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03/10/2023 | FRANCE | N°23NT01457

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 03 octobre 2023, 23NT01457


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 14 mars 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités suédoises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2304684 du 28 avril 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 mai 2023, Mme A..., représentée par Me Renaud, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 avril 2023 ;

2°) d'annuler ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 14 mars 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités suédoises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2304684 du 28 avril 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 mai 2023, Mme A..., représentée par Me Renaud, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 avril 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 14 mars 2023 ;

3°) procéder à la suppression des passages accusant son conseil de détourner l'application de la loi ;

4°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile en procédure normale dans le délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- les écritures produites par le préfet en première instance mettent en cause la probité de son conseil ;

- l'arrêté de transfert est insuffisamment motivé ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 ;

- il n'est pas établi que l'agent qui a procédé à l'enregistrement de ses empreintes, ainsi que celui qui a consulté le fichier Eurodac, disposaient d'une habilitation ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 26 mai 2023, l'ordre des avocats au barreau de Nantes, représenté par Me Diversay, conclut à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 741-2 du code de justice administrative.

Il soutient que son intervention est recevable et demande à la cour de procéder à la suppression de passages injurieux du mémoire en défense produit devant le tribunal administratif par le préfet de Maine-et-Loire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 août 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- les observations de Me Renaud, représentant Mme A...,

- et les observations de Me Eveno, représentant le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Nantes.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante mongole, relève appel du jugement du 28 avril 2023 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 mars 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités suédoises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Sur l'intervention du conseil de l'ordre des avocats au barreau de Nantes :

2. Le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Nantes justifie d'un intérêt suffisant pour solliciter l'annulation du jugement attaquée en tant qu'il a rejeté les conclusions présentées par Mme A... sur le fondement de l'article L. 741-2 du code de justice administrative. Par suite, son intervention doit être admise.

Sur les conclusions tendant à la suppression de passages injurieux :

3. Aux termes de l'article L. 741-2 du code de justice administrative : " Sont également applicables les dispositions des alinéas 3 à 5 de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ci-après reproduites : " Art. 41, alinéas 3 à 5.-Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. / Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. / Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux et, dans tous les cas, à l'action civile des tiers. ".

4. Dans son mémoire en défense présenté le 17 avril 2023 devant le tribunal administratif de Nantes, le préfet a indiqué que le conseil de Mme A... mentionnait à tort que la demande d'asile déposée par sa cliente en Suède avait été rejetée alors que les autorités de ce pays avaient accepté sa reprise en charge sur le fondement de l'article 18 1 b) du règlement du 26 juin 2013. Le préfet a ajouté que ces indications erronées avaient pour but de jeter un doute sur la procédure afin d'éviter l'application des lois françaises et européennes. A plusieurs reprises il a qualifié de " mensongères " les allégations du conseil de la requérante. Ces propos, excessifs dans leur expression, ne peuvent toutefois être regardés sur le fond comme présentant un caractère injurieux, outrageant ou diffamant au sens de l'article L. 741-2 du code de justice administrative. Par suite les conclusions présentées tant par la requérante que par le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Nantes dans le cadre d'un mémoire en intervention, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de transfert aux autorités suédoises :

5. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par le premier juge, les moyens invoqués par Mme A..., tirés de ce que la décision contestée serait insuffisamment motivée, et contraires aux articles 4 et 5 du règlement n° 604 2013 du 26 juin 2013, que l'intéressée réitère en appel, sans apporter de précisions nouvelles.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 603-2013 du Parlement européen et du Conseil, dit règlement Eurodac : " 1. Eurodac se compose : a) d'une base de données dactyloscopiques centrales et informatisée (...) 2. Chaque Etat membre dispose d'un seul point d'accès national (...) ". Aux termes de l'article 34 du même règlement : " (...) 2. Chaque État membre adopte, pour toutes les données traitées par ses autorités compétentes en vertu du présent règlement, les mesures nécessaires, y compris un plan de sécurité, pour: / (...) / b) empêcher l'accès de toute personne non autorisée aux installations nationales dans lesquelles l'État membre mène des opérations conformément à l'objet d'Eurodac (contrôle à l'entrée de l'installation); / (...) f) veiller à ce que les personnes autorisées à avoir accès à Eurodac n'aient accès qu'aux données pour lesquelles l'autorisation a été accordée, l'accès n'étant possible qu'avec un code d'identification individuel et unique et par un mode d'accès confidentiel (contrôle de l'accès aux données) (...)".

7. Par un courrier du 17 février 2023, un agent de la direction de l'asile du ministère de l'intérieur, a informé le préfet de la Loire-Atlantique, après avoir comparé les empreintes relevées en préfecture avec celles figurant dans le fichier Eurodac, que les empreintes de Mme A... avaient été relevées le 28 décembre 2022 par les autorités suédoises sous le n°SE10010-838562/24. Aucun élément du dossier n'établit que l'agent de la préfecture qui a relevé les empreintes de Mme A... ainsi que l'agent de la direction de l'asile du ministère de l'intérieur n'auraient pas été qualifiés pour procéder à ces démarches. Par suite, la requérante, qui, en tout état de cause, n'a été privée d'aucune garantie, n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée serait entachée d'un vice de procédure au motif que la consultation des fichiers Eurodac et Agdref comportant des données personnelles sensibles n'aurait pas été effectuée par un agent habilité, en méconnaissance des dispositions des articles 3 et 34 précités du règlement n° (UE) 603-2013 du 26 juin 2013. Ce moyen ne peut dès lors qu'être écarté.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

9. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

11. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... ferait l'objet d'une mesure d'éloignement des autorités suédoises à destination de son pays d'origine. Par suite, à supposer même que sa demande d'asile présentée en Suède aurait été rejetée, les moyens tirés de la violation des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peuvent qu'être écartés.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en œuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

13. Mme A... se prévaut d'un certificat du 4 avril 2023 du service des maladies infectieuses et tropicales du centre hospitalier universitaire de Nantes indiquant qu'elle est porteuse du virus de l'hépatite B et de l'hépatite Delta " avec une probable fibrose évoluée ". Ce document se borne toutefois à indiquer qu'un suivi et un traitement sont à prévoir. Par suite, si l'intéressée produit une convocation à une consultation médicale fixée au 27 juin 2023, elle ne justifie ni de l'urgence de la mise en place de ce traitement, ni de son incapacité à se rendre en Suède, où le système de santé est comparable à celui existant en France. En outre, elle indique elle-même que sa sœur réside en Suède. Par suite, Mme A... n'établit pas qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant son transfert aux autorités suédoises, le préfet de Maine-et-Loire aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite ce moyen ne peut qu'être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Les conclusions présentées par le conseil de l'Ordre doivent également être rejetées pour le motif développé au point 4 du présent arrêt.

Sur le surplus des conclusions :

15. Les conclusions aux fins d'injonction présentées par Mme A... et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de ses conclusions principales.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention du conseil de l'ordre des avocats au barreau de Nantes est admise.

Articles 2 : Les conclusions tendant à la suppression de passages injurieux présentées tant par Mme A... que par le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Nantes sont rejetées.

Articles 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire et à l'ordre des avocats au barreau de Nantes.

Délibéré après l'audience du 15 septembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2023.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01457


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01457
Date de la décision : 03/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : RENAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-03;23nt01457 ?
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