit, à ce titre, être rémunéré comme tel, et ce pour la durée qu'il représente, et non faire l'objet d'une indemnisation selon un système forfaitaire. Par suite, le CCAS ne pouvait légalement, par la délibération contestée, fixer une rémunération forfaitaire de ce temps de travail effectif sans lien avec la durée réelle pendant laquelle les aides à domicile, se déplaçant entre deux lieux de travail différents, sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. Si, sur ce dernier point, le CCAS d'Anger fait valoir que " l'emploi du temps des agents est assez souple pour leur permettre dans certains cas de vaquer à des occupations personnelles ", il n'étaye en rien cette affirmation. Par ailleurs, la circonstance également invoquée par l'établissement que " seul un système de géolocalisation extrêmement sophistiqué pourrait permettre de déterminer précisément le temps effectif de déplacement journalier des aides à domicile " - et à supposer qu'il s'agisse du dispositif le plus efficient - ne permet pas au CCAS de justifier de l'impossibilité pour lui de se conformer à l'obligation qui lui incombe de mesurer le temps de travail effectif de ses agents.

7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le centre communal d'action sociale d'Angers n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la délibération du 21 mars 2017 en tant qu'elle fixe un système d'indemnisation forfaitaire appliqué aux temps inter-vacations ainsi que la décision implicite portant rejet de son recours gracieux.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par le centre communal d'action sociale d'Angers sur ce fondement soit mise à la charge du syndicat CFDT Interco 49, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'établissement le versement à ce syndicat d'une somme de 1500 euros au même titre.

DECIDE :

Article 1er : La requête du centre communal d'action sociale d'Angers est rejetée.

Article 2 : Le centre communal d'action sociale d'Angers versera au syndicat CFDT Interco 49 une somme de 1500 euros au titre des dispositions de l'article L.761 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre communal d'action sociale d'Angers et au syndicat CFDT Interco 49.

Délibéré après l'audience du 23 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 octobre 2022.

Le rapporteur,

O.A...Le président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 21NT03679 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03679
Date de la décision : 11/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - RÉMUNÉRATION - TRAITEMENT - OBLIGATION POUR L'EMPLOYEUR PUBLIC DE METTRE EN PLACE UN SYSTÈME DE COMPTABILISATION DE LA DURÉE DU TEMPS DE SERVICE EFFECTIF DES AGENTS - EXISTENCE.

36-08-02 Le temps de service effectif d'un agent public inclut le temps de déplacement entre deux lieux de travail différents ou entre le domicile et un lieu de travail inhabituellement éloigné par rapport au lieu de travail habituel, dans la mesure où le fonctionnaire ne peut vaquer librement à des occupations personnelles durant ces trajets.......L'employeur public doit mettre en place, à un coût raisonnable, un système objectif proportionné permettant de mesurer et de rémunérer exactement la durée du temps de service effectif de chaque agent, sauf à justifier concrètement et précisément d'une impossibilité pour ce faire, laquelle ne peut résulter d'une allégation.

FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - RÉMUNÉRATION - INDEMNITÉS ET AVANTAGES DIVERS - OBLIGATION POUR L'EMPLOYEUR PUBLIC DE METTRE EN PLACE UN SYSTÈME DE COMPTABILISATION DE LA DURÉE DU TEMPS DE SERVICE EFFECTIF DES AGENTS - EXISTENCE.

36-08-03 Le temps de service effectif d'un agent public inclut le temps de déplacement entre deux lieux de travail différents ou entre le domicile et un lieu de travail inhabituellement éloigné par rapport au lieu de travail habituel, dans la mesure où le fonctionnaire ne peut vaquer librement à des occupations personnelles durant ces trajets.......L'employeur public doit mettre en place, à un coût raisonnable, un système objectif proportionné permettant de mesurer et de rémunérer exactement la durée du temps de service effectif de chaque agent, sauf à justifier concrètement et précisément d'une impossibilité pour ce faire, laquelle ne peut résulter d'une allégation.


Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : RAIMBAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-10-11;21nt03679 ?
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