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16/12/2022 | FRANCE | N°21NT01760

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 16 décembre 2022, 21NT01760


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 juin 2021 et 19 janvier 2022, la SAS Herles, représentée par Me Cazin, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 25 mai 2021 par lequel le maire de la commune de Lanvollon (Côtes-d'Armor) a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ;

2°) à titre principal, d'enjoindre à la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) d'émettre un avis favorable sur le projet et au maire de Lanvollon de lui délivrer le permis sollici

té et, à titre subsidiaire, de leur ordonner de statuer à nouveau sur sa demande ;

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Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 juin 2021 et 19 janvier 2022, la SAS Herles, représentée par Me Cazin, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 25 mai 2021 par lequel le maire de la commune de Lanvollon (Côtes-d'Armor) a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ;

2°) à titre principal, d'enjoindre à la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) d'émettre un avis favorable sur le projet et au maire de Lanvollon de lui délivrer le permis sollicité et, à titre subsidiaire, de leur ordonner de statuer à nouveau sur sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la CNAC a commis une erreur de droit car l'octroi de la possibilité d'utiliser la procédure dite de revoyure prévue au deuxième alinéa de l'article L. 752-21 du code de commerce est créatrice de droit et s'oppose à ce que la CNAC puisse retenir des motifs de refus pur et simple puisqu'elle doit être regardée comme les ayant nécessairement écartés en considérant que le projet est amendable sans modification substantielle dans le cadre d'une nouvelle décision ;

- la CNAC a commis une erreur de fait en considérant que le projet comporte la création d'une boulangerie ;

- la CNAC a commis une erreur d'appréciation s'agissant du critère d'animation commerciale du centre-ville de l'article L. 752-6 du code de commerce.

Par un mémoire, enregistré le 14 septembre 2021, le maire de la commune de Lanvollon indique qu'il avait compétence liée pour refuser le permis de construire sollicité même s'il avait émis des avis favorables devant la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) et la CNAC.

Par un mémoire, enregistré le 25 novembre 2021, la société V2LDIS, représentée par Me Le Fouler, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la SAS Herles le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la SAS Herles n'est fondé.

Par un mémoire, enregistré le 18 janvier 2022, la CNAC conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- les conclusions dirigées contre l'Etat au titre des frais de procès sont irrecevables ;

- les moyens de la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Cazin, pour la SAS Herles.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Herles exploite un hypermarché à l'enseigne Super U à Lanvollon (Côtes-d'Armor). Elle a déposé une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale dans le but de porter la surface de vente de cet établissement de 3 300 à 4 410 m². La commission départementale d'aménagement commerciale (CDAC) a émis un avis favorable le 9 novembre 2019. La société V2LDIS, qui exploite, dans la même zone de chalandise, un magasin à l'enseigne Carrefour market, a saisi la commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), qui a émis le 5 mars 2020 un avis défavorable sur le projet. La SAS Herles, sur le fondement de l'article L. 752-21 du code de commerce, a saisi de nouveau la CNAC, qui a rendu un autre avis défavorable le 15 avril 2021. En conséquence, par un arrêté du 25 mai 2021, le maire de Lanvollon a refusé de délivrer le permis de construire sollicité à la SAS Herles. Celle-ci demande à la cour de prononcer l'annulation de cet arrêté en tant qu'il lui refuse l'autorisation d'exploitation commerciale demandée.

Sur le moyen relatif à la procédure " de revoyure " :

2. Aux termes de l'article L. 752-21 du code de commerce : " Un pétitionnaire dont le projet a été rejeté pour un motif de fond par la Commission nationale d'aménagement commercial ne peut déposer une nouvelle demande d'autorisation sur un même terrain, à moins d'avoir pris en compte les motivations de la décision ou de l'avis de la commission nationale. / Lorsque la nouvelle demande ne constitue pas une modification substantielle au sens de l'article L. 752-15 du présent code, elle peut être déposée directement auprès de la Commission nationale d'aménagement commercial. ". Aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. ". Aux termes de l'article L. 242-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Sur demande du bénéficiaire de la décision, l'administration peut, selon le cas et sans condition de délai, abroger ou retirer une décision créatrice de droits, même légale, si son retrait ou son abrogation n'est pas susceptible de porter atteinte aux droits des tiers et s'il s'agit de la remplacer par une décision plus favorable au bénéficiaire. ".

3. Contrairement à ce que soutient la SAS Herles, les dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 752-21 du code de commerce n'interdisent pas que la CNAC, au cours de la procédure dite " de revoyure " qu'elles organisent, puisse retenir dans sa nouvelle décision des motifs de refus relatifs à des critères visés à l'article L. 752-6 du code de commerce sur lesquels elle s'était déjà prononcée dans le cadre de sa première décision. Par ailleurs, la société requérante ne peut utilement se prévaloir des dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration à l'encontre d'un avis défavorable de la CNAC, qui n'est pas créateur de droit. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que les dispositions précitées au point 2 ont été méconnues. Le moyen tiré de ce que l'avis défavorable de la CNAC du 15 avril 2021 serait entachée d'une erreur de droit au regard de ces dispositions doit ainsi être écarté.

