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23/06/2023 | FRANCE | N°22NT00934

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 23 juin 2023, 22NT00934


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Hesselmans Beheer BV a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 21 janvier 2021 par laquelle le président de la communauté de communes Terre d'Auge a rejeté sa demande tendant à l'inscription à l'ordre du jour du conseil communautaire de la question de l'abrogation de la délibération du 5 mars 2020 du conseil communautaire portant approbation du plan local d'urbanisme intercommunal, en tant que cette délibération classe en zone A1 les parcelles cadastrées section A

nos 209, 210, 211, 278, 279, 332, 337, 338 et 372 sur le territoire de la c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Hesselmans Beheer BV a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 21 janvier 2021 par laquelle le président de la communauté de communes Terre d'Auge a rejeté sa demande tendant à l'inscription à l'ordre du jour du conseil communautaire de la question de l'abrogation de la délibération du 5 mars 2020 du conseil communautaire portant approbation du plan local d'urbanisme intercommunal, en tant que cette délibération classe en zone A1 les parcelles cadastrées section A nos 209, 210, 211, 278, 279, 332, 337, 338 et 372 sur le territoire de la commune de Bourgeauville.

Par un jugement no 2100683 du 24 janvier 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 mars 2022, la société Hesselmans Beheer BV, représentée par Me Cavelier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 21 janvier 2021 du président de la communauté de communes Terre d'Auge ;

3°) d'enjoindre à la communauté de communes Terre d'Auge de réexaminer le classement des parcelles en cause dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de la communauté de communes Terre d'Auge une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision contestée a été prise par une autorité incompétente ;

- le rapport de présentation du plan local d'urbanisme intercommunal était insuffisamment motivé ;

- le classement en zone A1 des parcelles précitées est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 avril 2022, la communauté de communes Terre d'Auge, représentée par la SELARL Concept Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Hesselmans Beheer BV une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable en raison de son insuffisante motivation ;

- les moyens invoqués par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bréchot,

- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,

- les observations de Me Cavelier, représentant la société Hesselmans Beheer BV, et les observations de Me Delaunay, substituant Me Agostini, représentant la communauté de communes Terre d'Auge.

Une note en délibéré, présentée par la société Hesselmans Beheer BV, a été enregistrée le 6 juin 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 5 mars 2020, le conseil communautaire de la communauté de communes Terre d'Auge a approuvé son plan local d'urbanisme intercommunal. Par un courrier du 16 décembre 2020, reçu le 23 décembre suivant, la société Hesselmans Beheer BV a demandé au président de la communauté de communes Terre d'Auge d'inscrire à l'ordre du jour du conseil communautaire la question de l'abrogation de la délibération du 5 mars 2020 du conseil communautaire portant approbation du plan local d'urbanisme intercommunal en tant que cette délibération classe en zone A1 les parcelles cadastrées section A nos 209, 210, 211, 278, 279, 332, 337, 338 et 372 sur le territoire de la commune de Bourgeauville, dont la société Hesselmans Beheer BV est propriétaire. Cette demande a été rejetée par une décision du président de la communauté de communes Terre d'Auge du 21 janvier 2021, reçue le 4 février suivant, dont la société Hesselmans Beheer BV a demandé l'annulation au tribunal administratif de Caen. La société Hesselmans Beheer BV relève appel du jugement du 24 janvier 2022 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. L'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que, réserve faite des vices de forme et de procédure dont il serait entaché, ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date.

3. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.

