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28/10/2022 | FRANCE | N°21NT00099

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 28 octobre 2022, 21NT00099


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mmes D... et F... B... et MM. E..., A... et C... B..., représentés par Me Le Derf-Daniel, ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 2 mai 1991 par lequel le préfet du Morbihan a approuvé les modifications du tracé et des caractéristiques ainsi que les suspensions de la servitude de passage des piétons le long du littoral de la commune du Bono et institué une servitude de passage des piétons transversale au rivage.

Par un jugement n° 1801806 du 9 novembre 2020, le trib

unal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mmes D... et F... B... et MM. E..., A... et C... B..., représentés par Me Le Derf-Daniel, ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 2 mai 1991 par lequel le préfet du Morbihan a approuvé les modifications du tracé et des caractéristiques ainsi que les suspensions de la servitude de passage des piétons le long du littoral de la commune du Bono et institué une servitude de passage des piétons transversale au rivage.

Par un jugement n° 1801806 du 9 novembre 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 janvier 2021 et 27 octobre 2021, Mmes D... et F... B... et MM. E..., A... et C... B..., représentés par Me le Derf-Daniel, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1801806 du tribunal administratif de Rennes du 9 novembre 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Morbihan du 2 mai 1991, à tout le moins en ce qu'il

institue la servitude de passage des piétons le long du littoral autour de l'étang de Kervilio ;

3°) subsidiairement, d'enjoindre au préfet du Morbihan d'abroger l'arrêté du 2 mai 1991 en tant qu'il institue la servitude de passage des piétons le long du littoral autour de l'étang de Kervilio ;

4°) de mettre les dépens, d'un montant de 3 348 euros, à la charge de l'Etat ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, ils justifient d'un titre de propriété antérieur à l'Edit de Moulins de 1566 et donc d'une possession fondée en titre ;

- un étang qui ne communique avec la mer que par des ouvrages artificiels ne fait plus partie du domaine public ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'absence de fonctionnement des vannes du moulin et la reprise du flot des marées n'a pu avoir pour effet un " retour " de l'étang de Kervilio dans le domaine public ;

- les dispositions de l'article R. 121-10 du code de l'urbanisme excluent la mise en œuvre d'une servitude longitudinale de passage des piétons sur le littoral s'agissant des

rives des étangs salés ;

- à supposer qu'à la date d'édiction de l'arrêté contesté, le 2 mai 1991, le champ d'application de la servitude longitudinale de passage des piétons sur le littoral ait

été plus large qu'il ne l'est aujourd'hui, compte tenu de la rédaction actuelle de l'article R.121-10 du code de l'urbanisme, il appartenait au juge d'en tenir compte et d'enjoindre à l'administration d'abroger cet arrêté devenu illégal.

Par un mémoire, enregistré le 27 octobre 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens des requérants ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'édit de Moulins de février 1566 ;

- l'ordonnance sur la marine d'août 1681 ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- la loi n° 63-1178 du 28 novembre 1963 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Balloul, pour les consorts B....

Considérant ce qui suit :

1. Les services de l'Etat dans le département du Morbihan ont souhaité réaliser les aménagements nécessaires à l'ouverture d'une servitude de passage des piétons le long du littoral sur la rive ouest de l'étang de Kervilio, situé entre les territoires des communes du Bono et de Plougoumelen, telle qu'elle avait été modifiée par un arrêté préfectoral du 2 mai 1991. Dans ce but, par un courrier du 21 février 2018 cet arrêté a été notifié à Mme D... B..., en tant que représentante de l'indivision B..., formée par elle-même ainsi que Mme F... B..., M. E... B..., M. A... B... et M. C... B.... Les consorts B... ont contesté l'arrêté du 2 mai 1991 devant le tribunal administratif de Rennes, par une requête enregistrée le 20 avril 2018 sous le n°1801806. Celle-ci a été rejetée par jugement du 9 novembre 2020. L'indivision B..., représentée par Mme F... B... relève appel de ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 160-6 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté contesté, aujourd'hui codifié aux articles L. 121-31 à L. 121-33 du même code : " Les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grevées sur une bande de trois mètres de largeur d'une servitude destinée à assurer exclusivement le passage des piétons. / L'autorité administrative peut, par décision motivée prise après avis du ou des conseils municipaux intéressés et au vu du résultat d'une enquête publique effectuée comme en matière d'expropriation : / a) Modifier le tracé ou les caractéristiques de la servitude, afin, d'une part, d'assurer, compte tenu notamment de la présence d'obstacles de toute nature, la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer, d'autre part, de tenir compte des chemins ou règles locales préexistants (...) ". Aux termes de l'article R. 160-8 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la même date : " La servitude de passage des piétons instituée par l'article L. 160-6 a pour assiette une bande de 3 mètres de largeur calculée à compter de la limite du domaine public maritime, sous réserve de l'application des dispositions des articles R. 160-11 à R. 160-15 et R. 160-17 à R. 160-22 ". Aux termes de l'article R. 160-9 de ce même code, dans sa rédaction en vigueur à cette même date : " La limite à partir de laquelle est mesurée l'assiette de la servitude mentionnée à l'article R. 160-8 est, selon le cas : / a) Celle du niveau des plus hautes eaux ; ce niveau est déterminé par le dernier acte administratif de délimitation, lorsqu'il en existe un ; / b) Celle des lais et relais, s'ils font partie du domaine public maritime ; / c) Celle des terrains qui ont été soustraits artificiellement à l'action des flots dans les conditions prévues au b de l'article 1er de la loi n° 63-1178 du 28 novembre 1963 ; / d) Celle des terrains qui font partie du domaine public maritime artificiel ".

