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26/09/2023 | FRANCE | N°22NT01145

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 26 septembre 2023, 22NT01145


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme H... et E... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 30 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 29 mars 2021 des autorités consulaires françaises à Tunis (Tunisie) refusant de délivrer à leur fils adoptif un visa de long séjour, ainsi que cette décision consulaire.

Par un jugement n° 2108357 du 14 février 2022, le tribunal administrat

if de Nantes a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme H... et E... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 30 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 29 mars 2021 des autorités consulaires françaises à Tunis (Tunisie) refusant de délivrer à leur fils adoptif un visa de long séjour, ainsi que cette décision consulaire.

Par un jugement n° 2108357 du 14 février 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 avril 2022, M. et Mme H... et E... D..., représentés par Me Bochnakian, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 février 2022 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 30 juin 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de convention internationale des droits de l'enfant dès lors que :

. l'intérêt de l'enfant, tel que précisé par l'article 21 de la convention internationale des droits de l'enfant, est qu'il soit élevé par ses parents adoptifs ;

. la convention de La Haye du 29 mai 1993 est inopposable en l'espèce alors que la Tunisie n'en est pas signataire, ainsi que par voie de conséquence les principes de subsidiarité et de détermination de l'adoptabilité de l'enfant ;

. la circonstance que l'institut national de protection de l'enfant n'ait pas autorisé l'adoption est sans incidence dès lors qu'un tel accord ou même l'information de cette institution ne sont pas requis ;

. le tribunal cantonal de Grombalia a procédé aux vérifications nécessaires sur l'adoptabilité de l'enfant et son intérêt à cette adoption.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2022, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme D... ne sont pas fondés et demande de substituer en tant que de besoin au motif de la décision celui tiré du défaut de consentement libre et éclairé des parents biologiques de l'enfant à son adoption.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la convention de La Haye du 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et à la coopération en matière d'adoption internationale ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Rivas a été entendus au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 2 mars 2021 le tribunal cantonal de Grombalia (Tunisie) a autorisé l'adoption par M. H... D..., ressortissant tunisien né le 20 août 1980 et Mme E... C... épouse D..., ressortissante française née le 27 février 1985, de B..., leur neveu tunisien né le 28 décembre 2020. Par une décision du 29 mars 2021, les autorités consulaires françaises à Tunis ont refusé de délivrer le visa de long séjour sollicité par M. et Mme D... pour le jeune B.... Par une décision du 30 juin 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Par un jugement du 14 février 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté le recours formé par M. et Mme D... contre la décision consulaire du 29 mars 2021 et la décision de la commission du 30 juin 2021. M. et Mme D... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il rejette leur demande d'annulation de la décision du 30 juin 2021.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que, pour rejeter la demande de visa long séjour présentée pour l'enfant B... D..., la commission de recours s'est fondée sur le fait que l'adoption de l'enfant demandeur de visa s'était faite en violation de l'éthique de l'adoption internationale résultant de la convention internationale des droits de l'enfant (article 21) et des principes essentiels de la convention de La Haye du 29 mai 1993 (article 4).

3. Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 7, paragraphe 1, de la même convention : " L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux. " Aux termes de l'article 21 de la même convention : " Les États parties qui admettent et/ou autorisent l'adoption s'assurent que l'intérêt supérieur de l'enfant est la considération primordiale en la matière et : / a - veillent à ce que l'adoption d'un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l'adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l'enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l'adoption en connaissance de cause, après s'être entourées des avis nécessaires ; / b - reconnaissent que l'adoption à l'étranger peut être envisagée comme un autre moyen d'assurer les soins nécessaires à l'enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d'origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé ; / c - veillent, en cas d'adoption à l'étranger, à ce que l'enfant ait le bénéfice de garanties et de normes équivalant à celles existant en cas d'adoption nationale ; / d - prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d'adoption à l'étranger, le placement de l'enfant ne se traduise pas par un profit matériel indu pour les personnes qui en sont responsables ; / e - poursuivent les objectifs du présent article en concluant des arrangements ou des accords bilatéraux ou multilatéraux, selon les cas, et s'efforcent dans ce cadre de veiller à ce que les placements d'enfants à l'étranger soient effectués par des autorités ou des organes compétent ". Aux termes de l'article 4 de la convention de La Haye : " Les adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l'État d'origine : / a) ont établi que l'enfant est adoptable (...) ".