4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 153-19 du code de l'urbanisme : " L'abrogation d'un plan local d'urbanisme est prononcée par l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent ou par le conseil municipal après enquête publique menée dans les formes prévues par le chapitre III du titre II du livre Ier du code de l'environnement. / (...). " En vertu des dispositions combinées des articles L. 2121-10 et L. 5211-1 du code général des collectivités territoriales, toute convocation du conseil communautaire est faite par son président et indique les questions portées à l'ordre du jour. Il résulte de ces dispositions combinées que, si l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale est seul compétent pour abroger tout ou partie du plan local d'urbanisme intercommunal, c'est au président de cet établissement public qu'il revient d'inscrire cette question à l'ordre du jour d'une réunion de l'organe délibérant. Par suite, le président de l'établissement public a compétence pour rejeter une demande tendant à l'abrogation du plan local d'urbanisme intercommunal ou de certaines de ses dispositions. Toutefois, il ne peut légalement prendre une telle décision que si les dispositions dont l'abrogation est sollicitée sont elles-mêmes légales. Dans l'hypothèse inverse, en effet, il est tenu d'inscrire la question à l'ordre du jour de l'organe délibérant, pour permettre à celui-ci, seul compétent pour ce faire, de prononcer l'abrogation des dispositions illégales.

5. Par suite, le moyen tiré de ce que le président de la communauté de communes Terre d'Auge n'était pas compétent pour rejeter la demande de la société Hesselmans Beheer BV tendant à ce que soit inscrite à l'ordre du jour du conseil communautaire la question de l'abrogation partielle du plan local d'urbanisme intercommunal doit être écarté.

6. En deuxième lieu, si, dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger un acte réglementaire, la légalité des règles fixées par celui-ci, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux.

7. Il suit de là que la société requérante ne peut utilement invoquer, à l'appui de sa demande d'annulation du refus opposé par le président de la communauté de communes Terre d'Auge, l'insuffisante motivation du rapport de présentation du plan local d'urbanisme intercommunal de la communauté de communes.

8. En dernier lieu, il est de la nature de toute réglementation d'urbanisme de distinguer des zones où les possibilités de construire sont différentes, ainsi que des zones inconstructibles. Il appartient aux auteurs d'un plan local d'urbanisme de déterminer le parti d'aménagement à retenir pour le territoire concerné par ce plan, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d'avenir, et de fixer en conséquence le zonage et les possibilités de construction. S'ils ne sont pas liés, pour déterminer l'affectation future des différents secteurs, par les modalités existantes d'utilisation des sols, dont ils peuvent prévoir la modification dans l'intérêt de l'urbanisme, leur appréciation peut cependant être censurée par le juge administratif au cas où elle serait entachée d'une erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts.

9. En vertu de l'article L. 151-5 du code de l'urbanisme, le projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme définit notamment " les orientations générales des politiques d'aménagement, d'équipement, d'urbanisme, de paysage, de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers, et de préservation ou de remise en bon état des continuités écologiques " et " fixe des objectifs chiffrés de modération de la consommation de l'espace et de lutte contre l'étalement urbain ". En vertu de l'article L. 151-9 du même code : " Le règlement délimite les zones urbaines ou à urbaniser et les zones naturelles ou agricoles et forestières à protéger. / Il peut préciser l'affectation des sols selon les usages principaux qui peuvent en être faits ou la nature des activités qui peuvent y être exercées et également prévoir l'interdiction de construire. / Il peut définir, en fonction des situations locales, les règles concernant la destination et la nature des constructions autorisées ". Aux termes de l'article R. 151-22 du même code : " Les zones agricoles sont dites " zones A ". Peuvent être classés en zone agricole les secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles ". L'article R. 151-23 du même code précise : " Peuvent être autorisées, en zone A : / 1°-Les constructions et installations nécessaires à l'exploitation agricole ou au stockage et à l'entretien de matériel agricole par les coopératives d'utilisation de matériel agricole agréées au titre de l'article L. 525-1 du code rural et de la pêche maritime ; / 2° Les constructions, installations, extensions ou annexes aux bâtiments d'habitation, changements de destination et aménagements prévus par les articles L. 151-11, L. 151-12 et L. 151-13, dans les conditions fixées par ceux-ci. "

10. Il résulte de ces dispositions qu'une zone agricole, dite " zone A ", du plan local d'urbanisme a vocation à couvrir, en cohérence avec les orientations générales et les objectifs du projet d'aménagement et de développement durables, un secteur, équipé ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles.