3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 28 novembre 1963 relative au domaine public maritime, en vigueur à la date de l'arrêté contesté et aujourd'hui codifié à l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sont incorporés, sous réserve des droits des tiers, au domaine public maritime : / a) Le sol et le sous-sol de la mer territoriale. / Cette incorporation ne porte pas atteinte aux droits créés et actions exercées par les administrations de l'Etat en vertu des pouvoirs qu'elles détiennent dans les eaux territoriales. / b) Les lais et relais futurs, et, sous réserve des dispositions contraires d'actes de concession, les terrains qui seront artificiellement soustraits à l'action du flot. / Sous réserve de satisfaire aux conditions financières et techniques fixées par les administrations compétentes, les collectivités locales ou les sociétés d'économie mixte agissant pour le compte de celles-ci auront un droit de préférence pour la concession d'endigages ainsi que pour la concession de création et d'usage de plages artificielles lorsque les opérations en cause seront réalisées aux frais exclusifs de ces collectivités. / Les termes de la concession tiendront compte des frais et risques supportés par les collectivités intéressées ". Il résulte des travaux préparatoires ayant précédés l'adoption de la loi du 28 novembre 1963 que la réserve du droit des tiers, mentionnée au premier alinéa de l'article précité et aujourd'hui codifiée à l'article L. 3111-2 du code général de la propriété des personnes publiques, inclut, d'une part, les terrains qui, alors recouverts par la mer, ont fait l'objet d'une vente au titre des biens nationaux en 1791, ces ventes ayant été confirmées par les dispositions de la constitution du 22 frimaire an VIII et de la charte constitutionnelle de 1814 et, d'autre part, les aliénations du domaine de l'État consommées avant la publication de l'édit de Moulins de février 1566 sans clause de retour ni réserve de rachat, conformément à la loi du 14 ventôse An VII relative aux domaines engagés par l'ancien gouvernement. Il résulte également des dispositions de l'article précité que des terrains recouverts par la mer peuvent sortir du domaine public par l'effet d'une concession d'endigage régulièrement consentie par l'État.

4. Aux termes de l'article 1er du titre VII du livre IV de l'ordonnance sur la marine d'août 1681, en vigueur à la date de l'arrêté contesté : " Sera réputé bord et rivage de la mer tout ce qu'elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusques où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves ". Ces dispositions doivent être entendues comme fixant la limite du domaine public maritime, quel que soit le rivage, au point jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre, en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles.

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'étang de Kervilio est relié à la rivière du Bono, via le moulin de Kervilio, laquelle est elle-même reliée à la mer, via la rivière d'Auray. Il ressort également des pièces du dossier, notamment de ce qui avait été constaté le 16 août 1853 par la commission chargée d'émettre un avis sur la délimitation du rivage maritime à l'embouchure de la rivière d'Auray et du Bono, et n'est pas sérieusement contesté, qu'à la date de l'arrêté du 2 mai 1991 le moulin de Kervilio n'était plus en activité depuis plusieurs dizaines d'années et que, ses vannes n'étant plus en fonctionnement, le flot des marées avait repris son cours dans l'étang de Kervilio, entraînant, outre le rétablissement, malgré l'existence de la digue, d'une communication naturelle directe avec les eaux de mer, le recouvrement par les plus hautes eaux en l'absence de perturbation météorologique exceptionnelle. Un courrier du 9 décembre 1991 du directeur des services fiscaux au directeur départemental de l'équipement mentionne ainsi " ... la submersion actuelle qui, à elle seule, établit la domanialité publique de l'étang... ". Dans ces conditions, en application des règles précitées, l'étang de Kervilio faisait partie du domaine public maritime et ses rives devaient être considérées comme bord et rivage de la mer.