4. D'une part, l'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. L'adoptant, bénéficiaire d'un jugement d'adoption, est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale. Dès lors, dans le cas où un visa d'entrée et de long séjour en France ou un visa de court séjour d'établissement en qualité de membre de la famille d'un ressortissant de l'Union européenne est sollicité en vue de permettre à l'adopté de rejoindre sa famille d'adoption, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, non seulement sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, mais aussi sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement de l'adoptant, contraires à son intérêt.

5. D'autre part, si les jugements rendus par un tribunal étranger relativement à l'état et à la capacité des personnes produisent, sauf dans la mesure où ils impliquent des actes d'exécution matérielle sur des biens ou de coercition sur des personnes, leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de ne pas fonder sa décision sur des éléments issus d'un jugement étranger qui révélerait l'existence d'une fraude ou d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international.

6. En premier lieu, la circonstance que l'adoption du jeune B... résulte d'une démarche entreprise individuellement par les époux D..., domiciliés en France, et sans consultation de la mission pour l'adoption internationale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ni de l'opérateur tunisien doté de la compétence en matière d'adoption, ne révèle pas une situation contraire à la conception française de l'ordre public international, notamment s'agissant d'une adoption intrafamiliale, et alors que la Tunisie n'a pas ratifié la convention signée à La Haye le 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et à la coopération en matière d'adoption internationale, laquelle n'était donc pas applicable à la démarche d'adoption conduite par les époux D....

7. En deuxième lieu, le non-respect du principe de subsidiarité, qui est énoncé au b de l'article 21 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et relève de la conception française de l'ordre public international, est susceptible de justifier légalement la décision contestée. Cependant, ce principe de subsidiarité n'exclut pas qu'une adoption internationale soit conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant, alors même qu'une famille appropriée serait susceptible de l'accueillir dans son pays d'origine, lorsque l'adoption est demandée par des parents de l'enfant. Or, en l'espèce, le jeune B... est le neveu de M. et Mme D.... Dès lors, c'est par une inexacte appréciation des faits de l'espèce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fondé sa décision sur le non-respect du principe de subsidiarité.

8. En troisième lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

9. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères invoque, dans son mémoire d'appel communiqué à M. et Mme D..., un nouveau motif fondé sur la situation constatée à la date de cette décision, tiré de ce qu'il n'y a pas eu de consentement régulier des parents biologiques de l'enfant à son adoption.

10. La conception française de l'ordre public international suppose que le consentement à l'adoption d'un enfant soit donné par son représentant légal. Il ressort des mentions du jugement du 2 mars 2021 du tribunal cantonal de Grombalia que les parents biologiques de l'enfant ont comparu devant ce tribunal et ont donné expressément leur consentement à l'adoption de leur fils par les époux D..., après que le juge tunisien a recouru au mécanisme de " l'enquête sociale " lui permettant d'apprécier notamment la " situation financière, sociale et psychique " des adoptants, leur " bonne moralité " ainsi que les conditions d'accueil de l'enfant en France. Il ressort en outre des pièces du dossier que M. et Mme G..., parents biologiques de l'enfant, ont convenu le 1er septembre 2021, devant notaires, renoncer à leur fils aux fins qu'il soit adopté par son oncle maternel et l'épouse de ce dernier. Dès lors, le motif tiré du défaut de consentement régulier les parents de l'enfant à son adoption, invoqué par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères n'étant pas de nature à fonder légalement la décision contestée, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de substitution de motifs.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et alors que le ministre n'établit ni même n'allègue que les conditions d'accueil de l'enfant en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement des adoptants, contraires à son intérêt, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

12. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à l'enfant B... D.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un tel visa à l'intéressé dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin dans les circonstances de l'espèce de prononcer une astreinte.

Sur les frais d'instance :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. et Mme D... d'une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2108357 du 14 février 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision du 30 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour en France présentée pour l'enfant B... D... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un visa de long séjour à l'enfant B... D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. et Mme D... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme H... et E... D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Délibéré après l'audience du 7 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2023.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

J. FRANCFORT

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01145


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01145
Date de la décision : 26/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : BOCHNAKIAN LARRIEU-SANS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-09-26;22nt01145 ?
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