Sur le moyen tiré de l'erreur de fait :

4. Pour motiver son avis du 15 avril 2021, la CNAC s'est notamment fondée sur le fait " que le projet prévoit la création d'une boulangerie traditionnelle, ce qui pourrait porter atteinte à la boulangerie exploitée dans le centre-ville de la commune de Lanvollon ". La SAS Herles le conteste en soutenant que le projet ne crée pas de nouvelle boulangerie dans l'hypermarché existant puisqu'une telle boulangerie y existerait déjà. Toutefois, il ressort de son dossier de demande que son projet " prévoit la création d'un rayon boulangerie, pâtisserie et viennoiserie en vente assistée en complément de la vente en libre-service " et d'ailleurs, que dans le premier projet soumis à la CNAC, était prévue " la création d'une boulangerie viennoiserie pâtisserie traditionnelle ". Eu égard à l'importance de la modification du rayon boulangerie tel qu'il existait initialement dans l'hypermarché de la SAS Herles et à la nature de l'appréciation qu'elle a été amenée à en tirer sur les conséquences du projet sur l'animation du centre-ville et de la vie urbaine, la CNAC n'a pas commis d'erreur de fait en se basant sur la création d'une boulangerie traditionnelle par l'enseigne Super U, pour rendre l'avis litigieux. Ce moyen doit donc être écarté.

Sur les moyens tirés de la méconnaissance des critères fixés par l'article L. 752-6 du code de commerce :

5. D'une part, aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial (...) ".

6. D'autre part, aux termes du troisième alinéa de l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat : " Les pouvoirs publics veillent à ce que l'essor du commerce et de l'artisanat permette l'expansion de toutes les formes d'entreprises, indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu'une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l'écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit préjudiciable à l'emploi ". Aux termes de l'article L. 750-1 du code de commerce : " Les implantations, extensions, transferts d'activités existantes et changements de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine (...) ".

7. Enfin, aux termes de l'article L. 752-6 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, issue de l'article 166 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 : " (...) La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre (...) ".

8. Il résulte de ces dispositions combinées que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce. Les dispositions ajoutées au I de l'article L. 752-6 du code de commerce, par la loi du 23 novembre 2018, poursuivent l'objectif d'intérêt général de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes. Elles se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l'appréciation globale des effets du projet sur l'aménagement du territoire et ne subordonnent pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes.

9. Pour rejeter la demande de la SAS Herles, la CNAC s'est fondée sur la proximité du projet avec le centre-ville de Lanvollon, en entrée de ville, l'importance de l'ensemble commercial existant et du taux de vacance commerciale dans le centre-ville de la commune et le fait que la création d'une boulangerie traditionnelle pourrait porter atteinte à la boulangerie exploitée dans ce centre-ville.

10. Ainsi qu'il a été dit au point 1, le projet conduirait à porter la surface de vente de l'hypermarché " Super U " de la SAS Herles de 3 300 à 4 410 m², soit une extension de 1 110 m². Eu égard à sa situation à 500 m du centre-ville de Lanvollon, en entrée de ville, alors que cette commune est caractérisée par un taux de vacance commerciale important, s'élevant à 20,3 % selon l'analyse d'impact produite par la SAS Herles, et en voie de dégradation, 15 commerces vacants étant relevés en 2022 contre 13 commerces vacants en 2020, il ressort des pièces du dossier que l'importance de ce projet est de nature à déstabiliser le tissu commercial du centre-ville de Lanvollon, en particulier ses commerces alimentaires, comme sa boulangerie. Dans ces conditions, en considérant que le projet porterait préjudice au tissu commercial du centre-ville de Lanvollon, la CNAC n'a pas inexactement appliqué les critères fixés par les dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce en ce qui concerne les conséquences du projet quant à ses effets sur l'animation de la vie urbaine et la préservation du tissu commercial du centre-ville. Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions par la CNAC doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter les conclusions de la SAS Herles à fin d'annulation, et, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et, en tout état de cause, celles au titre des frais du litige. En revanche, il y a lieu de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros à verser à la société V2LDIS en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Herles est rejetée.

Article 2 : La SAS Herles versera une somme de 1 500 euros à la société V2LDIS, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Herles, à la commune de Lanvollon, à la société V2LDIS et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée, pour information, à la Commission nationale d'aménagement commercial.

Délibéré après l'audience du 29 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2022.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d'Armor et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui les concernent, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT01760


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01760
Date de la décision : 16/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : LETANG AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-12-16;21nt01760 ?
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