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17/10/2023 | FRANCE | N°23NT01667

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 17 octobre 2023, 23NT01667


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 10 mars 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités suisses, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par une requête distincte, M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 10 mars 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités suisses, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un

jugement n° 2300850, 2300851 du 18 avril 2023, le magistrat désigné du tribunal administ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 10 mars 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités suisses, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par une requête distincte, M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 10 mars 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités suisses, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2300850, 2300851 du 18 avril 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 juin 2023, Mme D..., représentée par Me Bara Carré, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 18 avril 2023 en tant qu'il la concerne ;

2°) d'annuler l'arrêté du 10 mars 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une attestation de demande d'asile et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans le délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 ;

- cette décision méconnaît les stipulations des articles 3.2 du règlement du 26 juin 2013, 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 53-1 de la Constitution.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2023, le préfet de la Seine- Maritime conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- l'accord signé le 26 octobre 2004 entre la Communauté européenne et la Confédération suisse relatif aux critères et aux mécanismes permettant de déterminer l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile introduite dans un Etat membre ou en Suisse ;

le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Gélard, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante géorgienne, relève appel du jugement du 18 avril 2023 du magistrat désigné du tribunal administratif de Caen en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 mars 2023 par lequel le préfet de Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités suisses, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de transfert aux autorités suisses :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

3. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Par ailleurs, aux termes de l'article 1er de l'accord du 26 octobre 2004 entre la Communauté européenne et la Confédération suisse relatif aux critères et mécanismes de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans un Etat membre ou en Suisse, lequel accord mentionne que " la coopération dans les domaines couverts par les règlements " Dublin " et " Eurodac " repose sur les principes de liberté, de démocratie, d'Etat de droit et de respect des droits de l'homme, tels que garantis en particulier par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " : " Les dispositions: / - du règlement "Dublin", / - du règlement "Eurodac",/ - du règlement "modalités d'application d'Eurodac" et/ - du règlement "modalités d'application de Dublin" / sont mises en œuvre par la Confédération suisse, ci-après dénommée "Suisse", et appliquées dans ses relations avec les Etats membres de l'Union européenne, ci-après dénommés "Etats membres". / 2. Les Etats membres appliquent les règlements visés au par. 1 à l'égard de la Suisse. / 3. Sans préjudice de l'art. 4, les actes et mesures pris par la Communauté européenne modifiant ou complétant les dispositions visées au par. 1 ainsi que les décisions prises selon les procédures prévues par ces dispositions sont également acceptés, mis en œuvre et appliqués par la Suisse. (...) 5. Aux fins des par. 1 et 2, les références aux " Etats-membres" contenues dans les dispositions visées au par. 1 sont réputées englober la Suisse. ". La Suisse constitue un pays associé au règlement de Dublin ainsi que le mentionne, en son annexe X, le règlement d'exécution (UE) 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 modifiant le règlement (CE) 1560/2003 portant modalités d'application du règlement (CE) 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers. Il s'ensuit que les règles établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers sont applicables à la Suisse et que la Suisse doit être regardée comme un Etat membre pour l'application des dispositions citées au point 2.

5. Enfin, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

6. Par une décision du 8 mars 2023 les autorités suisses ont accepté de reprendre en charge Mme D..., son mari et leurs trois enfants mineurs. Si l'intéressée fait valoir que leurs demandes d'asile déposées en Suisse ont été rejetées, elle ne produit aucune décision d'éloignement qui aurait été prise à leur encontre par les autorités suisses et qui les exposerait à un risque d'éloignement vers leur pays d'origine. Par suite, et compte tenu de ce qui a été dit aux points 3 et 4, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 3.2 du règlement du 26 juin 2013, de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peut qu'être écarté.

7. En second lieu, aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en œuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. S'il n'est pas contesté que Mme D... souffre d'une schizophrénie paranoïde, à l'origine d'hallucinations auditives et de crises d'angoisse, l'intéressée précise elle-même que sa pathologie a été diagnostiquée au cours d'une hospitalisation en Allemagne en 2015. Par ailleurs, les certificats médicaux qu'elle produit, ne suffisent pas, en raison de leur caractère généraux et imprécis, à établir que ce suivi médicamenteux ne pourrait être dispensés en Suisse, où le système de soins est comparable à celui de la France. De même, si la requérante fait valoir que son mari souffre d'une pathologie dont le diagnostic est en cours au centre hospitalier universitaire de Caen, les pièces produites ne sont pas de nature à justifier de l'impossibilité de poursuivre ces investigations en Suisse. Leurs trois enfants nés en 2014, 2015 et 2017 pourront également y être scolarisés. Par suite, Mme D... n'établit pas qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant son transfert aux autorités suisses, le préfet de la Seine-Maritime aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite ce moyen ne peut qu'être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur le surplus des conclusions :

10. Les conclusions aux fins d'injonction présentées par Mme D... et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de ses conclusions principales.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience du 2 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 octobre 2023

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01667


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01667
Date de la décision : 17/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : BARA CARRE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-17;23nt01667 ?
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