11. Il ressort du projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme intercommunal litigieux que les auteurs de ce plan se sont fixés pour objectif, notamment, " d'affirmer la place de l'activité agricole, de sa diversité et de sa qualité, comme l'un des vecteurs privilégiés pour le maintien de la qualité du paysage ", de " favoriser le dynamisme de l'activité agricole locale " et, surtout, " de maintenir la vocation agricole de [leur] territoire " par une réduction importante de la consommation foncière par extension ainsi que par la limitation de l'étalement urbain. Il ressort des pièces du dossier que les parcelles de la société Hesselmans Beheer BV, d'une surface de plus de 5 hectares, sont situées à l'ouest du bourg de Bourgeauville, en dehors des parties urbanisées de la commune. Ce tènement, qui supporte une demi-douzaine de constructions, dont deux maisons d'habitation, une piscine et un terrain de tennis concentrés au nord-ouest, ainsi qu'une autre maison d'habitation au sud, est pour l'essentiel non bâti et laissé à l'état naturel ou planté d'arbres. Il est bordé à l'ouest par une zone boisée, classée en zone N (naturelle), au sud et au nord par des parcelles non bâties à usage de prairie ou mises en culture ainsi qu'à l'est par des parcelles faiblement bâties, classées, comme les parcelles litigieuses, en zone A1 (agricole). Si la partie nord-est du tènement est limitrophe d'une frange faiblement urbanisée du bourg de Bourgeauville, classée en zone UD4, c'est-à-dire en " zone urbaine aérée à vocation principale d'habitat ", les rares constructions de ce tènement sont séparées de cette frange du bourg par la vaste parcelle no 210, qui ne comporte aucune construction ni installation, à l'exception d'un court de tennis. Si la société requérante soutient, en se fondant sur une cartographie peu lisible des " terres à enjeux agricoles ", annexée au rapport de présentation du plan local d'urbanisme intercommunal, que les parcelles qu'elle détient ne présenteraient en elles-mêmes " aucun enjeu agricole ", il ne ressort pas des pièces du dossier que ces terres, pour l'essentiel non bâties et laissées à l'état naturel ou plantées d'arbres, seraient dépourvues de tout potentiel agronomique, biologique ou économique pour un usage agricole. En tout état de cause, ces parcelles, en dépit de leur relative proximité du bourg, s'insèrent dans un vaste secteur à dominante agricole, qui inclut notamment une exploitation agricole limitrophe du tènement en sa partie sud. Dès lors, au regard du parti d'aménagement des auteurs du plan local d'urbanisme intercommunal, de l'emplacement et de la configuration des parcelles en cause, le classement de celles-ci en zone A1 n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, alors même qu'elles comportent quelques habitations, qu'elles sont desservies par les réseaux publics et qu'elles faisaient antérieurement l'objet d'un classement en zone NB assorti de moindres restrictions quant à leur constructibilité.

12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la communauté de communes Terre d'Auge, que la société Hesselmans Beheer BV n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la société Hesselmans Beheer BV, n'implique aucune mesure d'exécution. Dès lors, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté de communes Terre d'Auge, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société Hesselmans Beheer BV demande au titre des frais exposés par elle à l'occasion du litige soumis au juge.

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Hesselmans Beheer BV la somme de 1 500 euros à verser à la communauté de communes Terre d'Auge au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Hesselmans Beheer BV est rejetée.

Article 2 : La société Hesselmans Beheer BV versera à la communauté de communes Terre d'Auge une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Hesselmans Beheer BV et à la communauté de communes Terre d'Auge.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Bréchot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 juin 2023.

Le rapporteur,

F.-X. BréchotLa présidente,

C. Buffet

La greffière,

A. Lemée

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 22NT00934


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00934
Date de la décision : 23/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. François-Xavier BRECHOT
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : AGOSTINI

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-06-23;22nt00934 ?
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