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21/10/2022 | FRANCE | N°21NT01625

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 21 octobre 2022, 21NT01625


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre la décision du 19 décembre 2019 de l'ambassadeur de France au Rwanda refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2008710 du 31 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.>
Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 juin ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre la décision du 19 décembre 2019 de l'ambassadeur de France au Rwanda refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2008710 du 31 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 juin 2021 et le 25 janvier 2022, Mme F... B... A..., représentée par Me Diallo, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 31 mai 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de lui délivrer le visa sollicité dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de visa dans le délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, Me Diallo, de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision de la commission de recours méconnaît l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision contestée méconnaît les articles L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 47 du code civil ;

- la décision contestée méconnaît le principe à valeur constitutionnelle du droit de mener une vie familiale normale, le principe général du droit applicable aux réfugiés de l'unité de la famille, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 décembre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Le Défenseur des droits, en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, a présenté des observations, enregistrées le 25 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... E..., ressortissante rwandaise, a obtenu, par une décision du 17 septembre 2008 de la Cour nationale du droit d'asile, la reconnaissance de la qualité de réfugiée statutaire en France. Le 15 janvier 2019, Mme F... B... A..., ressortissante rwandaise, qui se présente comme sa fille, a sollicité auprès de l'ambassade de France au Rwanda la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale. Par une décision du 19 décembre 2019, l'ambassadeur de France a refusé de lui délivrer le visa sollicité. Le 20 février 2020, l'intéressée a saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Le silence gardé par la commission sur ce recours a fait naître une décision implicite de rejet à l'expiration d'un délai de deux mois. Mme A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée en défense :

2. Aux termes de l'article R. 414-3, dans rédaction applicable au litige, du code de justice administrative, relatif à la transmission de la requête et des pièces jointes par voie électronique : " Les requérants sont dispensés de produire les copies de leur requête (...) ainsi que des pièces qui y sont jointes. / Les pièces jointes sont présentées conformément à l'inventaire qui en est dressé. . / Lorsque le requérant transmet, à l'appui de sa requête, un fichier unique comprenant plusieurs pièces, chacune d'entre elles doit être répertoriée par un signet la désignant conformément à l'inventaire mentionné ci-dessus. S'il transmet un fichier par pièce, l'intitulé de chacun d'entre eux doit être conforme à cet inventaire. Le respect de ces obligations est prescrit à peine d'irrecevabilité de la requête. / (...) ".

3. Il ressort des pièces de la procédure suivie devant le tribunal administratif que si la présentation de la requête introductive d'instance méconnaissait l'obligation prescrite par les dispositions de l'article R. 414-3 citées ci-dessus, cette présentation irrégulière a été régularisée en cours d'instance par la requérante. La fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur, et tirée de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 414-3 du code de justice administrative, ne peut, dès lors, qu'être écartée.

En ce qui concerne la légalité de la décision de la commission de recours :

4. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ou le bénéficiaire ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. / Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. ". Lorsque la venue d'une personne en France a été sollicitée au titre de la réunification des membres de la famille d'un réfugié statutaire, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de lien conjugal ou de lien de filiation entre le demandeur de visa et le membre de famille que celui-ci entend rejoindre.

5. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

6. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

7. Il ressort du mémoire en défense produit par le ministre de l'intérieur devant le tribunal administratif que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé le refus de visa opposé à Mme A... au motif, d'une part, que sa demande de visa avait été déposée dix ans après la reconnaissance de la qualité de réfugiée statutaire à Mme E..., soit au-delà d'un délai raisonnable, et, d'autre part, que les documents d'état civil produits à l'appui de sa demande de visa étaient dépourvus de force probante et ne permettaient pas d'établir son identité et, partant, la réalité du lien de filiation l'unissant à Mme E....

8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme E... a engagé une procédure de " regroupement familial ", devenue procédure de réunification familiale, au profit de Mme A..., alors âgée de sept ans, au mois de mars 2009, en saisissant le bureau des familles de réfugiés, soit un mois seulement après qu'elle a été informée de ses droits par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Si un délai de dix ans s'est ensuite écoulé entre l'engagement de cette procédure et le dépôt de la demande de visa de Mme A..., il ressort des pièces du dossier qu'un tel délai s'explique par les difficultés rencontrées par l'intéressée, en raison de sa minorité et de son isolement dans son pays d'origine, pour obtenir un jugement supplétif d'acte de naissance et la transcription de celui-ci dans les registres de l'état civil. Dès lors, et en tout état de cause, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que la demande de visa de Mme A... n'avait pas été présentée dans un délai raisonnable après l'engagement par Mme E... de la procédure de " regroupement familial ".

9. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son identité et du lien de filiation l'unissant à Mme E..., Mme A... a produit à l'appui de sa demande de visa un acte de naissance établi le 8 avril 2015 par le bureau de l'état civil de MBazi, en transcription d'un jugement supplétif rendu le 21 janvier 2015 par le tribunal de base de Ngoma lesquels indiquent qu'elle est née le 8 octobre 2001 à MBazi et qu'elle est la fille de Mme D... E..., résidant en France et alors âgée de 36 ans. Ces énonciations correspondent, en outre, aux informations renseignées par Mme E... lors de l'établissement de sa fiche familiale de référence. Le ministre de l'intérieur ne conteste pas l'authenticité du jugement supplétif d'acte de naissance de Mme A.... Par suite, il ne peut utilement se prévaloir d'irrégularités qui affecteraient l'acte de naissance dressé en transcription de ce jugement supplétif ou encore de la légère discordance affectant le prénom de l'intéressée dans son passeport. Dans ces conditions, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que l'identité de Mme A... et la réalité du lien de filiation l'unissant à Mme E... n'étaient pas établies et en refusant de délivrer, pour ce motif, à Mme A... le visa sollicité.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :

11. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance du visa sollicité à Mme A.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Mme A... n'ayant pas sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocate, Me Diallo, ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, de sorte que les conclusions présentées au titre de ces dispositions ne peuvent qu'être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 31 mai 2021 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme A... le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Diallo et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Le Brun, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 octobre 2022.

Le rapporteur,

Y. C...

La présidente,

C. BUFFET

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT01625


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01625
Date de la décision : 21/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Yann LE BRUN
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : DIALLO DEBORAH

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-10-21;21nt01625 ?
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