6. En deuxième lieu, pour contester la domanialité publique de l'étang de Kervilio et en déduire que la servitude de passage des piétons le long du littoral ne peut s'appliquer sur sa rive, les requérants entendent se prévaloir de titres de propriété antérieurs à l'édit de Moulins de 1566 tels que, d'une part, un contrat d'accord entre les seigneurs de Pontsal et de Kervilio du 4 août 1455 avec l'inventaire qui y figure, documents confirmés par un " aveu " du 12 décembre 1473, d'autre part, l'aveu rendu au Roi pour la seigneurie de Largouet sous Auray par Suzanne de Bourbon du 1er mai 1542 et la sentence du 1er juin 1543 de réception de cet aveu par l'administration royale, enfin, des " sentences et aveux successifs " datant de 1601, 1608 et 1680 prouvant selon eux le maintien de la propriété privée de l'étang de Kervilio pour le seigneur de Pontsal, dont ils tiennent leurs droits, particulièrement la déclaration rendue le 21 juin 1683 aux commissaires du Roi chargés de la réformation des domaines mentionnant que le fief du Sieur de Pontsal comprenait " trois moulins à mer sous une mesme couverture " ainsi que son " étang, reffoul et retenue d'eau ".

7. Toutefois, il ne ressort pas de leur contenu que l'un quelconque de ces actes aurait transféré à leur bénéficiaire un droit de pleine propriété que les consorts B... pourraient regarder comme fondé en titre antérieurement à l'édit de Moulins de 1566. En particulier, de la convention de 1455 entre deux seigneurs, en vue de l'établissement d'un moulin à marée à la limite entre leurs fiefs respectifs, ne pouvait résulter la cession de la propriété d'une dépendance domaniale. De même, les divers " aveux " des 12 décembre 1473 et 8 septembre 1474 du sieur de Pontsal et du sieur de Kervilio portant sur le moulin à marée alors créé et les autres " aveux " de 1542 et 1543, 1601, 1608, 1680, 1682 et 1683 ainsi que la " déclaration " du seigneur de Pontsal du 21 juin 1683, qui confèrent à leur bénéficiaire un droit de gestion et d'exploitation des biens sur lesquels ils portent mais pas le droit d'en disposer, ne confèrent pas davantage un droit de propriété. Les actes antérieurs à l'édit de 1566 peuvent d'autant moins constituer un droit de propriété fondé en titre qu'ils n'émanent pas de l'autorité compétente à cet effet, soit le duc de Bretagne antérieurement au rattachement de la Bretagne à la France, ou une autorité royale après ce rattachement. Les diverses études produites en sens contraire par les requérants sont sans influence sur la portée des actes sus-énumérés telle qu'elle résulte de leur contenu ou de leur origine. Dans ces conditions, les requérants ne peuvent être regardés comme justifiant d'un droit fondé en titre soustrayant l'étang de Kervilio au domaine public maritime.

8. Par ailleurs, les consorts B... ne peuvent utilement se prévaloir des dispositions de l'article R. 121-10 du code de l'urbanisme, définissant la limite à partir de laquelle est mesurée l'assiette de la servitude de passage longitudinale par renvoi au 1° de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques, dans la mesure où elles n'étaient pas en vigueur à la date de l'arrêté contesté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mmes D... B..., F... B..., M. E... B..., M. C... B... et M. A... B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande. Ils ne sont pas davantage fondés, en tout état de cause, à demander l'abrogation de l'arrêté du 2 mai 1991 en conséquence des dispositions de l'article R. 121-10 du code de l'urbanisme issues du décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que l'étang de Kervilio est atteint pas les plus hauts flots et qu'il appartient ainsi au domaine public maritime par application du 1° de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques. Par voie de conséquence, leurs conclusions au titre des dépens et des frais de l'instance ne peuvent qu'être également rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête des consorts B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié aux Consorts B... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Laure Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 octobre 2022.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT00099


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00099
Date de la décision : 28/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : SCP ARES GARNIER DOHOLLOU SOUET ARION ARDISSON GREARD COLLET LEDERF-DANIEL LEBLANC

Origine de la décision
Date de l'import : 06/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-10-28;21nt00099 ?
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