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07/04/2023 | FRANCE | N°21NT03359

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 07 avril 2023, 21NT03359


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 28 octobre 2021 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office à l'expiration de ce délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, ainsi que l'arrêté du

29 octobre 2021 l'assi

gnant à résidence pour une durée de 45 jours.

Par un jugement no 2102385 du 5 novembre 202...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 28 octobre 2021 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office à l'expiration de ce délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, ainsi que l'arrêté du

29 octobre 2021 l'assignant à résidence pour une durée de 45 jours.

Par un jugement no 2102385 du 5 novembre 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2021, sous le n° 21NT03359, Mme D..., représentée par Me Salfati, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 novembre 2021 du tribunal administratif de Caen ;

2°) d'annuler ces arrêtés des 28 et 29 octobre 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Orne, de lui délivrer un titre de séjour d'une durée d'un

an portant la mention " vie privée et familiale " ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance du 21 décembre 2022, la requête a été dispensée d'instruction.

II. Par une requête, enregistrée le 5 décembre 2021, sous le n° 21NT03397, et un mémoire enregistré le 15 novembre 2022, Mme D..., représentée par Me Boumedienne Thiery, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 novembre 2021 du tribunal administratif de Caen ;

2°) d'annuler ces arrêtés des 28 et 29 octobre 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Orne, de lui délivrer à une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail, ou un récépissé de demande de titre de séjour avec autorisation de travail, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans l'attente du transfert de son dossier de demande de titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " auprès des services de la préfecture du Val d'Oise ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le préfet de l'Orne n'était pas territorialement compétent pour prendre les décisions contestées ;

- l'arrêté portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de destination et lui interdisant de retourner sur le territoire français est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;

- la décision de refus de titre de séjour est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa demande ;

- elle est entachée d'erreurs de fait, dès lors notamment qu'il n'y a aucune procédure de divorce en cours, que la communauté de vie avec son mari n'a jamais cessé, que ses enfants vivent avec elle et son mari et que la situation professionnelle du couple est stable ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est privée de base légale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation de sa situation, dès lors qu'elle est présente depuis sept ans en France, où se trouve le centre de ses intérêts personnels, professionnels et familiaux ;

- la décision portant assignation à résidence est entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors qu'elle ne vit pas dans l'Orne mais, depuis 2017, à Argenteuil dans le Val-d'Oise ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire est privée de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision porte atteinte à son droit au respect de sa vie familiale ;

- elle est entachée d'un vice de procédure, dès lors qu'elle n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire préalable ;

- elle est insuffisamment motivée.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 novembre 2022, le préfet de l'Orne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les observations de Me Boumedienne Thiery, représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 21NT03359 et n° 21NT03397 présentées par Mme D... sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Mme A... D... épouse C..., ressortissante algérienne, née le 10 août 1982, est entrée sur le territoire français le 10 décembre 2014. Elle a sollicité le 18 juin 2019 la délivrance d'un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par un arrêté du 27 janvier 2020, le préfet du Val-d'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours. Par un jugement du 29 janvier 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la requête de Mme D... dirigée contre cet arrêté. Le 19 mai 2021, Mme D... a formé auprès du préfet de l'Orne une nouvelle demande de titre de séjour sur le fondement de l'article 6 de l'accord franco-algérien. Par les arrêtés contestés des 28 et 29 octobre 2021, le préfet de l'Orne, d'une part, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire sans délai et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an et, d'autre part, l'a assignée à résidence dans le département de l'Orne pour une durée de 45 jours. Par un jugement du 5 novembre 2021, dont Mme D... relève appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de ces arrêtés.

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 122-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le préfet de département et, à Paris, le préfet de police, sont compétents en matière d'entrée et de séjour des étrangers (...) ". En vertu de l'article

R. 431-20 du même code, le titre de séjour est délivré par le préfet du département dans lequel l'étranger a sa résidence et, à Paris, par le préfet de police, sous réserve de l'exception prévue pour les étrangers retraités. Il résulte de ces dispositions que le préfet territorialement compétent pour refuser d'admettre au séjour un étranger est celui du département dans lequel cet étranger réside.

4. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressée a déclaré à l'administration, lors de sa demande de titre de séjour, qu'elle résidait à Saint-Evroult Notre-Dame du Bois, dans l'Orne. Si celle-ci soutient en appel qu'il ne s'agissait pas de sa véritable adresse, mais qu'elle résidait en réalité depuis 2017 à Argenteuil dans le Val-d'Oise avec son mari et ses deux enfants, elle ne peut se prévaloir de ces circonstances, dès lors que l'adresse qu'elle avait déclarée dans l'Orne était celle qui était connue de l'administration. Par suite, la préfète de l'Orne était compétente pour refuser de l'admettre au séjour.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".

6. D'une part, Mme A... D... épouse C... avait indiqué, aux services de la préfecture de l'Orne, qu'elle était séparée de son conjoint, qu'une procédure de divorce était engagée et qu'elle s'était mise d'accord avec son mari pour que la résidence des enfants soit fixée provisoirement au domicile du père. Ces mêmes éléments étaient rappelés comme étant d'une importance majeure à l'administration par une lettre de son avocat du 24 septembre 2021. Dans les circonstances de l'espèce, les décisions contestées ne peuvent donc être regardées comme entachés d'une erreur de fait, contrairement à ce que soutient l'intéressée, dès lors que les éléments en cause résultent de ses propres déclarations frauduleuses. Pour les mêmes raisons, le préfet, en relevant la situation d'isolement familial de l'intéressée en France, n'a pas entaché la décision de refus de titre de séjour d'un défaut d'examen de sa situation.

7. D'autre part, si la requérante résidait depuis près de sept ans en France à la date des décisions contestées, elle y séjournait en situation irrégulière depuis l'expiration d'un visa de court séjour, dont elle avait bénéficié en 2014 et en dépit d'une première obligation de quitter le territoire français prise à son encontre le 27 janvier 2020. Si l'intéressée se prévaut de la présence en France de son mari et de leurs deux enfants mineurs, elle avait indiqué à l'administration, ainsi qu'il a été dit, qu'elle vivait séparée de ceux-ci. De plus, il ressort des pièces du dossier qu'elle entre dans la catégorie des personnes pouvant bénéficier du regroupement familial, qu'elle peut solliciter si elle s'y croit fondée. Ainsi, la décision refusant d'admettre l'intéressée au séjour ne porte pas au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts qu'elle poursuit et ne méconnaît pas, dès lors, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle n'a pas, par elle-même, pour objet ou pour effet de séparer l'intéressée de ses enfants. Elle ne méconnaît donc pas les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Pour les mêmes raisons, elle n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation de l'intéressée.

8. En dernier lieu, toutefois, il ressort des pièces produites pour la première fois en appel que Mme A... D... épouse C... vit avec son conjoint, un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence, valable jusqu'en 2027, avec lequel elle s'est mariée en 2014, ainsi qu'avec leurs deux enfants mineurs, âgés de trois et six ans, à l'entretien et à l'éducation desquels elle participe. Ainsi, et alors même que les parents de l'intéressée vivent en Algérie, où cette dernière a vécu la plus grande partie de sa vie, la décision l'obligeant à quitter le territoire français est entachée, dans les circonstances de l'espèce, d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de requête, que Mme D... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, ainsi que, par voie de conséquence, des décisions fixant le pays de destination, lui interdisant de retourner sur le territoire et de l'arrêté l'assignant à résidence.

10. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement mais seulement que l'autorité préfectorale compétente réexamine la situation de Mme D... et lui délivre dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler. Par suite, il y lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

11. Enfin, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande Mme D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les décisions de la préfète de l'Orne du 28 octobre 2021 portant obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de renvoi, interdiction de retour sur le territoire français prises à l'encontre de Mme D... et l'arrêté du 29 octobre 2021 l'assignant à résidence sont annulés.

Article 2 : Le jugement du 5 novembre 2021 du tribunal administratif de Caen est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Il est enjoint à l'autorité préfectorale compétente de réexaminer la situation de Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de la munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... épouse C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de l'Orne et au préfet du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 23 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 avril 2023.

Le rapporteur,

X. B...

Le président,

D. Salvi

La greffière,

A. Martin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT03359, 21NT033972


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03359
Date de la décision : 07/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Xavier CATROUX
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SALFATI

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-04-07;21nt03359 ?
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