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21/10/2022 | FRANCE | N°21NT01957

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 21 octobre 2022, 21NT01957


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 16 octobre 2019 du consul général de France à Conakry (Guinée) refusant de délivrer à la jeune D... A... un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2002488 du 11 janvier 2021, le tribunal administrati

f de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 16 octobre 2019 du consul général de France à Conakry (Guinée) refusant de délivrer à la jeune D... A... un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2002488 du 11 janvier 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2021, Mme C... A..., agissant en sa qualité de représentante légale de la jeune D... A..., représentée par Me Cabioch, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 janvier 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de lui délivrer le visa sollicité dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de visa dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 20 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, Me Cabioch, de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le motif qu'il a substitué au motif initial de la décision contestée est lui-même entaché d'une erreur de droit ;

- la décision contestée méconnaît les articles L. 561-2, L. 561-4, L. 561-5 et L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les articles 47 et 311-1 du code civil ;

- la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 7 juin 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... A..., ressortissante guinéenne a obtenu, par une décision du 30 novembre 2016 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, le bénéfice de la protection subsidiaire. Le 2 juillet 2019, Mme D... A..., ressortissante guinéenne, qui se présente comme sa fille, a sollicité auprès de l'ambassade de France en Guinée la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale. Par une décision du 16 octobre 2019, l'ambassadeur de France a refusé de lui délivrer le visa sollicité. Le 14 novembre suivant, l'intéressée a saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Le silence gardé par la commission sur ce recours a fait naître une décision implicite de rejet à l'expiration d'un délai de deux mois. Mme A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux (...). ". Lorsque la venue d'une personne en France a été sollicitée au titre de la réunification des membres de la famille d'un réfugié statutaire, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes d'état-civil produits pour justifier de l'identité et, le cas échéant, du lien familial de l'intéressé avec le réfugié.

3. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

5. Il ressort du mémoire en défense produit par le ministre de l'intérieur devant le tribunal administratif que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé le refus de visa opposé à la jeune D... A... au motif que les documents d'état civil produits à l'appui de sa demande de visa étaient dépourvus de force probante et ne permettaient pas d'établir son identité et, partant, la réalité du lien de filiation l'unissant à Mme A....

6. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son identité et du lien de filiation dont elle se prévaut, la jeune D... A... a produit à l'appui de sa demande de visa un acte de naissance établi le 21 mars 2017 par l'officier d'état civil délégué de la commune de Ratoma, Conakry, en transcription du jugement supplétif d'acte de naissance n° 5570 rendu le 17 mars 2017 par le tribunal de première instance de Conakry II. Les énonciations que comportent cet acte de naissance et ce jugement supplétif sont concordantes entre elles et correspondent, en outre, à celles figurant sur le passeport de l'intéressée ainsi qu'aux informations renseignées par Mme A... lors de l'établissement de sa fiche familiale de référence. Si le ministre relève que l'acte de naissance et le jugement supplétif d'acte de naissance ont été établis tardivement, plusieurs années après l'événement qu'il relate, après la reconnaissance de la qualité de réfugiée de Mme A..., peu de temps avant le dépôt de la demande de visa de la jeune D... A..., le jour-même de dépôt de la requête et sur la base de simples déclarations de tiers, de telles circonstances ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à en démontrer le caractère frauduleux. Si le ministre fait également valoir que le jugement supplétif d'acte de naissance aurait dû être transcrit dans les registres de l'état civil de Matoto, la jeune D... A... étant née, selon les déclarations de Mme A..., à l'intérieur d'un camp militaire située dans ce quartier de Conakry, il est, cependant, constant que ce jugement supplétif ordonnait la transcription de l'acte de naissance de l'intéressée dans les registres de l'état civil de Ratoma, quartier qui dépend, comme celui de Matoto, de la commune de Conakry. Le ministre ne conteste pas autrement l'authenticité du jugement supplétif d'acte de naissance. Il ne peut, par suite, utilement se prévaloir d'irrégularités qui affecteraient, selon lui, la forme de l'acte de naissance établi en transcription de ce jugement supplétif. Dès lors, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que l'identité de la jeune D... A... et la réalité du lien de filiation l'unissant à Mme A... n'étaient pas établies et en refusant de délivrer, pour ce motif, le visa sollicité.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

8. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance du visa sollicité à la jeune D... A.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 25 %. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Cabioch de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 11 janvier 2021 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à la jeune D... A... le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Cabioch une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., à Me Cabioch et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Le Brun, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 octobre 2022.

Le rapporteur,

Y. B...

La présidente,

C. BUFFET

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT01957


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01957
Date de la décision : 21/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Yann LE BRUN
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : SELARL DESMARS BELONCLE BARZ CABIOCH

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-10-21;21nt01957 ?
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